L’Amour en visites/IX
IX
chez la muse
L’immensité bleue.
L’immensité nue.
La Lune est obèse et le foin sent bon !
Des cendres ont plu sur la trace de mes pas, déserteurs de ta grande route. Écoute ? je te veux toute… quand le parfum des foins m’est allé trouver, j’ai crié : « C’est par là, je suis las, me voilà ! » Ouvre. Je reconnais ta porte à ne l’avoir jamais vue. Je suis celui que tu attends. Personne que moi n’est ton amant, ton attendu, belle inconnue !
Je ne puis ouvrir à cette heure ma porte. Mes sœurs sont au verger. Mes frères vont vendanger. Et mon père, il dort.
Son silence est d’or. Je t’adore. Ni la rainette verte ni le crapaud marron n’ont pu me surprendre. Il fait beau si ce soir ! Viens voir. Je ne veux plus attendre devant la cible de la porte terrible ! Bouclier de Persée, des flèches Font percée. Par la plaie des trous, je vois bien qu’il n’y a rien — peut-être. Tes jardins sont-ils beaux ?
Mes jardins sont de grands tombeaux.
Ah ! avec des pierres tombales, jouer aux dominos… Coucou ! blanc partout !
Dans mes jardins pleure un hibou.
Je veux voir, voir ! Il fait soir. Ouvre au bien-aimé, ou j’enfonce les portes !
Il n’y a plus ici que des mortes.
J’ai les mains pleines de présents et mes yeux sont deux triomphes. Je suis tellement joli que je me fais peur. J’ai surtout peur de l’herbe mouillée qui enrhume… Oh ! je ne suis qu’un petit enfant… Je suis léger comme une plume.
Je mange les petits enfants. Va-t’en !
Eh ! ce n’est pas si mauvais. Je m’en vais… m’enrhumer.
Ai-je envie de rire ou de pleurer ? Je me trouve bien seul. Je n’aurais pas dû venir ici. L’herbe est froide comme un linceul. Pourquoi s’entête-t-elle ? Je veux me moquer d’elle, chanter très fort… ainsi qu’on chante devant la mort !
Trois grenouilles passèrent le gué,
Ma mie Olaine,
Avec des aiguilles et un dé,
Du fil de laine.
C’est pour la robe du roi,
Ma mie Olaine,
Qu’elles feront avec le doigt
Et de la laine.
Voici qu’arrive le bourreau,
Ma mie Olaine,
Apportant un grand sarrau
De grosse laine.
— Coupez, cousez l’habit d’elbeuf,
Ma mie Olaine.
C’est plein de sang, mais c’est tout neuf
Et c’est en laine
Nous ne toucherons point au sang,
Ma mie Olaine.
Aimerions mieux pourrir dedans
Avec la laine !
Le roi n’est plus, le roi est mort,
Ma mie Olaine,
Et nous partagerons son sort :
Cassez la laine !
Voici, je pense, une heure lyrique et historique ! Eh ! je suis encore là, mademoiselle ! Ouvrez-moi… ou je me tue… Allumez la chandelle… non, mais j’ai froid… Un palefroi ! Attends ! nous pouvons pincer d’une autre guitare… sur le tard !
Il n’y a rien à boire, dans cette histoire. C’est ridicule. Pour qui me prendra-t-elle, puisque je ne me suis pas tué ? Mademoiselle, je suis tout… sauf un imbécile !
Jusqu’à quel point Ridicule peut-il assoner avec Imbécile ? IL est temps d’inventer de nouveaux rythmes. Le rythme est un petit chemin, cadencé comme un vaisseau, qui vous mène à la grande eau ! J’aimerais mieux la belle route, tout unie, mais elle est finie. La pluie de cendres a tout gâté. Pline est mort, et enterré !…
Est-ce que détruire l’ancien rythme ne va pas faire culbuter les étoiles ? Je suis inquiet. Je porte vraiment le monde sur les épaules ! Étoiles ? Épaules ? Ça ne rime guère ! Tâchons de ne pas dévoler outre-mer[1] ! Je vois du bleu… je ne vois même plus que les cieux. Et l’herbe me monte aux jambes comme la crête et la crinière d’un serpent vicieux. Je ne me soucie plus d’aucune mesure. Je n’ai plus le loisir de ces vétilles, puisque je n’ai plus rien à faire !
Le silence est un fracas horrible. Ce sont les étoiles qui tombent… oui, j’entends fort bien cela… distinctement ! Je ne donnerais pas ma place pour tout le bronze des cloches de la ville d’Ys. Il s’agit de prendre son parti des choses mesquines, et c’est vite fait : nous vivons tous les jours sans nous en apercevoir. Mais de ce que je sais, moi seul, que les étoiles tombent pour que les rythmes poétiques changent. je ne vais point en instruire mes contemporains. Je désire poursuivre leur apparence de tranquillité par mon calme personnel, et je jouirai, les temps révolus, d’un spectacle curieux. Je serai même le principal ordonateur de ce spectacle, car la force de ma perspicacité vaut bien la force de transmission des rythmes. L’intéressant serait de ne pas m’embêter… et il n’y a toujours rien à boire ! Il fait froid, des hiboux chantent, et certains arbres m’ont l’air de marcher la tête en bas, de loin, sur des racines ramifiées en bras de clowns : mes yeux commencent à percevoir les racines aussi bien que les branches ! Je suis peut-être très malade !
… Non. mais je ne m’amuse pas. Il faut que l’homme s’amuse à l’image de son Créateur. Dieu s’amuse férocement depuis qu’il est Dieu, seulement il ne s’amusera pas longtemps, car je suis là… Toujours quelque bon Dieu détrône un autre Dieu… de sorte que personne n’a jamais su ni jamais ne saura où le vrai mensonge prend son point d’appui. Avec un vrai mensonge — qu’on m’en donne un ! — je soulèverai le monde. Tiens ! de l’eau. Il pleut. Non ! c’est du sang. Le sang n’est pas nécessairement rouge ; et si, depuis des siècles, les menstrues des femmes n’aveuglaient pas les hommes, on verrait que tout liquide est du sang.
Une seule chose n’est pas du sang : c’est le vin, parce que c’est rouge… et encore ils le falsifient, je crois ; je voudrais boire.
Voilà ! je suis enrhumé. Le plus triste, c’est que la violence de mes éternuments va déterminer la chute des étoiles, j’en suis, hélas ! persuadé, sans aucun orgueil. Le bruit d’un juron de muletier, traversant le col dangereux de la montagne, détermine l’avalanche et le village est englouti, mille mètres plus bas. Je regrette bien ce rhume, petits habitants de la terre, mais il était écrit sur le livre des premières écritures d’avant le monde. Je n’y peux rien, moi ; et n’ayant point de haine pour vous, encore moins d’amour, je vais vous voir mourir d’un œil extra-dry…
Couchons-nous de notre long. Les étoiles sont semblables aux échines vertes des châtaignes, leurs petits rayons aigus vous entrent dans les yeux.
Je fermerai donc les yeux, et, chose des plus normales, ce seront mes cils qui crèveront les étoiles.
L’immensité bleue.
L’immensité nue.
La lune est obèse et le foin sent bon !
Me voici.
Il me faudrait du venin de vipère pour étancher ma soif ; du venin que des mains d’ange auraient mis à corrompre dans du chio très fortement vanillé, vanillé jusque dans l’inconscience candide des stupres qu’il engendre.
Je t’apporte le lait de la nourrice divine, bel enfant brun.
Oui, je la connais ! « Monte chez moi, j’ai du feu ! » J’en ai soupé, de ces manières. À genoux ! À genoux ! sorcière… tu es devant le roi et il faut plus de précautions pour éveiller mon moi…
Je ne veux point te réveiller, mais te veiller. Je suis la grande pleureuse.
Tu pleures ! Tu pleures, bergère ! C’est rudement bien fait. Tu pouvais m’ouvrir plus tôt… et me donner un paletot… ou ma couronne ! L’aumône ? Jamais !
(Chœur des Hiboux, qui est comme le son de cloches de plumes au batail de queues de renard.)
Non, je n’ai pas peur de ces estimables bêtes. Ce m’est un éventail, Épouvantail ! À mon tour va-t-en ! Je suis excédé par les mesquins grelots de ta somptuosité, beauté ! non, ce n’est pas beau… la peau !
Le roi n’est plus, le roi est mort !
Ma mie Olaine,
Et je viens partager son sort :
Cassez la laine !
Ah ! le triste échanson… qui me vole ma chanson… Non ! la mort n’est pas éternelle… la… mort… c’est… du plagiat, ma belle…
(Chœur des Chauves-Souris, lu et non entendu, comme l’incertitude écrite de la danse d’un patineur aveugle.)
L’immensité bleue.
L’immensité nue.
La lune est obèse et le foin sent bon !
- ↑ Les Jours et les Nuits, roman d’un Déserteur (Mercure de France).