L’Antiquaire (Scott, trad. Ménard)/Chapitre XLII

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 7p. 416-425).


CHAPITRE XLII.

SAISIE ET ARRESTATION.


Que ceux qui aiment ce spectacle aillent le voir. Quant à moi, il ne saurait me plaire ; car, tout en convenant qu’il fut l’esclave des préjugés du rang et du luxe, et de toutes les frivolités que l’arrêt rigoureux de la nécessité lui enlève aujourd’hui ; cependant, il est triste de voir son front abattu, où l’orgueil tâche en vain de couvrir de son voile transparent les sillons profonds qu’y tracent le repentir et la douleur.
Vieille comédie.


En arrivant dans la cour du château, le premier regard de miss Wardour lui apprit qu’il était déjà rempli par les officiers de justice. On remarquait un mélange de confusion, d’inquiétude, de chagrin et de curiosité sur le visage des domestiques, tandis que les officiers de justice allaient d’un lieu à un autre, faisant l’inventaire des effets et meubles qui leur paraissaient saisissables. Le capitaine Mac Intyre vola vers elle, pendant que, consternée par la conviction de la ruine de son père, elle restait immobile sur le seuil de la porte. « Ma chère miss Wardour, lui dit-il, calmez vos inquiétudes ; mon oncle va venir à l’instant, et il trouvera, j’en suis certain, quelque moyen de vous débarrasser de ces coquins-là.

— Hélas ! capitaine Mac Intyre, je crains qu’il ne soit trop tard.

— Non, répondit Édie impatiemment, si je pouvais seulement arriver à Tannonburgh… Au nom du ciel ! capitaine, trouvez quelque moyen de m’y faire transporter, et ce sera pour cette malheureuse famille ruinée la meilleure œuvre qui ait été faite depuis le temps de Main-Rouge ; car, par la foi d’un vieux dicton, le château et la terre de Knockwinnock seront aujourd’hui perdus et reconquis.

— Et quel bien pouvez-vous faire ici, vieillard ? » dit Hector.

Mais Robert, le domestique dont sir Arthur avait été si mécontent le matin, et qui semblait guetter l’occasion de déployer son zèle, s’avança rapidement, et dit à sa maîtresse : « Sous votre bon plaisir, je ferai observer à madame que ce vieil homme, Édie Ochiltree, a beaucoup de savoir et d’expérience dans bien des choses, telles que les maladies des bestiaux et objets semblables, et je suis bien sûr que ce n’est pas sans motif qu’il veut aller aujourd’hui à Tannonburgh, surtout de la manière dont il insiste ; et si c’était le bon plaisir de madame, je l’y conduirais dans la carriole, en moins d’une heure. Je serais bien heureux d’être bon à quelque chose ; car je m’arracherais la langue, quand je pense à ce matin.

— Je vous suis obligée, Robert, dit miss Wardour, et si vous croyez réellement qu’il y ait la moindre chance d’utilité…

— Au nom du ciel ! dit le vieil homme, attelez la carriole, Robert, et si je ne réussis pas à être utile d’une manière ou d’une autre, je vous permets de me jeter par dessus le pont de Kittlebrig, à notre retour. Mais, ô mon ami, depêchez-vous, car les momens sont précieux aujourd’hui. »

Robert regarda sa maîtresse qui entrait dans la maison, et voyant qu’elle ne lui défendait rien, il courut à la remise qui tenait à la cour, afin d’atteler la voiture ; car, quoiqu’un vieux mendiant fût le dernier personnage dont on pût attendre des secours effectifs dans un cas de détresse pécuniaire, cependant tous les gens de la classe inférieure qui connaissaient Édie avaient généralement sur sa sagacité et sa prudence des idées qui autorisaient Robert à conclure qu’il n’insisterait pas si fort sur la nécessité de ce voyage, s’il n’avait pas la conviction de son utilité. Mais le domestique ne se fut pas plus tôt emparé d’un cheval pour l’attacher à la carriole, qu’un des officiers de justice lui frappa sur l’épaule en lui disant : « Mon ami, il ne faut pas toucher à cet animal, il est porté sur l’inventaire.

— Quoi ! dit le domestique, je ne puis prendre le cheval de mon maître pour faire la commission de ma jeune maîtresse ?

— Il ne faut toucher à rien ici, dit l’homme de la loi, ou vous serez responsable des conséquences.

— Comment diable, monsieur ! » dit Hector qui, ayant suivi Édie dans le but de le questionner plus en détail sur la nature de ses projets et de ses espérances, commentait déjà à se hérisser comme le chien terrier habitant de ses montagnes natives ; « comment diable avez-vous l’impudence d’empêcher le domestique d’obéir aux ordres de sa maîtresse ? »

Quelque chose dans l’air et le ton du jeune militaire semblait annoncer que son intervention ne se bornerait pas à de simples raisonnemens, et que, s’il finissait par donner à son adversaire l’avantage de lui intenter un procès de violence et de mauvais traitemens, ce ne serait pas sans que ce dernier en eût préalablement les motifs les plus fondés. L’officier de la loi, en présence d’un officier de l’armée, saisit d’une main peu assurée le bâton crasseux destiné à appuyer son autorité, et de l’autre présenta sa petite baguette officielle dont le bout, comme de coutume, était d’argent, avec un anneau passé dedans. « Capitaine Mac Intyre, je n’ai pas de contestation avec vous ; mais si vous m’interrompez dans l’exercice de mes fonctions, je romprai la baguette de paix et déclarerai que vous m’avez fait violence…

— Et qui diable se soucie de cela ? dit Hector complètement ignorant des termes d’une action judiciaire ; et quant à rompre votre baguette de paix, comme il vous plaira de l’appeler, tout ce que j’en sais, c’est que, moi, je vous romprai les os si vous empêchez ce garçon d’atteler les chevaux pour obéir aux ordres de sa maîtresse.

— Je prends à témoin tous ceux qui sont ici, s’écria l’officier, que je lui ai montré le signe de mon ministère, et le lui ai expliqué ; mais celui qui veut la guerre aura la guerre ; » et en parlant ainsi, il fit glisser son anneau énigmatique d’un bout du bâton à l’autre, ce qui est le signal que donne un officier de la loi quand il est interrompu par la violence dans l’exercice de son devoir.

L’honnête Hector, plus accoutumé à l’artillerie du champ de bataille qu’à celle des lois, vit cette cérémonie mystérieuse avec une grande indifférence, et ne s’inquiéta guère de voir l’officier s’asseoir pour dresser un procès-verbal de violence ; mais en ce moment, et fort à propos pour prévenir la sévère amende que l’inconsidéré mais bienveillant Écossais allait encourir, arriva l’Antiquaire, suant et soufflant, avec son mouchoir sous son chapeau et sa perruque au bout de sa canne.

« Que diable se passe-t-il donc ici ? s’écria-t-il en ajustant à la hâte sa perruque sur sa tête ; je vous ai suivi dans la crainte de vous voir briser votre mauvaise tête contre quelque rocher, et je vous retrouve ici séparé de votre Bucéphale, mais vous querellant avec Sweepclean. Vous ne savez pas, Hector, qu’un huissier est un ennemi plus redoutable qu’un phoque, que ce soit phoca barbata ou le phoca vitulina[1], que vous avez combattu dernièrement.

— Maudit soit le phoque ! dit Hector ; que ce soit l’un ou l’autre, que le diable les emporte tous les deux ! Voudriez-vous donc me voir rester là tranquille, tandis qu’un drôle comme celui-ci, sous le prétexte qu’il exécute les ordres du roi (et j’espère que les derniers valets du roi valent mieux que lui), vienne insulter une jeune dame du rang de miss Wardour ?

— Bien parlé, Hector, dit l’Antiquaire ; mais les rois, comme bien d’autres, ont de temps en temps de vilaines commissions à faire faire, pour lesquelles ils sont obligés d’employer de vilaines gens. Cependant, en supposant même que vous ignoriez les statuts de Guillaume-le-Lion, dans lesquels ce délit de violence est appelé despectus domini regis, c’est-à-dire un mépris du roi lui-même, au nom duquel toute poursuite légale est faite, n’auriez-vous pas dû comprendre, d’après ce que j’ai pris tant de peine à vous expliquer ce matin, que ceux qui interrompent les officiers qui viennent exécuter une saisie, sont tanquam participes rebellionis[2] ; celui qui soutient un rebelle, quodammodo, partage lui-même la rébellion. Mais je vais vous tirer de là. »

Il s’approcha alors de l’huissier, qui, à son arrivée, avait abandonné l’espoir de se faire là, comme par rencontre, un bon petit procès de violence, et qui se contenta de l’assurance de M. Oldbuck, que le cheval et la carriole seraient de retour dans le courant de deux à trois heures.

« Fort bien, monsieur, dit l’Antiquaire ; et pour reconnaître votre politesse, je vais vous procurer une petite affaire de votre compétence et d’un meilleur genre. Il est ici question de politique ; c’est un délit punissable par legem Julia[3]. Monsieur Sweepclean, écoutez-moi un moment. »

Après lui avoir parlé bas pendant cinq minutes, il lui donna un morceau de papier, à la réception duquel l’huissier remonta à cheval, et, suivi d’un de ses assistans, partit d’un assez bon train ; L’homme qui resta sembla à dessein prolonger ses opérations, et continua sa besogne lentement et avec la précision et le soin de quelqu’un qui se sent surveillé par un inspecteur instruit et sévère. Pendant ce temps, Oldbuck avait pris son neveu par le bras et l’avait fait entrer dans la maison. Ils furent conduits près de sir Arthur, qui, en proie aux angoisses de l’orgueil blessé, aux craintes les plus déchirantes sur l’avenir, et aux vains efforts qu’il faisait pour les cacher sous un air d’indifférence, offrait un spectacle digne de pitié.

« Je suis charmé de vous voir, monsieur Oldbuck, toujours charmé de voir mes amis par le mauvais comme par le beau temps, » dit le pauvre baronnet affectant de montrer non du calme, mais une gaîté que démentaient évidemment le serrement de main convulsif et prolongé dont il accompagna ces paroles, et toute l’agitation remarquable dans sa personne. « Je suis enchanté de vous voir ; vous êtes venu à cheval, à ce que je vois ; j’espère que dans tout ce désordre on aura soin de vos chevaux ; j’ai toujours aimé qu’on soignât les chevaux de mes amis comme les miens. Parbleu, maintenant ils auront seuls tous mes soins, car vous voyez que probablement on ne m’en laissera pas un. Ha ! ha ! ha ! monsieur Oldbuck. »

Cet effort pour plaisanter fut accompagné d’un rire convulsif, auquel le pauvre sir Arthur voulait donner l’air de l’insouciance.

« Vous savez que je ne monte jamais à cheval, sir Arthur, dit l’Antiquaire.

— Je vous demande pardon, mais je suis sûr d’avoir vu arriver votre neveu à cheval, il y a un moment. Il faut que le cheval d’un officier soit bien soigné ; le sien était le plus beau cheval gris qu’on pût voir. »

Sir Arthur se préparait à sonner, lorsque M. Oldbuck lui dit : « Mon neveu est venu sur votre cheval gris, sir Arthur.

— Le mien ? dit le pauvre baronnet, le mien, dites-vous ? Il faut donc que le soleil m’ait donné dans les yeux. Allons, je ne suis pas digne d’avoir un cheval, puisque je ne reconnais pas le mien quand je le vois. »

« Bon Dieu ! pensa Oldbuck, combien le pauvre homme est déchu de la roideur cérémonieuse de ses manières. Cela tient de la folie. Il devient folâtre dans le malheur, sed pereunti mille figurœ[4]. » Puis il dit tout haut : « Sir Arthur, il faut nécessairement nous occuper un peu d’affaires.

— Certainement, dit sir Arthur ; mais il me paraissait si drôle de ne pas reconuaître un cheval que je monte depuis cinq ans. Ha ! ha ! ha !

— Sir Arthur, dit l’Antiquaire, ne nous amusons pas à perdre un temps qui est précieux. Nous aurons, je l’espère, de meilleures occasions de plaisanter ; desipere in loco[5] est la maxime d’Horace. Je soupçonne fort que tout ceci a été amené par la friponnerie de Dousterswivel.

— je prononcez jamais ce nom, monsieur, » dit sir Arthur, dont la vaine affectation de gaîté se transforma à ces mots en l’agitation de la fureur ; ses yeux étincelèrent, sa bouche écuma, ses mains se fermèrent avec violence : « ne prononcez jamais ce nom-là, monsieur, à moins que vous ne vouliez me voir devenir fou. Comment ai-je pu être assez sot, assez infatué, assez stupide, assez âne, pour me laisser conduire et bâter par ce misérable drôle, et donner dans des pièges aussi ridicules ! Monsieur Oldbuck, cette pensée fait mon supplice.

— Je voulais seulement vous apprendre que cet homme va probablement trouver sa récompense, et j’espère que dans son effroi nous en tirerons quelque chose qui pourra vous être utile. Il a certainement quelque correspondance secrète de l’autre côté de l’eau.

— Croyez-vous ? vraiment, croyez-vous ? Alors, que la maison, les chevaux et le reste s’en aillent au diable ! je ne m’en soucie plus ; j’irai en prison satisfait, monsieur Oldbuck. J’espère que le ciel permettra qu’il y en ait assez pour le faire pendre.

— C’est probable, dit M. Oldbuck, voulant soutenir cette idée, dans l’espoir qu’elle ferait quelque diversion aux sensations qui menaçaient de bouleverser la raison du pauvre baronnet, « des hommes plus honnêtes ont passé par la corde, ou la justice a été furieusement frustrée dans ses droits. Mais parlons de cette malheureuse affaire. N’y peut-on rien ? voyons la sommation. »

Il prit les papiers, et en les lisant sa figure s’altéra et prit un air sombre qui disait assez qu’il n’y avait aucun espoir. Miss Wardour, qui était entrée pendant ce temps dans l’appartement, et qui tenait les yeux fixés sur M. Oldbuck comme si elle eût voulu lire son sort sur ses traits, s’aperçut aisément, à l’altération de ses regards et à l’allongement de sa mâchoire inférieure, que les choses étaient à peu près désespérées.

« Nous sommes donc ruinés sans ressource, monsieur Oldbuck ? dit la jeune personne.

— Sans ressource ! j’espère que non. Mais la réclamation est très considérable, et d’autres vont sans aucun doute la suivre en foule.

— Oui, oui, vous pouvez en être sûr, Monkbarns. Là où il y a du carnage, on voit les aigles se rassembler ; je suis comme un mouton qui vient de tomber dans un précipice ou qui succombe à la maladie. Il n’aura pas été dix minutes étendu par terre, qu’une demi-douzaine de corbeaux, quoique peut-être on n’en eût pas vu un seul depuis quinze jours, viendront lui manger les yeux (il passa la main sur les siens), et lui dévorer le cœur avant que le pauvre animal ait rendu le dernier soupir… Mais cet infernal vautour dont le flair subtil m’a si long-temps poursuivi, vous vous en êtes bien assuré au moins, j’espère ?

— Oh ! ne craignez rien, dit l’Antiquaire ; notre gentilhomme avait voulu prendre son essor ce matin et nous échapper par la diligence de je ne sais quel endroit dont j’ai oublié le nom. En tout cas, il aurait trouvé du fil à retordre à Édimbourg ; mais il n’a pas été si loin, car la voiture a versé. Et comment pouvait-elle arriver sans accident, quand elle renfermait un tel Jonas ! Quant à lui, il a fait une chute abominable, et on l’a porté dans une chaumière auprès de Kittlebrig, où, pour empêcher toute possibilité de fuite, j’ai envoyé notre ami Sveepclean pour le ramener à Fairport in nomine regis[6], ou pour lui servir de garde-malade s’il juge plus convenable.

« Permettez-moi maintenant, sir Arthur, de causer avec vous du triste état actuel de vos affaires, et des moyens qu’il y aurait à prendre pour y remédier. « En parlant ainsi, l’Antiquaire se dirigea vers la bibliothèque, où le malheureux gentilhomme le suivit.

Il y avait à peu près deux heures qu’ils étaient renfermés, quand miss Wardour entra avec son manteau sur les épaules, comme si elle se préparait à partir. Son visage était très pâle, cependant il portait l’empreinte du calme qui appartenait à son caractère.

« L’huissier est de retour, monsieur Oldbuck.

— De retour ? comment diable ! j’espère qu’il n’a pas laissé aller son homme ?

— Non. J’ai entendu dire qu’il l’avait mené en prison, et maintenant il revient pour y conduire mon père, et dit qu’il ne peut attendre plus long-temps. »

On entendit alors sur l’escalier un débat très bruyant, dans lequel dominait la voix d’Hector. — Vous, un officier, dites-vous, avec cette troupe de gueux, de misérables, de mendians ! Rassemblez-vous, et comptez-vous vous-même par neuf, et nous connaîtrons votre force effective. »

On entendit la voix grondeuse de l’homme de loi murmurer une réplique à laquelle Hector répondit : « Allons, allons, monsieur, cela ne se passera pas ainsi ; faites déguerpir votre troupe, puisque c’est ainsi que vous l’appelez, hors de la maison, sur-le-champ, ou je leur en aurai bientôt montré le chemin.

— Le diable emporte Hector ! dit l’Antiquaire en se rendant à la hâte au lieu de la querelle ; voilà encore son sang écossais qui s’échauffe, et nous allons le voir tout à l’heure se battre en duel avec l’huissier… Allons, monsieur Sweepclean, il faut nous donner un peu de temps, vous ne voudriez pas presser à ce point sir Arthur.

— Sans aucun doute, monsieur, » dit l’huissier en ôtant son chapeau, qu’il avait enfoncé sur sa tête pour montrer qu’il bravait les menaces du capitaine Mac Intyre ; « mais votre neveu, monsieur, se sert d’un langage très malhonnête, et je l’ai déjà souffert trop long-temps. De plus, mes instructions ne me permettent pas de laisser ici mon prisonnier, à moins que je ne reçoive le paiement des sommes portées dans mon mandat. » En parlant ainsi, il présentait un papier, indiquant avec la redoutable baguette qu’il tenait dans sa main droite les chiffres non moins redoutables qui en composaient l’addition.

Hector, de l’autre côté, quoique gardant le silence par respect pour son oncle, répondit à ce geste en montrant à l’huissier son poing fermé, avec un regard étincelant de tout le courroux écossais.

« Tenez-vous donc tranquille, jeune fou, dit M. Oldbuck, et venez avec moi dans cette chambre. Cet homme ne fait que remplir son misérable devoir, et vous ne ferez qu’empirer les choses en vous y opposant. — Je crains, sir Arthur, que vous ne soyez obligé d’accompagner cet homme. Il est difficile en ce moment de faire autrement. Je vous suivrai pour voir avec vous quel moyen nous pourrons ensuite prendre. Mon neveu escortera miss Wardour à Monkbarns, où j’espère qu’elle voudra bien fixer sa résidence jusqu’à ce que ces désagréables affaires soient arrangées.

— J’irai avec mon père, monsieur Oldbuck, dit miss Wardour avec fermeté ; j’ai préparé ses effets et les miens. Je suppose qu’on nous permettra de nous servir de la voiture ?

— Je ne m’opposerai à rien de ce qui sera raisonnable, dit l’huissier ; je l’ai commandée, et elle est à la porte. Je monterai sur le siège avec le cocher. Je n’ai pas le désir de vous importuner de ma présence, mais deux de mes gens suivront à cheval.

— Je suivrai aussi, » dit Hector, qui sortit pour s’assurer d’un cheval.

« Il faut donc que nous partions ? dit l’Antiquaire.

— Pour la prison, dit le baronnet avec un soupir involontaire. Eh bien, après tout, continua-t-il d’un ton qu’il cherchait à rendre gai, c’est seulement une maison dont on ne peut sortir ! Supposons un accès de goutte, et Knockwinnock serait pour moi la même chose. C’est cela, Monkbarns ; nous dirons que c’est un accès de goutte, et encore qui n’est pas accompagné de la maudite douleur. »

Mais, tout en parlant ainsi, ses yeux se gonflaient de larmes, et le son entrecoupé de sa voix montrait à quel point lui coûtait cette affectation de gaîté. L’Antiquaire lui serra la main, et comme les banians indiens qui arrêtent les conditions d’un marché important par des signes, et tandis qu’ils causent en apparence de choses indifférentes, sir Arthur, par le serrement convulsif de sa main, exprima en retour à son ami et sa reconnaissance et les angoisses secrètes qui le déchiraient. Ils descendirent à pas lents le magnifique escalier, chaque objet qui leur était familier semblant se présenter d’une manière plus frappante et s’animer d’un nouvel intérêt aux yeux du malheureux père et de sa fille, comme s’ils devaient attirer leur attention pour la dernière fois.

Au premier palier, sir Arthur parut trop ému pour continuer ; mais voyant que l’Antiquaire le regardait avec inquiétude, il dit avec une dignité affectée : « Oui, monsieur Oldbuck, on peut pardonner au descendant d’une ancienne famille, au représentant de ce Richard Main-Rouge et de Gamelyn de Guardover, de pousser un soupir en quittant le château de ses pères, entouré d’une semblable escorte. Lorsque je fus envoyé à la Tour en 1745, avec feu mon père, c’était au moins sur une charge digne de notre naissance, sur une accusation de haute trahison, monsieur Oldbuck. Nous fûmes escortés depuis Highhjale par une troupe de gardes du corps, et écroués sur un mandat du secrétaire d’état ; et maintenant me voici, dans ma vieillesse, arraché de ma maison par un misérable huissier, et pour une pitoyable affaire d’argent !

— Du moins, dit Oldbuck, vous avez près de vous une fille dévouée, et, permettez-moi d’ajouter, un ami sincère : il y a bien quelque consolation là dedans, sans compter qu’il n’est question dans cette circonstance ni d’être pendu ni d’être écartelé. Mais j’entends encore la voix de mon emporté neveu qui crie plus haut que jamais. Fasse le ciel qu’il ne se soit pas fait quelque nouvelle affaire ! Quel maudit hasard l’a amené ici pour tout gâter ? »

Dans le fait, une rumeur soudaine, où dominait encore l’accent très élevé et quelque peu écossais d’Hector, interrompit cette conversation ; nous en verrons la cause dans le chapitre suivant.


  1. Le phoque barbu ou le veau marin. a. m.
  2. Comme complices de la rébellion. a. m.
  3. Par la loi Julia. a. m.
  4. Mille fantômes se présentent à l’imagination du mourant. a. m.
  5. Ne pas suivre quelquefois la voix de la sagesse. a. m.
  6. Au nom du roi. a. m.