L’Anti-Justine ou les délices de l’Amour (1864)/00-1

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BIBLIOGRAPHIE



L’ANTI-JUSTINE ou les délices de l’amour, par M. Linguet, av. au et en Parlemen. Épigraphe Casta placent superis. — Manibus puris sumite (cunnos). Avec soixante figures. Fleuron : une tête de faune couronnée de feuilles et de raisins. Au Palais-Roial ; chez feue la veuve Girouard, très connue. 1798. Deux parties ; format in-12. (Les pages de l’exemplaire qu’il m’a été donné de voir avaient été recollées sur grand in-octavo.)

La première partie va jusqu’à la page 204 ; la seconde commence à la page 207 ; mais elle s’arrête subitement à la page 252. — Les deux feuilles d’épreuve reliées à la suite comprennent des variantes de la première partie.

Deux dessins (obscènes) à l’encre de Chine, portant les nos 15 et 21 ; et une gravure (décente) entièrement terminée.

Dans sa notice, Cubières annonce que Rétif de la Bretonne avait fait une Anti-Justine, mais que son intention était de ne la point imprimer et de la supprimer. Cubières s’est trompé. Cet ouvrage, ou du moins partie de cet ouvrage a été imprimée, car j’ai eu entre les mains l’exemplaire dont je viens de transcrire le titre, exemplaire peut-être unique, et d’autant plus curieux qu’il contient des dessins originaux et deux feuilles en épreuves corrigées de la main même de Rétif.

L’avertissement, très singulier, renferme des passages tels que ceux-ci : « Quelle excuse peut se donner à lui-même l’homme qui publie un ouvrage tel que celui qu’on va lire ? J’en ai cent pour une. Un auteur doit avoir pour but le bonheur de ses lecteurs. Il n’est rien qui contribue autant au bonheur qu’une lecture agréable. Fontenelle disait : « Il n’est point de chagrin qui tienne contre une heure de lecture. » Or, de toutes les lectures, la plus entraînante est celle des ouvrages érotiques… Personne n’a été plus indigné que moi des ouvrages de l’infâme de Sades, que je lis dans ma prison (ne pas oublier que c’est Linguet qui parle ; étrange manie que celle d’attribuer ses ouvrages, et quels ouvrages ! aux célèbres personnages morts !). Ce scélérat ne présente les délices de l’amour qu’accompagnés de tourments, de la mort même. Mon but est de faire un livre plus savoureux que les siens, et que les épouses pourront faire lire à leurs maris ; un livre où les sens parleront au cœur, où le libertinage n’ait rien de cruel pour le sexe des grâces ; où l’amour, ramené à la nature, exempt de scrupules et de préjugés, ne présente que des images riantes et voluptueuses. » Quelques lignes plus loin, est cette déclaration surprenante du supposé Linguet : « Mauvais livre fait dans de bonnes vues. Moi, Jean-Pierre Linguet, maintenant détenu à la Conciergerie, déclare que je n’ai composé cet ouvrage que dans des vues utiles, etc. Floréal, an ii. » Remarquons en passant que Linguet ne s’appelait ni Jean ni Pierre, mais bien Simon-Nicolas-Henri.

Rétif a composé sans doute l’Anti-Justine à la casse, dans le silence de sa pauvre petite imprimerie. Quoi qu’il en dise, c’est une éruption de désirs odieux, où l’on trouve cyniquement dramatisés des épisodes de sa propre vie, obscènes suppléments à Monsieur Nicolas. Espérons, pour l’honneur de sa mémoire, que Rétif a rêvé la plupart des aventures où il se montre comme le héros ; c’est assez du reste son habitude, comme nous l’avons dit, de suppléer par l’imagination à la réalité. Mais n’allons pas plus loin : il est impossible de citer quatre lignes de ce livre. J’ai été pourtant heureux de trouver à la fin de la première partie ces mots, qui trahissent les inquiétudes de cet écrivain si monstrueusement naïf : « J’ai longtemps hésité si je publierais cet ouvrage posthume du trop fameux avocat Linguet. Tout considéré, le casement déjà commencé, j’ai résolu de ne tirer que quelques exemplaires, pour mettre deux ou trois amis éclairés et autant de femmes d’esprit à portée de juger sainement de son effet, et s’il ne fera pas autant de mal que l’œuvre infernale à laquelle on veut le faire servir de contre-poison. Jugez-le, mes amis, et craignez de m’induire en erreur. »

(Extrait de Rétif de la Bretonne, sa vie et ses amours, etc., par Charles Monselet, Paris, Alvarès fils, 1854.)

À la note bibliographique qu’on vient de lire, nous pouvons ajouter quelques renseignements.

L’exemplaire sur lequel M. Charles Monselet a fait sa description appartenait à M. le comte de La Bédoyère. Il ne figurait pas dans sa dernière bibliothèque.

M. Cicognes possédait un exemplaire de l’Anti-Justine, qui s’est trouvé compris dans la vente de ses livres au duc d’Aumale. Un agent du prince l’a cédé à un riche Anglais, demeurant à Paris, connu pour acquérir ce qui se rencontre de superlatif en curiosités érotiques. Cet amateur n’a pas hésité à payer 2000 fr. ce petit volume, en simple demi-reliure, mais non rogné.

On a donné, il y a deux ou trois ans, à l’étranger, une édition informe de l’Anti-Justine, 2 vol. in-12, avec de mauvaises lithographies coloriées. Elle a été imprimée sur le manuscrit d’un copiste qui a pris beaucoup de peine à concilier ses principes religieux avec son goût pour la littérature obscène, en tronquant, falsifiant et même supprimant les passages impies de la seconde partie du livre.

Nous réimprimons pour la première fois dans son intégrité le texte de cette production exorbitante.