L’Antoniade/Premier Âge/La Vertu angélique

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LA VERTU ANGÉLIQUE.

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ANTOINE CALYBITE.


 
Les vierges, dans le ciel, suivant partout l’Agneau,
Chanteront à sa gloire un cantique nouveau ;
Ils auront, parmi tous, l’insigne privilège
De servir à l’époux d’immaculé cortège.
 Du céleste Idéal le barde, humble de cœur,
Peut saisir par moments l’éternelle splendeur ;
Au cœur chaste et voilé Dieu se rend accessible,
Et sa beauté revêt une forme visible ;
L’Esprit-Saint dans ce cœur repose avec amour,
Comme au milieu des lys du mystique séjour. —
 Enthousiaste, ardent, fait pour les grandes choses,
Pour les saintes vertus, dans la foi seule écloses,
Ô poète, veux-tu qu’indépendant et fort,
Ton cœur, toujours tranquille, agisse sans effort ;
Des doux rayons d’en haut que ton front s’illumine,
Et qu’en ton sein jaillisse une source divine ;
Veux-tu, sur cette terre, être à l’Ange égalé ?
Oh ! garde le trésor de la virginité !
Seul, l’homme chaste est grand ; seul, il sent en son âme
Des régions d’en haut couler toute la flamme ;
Contre la volupté, seul, il est tout-puissant ;
La vie à flots sacrés circule dans son sang ;
Les héros et les saints, et ces vierges » poètes,
Que nous admirons tous sous le nom de prophète,
Les hommes de génie et les hommes de Dieu,
Tous les cœurs embrasés d’un séraphique feu,
Tous ont puisé leur force à ce foyer de vie :
Toi d’abord, Eve sainte, Angélique Marie ;
Toi, qui, dans ton amour, te consacrant par vœu,
Devais, en restant Vierge, enfanter l’Homme-Dieu ;
Qui, sans t’enorgueillir, Vierge et pourtant féconde,
Renfermas dans ton sein le Créateur du Monde ;
Et qui sentis, neuf mois, dans ce sein reposant,
Le Dieu toujours tranquille et toujours agissant !
Toi, que l’époux nomma la fontaine scellée,
Rose de Jéricho, doux lys de la vallée,
Vase d’élection éprouvé par le feu,
Urne pleine d’encens dans la maison « le Dieu,
Miroir éblouissant du ciel et de la terre,
Femme au-dessus de l’Ange, ineffable mystère : —

Dans tout ce qui reluit de beau, de gracieux,
Je vois un de tes traits, Vierge Reine des cieux
C’est toi l’arbre de vie, au jardin de l’Église ;
Et la source d’eau vive, à nos pères promise ;
Le mystique palais, que de ses propres mains
L’Éternelle Sagesse a, dans ses grands desseins,
Bâti pour contenir l’infinité du Verbe !
Temple de Salomon, tabernacle superbe,
Sanctuaire où devait reposer Dieu-fait-chair ;
Dieu vaincu par l’amour, et vainqueur de l’Enfer !
Ô toi, la Vierge Reine, et la Reine des vierges,
Dont l’autel est sans cesse illuminé de cierges ;
Dont l’autel est chargé de tributs et de fleurs ;
Mère du pur amour et Mère des douleurs ;
Arche toujours flottant sur les eaux du déluge ;
De tous les naufragés, ô maternel refuge ! —
 Et toi, Saint Jean, disciple, apôtre bien-aimé,
Quand ton front virginal, de lys tout parfumé,
Doucement s’inclina sur le sein de ton Maître, —
Oh ! quelle pure extase en toi tu sentis naître !
Qui peut dire, en ce jour, quels célestes torrents
De lumière et d’amour inondèrent tes sens ;
Quel voile s’entr’ouvrit, et quels divins mystères
Te furent révélés, ô toi, qu’entre tes frères,
Dieu choisit, comme un aigle au vol audacieux,
Pour expliquer son Verbe et mesurer les cieux ?
 Et vous, Saints d’Orient, saints de la Palestine,
Votre secret, ce fut la chasteté divine !
Si vous avez monté, tels que des Séraphins,
De soleil en soleil, jusqu’aux derniers confins
Des globes entraînés dans l’invisible espace ;
Loin des mondes créés, dont la figure passe,
Si votre âme, si forée et libre en son essor,
A pu se transformer sur un nouveau Thabor ;
Et, volant jusqu’au ciel à la suite d’un Ange,
Perdu le souvenir de la terre, où tout change ;
Jusqu’au séjour de Dieu, si vous avez monté, —
Oh ! dites, n’est-ce pas avec la chasteté ?
 Et vous, humbles beautés, lys éclos dans le temple ;
Vous, que du haut des cieux l’Ange même contemple ;
Qui, de tant de vertus embaumant chaque autel,
Avez toujours gardé l’huile sainte du ciel ;
Et qui, vivant ici de prière et d’extase,
Sans cesse avez veillé sur le fragile vase :
Dites-moi ? vous savez, épouses de Jésus,
Tout ce qu’une âme vierge exhale de vertus :
D’un Archange vainqueur vous avez l’attitude,
Et pour vous l’héroïsme est comme une habitude ;
À tout grand sacrifice, on vous voit tressaillir ;
De vos yeux inspirés le bien semble jaillir ;

Le mot de charité vous brûle et vous transporte :
Ah ! vous me rappelez la femme vraiment forte !
C’est que la chasteté, ce trésor des trésors,
Fait que l’âme s’embrase et s’élance au dehors ;
Qu’au-dessus des calculs d’un vulgaire égoïsme,
Elle suit un instinct d’angélique héroïsme ;
Que pour combattre et vaincre, elle est prête toujours ;
Et qu’elle a le secret des sublimes amours !
En perdant ce trésor, en cessant d’être chaste,
L’homme perd avec lui l’ardeur enthousiaste ;
Il n’a plus les élans du héros et du saint,
Et sur l’autel souillé le feu sacré s’éteint !…
Ah ! qui peut rendre au cœur l’innocence perdue ?
Lorsqu’à travers le corps l’âme s’est répandue,
Et qu’elle a dans les sens cherché la volupté, —
L’Ange qui la gardait au ciel est remonté !
En de terrestres mains la fleur se décolore,
Et du vase brisé le parfum s’évapore !
La tache du péché ne peut jamais passer ;
Dieu peut la pardonner, mais ne peut l’effacer ! —
Ô chasteté, gardant l’homme pur de la fange,
Tu rapproches de Dieu, tu rends semblable à l’Ange !
Noble enfant de l’Esprit, tu crains, ô chasteté,
Les ornements du corps, sa grâce et sa beauté ;
Du luxe et du repos humble et grave ennemie,
Jamais parmi les fleurs tu ne t’es endormie ;
Des terrestres attraits tu détournes les yeux,
Et tu marches voilée, en implorant les cieux !
Et tel est ton pouvoir, ton divin caractère,
Qu’on t’a voué partout un culte sur la terre ;
Les païens t’adorant, comme une Déité,
Pour couronner ton front, plein de mysticité,
Du frêle agnus-castus cueillaient la verte branche,
Et plaçaient à tes pieds une colombe blanche ;
Et tout grand criminel, sous ton aile abrité,
Trouvait grâce et rentrait dans la société !
 Mais qu’étaient près de vous, humbles vierges chrétiennes
Dans leur temple orgueilleux, les Déités païennes ;
La Sybille, régnant dans l’antre révéré ;
Les Vestales en chœur gardant le feu sacré ? —
 Ô chasteté, c’est toi, qui, domptant la matière,
En transformant le corps, le revêts de lumière !
C’est toi l’échelle d’or, l’aile du pur amour,
Par qui l’homme remonte au céleste séjour !
 Ô chasteté, trésor le plus grand sur la terre,
Lys caché dans notre âme et qu’un seul souffle altère,
Rose, dont le parfum se répand au-dehors,
Éclat intérieur, dont resplendit le corps ;
C’est par toi qu’à nos yeux l’Idéal se révèle ;
Que la lumière à flots sur notre front ruisselle

Qu’un doux rayon du Beau dans l’âme projeté,
De l’essence divine y verse la clarté ;
Et qu’en nous réfléchie, une image céleste,
Comme un astre éclatant, fait pâlir tout le reste !
La nature, l’Église et la tradition,
Chaque tribu sauvage et chaque nation,
En leurs accords divers chantant ton excellence,
Ont commis à tes soins les clés de la science !
 Venez donc, ô vous tous qui rêvez l’Idéal,
Qui désirez marcher dans un chemin royal ;
Ô vous tous, qui vivez d’émotions brûlantes ;
Qui poursuivez le bien, poitrines haletantes ;
Vous tous qui traversez tant d’arides déserts,
Cherchant la source vive et l’ombre des bois verts ;
Vous, qu’on voit, à travers des obstacles sans nombre,
De la réalité sans cesse embrasser l’ombre ;
Venez donc : Pour atteindre au but tant souhaité,
La radieuse voie, oh ! c’est la chasteté !
De l’homme chaste et saint, la vie est une extase ;
Je ne sais quelle ardeur le transperce et l’embrase ;
Pour lui, l’air est plus pur ; plus limpide est le ciel ;
Les parfums sont plus doux ; plus suave est le miel ;
L’univers rajeuni, devant lui, semble encore
Ce qu’il était le jour où Dieu le fit éclore ;
Maître de la matière, il parle en souverain ;
Les animaux soumis se courbent sous sa main ;
Immobile à ses pieds, le léopard repose ;
Et la douce colombe auprès de lui se pose ;
L’étoile dans l’azur, près des sources la fleur,
Tout sert de frais symbole à sa douce candeur ;
Le ciel semble pour lui descendre sur la terre,
Et l’Ange familier l’aime et lui parle en frère ;
À la brise qui passe et l’effleure en passant,
Chaque feuille a livré son arôme enivrant ;
L’oiseau garde pour lui sa plus pure harmonie,
La fontaine son eau que le ciel a bénie,
Le flot bleu de la mer, l’arbre de la forêt,
Tout tressaille pour lui d’un sympathique attrait ;
Toute chose créée, aussi bonne que belle,
Lui sert pour s’élever de merveilleuse échelle ;
De ce monde visible, aux contours radieux,
Attiré par l’amour, il monte jusqu’aux cieux ;
Et perdu dans les flots de l’Océan de vie,
Son cœur savoure en paix l’extase de Marie !
 Ô chasteté, qui peut te louer dignement ?
Le monde corrompu sourit, en te nommant ;
Et pourtant, n’es-tu point, parmi les vertus saintes,
Ce qu’est parmi les fleurs le lys dans nos enceintes,
Le soleil dans le ciel, l’or parmi les métaux,
La neige sur les monts, la perle au sein des eaux ?

N’es-tu pas, au milieu de rivales altières,
Ce qu’est le diamant parmi toutes les pierres ?
Humble enfin et cachée, humble en ta royauté,
N’es-tu pas au-dessus de l’Ange, ô chasteté ?
L’Ange est un pur esprit, libre de la matière ;
Mais l’homme a dans la chair son âme prisonnière.
L’Ange dans le triomphe au ciel est affermi ;
Mais l’homme ici combat contre un triple ennemi ;
Sans cesse il est tenté ; sans cesse par l’image
Son esprit abusé se voile d’un nuage ;
Par l’âme et par les corps, sans cesse il est tenté :
Et sans cesse il triomphe, en son humilité !…
Oh ! bienheureux celui qui prend Dieu pour partage,
Car son cœur a fait choix du plus saint héritage !
L’Évangile l’a dit : L’hymen n’est pas un mal ;
Mais l’hymen est moins sûr que l’état virginal !
Bénis tous ceux auxquels échoit le mariage ;
Mais plus heureux celui qui reçoit en partage
Ou le cloître ou l’autel, avec la liberté ;
L’hymen est moins heureux que la virginité ;
L’un touche à l’animal, l’autre ressemble à l’Ange ;
L’un, divisant son cœur, n’aime qu’avec mélange ;
L’autre, le possédant tout entier par l’esprit,
Sans voile, tout entier le donne à Jésus-Christ ! —
 Des droits de mon esprit en vain la chair jalouse
Voudrait ravir mon cœur à sa mystique épouse ;
L’instinct du vrai poète est de vivre à l’écart,
Et la part de Marie est la meilleure part ;
Le grand nombre toujours suit la loi du grand nombre ;
Tandis que Marthe agit, sa sœur contemple à l’ombre ;
L’une vit dans le trouble et dans le mouvement ;
L’autre, de sa cellule a fait un firmament.
 Des droits de mon esprit en vain la chair jalouse
Voudrait ravir mon cœur a sa mystique épouse. —
Oh ! bienheureux celui qui, seul et libre encor,
De la virginité garde le saint trésor ;
Et qui foulant aux pieds toutes fleurs de la terre,
Vers les cieux étoiles prend son vol solitaire :
Il tient le sceptre d’or auquel tout est soumis ;
Il a dans le désert les anges pour amis ;
Et la nature entière, à ses ordres docile,
Lui porte le tribut d’une moisson facile ;
Son ivresse est sans trouble et sa joie est sans fiel :
Et la terre pour lui semble déjà le ciel !
Brûlant d’un feu plus pur, il a plus de génie ;
Son âme, en ses élans, ouvre une aile infinie :
Et livrant à la chair de glorieux combats,
Ce qu’est l’Ange là haut, il l’est dès ici-bas ;
Il boit un miel divin dans un terrestre vase ;
Sans être dans le ciel, il en connaît l’extase :

Et son œil, éclairé par d’intimes clartés.
Contemple l’avenir dans ses obscurités ! —
 Des droits de mon esprit en vain la chair jalouse
Voudrait ravir mon cœur à sa mystique épouse !
D’un virginal hymen, qui ne peut s’accomplir,
Trompé par ma candeur, j’eus le calme désir ;
Dans ce monde, agité de passions chamelles,
Je crus pouvoir rêver des amours éternelles :
Sur ce rêve enfantin descendit un éclair,
Et l’éclair foudroyant purifia ma chair ; —
Je vis, à sa clarté, d’autres cieux m’apparaître ;
Un Ange me guida vers l’autel… Je suis prêtre !…
Ainsi que d’un linceul, de l’aube revêtu,
L’Esprit m’enveloppa de toute sa vertu ;
Et combattant pour Dieu, dans un monde de fange,
Je dois garder toujours la pureté de l’Ange !