L’Amour aux Colonies/XI

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CHAPITRE X

Mon séjour au Tonkin. — Caractères anthropologiques de la race Tonkinoise. — Les Muongs et les Xas ou Quans. — Le Chinois et le métis Tonkino-Chinois. — Quelques mots sur l’importance du Chinois au Tonkin. — La piraterie Chinoise. — Mœurs, habitudes, coutumes, religion, etc., de la race Tonkinoise. — Caractères moraux, formes et perversions de l’amour. — La colonie Européenne et sa moralité.



Mon séjour au Tonkin. — Je n’ai passé au Tonkin qu’un peu moins de deux années, bien longtemps après mon retour de Cochinchine. J’ai pu cependant, par suite de l’expérience acquise dans cette dernière Colonie, mettre à profit ce court séjour.

Caractères anthropologiques du Tonkinois. — Le Tonkinois est monté de l’Annam central vers le Nord, comme le Cochinchinois est descendu de cet Annam, dans le sud, en Cochinchine. Il a conquis et refoulé dans les montagnes la race autochtone des Muongs, Xas ou Quans. Au moment où nous sommes venus au Tonkin, le Chinois descendait du Nord pour le conquérir à son tour.

Il est donc naturel de trouver à peu près les mêmes caractères anthropologiques chez ces deux peuples de la même race, qui diffèrent entre eux aussi peu qu’un Languedocien d’un Aveyronais ou d’un Provençal.

Mes observations, au Tonkin, n’ont fait que confirmer celles précédemment faites en Cochinchine, ce qui me permettra de ne signaler ici que les divergences, quand il s’en présentera. J’ai d’ailleurs retrouvé, au Tonkin, un certain nombre d’anciens Inspecteurs militaires de Cochinchine, qui m’ont certifié que la race Tonkinoise présentait les mêmes caractères moraux et avait les mêmes coutumes, habitudes, etc., que la race Cochinchinoise. Elle était d’ailleurs régie par le même gouvernement central de Hué, qui lui appliquait le même code de Gia-Long.

Caractères anthropologiques de la race Tonkinoise. — Le Tonkinois est plus grand, plus robuste que le Cochinchinois, et mieux proportionné ; sa taille est sensiblement plus élevée.

On sent l’influence d’un climat qui possède un hiver où la température descend au-dessous de vingt degrés et n’est que de vingt-quatre au printemps, tandis qu’à Saïgon la température moyenne de ces deux saisons est de vingt-sept degrés, inférieure de deux degrés seulement à la moyenne de l’été. La tête du Tonkinois est moins grosse et la face moins prognathe. Le front est bas, les membres encore grêles, mais la poitrine est plus développée. La peau est un peu plus blanche, mais les muqueuses ont absolument la même couleur. L’appareil génital, dans les deux sexes, est peut-être un peu plus développé, mais la conformation reste la même. En somme, on peut dire que le Tonkinois est le frère aîné de l’Annamite du Sud, un peu plus robuste que lui, tout simplement. La femme Tonkinoise est plus jolie que celle de la Basse-Cochinchine, et on ne rencontre pas d’enfants à gros ventre, comme à Saïgon. La race est donc incontestablement plus belle.

Muongs. — Les Muongs paraissent représenter la race autochtone. Leurs caractères anthropologiques sont ceux des Moïs de Cochinchine. Mais ils sont plus forts, plus intelligents, et quoique refoulés comme eux sur les hauts plateaux boisés, leur nombre, qui est presque de quatre cent mille, leur a permis de résister avec plus de succès aux Giao-chi. J’en ai vu un certain nombre de spécimens, dans la région de Ninh-binh, qui sont policés, divisés en tribus patriarcales comme les anciennes tribus d’Israël. Dans le haut Fleuve-Rouge, le Muong est devenu plus sauvage et se rapproche davantage de son frère dégradé, le Moï de Cochinchine. Le Muong se livre à la chasse, à l’élève du bétail et à l’exploitation des forêts.

Il est brave et se sert, à la chasse comme à la guerre, de petites flèches empoisonnées, lancées par une courte arbalète qui a une belle portée ; avec cette arme, il s’est défendu contre les mousquets à mèche et les fusils à pierre des Annamites. Ceux-ci, ne pouvant le détruire, l’ont asservi et lui font payer l’impôt. D’après le voyageur Villeroi-d’Auges, les Muongs ont de singulières coutumes funèbres : ils mettent le cadavre dans un tronc d’arbre et le déposent dans la case du plus proche parent avant de l’enfouir en terre.

Ce que j’ai dit des caractères anthropologiques des Mois, mœurs, etc., se rapportant au Muong issu de la même race, j’y renvoie le lecteur.

Xas ou Quans. — Ce sont des sauvages dont les ancêtres sont descendus des hauts plateaux du Laos et qui habitent la partie montagneuse du nord du Tonkin. Ils parlent une langue spéciale, portent un pagne, un châle à couleurs vives et une sorte de calotte sur la tête. J’ai fort peu de renseignements sur cette race, dont je n’ai vu aucun spécimen.

Le Chinois et son métis au Tonkin. — La race Chinoise au Tonkin est identique à celle qui émigre en Cochinchine, mais elle y est beaucoup plus dense et dans les régions de Cao-bang, Lang-son et Lao-kay, elle domine. Le Chinois s’unit aux femmes du pays, il impose à sa compagne ses pratiques religieuses, ses mœurs, ses coutumes et jusqu’à la nourriture et l’habillement des fils du Céleste-Empire. Les métis se rencontrent aussi dans les provinces de la côte, et j’en ai vu beaucoup à Hanoï. Ils sont aussi intelligents que les Minhuongs de Cho-lon, mais plus grands et plus vigoureux. Les enfants de Chinois suivent les exemples des pères et dédaignent leurs compatriotes et leurs mères.

Avant notre arrivée, grâce à son nombre et une indéniable supériorité, le Céleste envahissait le pays et le transformait par une conquête lente mais continue. Il est incontestablement l’arbitre du commerce et il impose sa langue. Nous sommes venus arrêter son essor et prendre contact avec une nation de trois ou quatre cents millions d’habitants. L’avenir montrera si la France n’a pas été imprudente en s’étendant jusqu’à la frontière de la Chine.

La piraterie Chinoise. — Le Chinois a toujours considéré le Tonkinois comme un être de race inférieure, taillable et corvéable à merci. Cette vieille civilisation, peut-être la plus ancienne du globe, est restée immuable dans ses habitudes de conquête ; elle opère par le pillage, la ruine et la dévastation du peuple conquis : procédés identiques à ceux des Romains et des peuples de l’Asie occidentale (Perse, Assyrie, etc.), avant l’ère Chrétienne, et des peuples Européens avant l’ère moderne.

Le Chinois est pirate de mer dans le golfe du Tonkin, la côte d’Haïnam, les bouches du Delta et les îles du littoral. Les barrages établis par la population à l’entrée des rivières et des bouches du fleuve n’ont jamais arrêté les jonques Chinoises. Ces pirates opèrent comme les anciens Normands, qui débarquaient, attaquaient les villages et villes ouvertes, massacraient tous ceux qui leur résistaient et se rembarquaient en emmenant prisonniers les filles nubiles et les jeunes hommes. L’occupation Française n’a pu que mettre des entraves à ces déprédations, sans les arrêter complètement.

Sur terre, les pirates infestent les provinces du Nord et du Nord-Ouest, qu’ils rendent à peu près désertes. Les Pavillons-Noirs, établis avec le vieux chef Luu-Vinh-Phuoc, sur la frontière de Chine, enlèvent les filles des malheureux montagnards, pour les vendre à Lao-kay à des Chinois venus spécialement du Nord exercer ce commerce, et les fils pour les enrôler dans leurs bandes ou pour servir d’otages.

Mœurs, Coutumes, Religion de la race Tonkinoise. — Il y a très peu de différences entre le Tonkinois et l’Annamite de Cochinchine. Le Tonkinois est laborieux, et on rencontre peu de misérables mendiant leur vie. Il est essentiellement laboureur, quoique exerçant certaines professions industrielles, se faisant pêcheur, briquetier, potier, etc. Les femmes travaillent beaucoup et cultivent même la rizière dans la campagne, comme l’homme. Dans les villes, elles font un négoce et tiennent les magasins.

Le costume est à peu près le même qu’en Cochinchine, sauf des souliers et des sandales de paille tressée qu’on porte dans l’hiver. La robe des femmes est un peu plus longue et elles nouent un kékouan (écharpe aux vives couleurs) à la taille et au cou.

La case Tonkinoise est l’analogue de la case Annamite ; la nourriture est également la même, aussi salée et épicée. Le thé de Chine n’est en usage que pour les jours de fête ; en temps ordinaire, on boit une décoction de thé indigène, dit thé de Hué.

Les religions sont les mêmes au Tonkin qu’en Annam et Basse-Cochinchine : la religion du Chinois Confucius pour les lettrés ; le Bouddhisme altéré, les superstitions et croyances aux sorciers pour le peuple. Les cérémonies du mariage et de l’enterrement ne présentent aucune différence essentielle.

Caractères moraux de la race Tonkinoise. — Les caractères moraux de cette race ressemblent beaucoup à ceux de l’Annamite du Sud, mais si ce dernier jouit d’un peu de tranquillité sous le régime Français, qui l’a débarrassé du despotisme des Mandarins, le malheureux Tonkinois est pris entre trois maîtres : l’ancien Mandarin de Hué, qui est tout-puissant pour continuer ses exactions, le protectorat Français qui le défend tant bien que mal contre le Mandarin ou le pirate Chinois, et enfin ce dernier qui le vole et le rançonne. Le Français le met à l’amende, le Mandarin fait jouer la ka-douï qui fleurit au Tonkin, et le Chinois, brochant sur le tout, incendie sa case et lui coupe la tête s’il fait mine de se défendre.

Aussi, le paysan Tonkinois est-il doux, timide et craintif. Il ne demanderait qu’une chose, la tranquillité, la paix et le droit de labourer sa rizière pour en tirer l’existence quotidienne. Presque sans armes, il lui est impossible de se défendre contre les razzias des pirates et des réguliers Chinois déguisés en pirates, armés de fusils à tir rapide. Son sort est digne d’intérêt.

Formes et perversions de l’amour au Tonkin. — Je ne pourrais que répéter ici ce que j’ai déjà dit pour l’Annamite du Sud, la race étant la même et l’influence de la civilisation Chinoise ayant produit au Tonkin les mêmes effets qu’en Basse-Cochinchine.

Les formes et les perversions de l’amour n’ont pas de différence bien appréciable. Le nay et le boy fleurissent à Hanoï et Haï-phong comme à Saïgon : tous deux aussi impudents, débauchés, joueurs et voleurs. La belle de jour et la prostituée du bambou Tonkinois pratiquent les mêmes procédés qu’en Cochinchine.

La race Tonkinoise aime aussi passionnément que sa congénère du Sud le jeu et l’opium, avec le cortège de débauches que ces deux passions entraînent à leur suite.

Cette race est foncièrement lascive, joueuse, pédéraste et Sodomite. Constatons-le et passons outre.

La Colonie Européenne au Tonkin. — Le nombre d’Européens dépravés qui se sont livrés aux vices de Sodome et à la passion de l’opium, a été sensiblement moindre qu’aux débuts de la colonisation en Cochinchine. Cela tient au développement plus rapide de la colonisation Tonkinoise, qui a fait en moins de dix ans autant de progrès que son aînée en un quart de siècle. Beaucoup sont venus de celle-ci dans la nouvelle conquête Française, sans compter les Anglais et les Américains, attirés par l’appât des mines de charbon et de métaux divers qui n’existent pas en Cochinchine.

La femme blanche s’est implantée très rapidement au Tonkin, dont le climat lui est infiniment plus favorable que celui de la Cochinchine, la température fraîche de l’hiver venant corriger l’effet anémiant des grandes chaleurs de l’été.

Pour toutes ces causes, la Sodomie et la pédérastie n’ont pas eu le temps de jeter des racines bien profondes dans la colonie Européenne, et le nombre d’adorateurs de la Vénus anale a été bien réduit ; il le sera de plus en plus à l’avenir.

Ce que je tiens à faire ressortir ici, c’est la différence primordiale qui existe entre la pédérastie de l’Annamite du Nord ou du Sud ainsi que du Chinois, et celle de l’Européen. Elle est un caractère générique de la race Asiatique, lascive et presque sans frein moral ; au contraire, dans la race Européenne, elle n’a qu’un caractère particulier, propre à certains individus, véritables fous érotiques, que la grande masse a toujours honnis et conspués comme ils le méritent.