L’Antoniade/Les Sept bardes américains

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les sept bardes américains.

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premier barde.

 
De l’homme, en sa beauté s’éveillant à la vie,
L’Éden fut la première et plus douce patrie ;
Mais ce séjour de fleurs, d’innocence et d’amour,
Fut du premier péché le triste et froid séjour !
De ce fatal royaume expulsé par le glaive,
L’homme, errant sur la terre, a combattu sans trêve,
Labourant de l’exil le sable désolé :
Que Dieu partout protège et guide l’exilé !
Sa vie est une course, un long pèlerinage,
Une émigration de rivage en rivage !
La grande humanité s’agitant sans repos,
Le Temps a vu des flots poussés par d’autres flots,
Des torrents populeux du Nord et de l’Asie
Inonder le Midi de l’Europe envahie ;
Et par le sang barbare en son cœur infiltré,
L’Occident converti grandir, régénéré !
Sous le souffle puissant, qui toujours le soulève,
Depuis l’exil d’Adam, transfuge suivi d’Eve,
Le genre humain, qu’emporte un catholique élan,
Dans sa marche, franchit désert, fleuve, océan ;
Et partout il entend une voix qui lui crie : —
« La patrie est l’exil ! — L’exil est la patrie !… »
Adieu, Grèce, Italie, Émeraude des mers !
Adieu, blonde Allemagne, et ton Rhin aux flots verts !
Adieu, France, Angleterre, Espagne, vieille Europe !
Adieu tout ce qui fut de Lutèce à Canope !
Mon navire entraîné, bravant les grandes eaux,
Vers l’Amérique en fleurs, suis le vol des oiseaux !
Salut, terre Nouvelle, Amérique chérie ;
Des droits les plus sacrés, noble et vierge patrie !
Pays de l’avenir, où tend le genre humain,
Salut, ô République, ô sol Américain !
L’Europe Monarchique, et ses grandes armées
Tour comprimer le cœur des masses affamées,

L’Europe en vain s’agite, et rêve d’autres Rois :
Vers le libre Occident l’Aigle a suivi la Croix !
 La raison et la foi, dans leur sainte alliance ;
La splendeur des Beaux-Arts unie à la Science ;
L’hymen surnaturel, l’heureuse intimité
De la Religion et de la Liberté :
Voila d’où sortira la palingénésie,
Le progrès social de la Démocratie ;
L’Ordre, depuis longtemps par tous prophétisé ;
L’Idéal politique enfin réalisé !
 Je renonce à l’Europe, aux saintes Monarchies,
Aux Institutions des nations vieillies,
A tout ce qui repose, en son antiquité,
Sur l’Aristocratie et sur l’hérédité !
De sa lourde prison comme un oiseau s’échappe, —
Aux Césars, que l’orgueil arme contre le Pape,
A l’ignoble police et la force du fer,
A ces gouvernements qu’inspire Lucifer,
Mon âme libre échappe ; et dans sa fuite chante
Sur le vaisseau bercé par la vague écumante ! —
 Je renonce à l’Europe et je renonce aux Rois ;
Je suis vers l’Occident le soleil et la Croix !
Je t’adopte pour mère, Amérique bénie ;
Je t’apporte mes biens, mon âme et mon génie ;
Je jure, en m’abritant sous ton saint pavillon,
De défendre, d’aimer ta Constitution ;
De défendre, d’aimer la Grande République,
Comme j’aime et défends l’Église Catholique ;
Et de mon bouclier couvrant la Liberté,
De vivre et de mourir pour ta prospérité !
Si, devenant parjure et traître à la patrie,
Au lieu de t’exalter, je t’insulte et renie, —
Comme un vil étranger, indigne de pardon,
Chasse-moi sans pitié du sol de Washington !
Si je rougis de toi, dans mon ingratitude ;
Si je vante l’Europe, en sa décrépitude ;
Comme un de tes enfants, si je ne t’aime pas ;
Si je regrette ici le joug des Potentats,
Ô Pays de mon choix, ô Patrie adoptive :
Que mon âme, en exil, redevienne captive !…
Mais comment te haïr ? mais comment oublier
Le Peuple généreux, le sol hospitalier,
Où libre, en sa grandeur, a tressailli mon âme ?
Ah ! l’époux dévoué n’aime pas mieux sa femme, —
La vierge qu’entre mille, avec un chaste amour,
Il a su distinguer, pour orner son séjour ;
Non, l’époux n’aime pas son épouse choisie,
Ave plus d’abandon et plus de poésie,
Avec plus d’héroïsme et d’abnégation,
Que je ne t’aime, ô belle, ô grande Nation !


second barde.


Effrayés, tous les rois de l’Europe,
Au sourd bruit des révolutions,
Murmurent le sinistre horoscope
De la plus jeune des Nations !

Ils rêvent d’arrêter l’Amérique,
D’arrêter l’impétueux géant,
Sur qui plane l’Aigle prophétique,
Qui lui crie : En avant ! en avant !

Qu’ils arrêtent l’élan du génie :
Le Saint qu’entraîne l’Esprit de Dieu ;
Le barde inspiré, dont l’harmonie
Soulève des tourbillons de feu !

Qu’ils arrêtent, dans sa course ardente,
Le soleil illuminant le ciel ;
Qu’ils arrêtent la foudre éclatante,
Où tonne la voix de l’Éternel !

Qu’ils arrêtent le fleuve sauvage,
Dont les flots, poussés vers l’Océan,
Arrachant les arbres du rivage,
Grondent sous l’aile de l’ouragan !

Qu’ils arrêtent, au bord de l’abîme,
Les grandes eaux du Niagara,
Qui, dans leur diapason sublime.
Exaltent le nom de Jéhova ! —

Ils rêvent !… ô rêve chimérique !
Dominant le flot des factieux,
L’Ange gardien de l’Amérique
Sans s’émouvoir, plane dans les cieux !

Étendant ses ailes tutélaires,
Il défendra les États-Unis
Des agitations populaires,
Et de l’esprit fiévreux des partis !

La République sera bénie,
Malgré la haine des potentats ;
Et par l’Union et l’harmonie
Grandiront les trente-trois États.

Oui, malgré l’Angleterre et la France,
Malgré toute l’Europe et ses rois,
Sur son front l’astre de l’espérance
Brillera des splendeurs de la Croix !


Amérique, ô ma patrie,
Dans ce grand siècle agité,
N’es-tu pas l’Arche chérie
Ouverte à l’humanité ?

N’offres-tu pas tes savanes,
Tes forêts et tes vallons,
Aux nombreuses caravanes
De toutes les nations ?

N’as-tu pas des champs fertiles,
Entre tes deux océans,
Pour servir toujours d’asiles
À cent peuples d’émigrants ?…

Au progrès, à la science,
Ouvre tes bras maternels ;
À l’âme, à la conscience,
Rends tous ses droits éternels !

Sous ta céleste bannière,
Abrite la Liberté,
Et sois l’Arche hospitalière
De toute l’humanité !


troisième barde.


Les peuples du vieux Monde, aux costumes bizarres,
Dans leurs berceaux obscurs naquirent des Barbares ;
Mais des peuples, polis par les arts et la foi,
Dans un Monde nouveau se forme un peuple-roi !
Entre le Monde ancien et la jeune Amérique,
Pour mieux la protéger, Dieu plaça l’Atlantique :
Au peuple Américain, vers l’avenir lancé,
Qu’importe l’Orient ? qu’importe le Passé ?
L’Orient, dans son culte et sa vieillesse austère,
Vénérable fantôme au seuil d’un cimetière,
Ne sait que lui parler des temps évanouis,
Des funèbres splendeurs et des pompeux débris :
Malgré tout le respect qu’il doit à la vieillesse,
Il se fatigue enfin à l’entendre, sans cesse,
Exalter du Passé l’immobile grandeur :
L’enfant vers l’avenir s’élance avec ardeur ;
Son âme prophétique est pleine d’espérance ;
De la gloire pour lui s’ouvre le temple immense !
Avec tous ses tombeaux, qu’importe l’Orient ?
Le Passé n’est qu’un spectre, assis sur le néant !
Le Passé vénéré n’est que cendre et poussière ;
Le poids de l’anathème est sur l’Asie entière ;
Et l’idolâtre Afrique, esclave du Démon,
baigne ses flancs d’ébène en des flots de limon !…

Quand les peuples ingrats ont abusé des grâces,
Dieu, les abandonnant, a béni d’autres races ;
La foi, comme la vie, a ses migrations ;
Elle renaît au sein des jeunes nations.
Ces villes d’Orient, autrefois si fidèles,
Ces foyers de la foi, ces reines, où sont-elles ?
Que sont-ils devenus, ces temples glorieux ?
La source de la grâce est tarie en ces lieux :
Jérusalem n’est plus ; Antioche est flétrie ;
Ptolémaïs est morne, autant qu’Alexandrie ;
Constantinople impure a renié son Dieu !
Les fils de Mahomet parquent dans le saint-lieu ;
À ces climats maudits l’ancien feu se dérobe ;
Les ombres de la mort ont envahi ce globe ;
Et le soleil divin, marchant vers l’Occident,
Cherche un monde plus jeune, un peuple plus ardent ! —
Les Princes de l’Europe, endurcis et sans crainte,
Orgueilleux, ont osé toucher à l’Arche-Sainte,
Et porter, comme Oza, la main à l’encensoir :
Sur leurs trônes sans base, ils n’ont pu se rasseoir !
Dieu pardonne toujours les fautes de jeunesse,
Excès irréfléchis d’une éphémère ivresse ;
Mais pour la froide astuce, en ses iniquités,
Il a des châtiments par l’Enfer inventés ! —
Tandis que l’Amérique, au début de son drame,
Proclamait tous les droits revendiqués par l’âme,
L’Europe, en son délire, au gré des Potentats,
Consommait lâchement les plus noirs attentats ;
En sa démence impie, au mépris du Saint-Siège,
Elle consomme encor l’œuvre du sacrilège !
L’Europe est trop coupable ! — Il faut un châtiment
Égal aux longs excès de son aveuglement !
Sois bénie, Amérique ; Amérique, sois fière :
Des saintes libertés noble et riche héritière,
Ton avenir n’est plus pour l’Europe un secret ;
Du Dieu, qui régit tout, c’est l’éternel décret
Qu’à des mondes vieillis succède un nouveau monde ;
Qu’épuisée en un lieu, la vie ailleurs abonde ;
Que le sceptre immortel des Pharaons éteints
Tombe avec les Beaux-Arts en de nouvelles mains ;
Et que le froid vieillard, dont l’œuvre se consomme,
En rentrant au tombeau, fesse place au jeune homme !
De la Religion, en ce siècle sans foi,
L’asile et le triomphe, Amérique, c’est toi ;
Sur ton front radieux, vierge encor d’anathème,
En bénissant tes fils, Dieu pose un diadème !
Au peuple, ainsi qu’à l’homme, il faut l’âge premier
Pour enfanter le saint, le barde et le guerrier.
L’Orient, chaque jour, pâlit comme une lampe ;
Il a perdu la source où l’âme se retrempe ;

Son sein ne contient plus le germe fécondant :
L’espoir du genre humain n’est plus qu’en Occident !
L’ancien Monde s’écroule ; adieu les vieilles races ;
Le ciel a détourné le fleuve de ses grâces !
C’est ton tour, Amérique ; à toi tout l’avenir :
L’ancien Monde n’a plus que son froid souvenir !
À toi l’enthousiasme et les sources de vie ;
À toi la sainte flamme et l’élan du génie !
Salut, mère féconde, à qui la liberté
Donne, avec le pouvoir, la grâce et la beauté !
Amérique, salut ! Mon esprit sympathise
Avec ton vaste esprit d’héroïque entreprise ;
J’aime d’un peuple neuf la généreuse ardeur :
Sa confiance en Dieu révèle sa grandeur ;
Il est né pour atteindre aux cimes les plus hautes ;
Le peuple Américain est grand jusqu’en ses fautes !
Il a pris pour emblème un aigle audacieux,
Dont le cri triomphant retentit dans les cieux !
Des mornes royautés toute gloire est voilée ;
C’est à toi de briller, ô bannière étoilée ;
L’avenir t’appartient, ô Continent nouveau :
L’ancien Monde n’a plus que l’espoir d’un tombeau !
N’es-tu pas et plus vaste et plus belle, Amérique,
Que l’Europe, l’Asie et l’infertile Afrique ?
Devanciers de Colomb, quand les marins du Nord,
Sur la foi d’une idée, ont fui loin de tout port,
Dans leur nef vers ta plage abordant comme un cygne,
Ils se sont écriés : « Ô terre de la vigne ! »
Tes États fraternels, dans leur forte unité,
Ont gardé tous les traits de la diversité ;
Et tandis que chacun reste libre en sa sphère,
De tous le Capitole est l’Étoile polaire !
N’as-tu pas pour domaine, entre deux océans,
Tous les climats divers et leurs fruits abondants ?
Le blé croît dans tes champs aussi beau que la vigne ;
De ta grandeur future apparaît chaque signe ;
L’or de tes monts ruisselle en sable étincelant,
Qui roule dans ses flots l’astre du diamant ;
Et pour le regard seul, qu’aveugle la lumière,
Ton Destin Manifeste est encore un mystère !
Oh ! qui pourrait compter les splendides trésors,
Que le ciel favorable amassa sur tes bords ?
Ici, tout fut créé sur une échelle immense ;
Tout brille et se déroule avec magnificence :
L’Europe est le tableau, l’esquisse en raccourci ;
Mais le parfait modèle, en grand, éclate ici !
Lacs, fleuves et déserts, et l’homme et la nature,
Et les précoces fruits de la littérature,
Tout est grand, tout est vaste, en ce Monde nouveau,
Chez ce peuple géant qui n’eut point de berceau !

Dieu l’a fait pour oser toute sainte entreprise ;
Le sable sous ses pieds soudain se fertilise :
À travers les périls il passe en conquérant ;
Toujours sûr du succès, il s’écrie : En avant !
Son génie inventif, maître de la matière,
Aspire sans repos vers l’idéale sphère !
Il couvre de respect et la femme et l’enfant ;
Son amour, en tous lieux, les protège et défend ;
Pour devise il a pris : Dieu, Liberté, Patrie,
Noble tradition de la Chevalerie !
Du temple des Beaux-Arts franchissant les degrés,
Dans la science il marche à pas démesurés :
Poètes, orateurs, historiens célèbres,
De leur premier éclat déchirent les ténèbres ;
Et leurs noms glorieux, en traversant les flots,
Du vieux Monde épuisé vont troubler le repos !…

Adieu la froide Europe ! adieu les vieilles races !
L’Amérique a reçu leurs primitives grâces :
Le soleil d’Orient, pâle, n’éclaire plus
Que des tombeaux glacés, des trônes vermoulus !
La République heureuse, universel asile,
Refuge hospitalier du malheur qui s’exile,
De la Religion qui retrouve ses droits,
La République heureuse épouvante les Rois !
Les vieilles nations, folles profanatrices,
Ont besoin de sentir des mains flagellatrices ;
Elles ont spolié les trésors du saint-lieu :
Le Pontife clément sera vengé par Dieu !
Le Nord tient en réserve, au milieu de ses neiges,
Les fléaux dont le ciel punit les sacrilèges ;
Et réveillés, au bruit tonnant du Vatican,
Arrivent Alaric, Totilla, Gengiskan !
Mais la jeune Amérique, innocente auprès d’elles,
Voit augmenter l’essaim de ses races nouvelles ;
Plus forte, chaque jour, elle voit ses enfants
Marcher vers l’avenir, pleins d’espoirs triomphants !
Morse et Fulton, doués d’un magique génie,
Font que par un éclair l’âme à l’âme est unie ;
Et que la République, en son activité,
Embrasse comme un point l’espace illimité !

L’Amérique est le port de tous les grands naufrages :
Le malheur est sacré ; l’Europe, en ses orages,
Lui jette quelquefois d’illustres condamnés ;
Nous comptons parmi nous de preux infortunés ;
Nous comptons des savants, d’héroïques apôtres,
Rivalisant d’ardeur les uns avec les autres ;

Et nous pourrions trouver, parmi les pionniers,
Dans chaque lieu connu, l’empreinte de leurs pieds :
Ceux-là, dans leurs discours et leurs pages brûlantes,
Ont eu pour notre zone, aux merveilles brillantes,
Des paroles d’amour et d’admiration,
Comme en inspire au cœur la sainte émotion !

Lorsque Chateaubriand, banni de l’Armorique,
Vint abriter son front sous le ciel d’Amérique,
De la terre d’exil contemplant les splendeurs,
Il aima de nos bois les calmes profondeurs ;
Sous les dômes vibrant de sauvage harmonie,
Son âme, en s’exaltant, enflamma son génie !
Un seul regard tombé des yeux de Washington
Fut comme un feu sacré pour l’Homère breton !
Ce cœur passionné, qu’inspira la tristesse,
Après avoir pleuré sa patrie en détresse,
Ce cœur noble et pieux, de toute envie exempt,
Ce cœur chevaleresque, enthousiaste et grand,
Ce cœur fait pour comprendre et chanter la nature,
Il a du Nouveau Monde embrassé la ceinture,
Admiré l’étendue et la fécondité :
Et l’Europe, ravie après qu’il eût chanté,
Brûla de contempler les merveilles décrites ;
Lacordaire rêva les déserts sans limites ;
Et des peuples, vieillis sous le joug des Césars,
La jeune République attira les regards !…

Poursuis, poursuis ta course, ô jeune République,
Formidable géant, colosse pacifique !
Les tyrans d’outre-mer, en leur caducité,
Jettent en vain l’insulte à ta virilité ;
Ta gloire luit déjà de leur gloire obscurcie ;
Tu grandis menaçante autant que la Russie :
Et tu sauras toujours respecter tous les droits
Qu’aux peuples de l’Europe ont su ravir les rois !
Sois fière, ô République, et noble et magnanime,
Que la liberté sainte et t’inspire et t’anime !
D’une agressive envie objet universel,
S’il te fallait un jour accepter le cartel,
Dans ta jeune valeur, ceignant ta forte épée,
Du sang versé par toi germerait l’épopée ;
Et pour parer le front de tes rudes guerriers,
Tes altières forêts courberaient leurs lauriers !

Amérique, ô patrie ! Amérique, ô ma mère !
S’il est un de tes fils assez lâche et vulgaire,
Pour t’entendre offenser et pour te renier,
Seul, sans pleurs, sans regrets, qu’il meure tout entier !

Que son nom, effacé des pages de l’histoire,
Effacé de tout cœur et de toute mémoire,
Entouré du linceul d’un éternel oubli,
Dans la nuit du tombeau descende enseveli !

Terre de Washington, République modèle,
À ton rêve idéal reste toujours fidèle !
Laisse crier l’Europe et tous les mirmidons
Qui vivent sous ton aile, accablés de tes dons !
Que toujours ton courage, armé de la prière
Plus forte que le glaive et la lance guerrière,
Cherche Dieu dans la gloire, et la gloire eu Dieu seul,
Transformant, s’il le faut, ta bannière en linceul !
Consacrant sur l’autel et l’épée et la lyre,
Unis toujours les fleurs aux palmes du martyre ;
Et sous ton ciel nouveau, prenant un saint essor,
La liberté féconde aura son cycle d’or !…

Liberté ! tu naquis en même temps que l’Ange ;
Tu vis tomber du ciel l’angélique phalange ;
Le premier homme en toi trouva sa dignité ;
Par toi le bien, le mal a sa réalité ;
Contre toi, dans le monde, en vain combat le glaive ;
En vain s’arment les rois que le Démon soulève :
Palladium sacré de toute vérité,
Nul ne peut te ravir sans lèse-humanité ! —

Oh ! non, la liberté, ce n’est pas un vain titre ;
L’homme a reçu de Dieu le puissant libre-arbitre :
Pour le bien ou le mal déterminant son choix,
Du côté qu’il lui plaît il peut jeter le poids !
Dieu permit à Satan, pour tenter et séduire,
D’exercer librement son infernal empire ;
Dieu ne l’arrêta point au seuil du Paradis,
Pour qu’avec ses discours, habilement ourdis,
Il pût, plein de mensonge autant que de malice,
De son orgueil jaloux rendre l’homme complice !
Pour que l’homme innocent connût sa liberté,
Dieu, voulant l’éprouver, permit qu’il fût tenté !
Si l’homme n’était libre, ou serait son mérite ?
La Grâce même agit, sans qu’elle nécessite !
L’homme est donc l’ouvrier de son sort éternel,
Par le mal dans l’enfer, par le bien dans le ciel !


quatrième barde.


Que je t’aime, Amérique ! et que mon âme est fière
De pouvoir t’admirer, en t’appelant ma mère !

En t’aimant comme un fils, de pouvoir te venger,
Des éloges glacés de l’injuste étranger ! —
Pour lui, le moindre atome est prodige, en Europe ;
Mais pour voir le prodige, il faut un microscope,
Si ce prodige éclate en notre beau pays : —
Rien n’a pu le ravir dans les États-Unis !
Un voile est sur ses yeux, la haine est dans son âme ;
Son cœur ne sent, ici, ni lumière, ni flamme ;
Nos merveilles, jamais il ne les admira ;
Il passe, indifférent près du Niagara !
Qu’importe à ce railleur que, dans le Nouveau-Monde,
S’élèvent des forêts que seul l’orage émonde ?
Son cœur est trop étroit, son œil trop obscurci,
Pour comprendre et pour voir tout ce qui brille ici ! —
Pauvre et triste étranger ! pauvre et triste malade !
Sois donc moins ridicule en ta fanfaronnade ;
Ouvre au moins une fois des yeux admirateurs ;
Et contemple, ébloui, nos plus pâles splendeurs !
Contemple nos grands lacs, nos fleuves, nos savanes,
Tous ces arbres géants, couronnés de lianes ;
Tout ce que la Nature étale, sous nos cieux,
Et de plus grandiose et de plus gracieux !…
 Ô mon frère étranger, dis-moi donc, je t’en prie,
La grande Nation, par ta haine flétrie,
Quelle est son origine, et quels sont nos aïeux ?
Ne retrouves-tu pas l’Europe sous nos cieux ?
Ne retrouves-tu pas la race Anglo-Celtique,
Et son double élément actif et poétique ? —
Saxons, Celtes, Germains, Espagnols, Irlandais,
Noble race latine, — Italiens, Français, —
Proscrits par le Pouvoir, ou lassés du Vieux-Monde,
Ne sont-ils pas venus, de leur sève féconde,
De leur multiple esprit, former ce Peuple ardent,
Que pour la République appelait l’Occident ?
Ne sont-ils pas venus, avec des cris de joie,
Saluant l’Amérique, où le soleil flamboie ;
Et sur son terrain vierge, avec la liberté,
Amasser les trésors de l’hospitalité ? —
Ô mon frère étranger, armé de l’ironie,
Qui n’as pu de ce Peuple admirer le génie ;
Toi, qu’un esprit de zèle a poussé jusqu’ici :
Pourquoi de ses vertus désespérer ainsi ?
La grâce, en devançant la marche des années,
Peut faire éclore ici mille fleurs spontanées !
L’Esprit-Saint, pour agir, n’attend pas le futur !
Pour la gloire héroïque un peuple est toujours mûr ! —
Toi, qui viens de l’Europe, où l’héroïsme abonde,
Que n’es-tu le héros offert au Nouveau-Monde ;
Le héros, dont le cœur embrasant notre cœur,
Du mystique Évangile allume ici l’ardeur ?

De ces hautes vertus, qui font l’éclat du temple,
Des vertus de Conseil, donne-lui donc l’exemple !
Four aider son essor, pour exalter sa foi,
Cette perfection, oh ! pratique-la, toi ! —
Mais non, — en exerçant l’apostolat du doute,
De tes froids préjugés encombrant chaque route,
Tu viens, pour nous ôter l’ardeur que tu n’as pas,
Aussi lâche qu’injuste, accuser nos climats !
Va ! la grâce divine est de toutes les zones !
C’est encore le temps îles saintes Amazones !
Jeanne-d’Arc doit renaître en nos climats bénis,
Et ceindre un jour nos fronts de maints lauriers conquis
Va ! triste et froid rhéteur, et que le spline inspire :
Tu n’es pas fait pour nous ! car notre espoir aspire
À dépasser l’Europe, en toutes ses vertus :
Novissimi primi ! — Gloire aux derniers élus ! —
 Voilà ce qu’on peut dire à ce railleur sceptique,
Qui vient pour insulter le peuple d’Amérique !
Voilà ce qu’on peut dire à l’ingrat étranger,
Qui n’adopte ce sol que pour mieux l’outrager ! —
Mais hélas ! à quoi sert ? toute logique est vaine :
Il ne voit pas d’élus dans la race indigène ;
Et prévenu contre elle, il s’écrie : « À quoi bon ?
« On ne peut rien tirer d’un peuple-sauvageon ! »
Oui, dans l’aveuglement de la nostomanie,
À tout ce qu’on affirme, il répond : Je le nie !
Il méprise les fleurs qu’il foule à chaque pas ;
Et, devant le soleil, il dit : Je ne vois pas !
C’est ainsi qu’on entend chaque transfuge esclave,
Ou gravement comique, ou comiquement grave, —
Le fils enhaillonné de Bridgit et Patrick,
Qu’il nous vienne de Cork ou bien de Limerick,
Tumultueux votant de l’indomptable Irlande,
Que la Démocratie inscrit par contrebande,
Le morose John Bull, l’Espagnol arrogant,
Le nébuleux Germain ou le Gaulois flippant, —
Au nom de sa patrie et de l’Europe entière,
Qui vient jeter l’insulte à l’Amérique altière !
On rencontre partout le commis-voyageur,
Des libraires marchands scribe spéculateur,
Qui, pour quelques écus, distillant l’ironie,
Selon l’ordre prescrit, évente son génie.
Par avance payé pour ne rien voir de beau,
Il éclaire ses pas d’un vacillant flambeau.
Il a des yeux de lynx pour les splendeurs d’Europe ;
Mais pour celles d’ici l’œil obscur de la taupe.
Égalant sa jactance à sa mauvaise foi,
De tout vilipender il s’est fait une loi.
De Voltaire, son maître, empruntant le langage,
Chacun de ses récits est un long persiflage.

À ses concitoyens, l’accueillant d’un bravo,
Il livre avec fierté son pâle in-octavo !
Ainsi, chaque avorton de la littérature
Enfante pour l’Europe une caricature !
L’Europe a des journaux qui s’impriment ici ;
Par des scribes payés notre nom est noirci.
Depuis qu’en son humeur abandonnant l’Europe,
Nous vîmes parmi nous apparaître Trollope,
Combien de voyageurs, scribes aventuriers,
Sont venus sur ses pas moissonner des lauriers !
De leurs cœurs, dans l’exil atteints de nostalgie,
Mon cœur eut admiré la plaintive élégie ;
Mais le mal du pays s’est traduit dans leurs cœurs
En diatribe acerbe ou bouffonnes fureurs !
Oui, chaque matamore, en sa risible audace.
Nous parle sur un ton qui provoque et menace !
Éloigné du gendarme ou royal alguazil,
Pour se venger, hélas ! des ennuis de l’exil,
Et pour nous amuser par une facétie,
Chez nous, l’Européen vante la monarchie !
L’air de la République est pour lui trop subtil ;
L’esclavage natal vaut mieux qu’un libre exil ! —
Oh ! de l’Européen, verbeuse outrecuidance,
Niant, en plein midi, l’éclat de l’évidence !
Pour ton mal, l’ellébore est le seul élixir ;
C’est le médecin seul qui pourrait te guérir…
Je me trompe ! il te faut, en ta forfanterie,
Le saint joug d’un despote et la gendarmerie ;
Il te faut des prisons l’air impur et pesant :
L’air de la liberté t’enivre, en t’épuisant !
Pour prolonger ta vie et retremper ton âme,
Quitte donc un pays, où s’éteint toute flamme ;
Pour te régénérer, retraverse les mers ;
Va ! — Boston et New-York préparent des steamers !
Va ! — tu pourras encore, attendri jusqu’aux larmes
Dans l’excès de ta joie, embrasser les gendarmes !


cinquième barde.


Malgré le télégraphe, et malgré la vapeur,
Le cœur en ses amours reste toujours le cœur !
Sous la zone torride ou la zone polaire, —
Habitant du vallon, montagnard, insulaire,
Tout homme est attaché par de magiques nœuds
Au sol de sa naissance, au sol de ses aïeux !
Avec le ciel natal l’homme est en harmonie ;
Du lieu qui l’a vu naître il reçoit son génie ;
Plus cher que tous les lieux est l’humble coin natal ;
L’air de notre patrie est le seul air vital !

Une mère adoptive, une mère étrangère,
Quel que soit son amour, n’est jamais notre mère !
 Qu’importent à l’enfant de nos vertes forêts
L’Europe et ses tombeaux, l’Europe et ses palais ?
L’enfant qu’entre ses bras a bercé l’Amérique,
N’éprouve aucun attrait pour l’Orient féerique ;
Il garde avec fierté, comme un instinct inné,
L’enthousiaste amour du sein dont il est né !
 Le faux cosmopolite, en parcourant la terre,
Pour prêcher avec bruit l’amour humanitaire,
Détruit l’ordre divin et l’ordre social,
La famille, l’État, l’esprit national.
Égoïste rhéteur de la philanthropie,
Il ne craint pas de dire, en son audace impie :
« La patrie est partout où l’on se trouve bien ;
« L’étranger en tous lieux a droit de citoyen ;
« Des étroits préjugés renversant les barrières,
« Il réclame partout ses droits humanitaires ! »
 Ce titre est trop sacré pour le donner sans choix
À tous ceux qui, fuyant l’oppression des rois,
Dans leur enivrement et leur effervescence,
N’ont de la liberté rêvé que la licence !
On doit se défier de tout hôte empressé
À réclamer les droits de naturalisé :
Chacun, suivant l’instinct qui l’entraîne et l’anime,
Le hasard, le malheur, l’indigence ou le crime, —
Forcé d’abandonner des climats trop anciens,
Vers le Monde Nouveau s’enfuit avec les siens ;
Et gardant parmi nous ses amours exotiques,
Il veut pourtant jouir de nos droits politiques ! —
Stérile prédicant de blêmes libertés,
Apôtre nuageux de rêves avortés,
Démagogue inspiré d’un esprit satanique,
Chaque sombre anarchiste émigré en Amérique !
Veillons ! car parmi nous l’esprit des étrangers
Menace le pays du plus grand des dangers !
Ah ! malheur à tous ceux qui, pleins de moquerie,
Par la force ou l’astuce, attaquent la patrie :
L’amour de la patrie est un instinct jaloux
Qui porte aux agresseurs les plus terribles coups !
Malheur aux étrangers, s’ils ne cessent de l’être ;
S’ils veulent conserver l’amour d’un ancien maître ;
S’ils n’ont pas un seul cœur avec ceux du pays ;
S’ils ne partagent pas les amours de ses fils ;
Si contre notre esprit leur fol esprit conspire ;
S’ils veulent un empire au milieu d’un empire !
Veillons ! car le grand flot de l’émigration
Menace l’avenir de notre Nation !
Veillons ! car, parmi nous, un esprit exotique
Combat pour le fausser l’esprit patriotique ;

Car l’esprit étranger, cruel perturbateur,
De la guerre intestine est le premier fauteur ;
Du désordre toujours il s’est montré l’apôtre ;
Et traître à sa patrie, il trahira la nôtre !
Dans leur froid égoïsme et leur cupidité,
Bientôt les étrangers détruiront la Cité ;
De leurs vieux préjugés traînant le lourd bagage,
Il n’ont pour le pays qu’un insultant langage ;
Et trouvant parmi nous d’hospitaliers climats,
Pour les bienfaits reçus ils se montrent ingrats !
Rien ne leur plaît ici, rien ici ne les touche ;
Et leur langue flétrit chaque fleur qu’elle touche ! —
Leur pédante ignorance et leur fatuité
S’exhalent chaque jour en toute liberté ;
Ils fatiguent en vain leurs langues et leurs plumes
À vanter du Passé tous les us et coutumes,
Au milieu des progrès d’un peuple de géants,
Qui semble anéantir et l’espace et le temps,
Ils voudraient implanter leurs froides vieilleries ;
Et conserver l’esprit de leurs idolâtries.


 Foulant aux pieds tous droits, ô vieilles Nations,
Vous rejetez sur nous, dans vos convulsions,
Le rebut de vos fils, le poison de vos livres,
Tous ces impurs romans dont vos filles sont ivres !
Trop faibles, en ces temps, pour pouvoir les nourrir,
Pour pouvoir les garder, sans risquer de mourir,
Vous nous les rejetez, comme une sale écume,
Vous déchargez sur nous tout ce qui vous consume !
Mais, ils viennent, ces fils, pour creuser nos canaux,
Assainissant le sol par les plus durs travaux ;
Et les fléaux vengeurs les suivent dans leur fuite ;
La justice divine émigré à leur poursuite ;
Et pour les contenir, ces hordes d’immigrants,
Hélas ! nos hôpitaux ne sont pas assez grands !
Ô Nouvelle-Orléans, pâle et sinistre Reine,
Le front ceint de cyprès, sur un trône d’ébène,
Dans ta morne attitude au milieu des marais,
Où fermentent l’été des flots pestiférés,
Ton doigt, fixe et fatal, désigne à chaque bière
Le funèbre chemin qui mène au cimetière ! —
Ô Reine vengeresse, armée au nom de Dieu,
Tu répands des fléaux dans ton souffle de feu !
L’ignoble cargaison, par l’Europe envoyée,
Envahit tout-à-coup ton enceinte effrayée ;
Et tes oiseaux de proie, à chaque cargaison,
Prophètes de la mort, noircissent l’horizon ! —
Ô ma noble patrie, en ta grande jeunesse,
Pour adopter les fils d’une avare vieillesse,

Pour nourrir tant d’enfants, en ta maternité,
Qu’il t’a fallu d’amour et de vitalité !
Ces fils dénaturés ! en leur secrète envie,
Ils meurtrissent le sein qui leur donne la vie !
Écoute-les parler : à leur accent moqueur,
Tu sauras avec qui sympathise leur cœur ;
Sans cesse, avec fureur, te prodiguant l’offense,
Ils osent s’étonner qu’on prenne ta défense ;
Et de tes ennemis se faisant les échos,
Ils voilent ta beauté pour montrer tes défauts !
Ces pseudo-citoyens ! on les a vus naguère,
À ton preux champion faire une lâche guerre ;
Ils se sont élevés, — bruyante légion, —
Pour le combattre au nom de la Religion :
Mais Brownson de son cœur se faisant un asile,
Semblable, dans sa force, au grand bœuf de Sicile,
Mugit, — sans s’émouvoir de leur esprit taquin. —
Patriotique voix du Peuple Américain !
 Jamais de sa patrie, et jamais de sa mère,
Dans son enthousiasme, un fils ne désespère !
Oui, malgré tous les maux, fidèle en ses amours,
Contre toute espérance, il espère toujours !
Mais toi, fils adoptif, de ta jeune patrie
Tu prédis chaque jour la prochaine agonie ;
Tu sembles désirer la révolution,
Pour voir cesser plus tôt notre forte union ! —
Insensible au bonheur de ma grande patrie,
Tu ne rêves que l’or de la Californie ;
Le sable étincelant a charmé tes regards
Plus que l’éclat voilé du Temple des Beaux-Arts ;
Tu t’inquiètes peu, pourvu que le sort t’offre
De quoi choyer ton ventre, en remplissant ton coffre ;
Et ton patriotisme est dans l’amour du gain,
Ce vil amour qui seul te fit Américain !
Attiré par l’aimant de la Californie,
Tu ne lui donnes pas ton âme et ton génie ;
Et si tu tiens à l’ordre et veux la liberté,
C’est pour mieux réussir en ta vénalité !
Toujours l’esprit marchand, et l’esprit exotique
Chez un peuple ont tué l’esprit patriotique ;
Et je plains le Pays, qui nourrit dans son sein
Des enfants adoptifs le dévorant essaim !


Le sol natal ! chaque homme à tout sol le préfère,
Comme à toute autre femme il préfère sa mère ;
Et de son nom blessé chaque homme est le vengeur,
Comme il venge sa mère atteinte en son honneur !
Une mère pour nous, ah ! c’est plus qu’une femme !
Ton sourire, Amérique, a fasciné mon âme ;

Et s’il reste un obstacle entre le ciel et moi,
Oui, le dernier obstacle, Amérique, c’est toi !
Ah ! malheur à tous ceux qui t’insultent, ma mère !
Car mon amour, ému de toute sa colère,
D’un fils en sa vengeance imitant les excès,
Irait jusqu’à s’armer pour qu’ils soient expulsés !
Oui, l’instinct filial, oui, le patriotisme,
C’est un aveugle instinct, un jaloux fanatisme ;
C’est aimer et haïr avec notre Pays ;
C’est aimer ses amis, haïr ses ennemis !
Celui qui peut entendre injurier sa mère,
Et qui ne répond pas, dans sa sainte colère,
Et qui ne tire pas son glaive menaçant,
Et qui ne frappe pas… ce fils n’a pas de sang !  !


sixième barde.

Amérique, ô patrie, ô terre encor sauvage,
Si le malheur jamais, m’arrachant de ta plage,
Promène mon destin de péril en péril,
De merveille en merveille, oh ! toujours, dans l’exil.
Insensible aux splendeurs des régions lointaines,
Libre de tout serment, libre de toutes chaînes,
Mon cœur, restant fidèle, en ses regrets amers,
Se tournera toujours vers tes vastes déserts !
Sous aucun ciel riant, sur aucune autre terre,
Dans aucun des jardins inondés de lumière,
Nulle part, nulle part, pour y mieux prospérer,
Il ne pourra jamais dans l’exil demeurer !
Ah ! lorsque retentit soudain le cri de guerre,
Et qu’au bruit du canon s’agite sa bannière,
C’est l’heure où la patrie, au milieu des soldats,
Connaît ses vrais enfants et ses enfants ingrats !
C’est l’heure où la nature, en son élan sublime,
Montre l’enfant bâtard et l’enfant légitime ! —
Ô naturalisés de climats si divers,
Si vos frères, un jour, osaient franchir les mers,
Viendrez-vous pour combattre, au nom de la patrie,
Les soldats menaçants de l’Europe aguerrie ;
Ou bien, resterez-vous, indécis, inactifs,
Tandis que, sans repos, combattront les natifs ?
Prenez-garde ! la guerre est la pierre de touche ;
Le soldat se trahit en mordant la cartouche ;
Il est une heure sainte, où l’on voit si le fils
A pu changer de mère et changer de pays !
Ah ! craignez d’hésiter entre les deux armées,
Devant le choc fougueux des hordes enflammées ;
Et dans l’ardeur suprême, où se prouve l’amour,
D’avoir un double cœur pour un double tambour ;

D’avoir un double cœur tremblant entre deux maîtres,
Et de sembler enfin dénaturés ou traîtres ! —
Ô vous tous, exilés des cieux les plus ingrats,
Qui regrettez ici le deuil de vos climats ;
Enfants aux blonds cheveux d’origine Allemande ;
Ô vous, fils de la France, essaims nombreux d’Irlande ;
Tous, soldats émigrés de tous les vieux pays :
Aux Armes ! pour frapper vos frères ennemis !
Car vous avez juré de défendre la terre,
Qui reçut dans son sein votre infortune amère ;
Vous avez adopté pour patrie à jamais,
Le sol Américain où vos enfants sont nés ;
Vous avez dans ce sol, vierge encor de ruines,
Jeté de votre cœur les plus tendres racines ;
Oui, vous avez ici vos plus chers intérêts ;
Vous tenez à nos lois, comme l’arbre aux forêts ! —
Aux Armes ! pour chasser les hordes étrangères ;
Pour chasser vos amis, vos parents et vos frères !
Reculer, c’est trahir un peuple hospitalier ;
C’est mériter la mort, au lieu de la donner ! —
Aux Armes !… Mais d’où vient que votre cœur s’agite,
Qu’il se trouble et s’émeut, qu’il tremble et qu’il hésite,
Et qu’au lieu de combattre, il se sent combattu ?
C’est qu’en scindant le cœur, il perd toute vertu :
L’homme ne peut changer de mère ou de patrie ;
La terre du berceau, c’est la terre chérie ;
Et le serment lui-même au cœur impose en vain
Des devoirs plus sacrés envers un sol lointain !
Pour qu’au nom de patrie avec orgueil il vibre,
Sur le sol étranger, le cœur doit rester libre ;
Semblable en son exil à l’oiseau passager,
Il doit rester partout et toujours étranger !
Un acte despotique, une infortune amère,
Peut bannir notre cœur sur un autre hémisphère ;
Mais le cœur exilé, le cœur expatrié,
Par un fatal serment ne peut être lié !
Se tournant tout entier vers le pays qu’il aime,
Dans ses destins changeants, il doit rester le même ;
Le même, dans le deuil, la joie et les dangers ;
Oui, toujours étranger parmi les étrangers !


septième barde.


Les grands fleuves profonds s’écoulant en silence,
Arrosent de leurs bords la sauvage abondance ;
Ils vont s’élargissant, et grossissant leurs eaux
Des tributs écumants de vingt mille ruisseaux :
Ainsi la Vérité, fleuve immense et céleste,
Rejetant de ses eaux chaque élément funeste.

Pour abreuver les cœurs qu’altère un saint amour,
Traverse de l’erreur le sombre et froid séjour !
En vain, dans son grand lit, creusé par des Archanges,
Des mensonges impurs tombent toutes les fanges ;
En vain, l’orage gronde et soulève ses flots,
Pour en faire sortir le ténébreux chaos :
Le fleuve, en débordant sur ses rives stériles,
Semble les dévaster, pour les rendre fertiles ;
Et retrouvant son lit, après chaque ouragan,
Poursuit son cours vainqueur vers le vaste océan !


 La lutte entre le bien et le mal est sans trêve ;
La lutte recommence, et jamais ne s’achève !
Pour propager l’amour et le règne divin,
L’apôtre, au nom du Christ, jamais ne parle en vain ;
L’apôtre doit crier, et le docteur écrire,
Pour empêcher le vice et l’erreur de prescrire !
L’Église Militante, en d’incessants combats,
Au martyre, en tous lieux, prépare ses soldats.
En ces temps orageux de basse flatterie,
Taire la vérité, c’est trahir la patrie !
Et le sage, l’apôtre, ou le barde inspiré,
Doit s’entendre accuser de zèle exagéré !
 La sainte liberté, la liberté divine,
Qui fait de l’homme un saint, et fait une héroïne
De la femme angélique, — ah ! cette liberté,
Elle est fille du ciel et de l’autorité ;
Elle obéit à l’ordre, et, sans l’obéissance,
Esclavage orageux, elle devient licence !
La sainte liberté, c’est obéir à Dieu ;
L’homme, affranchi de Dieu, rampe esclave en tout lieu !
L’homme rebelle au Christ, l’homme au Christ infidèle,
Sent que, pour le punir, tout lui devient rebelle :
De la science en lui s’éteint le pur rayon ;
L’âme cède à la chair, et la chair au Démon ;
Et ce fils de l’orgueil, monstre aveugle et servile,
Allume le brandon de la guerre civile !
 Le fanatisme impur, plein de haine, en ces jours,
Hélas ! veut pervertir le plus saint des amours :
Aux transports les plus doux qu’inspire la patrie,
Il veut associer l’adultère hérésie !
Dans le sauvage espoir de son règne infernal,
Il appelle à son aide et l’erreur et le mal ;
Du traître et du félon il se fait le complice,
Et de l’apostasie exploite la malice !
Ô patrie, ô drapeau qu’agitent tous les vents,
Plus que les étrangers, crains tes propres enfants !
Crains tant de vils partis et de sectes rivales !
Crains l’égoïsme étroit de tant d’âmes vénales !

Plus que les étrangers, crains tes fils dissidents,
Dans leurs sombres fureurs et leurs rêves sanglants !
Sommes-nous donc aux temps, où, pleins d’hypocrisie,
Les hommes, dans leur haine, et dans leur frénésie,
Fuyant l’ardent éclat dont la vérité luit,
S’entourent pour agir des ombres de la nuit ?
La Liberté n’est pas un Ange de ténèbres,
Une fille nocturne aux vêtements funèbres :
C’est l’auguste Amazone, au regard plein d’éclairs,
Qui fait pâlir les rois et les tribuns pervers !
La Liberté, c’est l’Aigle, inondé de lumière,
Et qui plane sans crainte au séjour du tonnerre !
Honte aux oiseaux de nuit, à ces lâches hiboux,
Qui pour l’œuvre du mal se cachent parmi nous !
Fils du Démon, ils ont les ruses de leur père ;
Ils sèment autour d’eux un esprit léthifère ;
Et, déguisant le but de leurs secrets desseins,
Ils préparent sans bruit leurs poignards assassins !
Sur leurs fronts apostats, ces dupes ou faux-braves,
Portent ces mots écrits : Esclaves des Esclaves !
Asservis à des chefs, que subjugue Satan,
Leur cœur pour battre encor n’a plus un libre élan !
 Tandis que le grand Aigle, oiseau de la lumière,
Des rayons de sa gloire éclaire sa carrière,
Les oiseaux ténébreux, secrètement unis,
Font éclore leurs œufs en d’invisibles nids :
Mais, vers ces nids cachés, à la faveur des ombres,
Sortant de tous côtés des humides décombres, —
Vengeurs inattendus, — glissent de froids serpents,
Qui dévorent les fruits de leurs accouplements ;
Et qui, jetant l’alarme au milieu des ténèbres,
Viennent saisir d’effroi ces légions funèbres !
Ainsi périt l’espoir des méchants assemblés,
Qui, par d’autres méchants dans leurs œuvres troublés,
Voient détruire l’effort de leur lâche infamie,
Et cesser l’union qu’ils croyaient affermie :
L’union est sans force où Dieu ne règne pas ;
Le vice est combattu par le crime ici-bas ;
Et quand sort de l’Enfer un esprit de désordre,
C’est par l’excès du mal que Dieu rétablit l’ordre !
 Les nations, ainsi que l’homme, dans le bien,
Ont pour les diriger un Ange Gardien !
En vain, l’Enfer s’émeut ; en vain, l’homme s’agite :
Chaque astre, avec éclat, roule dans son orbite ;
Et Dieu, qui peut calmer les flots de l’océan,
Des méchants dans le mal arrête aussi l’élan !
Rien n’arrive que Dieu ne le veuille ou permette ;
Notre marche, à son gré, s’accélère ou s’arrête ;
La tempête souvent nous pousse vers le port ;
La vie est dans la crise, où l’on croit voir la mort !

D’une main paternelle, aussi forte que douce,
Dieu nous guide et soutient, de secousse en secousse !

 Dieu seul est grand, seul bon, seul juste et tout-puissant ;
L’homme s’agite, et Dieu le mène en l’aveuglant !…
Pour ton bonheur futur et ta gloire, ô patrie,
Malgré le sombre orage, oui, j’espère et je prie !
Ce qui t’agite ainsi, ce qui fermente en toi,
C’est un espoir sublime, une héroïque foi !
Par toi s’accompliront les plus grandes conquêtes ;
Tu dois réaliser l’idéal des poètes ;
Oui, l’espoir de l’Église et de l’humanité
Repose en ton ardeur et ta virilité !
Malgré tes ennemis, et les guerres civiles,
Et les rugissements des populaces viles,
Et tout ce qu’en son cœur l’Hérésie a de fiel, —
Ta Patronne sur toi veille du haut du ciel ;
Sur toi veille Marie, Ô jeune République ;
Et ton sein, fécondé par l’amour catholique,
Produira des guerriers, des héros et des sainte,
L’élite des Croyants et des Républicains !
 Pour former sous ses yeux un Clergé digne d’elle,
Rome t’ouvre un Colège, et t’invite et t’appelle…
Réveille-toi, ma mère ; Amérique, il est temps ;
De tes plus saints foyers détache tes enfants ;
Qu’ils aillent s’abreuver à la source première,
Au Centre rayonnant d’amour et de lumière !
Oui, laisse-les partir, pour qu’avec plus d’éclat
Brillent ton Sacerdoce et ton Épiscopat ;
Pour que plus d’unité, de zèle apostolique,
Plus de ferveur céleste et d’amour ascétique,
Plus d’esprit de prière et de recueillement,
Au Dieu Crucifié t’attache fortement !
Pour qu’au milieu du bruit de l’Industrie active,
Tu puisses tolérer l’âme contemplative ;
Et qu’en ta fougue aveugle et tes bruyants progrès,
Tu laisses au désert vivre et prier en paix
Ces hommes inspirés qui, pareils à Moïse,
Pour servir la Patrie et pour servir l’Église,
Pour leurs frères aimés, inquiets combattants,
Offrent et leur prière et leurs pleurs pénitents !
Car, malgré la distance, et le temps, et l’espace,
Par un mystique aimant tout se lie et s’enlace ;
La prière enflammée, en s’élançant vers Dieu,
Ébranle dans son vol tous les globes de feu !
Chaque âme en oraison conduit un char d’Élie ;
Le ciel s’ouvre à la voix de celui qui supplie ;
Et chaque pleur d’amour, versé pour le pécheur,
Des foudres de justice éteint le feu vengeur !

Oui, Prier c’est Agir ; c’est agir en silence,
C’est agir en repos ; c’est, dans sa force immense,
Commander par l’amour aux légions du ciel ;
Avec l’arme du cœur, c’est vaincre l’Éternel !