L’Amour absolu/I
I
Que la Ténèbre soit !
Il habite une des branches de l’étoile de pierre.
La prison de La Santé.
Comme il est condamné à mort, la branche où se cataloguent les condamnés à mort.
L’artérie pértifiée n’a attendu pour s’épanouir, miroir des étoiles, que l’heure des étoiles.
Le soleil est couché réglementairement, le pêcheur à la ligne, de par le gendarme, rétracte ses tentacules, le cycliste et le cocher de fiacre deviennent des lampyres femelles amoureusese ; l’électricien de l’axe de l’étoile réalise le geste du magnétiseur qui, d’un index entre les sourcils, révoque de l’imitation de la mort.
La Santé est semblable à Argus qui avait cent yeux.
Il habite une petite étoile d’une des branches de l’étoile de pierre ; l’homme est une des fleurs-ventouses du bras de l’artérie.
La dernière vertèbre cervicale épanouie — dirait Haeckel — épanouie pour l’un des derniers jours, accoutume, comme toutes les fleurs, le geste du tournesol.
Vers la lampe.
La cellule est bien moderne et aménagée dans le goût anglais : des meubles sobres en laqué blanc, les murs tendres.
Aucun décor des murs, mais on a accroché le soleil au plafond.
Soleil ou lune, un astre : il se lève et s’éteint à des heures.
Aucune observation ne lui découvre de mouvement propre.
C’est une étoile fixe.
Elle est plus noble que les astres du monde : elle a la place du ciel, d’une couronne ou du couperet, dernière imposition du diadème.
Elle s’appelle zénith.
Elle n’est point née d’une nébuleuse.
L’homme est l’huile de cette lampe.
S’il n’y avait point un condamné à mort dans le secteur des condamnés à mort, il y aurait une étoile de moins au ciel de pierre de La Santé.
Moïse disait bien le firmament solide.
L’homme qui est sous cette étoile est, quel qu’il soit et quelles que soient ses circonstances, un homme considérable.
Il a fait une étoile.
Ce n’est pas un astronome : les astronomes, plus tard, les découvrent.
Plutôt un astrologue : cette étoile s’allume à cause de son avenir.
C’est un homme dans le genre de Dieu.
Et c’est pour cette raison ou pour une autre, la meilleure est que c’est son vrai nom, qu’il y a écrit sur la porte :
— Emmanuel Dieu.
Dieu est un peu ébloui de son astre.
Au musée de la marine, au Louvre, on peut s’enfermer dans une salle avec le fanal tournant d’un phare décapité.
La grosse mouche de feu ou le fulgore porte-lanterne se heurte à intervalles opiniâtres contre votre cornée transparente.
Vous clignez en riposte à l’œil énorme qui cligne.
Heureusement qu’il est trop intermittent pour celui d’un magnétiseur, et trop brutal en lumière pour un miroir à alouettes.
Dieu est un peu ébloui de son astre parce qu’il voudrait dormir.
Et il éteint les deux fanaux renversés dans la mer de ses yeux.
Ainsi la vouivre cache son escarboucle, unique œil et trésor du serpent cyclope, pour aller boire à la fontaine.
Emmanuel Dieu se sert du sommeil, vieux Léthé, comme d’éternité provisoire.
L’Éternité est trop inétendue pour tenir dans la prison, même éclatée en étoile.
C’est pourquoi, à des aubes, on la prie d’attendre dans la cour.
L’Embarcadère vers elle, comme les fortifications d’un estuaire, tend les brise-lames aigus de ses piles de ponts au-devant de la ville.
Orphée se lève d’un tapis de fourrures, la ville ronronne au pied de la lampe, l’étoile créée par le Dieu terrestre au-dessous du firmament se tend, presqu’île de la terre dans les eaux d’au-dessus, comme l’œil d’un escargot, vers les étoiles firmamentaires.
Étoiles militantes vers les triomphantes, la tête toute en œil des lampadaires implore qu’on la délivre de son cou ombilical.
Que sait-on si les comètes, suivies d’un éclaboussement de rupture, ne sont pas les gourmes de l’affranchissement des lampes ?
Les comètes anoures, selon plusieurs, sont les anges.
Emmanuel Dieu attend l’heure sidérale que sa tête s’en aille.
…S’il n’a pas tué, pourtant, ou si l’on n’a pas compris qu’il tuait, il n’a d’autre prison que la boîte de son crâne, et n’est qu’un homme qui rêve assis près de sa lampe.