L’Amour absolu/II

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Mercure de France (p. 9-15).

II

Le Christ-Errant

— Quels sont vos moyens d’existence ?
— Je n’ai point de ressource,
En maison ni en bien :
J’ai cinq sous dans ma bourse,
Voilà tout mon moyen.

Charles Deulin, Contes et Légendes d’un bon Flamand

Un pas à l’intérieur de l’escargot.

Est-ce les mages vers l’étoile dont le nadir était la crèche, ou l’Aladdin, chargé des pierreries du jardin des caves, qui vient cueillir la Tête merveilleuse ?

Non, ce n’est pas le cicerone de la dernière aube.

Il est seul.

Ni quelque abbé Faria perceur de murailles.

Aucune ride sur la glace des murs.

Ce ne peut être que l’éternel incarcéré, de qui toutes les paroles répondent à des interrogatoires.

Et le seul qui s’aperçoive qu’on l’arrête, parce qu’il marche.

Ahasvérus.

Emmanuel Dieu dialogue avec le fantôme.

Il monologue, l’être de légende ne sachant répondre que sa légende ou le silence, et réservant la première aux juges.

Voici la confession d’Emmanuel au silence :

— Je suis Dieu, je ne meurs pas sur la Croix.

Je suis impuissant de la mort, indigne de la myrrhe.

Dieu obscur, condamné à l’intérieur de la période secrète, de l’enfance à trente-trois ans.

Peut-être ignore-t-on cette période simplement parce que l’Autre ne l’a pas voulu — ou pu vivre en ce temps-là.

Sans doute s’incarna-t-il comme le spectre vole un corps hâtif, les deux contours de l’espace, les deux confins du temps seuls assez denses pour les sens.

S’il n’a pas vécu intégralement jusqu’à la trentaine en ce temps-là, ses covivants ont vieilli leurs ans moins cette grande faille.

Marie Mère de Dieu a vingt ans de moins, au pied de la Croix, que Marie Mère du Fils de l’Homme arrivé à la date prophétisée.

C’est une petite fille qui invente la cripagne.

Je suis Dieu, je n’ai pas eu d’enfance.

Nouvel Adam, qui naquit adulte, je suis né à douze, je m’anéantirai sans que ce soit moi qui meure à trente, demain ! et il y a à toutes les aubes autant de millions de Dieux intermittents semblables à moi qu’il y a de milliers d’autels, de myriades de messes et de miliards d’hosties consacrées.

Je n’habite — ils n’habitent pa des corps et des âmes quelconques. Nous disparaissons par assomption ou par anéantissement subit dans ces habitacles. Il y a quelque probabilité que notre disparition coïncide le plus souvent avec la communion de notre hôte, qui renouvelle la Passion du Christ.

Nous habiterions donc le plus fréquemment des hommes en état de péché mortel, pour y avoir long séjour — ou peut-être des pratiquants ou croyants, ce qui est peu vraisemblable : notre séjour serait trop court pour le laps depuis douze à trente. Mais les années sont relatives, nous vivons en temps infiniment condensé, un instant nous suffit à vivre toute notre vie chez eux. Presque sans aucun doute — moi avec redoutable et désirée certitude — les grands criminels et les condamnés à mort, pour disparaître au moment de la communion obligatoire dans la prison.

Nous les poussons au crime pour faire notre devoir, qui n’est qu’un besoin à accomplir, la vanité de n’être point eunuques.

Enfant débile ou âme immortelle d’un mort, laquelle est plus glorieuse progéniture ?

Dans un état différent de la société et ses lois différentes, nous ferions…

Nous ne pouvons absolument prévoir, nos moyens, dans ce cas, d’existence, je veux dire de fin d’existence, de réalisation, la fin du fils étant la Passion.

L’homme possédé par nous a la science infuse et est souverainement fort.

C’est-à-dire qu’il possède d’autrui toutes les volontés, même de l’inanimé.

La possession du Saint-Esprit ou du démon sont, notoirement, symétriques.

Les femmes qui nous aiment rénovent le vrai Sabbat.

Les diables de Londun nous sont germains.

Pour que notre pouvoir soit absolu (et il l’est), il arrive, sans antinomie, que nous jouissons de la Toute-Protection divine, c’est-à-dire que nous nous orientons, comme l’aimant en croix avec le courant magnétique est-ouest, dans le sens selon le temps de la Synthèse universelle.

Nous vivons de cataclysmes…

Avant que l’aube, comme un astre blanc, paraisse, qui une fera signe de délicieusement ou douloureusement laisser fondre, plus petit astre blanc, la présence réelle de ma propre mort sur ma langue, écoutez et annoncez à tous les peuples..

Ou, pour de plus fondroyants messages, arrêtez-vous, asseyer-vous, enfermez-vous dans une chaire de clerc et écrivez !

Voici l’Apocalypse du très vulgaire.

L’histoire d’une de ces larves.