L’Ancien soldat/IV

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IV

Le Programme


Et s’il est vrai que l’ancien combattant soit condamné à la politique, comme il a été condamné à la tranchée, quelle politique choisir ? Pourquoi aller à gauche ou à droite ? Pourquoi risquer l’avenir d’une cause universellement respectée sur la chance d’un parti ? Pourquoi déchoir ? Pourquoi descendre encore dans la lutte, encore boire de la poussière, encore cueillir de la boue, encore subir de la haine ?

Qu’on prenne seulement le soin de feuilleter dans l’Officiel le compte rendu des débats de la loi des Pensions à la Chambre ; on jugera. On verra avec quelle spontanéité se sont groupés les partis, tout ce qu’il y avait de démocrates sincères se ralliant autour des mutilés, et, d’instinct, tout ce qui tenait aux classes possédantes, s’entendant pour étouffer des prétentions fâcheuses.

On les connaissait, pourtant, les vœux des mutilés.

Réunis en Congrès à Lyon, ils les avaient, la veille même, formulés clairement, d’une voix unanime.

Pour ne pas les entendre, on a crié plus fort qu’eux, que la France leur conservait une Dette Impérissable…

Unanimes ! La Droite, le Centre, la Gauche « modérée » ont refusé de satisfaire aux réclamations de ceux qu’ils accablaient de flatteries lourdes. Seule, l’Extrême-Gauche (unanime) a entamé à fond la lutte pour les mutilés. Sans elle, le texte de 1918 aurait été plus inconvenant encore qu’il n’est.

La presse a fait comme les parlementaires. La presse socialiste ou radicale d’extra-gauche a reproduit et appuyé les revendications de Lyon. Le reste, la presse prétendue patriote avec un ensemble étonnant, les a tues ou décriées.

Les groupements économiques, charitables, littéraires, se sont comme entendus pour faire le silence sur les revendications de Lyon. Mais les Syndicats ouvriers et le Parti Socialiste ont, à fond, milité pour elles.

Et cela était inévitable. Peut-être si la guerre avait peu duré, si, par conséquent, elle avait peu mutilé de monde, et si, au lieu de tant de dizaines de milliards, elle n’en avait coûté que sept ou huit (remboursés par un ennemi vaincu avant qu’il soit ruiné), peut-être alors la bourgeoisie aurait-elle mis sa coquetterie à faire bien les choses avec les veuves et les blessés, comme un milliardaire qui couvre d’or la famille d’un homme renversé par son automobile.

Mais la bourgeoisie d’Europe croûle sous ses dettes, elle est réduite à une politique de fils de famille, elle emprunte à taux énormes, elle hypothèque, elle brûle… et c’est à elle que vous allez, mutilés naïfs, demander un supplément de rente viagère de plusieurs milliards ?

Non ! C’est au peuple qu’il faut qu’on s’adresse, et c’est d’accord avec lui qu’on doit dresser la note.

La note, c’est-à-dire, au minimum :

1o En ce qui concerne personnellement les anciens combattants :

A. La Loi des Pensions, telle que les mutilés eux-mêmes, réunis en Congrès, l’ont faite.

B. Pour tous les hommes revenus du front, des places au moins égales à celles qu’ils avaient avant leur départ.

C. Le choix donné à chacune des victimes des conseils de guerre ou de leurs familles, entre l’amnistie et la révision.

2o En ce qui concerne l’ensemble du pays :

La Société des Nations, le désarmement universel et total, le libre-échange international et un budget international.

Les dettes de guerre imputées au budget international, ce qui aurait pour effet de décharger des épaules de la France une grosse part du poids, et d’égaliser ce poids sur toutes les épaules humaines, des nations neutres, comme des nations belligérantes[1].

La taxation et la réquisition des matières premières réparties par une Commission internationale.

Mines, force motrice, chemins de fer, avions appartenant à l’État, à la Province, au Canton, à la Commune.

Impôts de 100 % sur les bénéfices de guerre (directs ou indirects). Un impôt international sur le revenu.

La journée de huit heures internationale. Lois d’hygiène, de protection, de retraites ouvrières et paysannes.

Suppression de l’alcoolisme.

  1. Avantage qui n’est pas médiocre, car la concurrence commerciale ignore les alliances et un négociant américain, anglais ou suisse sera pour un négociant français un adversaire aussi redoutable qu’un négociant allemand.