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L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/24

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Une femme curieuse (alias )

PRESTIGE DES ARTS

Toutes les femmes qui aiment sont artistes par un coin de leur sensibilité. Mais toutes ne sont pas assez habiles pour exploiter ce filon de leur nature.

La plupart ignorent cette richesse qu’elles ont en elles-mêmes avec leur spontanéité, leur amour naturel de la beauté, leurs qualités d’adaptation aux choses. Elles n’en tirent pas parti, soit à cause de leur éducation bourgeoise, soit par timidité, soit surtout par manque de confiance en soi.

Elles ne savent pas l’étonnant prestige qu’a une femme qui se dit artiste. Même si cet art ne se manifeste par aucune forme sensible, mais seulement par une originalité de coiffure, de costume, ou par le pittoresque de la conversation, il suffit à frapper vivement l’esprit des hommes.

Les femmes devraient apporter une grande prudence dans les jugements sévères qu’elles émettent si fréquemment, et sans en mesurer la portée, au sujet des actrices.

C’est un préjugé barbare de croire que le milieu du théâtre est recruté dans les couches inférieures de la société. En réalité, il est le refuge de toutes les indépendantes, de toute une catégorie de déclassées appartenant à tous les mondes, et il renferme tout de même une pure élite d’âmes sincères.

Quel que soit le résultat d’art atteint, on ignore trop dans le monde la somme d’effort que représente ce résultat même minime.

— Madame est servie…, dit Mlle X… à l’Odéon.

Son rôle ne comporte que ces trois mots et le spectateur ignorant sourit de pitié s’il arrête un instant sa pensée sur le rôle de Mlle X…

Et pourtant… que d’efforts cela représente ! que d’angoisses ! que d’espérances aussi vite déçues que formées ! Que de démarches, que de sacrifices !

Mais cette peine n’est pas inutile. Le spectateur ignorant a beau sourire, si le hasard lui fait faire connaissance de Mlle X…, il sera flatté et quand il parlera d’elle à ses amis, il dira qu’elle a un immense avenir devant elle.

La femme qui fait quelques croquis, qui a un atelier, se pare de toutes les merveilles de la vie artistique, et celle qui joue de la harpe est censée avoir dans son cœur un sublime idéal de rêve musical.

La femme subit de la part des hommes assez de prestiges dérisoires. L’officier de cavalerie, l’attaché d’ambassade, le député font miroiter à ses yeux la gloire mystérieuse et inaccessible de porter un sabre, de fréquenter les rois, de dominer des assemblées tumultueuses. Pour répondre à ces tromperies brillantes, qu’elle se serve sans scrupule du beau mirage de l’art.