L’Année républicaine/Vendémiaire

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 33-34).
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VENDÉMIAIRE.


Ce soir, à l’heure grave où le soleil décline,
Les échos ont vibré de colline en colline.
La fauvette en son vol égrenait ses fredons ;
La source, en ruisselant sur les petites mousses,
Trouvait des sons plus frais & des notes plus douces ;
L’orchestre des roseaux jouait des rigodons,
Qu’avec les flocons blancs des lointaines fumées
Le vent rieur jetait par lambeaux aux ramées ;
Et dans les verts chemins fleuris que traversait
Son cortége au cri rauque, à la voix avinée,
On entendait superbe, implacable, effrénée,
La vendange qui s’avançait.

Ce soir, tout avait soif aux forêts de l’Argonne :
Le défilé profond que le jour abandonne

Comme une gueule avide attendait & hurlait.
La patrie en danger haletait solitaire.
Aux fiévreuses ardeurs de l’homme & de la terre,
Ce n’était plus du vin, mais du sang qu’il fallait.
Le ciel d’apothéose a des feux de fournaise.
Place, place ! en grondant là-bas, la Marseillaise
Roule, fauve torrent, ses flots de vers vengeurs :
Armés de faulx, d’épieux, de haches, de faucilles,
Manœuvres, artisans, gueux, héros en guenilles,
Voilà les rouges vendangeurs !