L’Amitié (Nemo)/XI

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Nemo
Petrot-Garnier (p. 28-30).


CHAPITRE XI

L’Amitié, refuge de l’adversité.


Le siècle est mauvais ; son cœur est entouré de sept replis de malice ; ses dents sont des flèches ; sa langue, un rasoir.

Il est des jours où, tout entier, il se déchaîne ;

Que la calomnie tombe à flocons ;

Que la sombre envie, levant son drapeau, vous déclare guerre, guerre sans merci, guerre à mort. Ce sont ses jours.

Il en est d’autres où le bon droit est tellement méconnu, où les idées de justice et d’équité sont de partout tellement renversées qu’il faut avoir cent fois raison, pour avoir cent fois tort ; où le bon Dieu véritablement abandonne ; où l’on ne sait plus que dire : montagnes, tombez sur nous !

À ces jours implacables, comme après le passage de la foudre et de la grêle dans une belle plaine où tout est brisé, haché, rentré en terre, on est anéanti.

De quelque côté que vous vous tourniez, ce n’est que ruine, désolation, opprobre des hommes.

Eussiez-vous votre cœur de diamant ; les fibres de votre cou, de fer ; votre front, de bronze : fussiez-vous capable de soutenir les chocs les plus terribles, l’accablement des derniers malheurs, qu’un témoignage d’intérêt est un allègement à la peine ! Qu’ils sont amers les pleurs solitaires ! Fils de l’adversité, dites !…

Si les tribulations du temps sont ces rochers détachés de la montagne qui remplissent le chemin, si un seul ne les peut remuer ; si deux les roulent et passent, seul que devenir ? Vers qui lever les yeux ? À quelle porte frapper ?

Dans votre affliction profonde, vous est-il loisible même de toujours entrer dans la maison de vos frères et de vos alliés ?

N’attendez rien que d’un véritable ami. Sa fidélité à lui ne prend pas frayeur de votre infortune. Il n’attend pas que vous alliez à lui, que vous lui disiez : ayez pitié de moi, vous, au moins, qui êtes mon ami.

Il prend tout ce qu’il peut du poids qui vous écrase. Il est encore plus aimant dans le malheur.

Vous versez dans son sein une partie de votre douleur ; lui, dans le vôtre, son compatissement et sa commisération.

Oh ! non, point d’appui, point de secours, point de port contre la tempête et le péril, rien de comparable.

Un temps, je crus posséder de ces nobles amis. Je fus un insensé que de le croire.

Je pardonne à ceux qui me trahirent.

Ils sont plus malheureux que moi.