L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/32

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Une femme curieuse (alias )
Le viol (1910)

LE VIOL

Les fleurs parfument, la musique joue, des jeunes filles valsent, le décor est élégant et, dans un coin, une idylle naît.

Les plus belles choses sont évoquées, les plus beaux rêves sont échangés. L’idylle devient de l’amour, mais un amour encore chaste qui ne dépasse pas un baiser sur la main, au plus sur les yeux. Il n’est pas encore question d’étreinte. L’imagination n’a pas encore dressé les images voluptueuses qui font désirer et souffrir. Il y a devant les amants un beau chemin où ils vont échanger des pensées communes, les mains unies, les regards mêlés, enivrés du bonheur d’être ensemble.

Mais, un jour, il arrive une heure de solitude, dans un cadre donné, dans une atmosphère spéciale, et cette heure à laquelle on n’avait pas songé devient l’heure décisive.

Cela peut être dans le salon de la femme, après une énervante réception de gens indifférents, quand l’amant, après une longue attente, au bruit des tasses de thé et des papotages insignifiants, arrive enfin à la minute où il retrouve sa maîtresse seule à seul.

Cela peut être dans un parc, à cinq heures, un jour où les nuages sont bas, où de l’électricité flotte dans l’air, et où les premières gouttes d’une pluie d’orage forcent les amants à s’abriter tout près l’un de l’autre dans un fourré.

Cela peut être au cours d’une longue promenade en automobile, dans la chambre d’auberge où ils sont allés se laver les mains et où ils se sont arrêtés, surpris par l’odeur du fourrage et de linge lavé.

Mais, où que ce soit, les gestes sont les mêmes, la cause ne diffère guère.

Brusquement, l’homme a précisé le contour charnel d’une hanche, une jambe s’est modelée entièrement sous l’étoffe légère de la robe, un parfum de peau plus violent s’est dégagé du corsage. Des semaines de cour sentimentale sont abolies, la tendresse avec son respect et son charme s’est évanouie, une poussée inattendue de l’instinct enlève toute conscience à l’amant.

Sur le canapé du salon, sur l’herbe du parc, ou sur le lit grossier de la chambre d’auberge, il a couché sa maîtresse, les yeux fixes, audacieux, brutal.

Elle, effrayée de la distance si rapidement franchie, prie et résiste.

Un entêtement obscur est dans le cerveau de l’homme. La satisfaction de son désir est la seule action possible. Il risquera tout, même l’avenir de l’amour auquel il tient tant, pour triompher. Il broiera avec fureur les poignets délicats, naguère si tendrement baisés, il déchirera sans remords le linge, il perdra pour lui-même toute pudeur.

S’il est aimé, la femme cédera à la fin, lui laissant croire peut-être que c’est à la force qu’il doit sa victoire. Et il aura alors quelques secondes d’une incomparable volupté, qu’il fera vraisemblablement partager à sa maîtresse. Dans ce cas, ils se feront grâce aisément l’un et l’autre, des confusions, des larmes, des reproches, des remords. L’entente physique qu’ils auront découverte par la brusquerie de l’action leur fera entrevoir les bonheurs prochains et calmera leur conscience.

Si, au contraire, la femme n’est pas assez éprise pour cette épreuve du feu, si, aidée par les complications de ses dessous et par sa ferme volonté, elle a résisté aux entreprises brutales de son amant assez longtemps pour que celui-ci se lasse, leur amour aura subi une grave diminution, si même ce n’est pas une mort irréparable.

Le viol est méconnu. Il est la forme la plus simple de la spontanéité amoureuse. Il est le signe de la sincérité et du désir. Je parle, bien entendu, du cas où une femme est certaine d’être aimée passionnément. Il est la base d’un amour sensuel durable. Il crée chez la femme un trouble qui ne périra pas. Il évite les désillusions du double consentement et jette tout de suite les amants en pleine volupté.

Ô femmes qui aimez et qui n’avez encore presque rien accordé à celui que vous aimez, ne souhaitez-vous pas toutes, dans le secret de votre âme, l’action qui vous délivrera de mille hypocrisies, de mille réticences et vous donnera la certitude de l’amour ?