L’Art de greffer/Greffage sous verre

La bibliothèque libre.
G. Masson Éditeur (p. 60-72).

V. — Greffage sous verre

[5.1]

préceptes généraux

Un certain nombre de végétaux doivent être multipliés à l’abri des intempéries, sous cloche, en bâche ou dans la serre. Tels sont les arbres et arbustes verts, les végétaux délicats ou rares, les nouveautés.

L’égalité dans l’état de végétation et dans le degré de température, la privation d’air au sujet greffé, — situation que l’on nomme étouffée — et l’absence des influences contraires facilitent singulièrement la soudure de la greffe.

Le sujet est un jeune plant que l’on met en pot à l’air libre, où il végète pendant une saison environ. On le rentre à l’abri lorsqu’il s’agit de le greffer. On rencontre cependant un certain nombre d’arbrisseaux qui peuvent être greffés lors de la mise en pot du sujet : les Houx, les Rhododendrons, les Biotas et la majorité des arbustes verts dont les racines se groupent volontiers pour former une motte.

Nous aurons également à signaler les circonstances où le plant servant de sujet reste à racines nues. Parfois aussi, il est greffé, dans cet état et rempoté après reprise de la greffe.

En outre du plant enraciné, le sujet pourrait être une racine munie de son collet ou un simple fragment radiculaire et souvent un rameau-bouture non raciné. Comme le plant complet, la racine-sujet pourrait être nue, ou mise en pot, et légèrement chauffée pour exciter son fluide séveux au moment du greffage.

Quant au mode de greffage, l’opérateur décide s’il appliquera la greffe en fente, dans l’aubier, en placage, à l’anglaise ou en incrustation. On opère sur une partie semi-ligneuse, au-dessous ou en face d’un œil. Si le sujet est à racine nue, la greffe en placage conviendra parce que le plant conserve des bourgeons appelle-sève. Avec un sujet élevé en pot, ou greffé sur tige, l’absence du bourgeon d’appel a moins d’inconvénients. Un sujet trop allongé ou effilé serait écimé de suite, à 0m,15 au-dessus de la greffe de côté.

Le greffon est généralement un petit rameau muni de deux ou trois yeux, déjà visibles, ses tissus étant demi-ligneux, demi-herbacés. S’il était d’espèce à feuillage persistant, on couperait les grandes feuilles à moitié, et on ne toucherait pas aux autres.

Avec les Conifères, la réussite est plus certaine lorsque le greffon a une longueur de 0m,10 à 0m,15, son œil terminal étant conservé.

Deux saisons conviennent au greffage sous verre : de janvier en mars, de juillet en septembre. Les espèces à feuilles caduques seront greffées assez tôt en juillet pour qu’elles puissent se souder avant l’automne, la feuille ayant été conservée au greffon, ou faiblement tronquée.

Les espèces à feuillage persistant seront greffées en août-septembre, ou de janvier en mars. La ligature de la greffe est laine ou raphia ; l’engluement n’a pas sa raison d’être.

La multiplication se fait à froid, sans le concours d’aucune chaleur forcée ; il suffira de l’abri concentré du verre. Quelques espèces, comme le Camellia et l’Azalée, peuvent être greffées plus tard et réclament un peu de chaleur à ce moment.

Pendant les grandes chaleurs, on badigeonne le vitrage (serres, châssis, cloches), extérieurement, avec de la couleur verte dite vert anglais, à la colle, additionnée de blanc d’Espagne, ou avec du blanc d’Espagne délayé dans de l’eau et du lait ou un peu d’huile. On pourrait l’ombrager encore avec des paillassons, des nattes, des toiles ou des claies en ramilles légères ou de bruyère. Ces accessoires, imprégnés de sulfate de cuivre, se détériorent moins vite et ne sont pas attaqués par les insectes et les rongeurs.

[5.1.1]Greffage sous cloche. — Ce procédé est le plus simple des greffages sous verre. Il n’exige aucune construction, des cloches en verre suffisent. Nous l’avons particulièrement remarqué à Orléans. Nos confrères en attribuent le succès à la nature du sable de la Loire.

Une bande de terrain sous forme de parallélogramme, vulgairement une planche, est composée de sable-gravier de rivière et supporte deux ou trois rangs de cloches ordinaires.

[fig33]

Fig. 33. — Plants greffés sous cloche.

En février-mars, ou en juillet-août, on greffe les sujets en pot et on les enterre par groupes, dans le sable, sous cloche (fig. 33). On enfonce le bord de la cloche dans le sable, de manière à étouffer littéralement les plantes qu’elle abrite. On la laisse ainsi pendant six semaines. À partir de ce moment, la reprise des greffes est assurée ; on commence à soulever les cloches insensiblement pendant huit jours, puis on les enlève tout à fait ; mais on ombragera encore les jeunes plantes avec des toiles ou des claies. Enfin on les aère totalement, avant de les livrer à la pleine terre, sauf les plantes des derniers greffages qui pourront hiverner sous verre. Il est bien entendu que les greffes livrées à la pleine terre seront étêtées à ce moment, si elles sont de côté.

Le greffage d’automne, sous cloche, réussit moins bien ou réclame plus de surveillance.

Pendant l’hiver, on garnit les rangs de cloches avec des feuilles sèches, et on les couvre de paillassons ; mais il est bien rare que les hivers rigoureux n’y laissent pas de traces fâcheuses.

La greffe en placage est moins employée sous la cloche en plein air parce que l’humidité, plus fréquente que dans la serre, nuirait à la soudure du placage.

[5.1.2]Greffage en bâche. — La bâche se compose d’un coffre tout bois, ciment, pierre ou maçonnerie, haut de 0m,60, dont moitié sous terre et l’autre moitié hors de terre. Si, par suite de la hauteur des sujets, on construit le coffre plus profond, on creusera davantage le sol ; la partie hors de terre restera la même.

La bâche supporte un châssis vitré ; par conséquent, on lui donnera une largeur égale à la largeur du châssis, soit environ 1m,33.

Les jointures des châssis entre eux ou avec la bâche seront capitonnées de mousse, afin d’empêcher la pénétration de l’air extérieur.

Au fond de la bâche, on étend un lit de sable, de tannée, de cendre de houille, épais de 0m,15 à 0m,20, pour y recevoir les sujets en pot dès qu’ils ont été greffés. Au-dessous, un peu de fumier frais et de terreau produira une légère chaleur de fond.

Sous bâche, le greffage est préférable en août pour les plants en godet ; le multiplicateur greffe les sujets dans son laboratoire, vers le mois d’août (de juillet en septembre), et les place aussitôt sous la bâche. Le greffage en février-mars est également convenable pour les sujets à racine nue ; on arrache des plants à la pépinière, on les greffe et on les repique aussitôt sous châssis, en pleine terre, sans les mettre en pot. Les plants greffés ont le pied recouvert de terreau et la tête près du vitrage.

La soudure de la greffe n’arrivant guère qu’après cinq ou six semaines de greffage, il faudra bien se garder d’aérer la bâche avant cette époque. Après, on soulèvera modérément le châssis avec une crémaillère, pendant quelques heures de la journée, lorsque la température sera chaude.

Si le soleil est ardent, il convient d’en amortir les effets sur les végétaux délicats en ombrageant par des claies, des nattes ou des toiles étendues sur le vitrage, ou par le badigeonnage des châssis. Mais pendant les premières semaines, on couvrira les châssis avec des paillassons ; c’est un moyen de produire l’étouffée sous la bâche, condition essentielle de succès. Souvent, on provoque l’étouffée par l’introduction sous la bâche et sur les greffes d’un second vitrage ou d’une cloche.

[fig34]

Fig. 34. — Emploi des paillassons sur les greffages sous verre.

La figure 34 représente des lignes de bâches, de châssis, de cloches avec l’abri du paillasson. Au premier plan est installé le métier à fabriquer les paillassons.

[5.1.3]Greffage dans la serre. — La serre à multiplication dont nous figurons ici le modèle (fig. 35) est d’une construction assez simple.

Elle est enfoncée de 0m,50 à 1 mètre dans le sol ; un lit de 0m,10 de sable et de débris de charbon de terre en assainit le fond. Le mur d’enceinte a 0m,40 d’épaisseur ; la hauteur intérieure de la serre est de 2 mètres, et la longueur des châssis vitrés formant le double toit est de 1m,33.

[fig35]

Fig. 35. — Serre à multiplication.

Deux bâches intérieures de 0m,90 de large, séparées par le chemin de service de 0m,70, sont destinées à recevoir les sujets, aussitôt greffés.

Ces bâches sont remplies de tannée, de sable, de cendre de houille ou de terre. Ayant ainsi la place pour deux bâches, on pourrait remplacer l’une d’elles par une tablette ; on utiliserait le dessous de cette tablette en y logeant les sujets en pot déjà prêts à recevoir la greffe.

La bâche, pouvant aider à l’éducation de jeunes sujets ou à faire réussir des plants soumis à la greffe-bouture et à quelques opérations d’hiver, aurait alors le fond garni par une couche de fumier frais mélangé de feuilles d’arbres et de terreau.

Les sujets étant greffés dehors ou dans la serre, on les groupe, aussitôt greffés, sur la bâche ou sur la tablette, autant que possible par espèces semblables ou analogues. On les recouvre d’une cloche (fig. 33) qui les tiendra à l’étouffée tant que l’agglutination ne sera pas définitive.

Tous les cinq à six jours, on essuie la buée condensée sur la paroi intérieure de la cloche de verre, et on a soin de replacer cette cloche de façon que les groupes de sujets soient enfermés hermétiquement. La conservation de la buée serait moins pernicieuse que l’oubli de recouvrir et d’étouffer les greffes.

Pendant les grandes chaleurs, on peut ombrager les cloches avec une feuille de papier gris ou badigeonner extérieurement le vitrage de la serre. Les Conifères, plus robustes que les arbustes à feuillage persistant, réclament les mêmes précautions quand la chaleur extérieure est forte et la greffe non encore soudée.

Dès que la soudure de la greffe est complète, ce qui arrive après six à huit semaines d’étouffée, on enlève la cloche et on laisse pendant trois ou quatre semaines le sujet greffé, dégagé de cet abri, et restant encore sous le vitrage de la serre. Si l’on a besoin de l’emplacement, on peut transporter immédiatement les plantes dans une bâche, sous châssis ; plus tard, elles seront livrées à l’air libre.

Dans la multiplication faite en serre, à défaut d’une cloche-abri de la première période, on peut placer les plants greffés, enterrés dans la bâche de la serre, côte à côte, inclinés obliquement et recouverts d’une feuille de verre dont les jointures seront couvertes de sable pour produire l’étouffée. Quand la greffe sera soudée, on portera les plantes sous verre, dans une bâche, en attendant leur mise en pleine terre.

[5.1.4]Soins après le greffage sous verre. — Après le greffage, les sujets sont restés environ six semaines à l’étouffée ; dès que l’agglutination en a été constatée, on les a maintenus sous verre en aérant modérément sous la bâche, ou en les dégageant graduellement de la cloche.

Si le greffage a été pratiqué à l’automne, on laissera sous bâche les plants qui s’y trouvent greffés, et l’on mettra également sous bâche vitrée ceux qui ont été opérés dans la serre. Ils y passeront l’hiver. Une fois le printemps venu, on soulèvera le châssis dans la journée ; de mars en mai, on transportera les plantes en plein air, mais au nord d’une construction ou d’un rideau d’arbres verts. Si, au contraire, le greffage a été fait au printemps, on sortira, vers le mois de mai, les plants greffés sous cloche ou sous bâche vitrée, et déjà habitués à l’air, pour les porter à l’ombre des abris.

Quant aux sujets greffés en serre, ils viendront séjourner pendant un mois sous châssis ; au moment des fortes chaleurs, on ombragera dans la journée et on découvrira la nuit, puis on transportera les plantes à l’ombre avant de les soumettre à l’air libre. Les espèces délicates hiverneront sous châssis froid ou en bâche recouverte, pendant les grandes gelées, de volets pleins en bois sulfaté auxquels on adjoindra, si besoin est, une épaisse couche de feuilles.

[5.1.5]Dans les pépinières, l’abri se compose d’une ligne d’arbres verts à feuillage compact soumis à la tonte (fig. 36), généralement en Thuia de Chine (Biota orientalis), souvent en Thuia du Canada (Thuia occidentalis), et dirigée de l’est à l’ouest ; sa façade plein nord sera le plus utile. Les arbres verts sont plantés à 0m,60. On peut établir plusieurs abris par des rangs parallèles espacés de 2 mètres au moins, en supposant que les sujets soient étêtés à 2 mètres de hauteur. Des rideaux plus élevés devraient être distancés en conséquence, évitant ainsi d’occasionner une trop grande privation d’air. Avant de planter les arbustes auprès des abris, on les change de pot en les plaçant dans un vase plus grand.

On les enterre au pied des abris, par lignes groupées formant plate-bande adossée à l’abri (fig. 36) ou encadrée d’un sentier. Les plantes y resteront pendant une année ou deux, dans les mêmes pots ; elles seront remportées lors du remaniement de la planche ou plate-bande. Suivant leur nature, on pourrait continuer à les placer auprès des abris, ou à les livrer à la pleine terre, ou bien à les soumettre à l’intermédiaire de l’ombrelle ou écran.

[fig36]

Fig. 36. — Abris pour l’éducation à l’air libre des plants greffés sous verre.

L’ombrelle est une ligne d’arbres à feuilles caduques plantés dans les conditions indiquées aux arbres verts des abris. Le Charme, le Hêtre, le Cornouiller, le Tamarix, le Tilleul et même le Peuplier d’Italie, le Poirier avec branches taillées en rideau, conviennent à cette destination. Les arbustes greffés sont plantés en pot, en motte ou à racine nue, par planche adossée à l’ombrelle ou dressée entre deux ombrelles.

Chaque fois que l’on change les arbustes de place, en pleine terre ou en vase, on entoure la racine d’un compost plus substantiel, se rapprochant davantage de la terre qui leur sera donnée en dernier lieu ou qui convient à leur nature. Les terres de bruyère mélangées de sable d’alluvion sont réservées au premier âge. Les végétaux ligneux préfèrent une nourriture substantielle aux engrais fermentescibles ou de courte durée.

Les poteries ouvertes sur le côté par quelques rainures longitudinales sont propres à l’élevage des arbres et des arbustes en pot.

Les arbustes greffés sous verre ont ainsi accompli les phases d’acclimatement qui les ont amenés à la culture à l’air libre, en pleine terre. Désormais, ils rentrent dans la loi commune.