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L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/10

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Une femme curieuse (alias )

IMPORTANCE DES MAINS

Marinette est une toute petite personne aux yeux angéliques. On dit d’elle qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Ce serait une grande imprudence, car moi, qui ai entendu quelquefois ses confessions, j’ai été émerveillée par tout ce que cette enfant, aux airs candides, possédait de perversité naturelle, de dépravation aisée et ingénue.

Marinette a les plus jolies mains que je connaisse, des mains vivantes, longues, fines et d’une blancheur éclatante, où les veines mettent parfois de fines nuances bleues.

Elle vint me voir, l’autre jour, et, comme d’ordinaire, elle se coucha à demi sur mon divan, prit une cigarette, et nous causâmes.

J’éprouve une volupté physique très grande à tenir ses mains dans les miennes, à les caresser, à en admirer la souplesse et le velouté. Comme je lui redisais encore combien je les aimais, elle me répondit :

« Les femmes, une catégorie de femmes tout au moins, ne valent que par leurs mains. La main a la même importance que le regard, dont il dépend directement. C’est elle qui fait signe, qui donne, qui reçoit. Toute petite, j’eus la connaissance, en recevant une gifle de ma mère, combien la main était un moyen d’expression rapide et décisif. Je vis bientôt que toutes les actions de la vie s’accomplissent par la main et que, dans l’amour, c’est la main qui a toute l’initiative.

« Je juge les hommes d’après leur main. Une main qui n’est pas soignée est celle d’un homme vulgaire ou d’un intellectuel.

« Une main qui se tend et dont les doigts restent un peu repliés à l’intérieur de la paume est celle d’un homme défiant, auquel il ne faut mentir que prudemment et avec la certitude que tout mensonge sera passé au crible d’un sévère examen.

« Les doigts dont la dernière phalange s’ouvre légèrement à l’extérieur dénotent une nature généreuse, même prodigue.

« La main courte, grasse et molle est celle d’un lunatique, d’un bizarre fantaisiste, soumis à son propre caprice, et s’il vous dit qu’il vous aime un soir, il pourra avoir oublié votre nom le lendemain.

« La main humide est celle d’un traître ou d’un malchanceux, la main osseuse est celle d’un ennuyeux philosophe ; on recevra des coups de quelqu’un qui a des pouces durs et des doigts presque égaux et celui qui aura un petit doigt ridiculement court sera tellement peu pratique qu’il jouera toute sa vie le rôle de dupe.

« On pourra goûter les plaisirs de la conversation, de l’esprit, de la poésie avec le possesseur d’une jolie main aux doigts effilés. Mais il ne faudra guère en attendre de qualités sensuelles. Une main mobile, nerveuse, pas trop bien faite, avec des doigts légèrement carrés à l’extrémité, voilà, chère amie, ce qui fait bien augurer d’un homme auquel on compte demander tout autant la volupté que l’intelligence.

« Croyez bien que nous troublons les hommes plus par nos mains que par nos lèvres. Quand ils nous prennent dans leurs bras et qu’ils attendent de nous une manifestation de sympathie, quelque chose qui soit comme le sceau de notre consentement, bien mieux que notre tête renversée sur leur épaule, que notre bouche offerte, ils goûteront le geste audacieux de notre main, même s’il n’est encore qu’une craintive indication. Et un peu plus tard, comment triompherons-nous d’eux plus aisément que par l’entremise de cette blanche alliée, tour à tour tendre et violente, électrique, passionnée, et qui, lumineuse dans la demi-obscurité, parée d’une seule pierre précieuse à l’annulaire, fera rayonner d’elle comme des courants de plaisir. »

Marinette se tut.

Sa main était plus chaude et plus frémissante dans la mienne. Elle me serrait maintenant les doigts à me faire mal. Ses yeux étaient troubles ; ils avaient perdu toute leur ingénuité.

Je fis un effort. Je desserrai doucement son étreinte et j’allai ouvrir la fenêtre.