L’Anneau d’améthyste/XVIII

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Calmann-Lévy (p. 343-347).


XVIII


Madame de Bonmont n’eut point de peine à réunir chez elle Raoul Marcien et M. l’abbé Guitrel. La rencontre fut telle qu’on pouvait l’espérer. M. l’abbé Guitrel avait de l’onction. Raoul avait du monde et savait ce qu’on doit à l’Église.

— Monsieur l’abbé, dit-il, je suis d’une famille de prêtres et de soldats. Moi-même j’ai servi ; c’est vous dire…

Il n’acheva pas. M. Guitrel lui tendit la main et répliqua en souriant :

— Je crois bien que nous faisons ici l’alliance du sabre et du goupillon…

Et reprenant aussitôt sa gravité sacerdotale :

— Alliance heureuse entre toutes, et bien naturelle. Nous sommes aussi des soldats. Pour ma part, j’aime beaucoup les militaires.

Madame de Bonmont regarda d’un œil sympathique l’abbé qui poursuivit :

— Dans le diocèse auquel j’appartiens, nous avons ouvert des cercles où les jeunes soldats peuvent lire de bons livres en fumant leur cigare. Ces œuvres, que monseigneur Charlot protège, sont prospères et rendent de grands services. Ne soyons pas injustes pour le siècle où nous vivons : il s’y fait beaucoup de mal et beaucoup de bien. Nous sommes engagés dans une grande bataille. Cela vaut mieux, peut-être, que de vivre parmi ces tièdes qu’un grand poète chrétien exclut en même temps du paradis et de l’enfer.

Raoul approuva ce discours, mais il n’y répondit point. Il n’y répondit point parce qu’il manquait d’idées à ce sujet et aussi parce que son esprit était tout entier occupé par la considération des trois plaintes en escroquerie qui avaient été déposées contre lui dans la semaine, et que cette considération lui ôtait la faculté de suivre des pensées abstraites et générales.

Madame de Bonmont ne connaissait pas précisément la cause de ce silence, et M. Guitrel l’ignorait tout à fait. Croyant bien faire et pensant ranimer la conversation, il demanda à M. Marcien s’il ne connaissait pas le colonel Gandouin :

— C’est un homme admirable à tous égards, ajouta le prêtre, un bel exemplaire du chrétien et du soldat, et qui jouit dans notre diocèse de l’estime unanime des honnêtes gens.

— Si je le connais, le colonel Gandouin ! s’écria Raoul. Je ne le connais que trop. J’en ai soupé ! En voilà un à qui je garde un chien de ma chienne !

Cette parole affligea madame de Bonmont et surprit M. l’abbé Guitrel, qui ne savaient ni l’un ni l’autre que le colonel Gandouin avait, quatre ans en çà, prononcé, avec six autres, officiers, la mise en réforme du capitaine Marcien pour inconduite habituelle. C’est le motif que le conseil avait choisi entre plusieurs autres.

À compter de ce moment, la douce Élisabeth n’espéra plus un grand bien de cette entrevue qu’elle avait ménagée pour apaiser son Raoul, le détourner des pensées violentes et le ramener à des désirs d’amour. Pourtant elle ouvrit son cœur et dit d’une voix mouillée :

— N’est-ce pas, monsieur l’abbé, quand on est jeune, quand on a un bel avenir, il ne faut pas se laisser aller au découragement, à la tristesse ! N’est-ce pas qu’on doit, au contraire, chasser les idées noires ?

— Sans doute, madame la baronne, sans doute, répondit M. l’abbé Guitrel. Il ne faut jamais céder au découragement, s’abandonner aux tristesses sans cause. Un bon chrétien ne nourrit point d’idées noires, madame la baronne, assurément.

— Vous entendez, monsieur Marcien ? dit madame de Bonmont.

Mais Raoul n’entendait pas et la conversation tomba.

Madame de Bonmont, qui était bienveillante, pensa, du fond de sa douleur, à faire un petit plaisir à M. Guitrel.

— Alors, monsieur l’abbé, lui dit-elle, votre pierre préférée, c’est l’améthyste ?

Le prêtre, devinant le dessein qu’elle avait, lui répondit sévèrement et même avec quelque dureté :

— Laissons cela, madame, je vous prie, laissons cela…