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L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/06

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DU DANGER D’AVOIR DEUX HOMMES
DANS SA VIE

Il y a des femmes qui ont un mari et un amant à la fois, d’autres qui ont un mari et deux amants, d’autres qui n’ont pas de mari et plusieurs amants, d’autres enfin, plus rares, mais infiniment plus favorisées, qui n’ont qu’un seul homme dans leur vie.

La femme doit tendre sans cesse à l’unité, pour ne pas se condamner à vivre entre deux dangers toujours renouvelés.

Tyrannie de l’amour, qui dira tes devoirs terribles ?

C’est vrai, vous aimez passionnément votre amant, mais votre mari ne vous est pas subitement devenu odieux. Il continue à connaître vos goûts ; s’il apporte des gâteaux pour le thé, ce sont bien ceux que vous aimez, et s’il vous mord l’oreille à une certaine minute, c’est qu’il sait bien que vous chérissez cette douleur.

Une puissante habitude peut vous lier à lui par mille chaînes indissolubles. Le seul fait de pouvoir se rappeler ensemble une bonne qui était ivrogne, une parente qui était insupportable, en la nommant, même sans en parler, crée un rapprochement affectueux.

Malgré tout, pendant plusieurs années, on s’est déshabillé ensemble, et cela a donné à l’heure du soir une formidable aisance. L’harmonie des sens s’est établie. Le seul regard de l’un fait savoir à l’autre qu’il est désiré. On a le droit de dire :

— Non, tais-toi, pas aujourd’hui.

On n’aime plus avec son cœur, on n’aime plus avec son goût de la nouveauté, mais il y a pourtant une sensation que l’on retrouve, que l’on obtient à coup sûr, parce que le mari auquel on la demande sait la donner. Et c’est beaucoup d’avoir la certitude de ce plaisir, même sans véritable amour.

Mais il ne s’agit pas un instant de faire comprendre cela à son amant. Il faut, hélas ! lui jurer qu’on n’a jamais aimé son mari, qu’on n’a plus aucune affection pour lui, même qu’on le hait d’une haine terrible. Des considérations de famille, d’enfants, vous retiennent seules auprès de lui. On ajoute que ce mari bizarre ne vous embrasse jamais, même le bout des doigts. L’on dort auprès de lui, dans une longue chemise fermée et sans le moindre effleurement. Il est à remarquer, du reste, que, malgré l’invraisemblance de cette affirmation, l’amant le moins crédule accueille vos paroles et les croit rapidement, tant on est vite persuadé de ce qu’on désire.

Il demandera quand a commencé cet état de choses. Il faut défaillir alors dans ses bras, cacher sa tête sur son épaule et dire qu’on ne se souvient plus de rien. Il croira encore à cette étonnante perte de mémoire.

Pour appuyer ses discours, il faudra se laisser découvrir, caresse par caresse. L’homme a le goût de l’initiation. Il doit croire qu’il nous révèle tout ce que nous savons depuis longtemps. On s’étonnera donc, on se choquera, on s’émerveillera tour à tour de certaines audaces ; on n’en aura soi-même que prudemment, par degrés.

Il faudra amener pourtant son amant aux choses que l’on préfère, mais avec assez d’habileté pour qu’il ne se doute pas de votre connaissance déjà parfaite de l’amour.

Il est élémentaire qu’il faut le moins possible prononcer des noms dans l’amour. Il y a des minutes où notre conscience disparaît et où nous nous en allons éperdument sur le chemin de la volupté. La cause du plaisir est anéantie. Il importe peu, durant quelques secondes, que ce soit Jean et non Jacques qui soit la cause de ce plaisir.

Mais Jacques attache un prix inestimable à ce que ce soit bien lui en personne.

Évitons donc une désastreuse erreur.

Quand on a un amant, on sort davantage.

On est en retard plus souvent.

On consacre moins de temps à l’ordonnance de sa maison.

On se tire de cela en prétextant plus de réunions mondaines, des leçons de dessin, de chant, ou l’étude du cuir repoussé.

Il y a toujours une amie à demi complice qui vous écrit au bon moment.

Mais quand on a un amant, on rentre souvent, le soir, les reins brisés, tout le corps meurtri, avec l’envie éperdue de s’étendre et de dormir.

Votre mari est justement revenu plus tôt et il a réfléchi, dans la voiture qui le ramenait, à son bonheur de posséder une femme fidèle, tendre et voluptueuse.

Il s’est promis une soirée d’amour, il vous attend impatiemment ; le repas est servi ; il a fait ajouter une bouteille de champagne.

Il faut, en arrivant, donner ses lèvres avec la terreur qu’elles aient gardé un parfum coupable ; il faut dîner joyeusement, vaincre le sommeil et le dégoût qu’amène la satiété.

Il faut participer à cette fête des sens et anéantir les soupçons possibles par des manifestations de plaisir passionnées et nombreuses.

Il est vrai que le plaisir que l’on donne est d’autant plus grand que l’on simule le sien propre ; il est vrai que, désintéressée pour soi-même, on a toute facilité pour combler le mari avide d’amour et faire des simulacres qui satisfont pleinement sa vanité.

Ces simulacres peuvent être exagérés. Ils ne le sont jamais trop. Des gestes désordonnés, des cris éperdus sont jugés vraisemblables.

Du reste, une femme douée d’une grande imagination peut fermer les yeux et croire, à l’instant où elle est traversée par la sensation physique de l’amour, que cette sensation lui vient de son amant et non de son mari. Aidée par un généreux tempérament, elle retrouvera peut-être un reste de bonheur. Mais une grande amertume est dans ce double mensonge. On est toujours seule.

On ne se donne jamais complètement et il ne peut y avoir un bonheur véritable qu’accompagne le sentiment de la solitude.