L’Amour aux Colonies/X

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CHAPITRE IX

La Colonie Européenne il y a trente ans. — Rareté de la femme Européenne. — Causes morales de la fréquence relative de la Sodomie et de la pédérastie au début de l’occupation. — Le Saïgon actuel, trente ans après la conquête. — Augmentation de l’élément féminin en Cochinchine. — La vie actuelle de l’Européen. — Distractions nocturnes. — L’hétaïre Européenne. — Progrès considérables de la moralité des Européens. — La diminution de la prostitution masculine et féminine de l’Indigène n’est qu’apparente. — Procédés actuels. — Le boy et le Collégien indigène.



La Colonie Européenne. — Il y a trente ans, la Colonie Européenne était peu nombreuse et, à part quelques Anglais et Allemands, et de trop rares négociants Français, se composait en majorité d’officiers de la Marine et des Corps annexes, avec une très faible minorité de fonctionnaires civils.

Il n’y avait pas en tout plus de quatre à cinq cents Européens, en dehors du Corps expéditionnaire. L’existence journalière était d’une monotonie désespérante, ce qui, joint à l’insalubrité du climat, rendait le séjour pénible. Sous cette atmosphère chaude, humide et fréquemment saturée d’électricité, le climat énerve et affaiblit très vite les forces physiques, et cet affaiblissement du corps réagit à son tour sur le moral.

Fort peu de distractions venaient égayer la vie de l’Européen célibataire, car au début, peu de gens amenèrent leur famille dans la Colonie. Par suite, il n’existait aucune de ces réunions qui rendent la vie civilisée à peu près supportable. Je n’appelle pas une réunion agréable, l’obligation où chacun se trouvait de faire de temps en temps apparition aux soirées officielles du Gouvernement, véritable supplice pour l’officier ou le fonctionnaire obligé d’endosser la tunique à épaulettes ou le fameux habit noir. J’ai vu, au premier bal officiel auquel j’ai assisté en 186., l’élément féminin représenté par quatre dames, formant un unique quadrille, et deux cents officiers et fonctionnaires faisant cercle autour. Il n’y avait à Saïgon de distractions nocturnes que pour les amateurs du cercle, du baccara et de l’écarté. Les mélomanes en étaient réduits au théâtre Chinois, le seul à l’époque, car le théâtre Français ne date que de vingt ans après la conquête, et l’on avouera que c’était bien maigre. Il y avait encore la ressource du baquan pour les joueurs endurcis. Les amateurs du beau sexe étaient les plus disgraciés, car l’élément féminin brillait par son absence. On citait deux ou trois dames mariées dont la conduite prêtait fort à la critique, mais en fait de dames du demi-monde, et même du demi-quart de monde, rien, absolument rien.

Les deux premières hétaïres Européennes. — Si mes souvenirs sont fidèles, les deux premières hétaïres Européennes vinrent à Saïgon en 1866 ou 1867. C’étaient deux Moldo-Valaques voisines de la quarantaine, ayant roulé de lupanar en lupanar, d’Alexandrie jusqu’à Saïgon. Embauchées comme dames de comptoir dans une mauvaise brasserie, elles provoquèrent presque une émeute chez la gent masculine, et le soir de leur arrivée, tout le Saïgon célibataire se trouva réuni dans cet établissement où d’habitude on ne voyait pas quatre clients Européens. Un mauvais plaisant eut l’idée saugrenue de mettre ces dames en tombola, chacune à cent billets d’une piastre. Une heure après les billets étaient tous placés et la tombola tirée. Je ne sais si les heureux gagnants se trouvèrent enchantés de leur bonne fortune.

En dehors du café et du cercle, voire même du baquan et du théâtre Chinois, que restait-il donc, en fait de distractions nocturnes, aux Européens qui n’aimaient ni à boire ni à jouer, ni même à entendre la musique enragée des Chinois ? Aucun, si ce n’est la fumerie d’opium et la prostitution indigène ! À moins d’une force de caractère exceptionnelle, il était bien difficile de ne pas glisser sur la pente dangereuse du vice, dans un pays où le vice vous assiégeait de toutes parts. Dans la journée, l’Européen était assailli à domicile par les belles de jour, et, le soir, s’il avait la force de faire une petite promenade à pied pour gagner un peu de sommeil, toute une nuée de boys lascifs venait tourner impudemment autour de lui, et lui offrir d’immondes faveurs.

Il ne faut donc pas s’étonner si les caractères faibles ne savaient pas conserver leur dignité morale et se laissaient aller à des compromissions honteuses. Je ne me lasserai pas de le répéter : l’Européen n’a pas importé le vice de Sodome en Cochinchine. Ce vice est un produit direct de la civilisation Chinoise, passé dans les mœurs du peuple Annamite, bien avant la conquête Française. C’est le vaincu qui a corrompu l’Européen par son contact, et il a fallu pour cela les circonstances atténuantes du manque presque absolu de l’élément féminin Européen au début de la colonisation.

Causes morales de la Sodomie des Européens. — Voici les réelles causes de la propagation du vice Sodomitique dans la colonie Européenne. En première ligne, absence presque complète de la femme blanche. Obligés de se servir de Congaïs répugnantes et dont la bouche noire, à la bave sanguinolente, était une douche froide jetée sur l’ardeur génitale, les uns se laissèrent aller aux exercices de la succion buccale usités par ces femmes ; d’autres, plus dépravés, prirent la route de Sodome. D’autres enfin, plus pervertis encore (ou présentant une disposition héréditaire), s’adressèrent aux nays et aux boys qui s’offraient en foule. Cette dernière catégorie était de beaucoup la moins nombreuse, je dois me hâter de le reconnaître.

Tous donnaient, comme excuse de leurs vicieuses habitudes, le manque absolu de sécurité et le danger très grand de la syphilis avec la Congaï. Tout a bien changé depuis, et avant de décrire la vie que mène maintenant l’Européen en Cochinchine, jetons un coup d’œil rapide sur le Saïgon actuel.


Le Saigon actuel, trente ans après la conquête. — Près d’un quart de siècle après mon premier séjour dans la Colonie, j’y revins pour la deuxième fois, à mon retour du Tonkin. J’ai pu constater ainsi le progrès effectué en trente ans.

D’importants changements se sont opérés dans l’aspect de Saïgon, à tel point que, de toutes les anciennes maisons et cases existant avant mon départ, je n’en reconnus qu’une seule, la grande maison Wang-taï, transformée en Direction des Contributions indirectes. Somptueux Palais du Gouvernement, superbe cathédrale, Hôtel battant neuf des Postes et Télégraphes, Trésor, Palais de Justice monumental, splendide Direction de l’Intérieur, Hôtel du Commandant supérieur, Casernes gigantesques, pourvues de tout le confortable désirable : tout était sorti de terre comme par enchantement avec la seule main d’œuvre de l’ouvrier Chinois. La ville a doublé d’étendue et, au lieu des petites maisons basses et étroites à toit de tuiles sans plafonds, où logeaient autrefois les officiers et fonctionnaires, on trouve maintenant de belles maisons à étages, avec vérandas sur tout le pourtour.

Au lieu de quelques rares cochers Malabars, introuvables les jours où le besoin s’en faisait sentir, des centaines et des centaines de voitures de tous modèles, depuis l’antique et classique voiture, autrefois conduite par le Malabar (d’où son nom), jusqu’à la calèche à deux chevaux, ou le zidore, voiture découverte à un cheval. Tout cela moyennant dix cents (0 fr. 40) la course et vingt cents l’heure, sans pourboire pour le cocher : c’est une habitude louable à signaler. Pour une demi-piastre (2 francs) on peut faire le tour de l’Inspection, de cinq à six heures du soir, ou la nuit après le dîner, quand la température est lourde et accablante. Au milieu de la promenade, on trouve l’établissement du Pré-Catelan, où l’on prend l’apéritif avant le dîner et la bière après. Si le cœur vous en dit, il y a un excellent restaurant et, au premier étage, des cabinets particuliers, permettant le souper fin en joyeuse compagnie. Et les éléments féminins du souper ne manquent pas comme à l’origine.

Augmentation de l’élément féminin en Cochinchine. — Le nombre des femmes Européennes a augmenté dans des proportions énormes. Beaucoup de fonctionnaires qui, au début de l’occupation, étaient célibataires, se sont mariés en France, entre deux séjours, et ont amené leur famille. Les officiers des divers corps de troupe de la Marine ont obtenu l’autorisation de faire suivre la leur.

Chaque famille a chevaux et voitures. C’est une première dépense d’achat de trois à quatre cents piastres, et une dépense mensuelle de douze à quinze piastres pour la nourriture des chevaux et le salaire du cocher. Au départ, on revend le tout (pas le cocher), avec quarante à cinquante pour cent de perte, mais on s’en est servi pendant trois ou quatre ans. On le voit, c’est pour rien.

L’ancien négociant Français qui tenait un bazar a disparu, coulé parle marchand Chinois qui vend les mêmes articles bien meilleur marché, car il les fait venir directement de France. Mais de nouveaux magasins de toutes sortes se sont créés : fleuristes, modistes, couturières, magasins de nouveautés, de librairie, bijouterie, etc. Il y a de tout, jusqu’à des charcutiers. Au lieu de la mauvaise gargote tenue par un cosmopolite dont la cuisine vous incendiait le palais, il y a plusieurs hôtels et restaurants superbes. On sent que la Colonie a traversé une période de prospérité et pris un essor considérable.

La vie actuelle de l’Européen. — Après le labeur journalier, si l’Européen veut se distraire le soir, les moyens ne lui font plus défaut.

Il y a d’abord bon nombre de familles Européennes qui reçoivent et offrent du thé à leurs amis. Les soirs de bal au Gouvernement, c’est par centaines que dans l’immense salle des fêtes on compte les dames, et l’on danse de dix heures du soir jusqu’à six heures du matin, malgré la chaleur torride.

Il y a maintenant un théâtre Français bâti au beau milieu de la rue Catinat, coquet et gentil, et où la chaleur se fait moins sentir que dans un grand théâtre de Paris. Pendant une saison, de six mois de durée (d’Octobre à Mars), on joue quatre fois par semaine, et les prix sont très abordables.

La Colonie donne une subvention de cent mille francs par an, ce qui permet d’avoir des artistes sérieux en tous genres, depuis le vaudeville jusqu’au grand opéra. Nous avons entendu Guillaume Tell. La troupe féminine est nombreuse, triée sur le volet et comprend, en plus des premier et second sujets, des choristes, voire même des danseuses. Toutes ces dames aiment à passer une soirée au Pré-Catelan, et quelques coupes de Champagne frappé ne les effraient pas.

Il y a, en outre, de nombreux cafés et brasseries, tenus généralement par des dames ou demoiselles d’humeur peu farouche. On est loin de l’unique café Français de la Rotonde, dit des Trois-Fêtons, tenu par deux beautés sur le retour.

Dans les six mois de l’année où le théâtre fait relâche, un orchestre de femmes Autrichiennes joue dans un immense hall en bambou rempli de verdures et de fleurs, où l’air circule de tous côtés. Il est assidûment fréquenté par toute la société Européenne.

L’hétaïre Européenne. — Le jour, à la promenade du Tour d’inspection, on peut voir plusieurs victorias richement décorées, avec cochers et saïs revêtus de costumes voyants. Sur les coussins de la voiture se prélassent une ou deux dames peintes et fardées, habillées à la dernière mode. C’est la vieille garde de Saïgon, qui fait son tour du Bois de Boulogne. Le soir, ces dames ont loge au théâtre et place à la brasserie-concert, où elles sont toujours entourées d’un cercle d’adorateurs. Nous ne sommes plus en 186., au temps où les deux premières hétaïres Européennes furent mises en tombola. Il a suffi d’une vingtaine d’années au plus pour transformer radicalement la Colonie, ce qui a constitué un progrès immense pour la morale, comme on va le voir.

Progrès considérables de la moralité des Européens en Cochinchine. — Ceci est un fait qui m’a frappé à mon retour. Anciennement, l’Européen pédéraste était loin d’être une rareté ; bon nombre de gens, et des plus huppés encore, avaient cette triste réputation. Ils n’étaient point pour cela méprisés, ni même mal vus. On se contentait de les gouailler. Dans les popotes, on racontait les histoires les plus libidineuses, et l’on en riait.

Les amateurs de prostitution masculine se réunissaient à plusieurs pour aller passer la soirée chez un compère, où l’on fumait l’opium et où l’on trouvait toujours des boys à la porte, attendant la pratique.

Moins d’un quart de siècle après, un changement radical s’est opéré, et ce changement est dû incontestablement à l’introduction de la femme Européenne et à l’augmentation parallèle du nombre des prostituées Chinoises et Japonaises.

Le nombre d’Européens qui avaient la passion de l’opium a également beaucoup diminué. On les compte. Ils ont des maîtresses Annamites dressées à la préparation de la pipe ; dans l’armée, le type de l’officier fumeur d’opium, très fréquent il y a trente ans, a complètement disparu.

Quant à l’Européen pédéraste, il n’existe plus guère qu’à l’état de souvenir. Ceux qui ont conservé cette réputation sont de vieux négociants et fonctionnaires datant de l’ancien régime. Ils sont regardés comme une curiosité par les nouveaux venus. Que parmi ces derniers, il y en ait qui aient un faible pour l’amour Grec, la chose est possible, puisqu’il en existe même en Europe. Mais ils ne forment plus qu’une infime minorité, et, bien loin de se vanter de leur vice, ils le cachent soigneusement. Il leur faut l’ombre et le mystère et, pour ne pas donner l’éveil, ils n’osent même plus introduire nuitamment chez eux le nay et le boy. Autres temps, autres procédés.

La diminution de la prostitution masculine et féminine de l’Indigène n’est qu’apparente. — Il faut reconnaître que la Police de la Colonie a pris les mesures les plus louables pour débarrasser Saïgon de la plaie infectieuse des nays et boys pédérastes. Le séjour de Saïgon n’est accordé qu’aux Annamites engagés chez un Européen en vertu d’un livret individuel régulier, donnant le signalement et la photographie. Tout indigène rencontré sans livret et ne justifiant pas d’un métier manuel le faisant vivre, est arrêté ; s’il est démontré par un examen médical qu’il est Sodomite, on l’envoie à Poulo-Condore (au pénitencier), par mesure administrative.

Malheureusement, on a supprimé la mesure de police obligeant le Chinois ou l’Annamite à ne sortir le soir qu’avec une lanterne allumée, et l’interdiction de circuler dans les rues après minuit. Cette suppression a été réclamée par les Conseillers municipaux indigènes au nom de la liberté. Aussi le nay n’a plus de panier. Il est devenu vendeur de bouquets de fleurs naturelles, dont la culture a pris une grande extension dans la banlieue de Saïgon. On trouve maintenant le nay en troupe, à la porte des restaurants, cafés, etc. Il n’est plus seul comme autrefois, et il a avec lui une petite fille qu’il fait passer pour sa sœur. Celle-ci tient généralement un paquet de boutons de rose et vous en offre un avec son sourire le plus engageant. Vous n’avez, en l’acceptant, qu’à donner quelques sous, tout en montrant une ou deux piastres. Cela suffit.

Procédés actuels. — Je tiens le renseignement qui va suivre d’un de nos compatriotes que j’avais connu en 186., et que j’ai retrouvé à mon retour. Il était (car il vient de mourir), amateur de primeurs féminines et fort connu comme tel sur la place. Voici comment se fait actuellement le racolage, au nez et à la barbe des agents de police Européens, les seuls sur qui on puisse compter comme agents des mœurs.

Le petit garçon s’éloigne, et la petite fille reste à quelques pas sans vous perdre de vue. Quand vous sortez, elle vous précède ; c’est à vous à la suivre, car elle vous conduit dans une rue latérale écartée où stationne une voiture fermée, dont le cocher est toujours un Annamite. Le nay est à côté et fait le guet. Vous entrez dans la voiture avec la petite fille. Le petit garçon s’assied sur le siège à côté du cocher. Une heure de promenade intime coûte une piastre pour les petits malheureux et une demi-piastre pour le cocher. Bien entendu, la promenade a lieu en dehors du Saïgon habité, généralement dans le Jardin Botanique, ouvert nuit et jour, et le cocher vous ramène à domicile si la promenade vous a fatigué.

Si vous désirez une nuit entière, le cocher vous conduit, sur votre demande, dans une case d’un des villages-faubourgs de Saïgon, villages entièrement soustraits à la police Européenne, et ne dépendant que du garde-champêtre communal : les propriétaires de ces cases hospitalières ne sont jamais inquiétés. Vous y trouvez le vivre et le couvert à des prix convenables ; on vous sert du café, du thé, une fumerie d’opium et le personnel pour charger la pipe. Mais gare à votre bourse, car vous aurez de la chance si vous la retrouvez dans votre poche, en vous réveillant, le lendemain matin.

Le boy actuel. — Le boy n’a pas changé de mœurs, mais la crainte des agents de police lui a fait prendre quelques précautions. Il ne se hasarde plus à circuler le soir dans les rues de Saïgon ; il s’est réfugié dans les villages et a établi le centre de ses opérations dans ces cases hospitalières dont je viens de parler, ainsi que dans les tripots clandestins qui, traqués par la police Européenne, ont déserté Saïgon. C’est là que les rares amateurs de sensations dépravées savent le trouver. Cela ne leur coûte que la peine de se faire conduire et ramener en voiture, et ce ne sont pas les indigènes du village qui font attention aux allées et venues de quelques débauchés. Dès l’instant que vous ouvrez généreusement le porte-monnaie, l’Annamite est d’une tolérance illimitée pour les vices des autres. Il comprend à ce point de vue la liberté la plus large.

Le collégien indigène. — Je termine en signalant une dernière catégorie de jeunes amateurs à peu près inconnue dans l’ancienne Cochinchine. Ce sont les élèves du grand collège Français de Saïgon et des écoles Françaises de l’intérieur.

Du temps des mandarins, les jeunes gens qui recevaient une éducation au-dessus de la moyenne pouvaient concourir, par des examens publics, à l’obtention d’emplois de lettrés. Aujourd’hui, après leur avoir donné les éléments d’une bien petite instruction primaire, quand ils savent parler un Français passable, qu’ils écrivent tant bien que mal le Français et l’Annamite en cog-gnu (caractères phonétiques), qu’ils possèdent les quatre règles de l’arithmétique, avec quelques bribes d’histoire et de géographie, on les plante là à dix-sept ou dix-huit ans, sans leur offrir la moindre place. Les plus intelligents deviennent interprètes de la justice. Les autres errent sur le pavé à la recherche d’une position sociale, comme Jérôme Paturot. Il faut cependant vivre. Le soir, comme Diogène, mais sans lanterne, ils cherchent un homme. Le manque de lanterne et le changement de costume les différencient seulement de l’ancien boy, et ils manquent de sens moral comme lui ; ils sont capables des mêmes turpitudes.

Ils se promènent dans les quartiers des maisons de prostitution indigènes, prêts à vous servir de cornacs, d’interprètes, d’aides et de compères au besoin. Ils vous vantent la qualité de la marchandise et font connaître vos habitudes et vos caprices, le tout à des prix honnêtes et modérés.

Malheur à l’Européen novice qui se laisse prendre dans leurs filets ! On le bombarde de lettres de demandes d’emploi, et, le jour où ils pénètrent chez vous sous un titre quelconque (secrétaire, employé, scribe, etc., etc.), vous ne tarderez pas à être volé. Quelle que soit la cachette où vous mettiez la clef de la caisse, ils la trouveront. Si vous la portez sur vous, prenez garde de ne pas l’oublier dans vos vêtements. Votre boy sera le complice du voleur. Le coup fait, celui-ci ne se sauve pas, il n’est pas aussi naïf. Mais si vous le menacez du commissaire de police, il vous répond que lui aussi portera plainte contre vous, et que vous avez abusé de sa vertu. Le procédé le plus simple pour éviter un esclandre, qui ne rendrait pas au volé l’argent disparu, est de ne rien dire et de mettre le sujet à la porte, car autrement on serait diffamé, et à l’audience du tribunal, un avocat Annamite (il y en a qui ont pris leur diplôme en France) vous vilipenderait de la belle manière.