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L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/07

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DES POSITIONS LES PLUS FAVORABLES
À PRENDRE POUR S’ENDORMIR

Par une loi mystérieuse et injuste, la stupidité et les mauvais sentiments d’une femme, quand celle-ci en est dotée, se reflètent avec une exactitude impitoyable sur son visage, dès qu’elle est endormie.

Le masque conventionnel qu’elle avait placé sur ses traits s’évanouit, ses yeux ne peuvent plus la défendre, sa bouche s’entr’ouvre d’une façon inesthétique et un souffle trop bruyant s’en échappe. C’est là une cruelle trahison du sommeil. Au contraire, les qualités intellectuelles, la délicatesse de cœur n’apparaissent pas quand les yeux sont fermés.

Il faut donc, avant de s’endormir, ordonner avec sa volonté à son visage d’être au moins neutre par son expression.

Le même mouvement de la volonté pourra peut-être préserver du ronflement.

Mon amie Annie me dit qu’elle ne peut dormir que lorsqu’elle ne sent plus sur elle le moindre effleurement du corps voisin et elle m’affirme que depuis son mariage il ne s’est pas passé une nuit où elle n’ait imposé à son mari, au moment du sommeil, de s’écarter d’elle et de laisser un petit espace entre son corps et le sien.

— Et je lui tourne le dos, ajoute-t-elle, afin de donner plus d’irrévocabilité à ma décision.

Je lui ai demandé comment elle ferait si elle avait à passer une nuit entière avec son amant, et elle m’a répondu que le cas ne s’était pas encore présenté, mais que, si elle désirait dormir, elle se conduirait exactement de même.

Ce procédé est peu charmant, il est évidemment impossible de s’endormir, étroitement enlacée à celui qu’on aime. Cette position n’incline pas au sommeil. Elle donnera même un désir de veille à votre compagnon et peut-être à vous-même. Si à cause de la fatigue on s’endort cependant, on se réveillera rapidement avec une courbature au bras ou à l’épaule qui vous fera vous séparer de fort mauvaise humeur.

Il faut prendre son parti d’une séparation partielle et en atténuer la rigueur, dans le cas où l’on a un époux ou un amant trop tendre, par une pression de main, un dernier baiser plein d’affection.

On met dans cette caresse comme un regret, le sentiment que la puissance du sommeil est une fatalité d’un caractère plutôt douloureux, puisqu’elle interrompt les manifestations de l’amour.

Il y a des femmes qui poussent des cris pendant leur sommeil, il y en a qui disent des phrases, il y en a qui prononcent des noms. Or tout ce que l’on dit en dormant prend, à tort ou à raison, un caractère prophétique, presque surnaturel.

Si l’on s’est écrié : « Georges ! mon chéri ! » comment persuader à Henri, qui est couché auprès de vous, que Georges ne joue dans votre vie aucun rôle important ?

Si l’on a cette sorte d’infirmité, il faudra avoir la précaution de prévenir à l’avance, et en riant, que toutes les paroles que l’on prononce dans le sommeil sont d’une folle incohérence et, par un curieux phénomène, ont toujours trait à des choses absolument extérieures à ce qui vous occupe.

Le sommeil termine les discussions, adoucit les âmes, rend l’éclat au teint ; il console et il embellit. C’est le doux auxiliaire de l’amour. Aussi, quand on est près de ceux qu’on aime, il convient de s’endormir fraternellement.

Il faut aimer bien peu pour adopter la manière qu’indique Annie, mais il faut aimer beaucoup pour dormir sans chemise.