L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/33

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LES HOMMES QUI AIMENT LES BONNES

La difficulté passe pour être un des excitants de l’amour. Beaucoup de femmes se refusent, non parce qu’elles ne veulent pas se donner, mais parce qu’elles pensent avoir un inestimable prix par ce refus et augmenter le désir que l’homme a d’elles.

Mais cette difficulté arrête toute une catégorie de timides. Ils considèrent la femme difficile comme inaccessible. Elle les effraye avec la vision imprécise de son linge élégant, avec la crainte que le leur sera insuffisant.

Ils ont l’appréhension d’être à la minute importante au-dessous d’eux-mêmes et d’être punis par une ironie sans recours.

Parmi ces timides se rangent tous les hommes, infiniment nombreux, qui aiment les bonnes.

La bonne a, au point de vue de l’amour, le mérite d’être celle qui obéit. On suppose qu’elle apportera dans les caresses la même servilité que dans les actes de la vie. Comme on lui a dit :

— Brossez mon veston,

On lui dira avec la même aisance :

— Je vous aime. Et cela sans risquer un refus désobligeant pour l’amour-propre.

Les premières tentatives sont facilitées beaucoup par l’apport du petit déjeuner, le matin, au lit.

Comme dans l’antiquité, l’esclave apporte la nourriture et l’amour. Il ne faut pas énormément d’initiative pour être audacieux, et, puisque l’un des partenaires sur les deux est couché, la moitié du chemin est accomplie avant d’avoir fait le moindre geste.

Ensuite, il y a chez l’homme, dans ce qu’on appelle les amours ancillaires, le travail de l’instinct, le retour des premières amours qui tendent à revenir sous leur forme primitive.

Presque tous les jeunes gens reçoivent les premières caresses des femmes de chambre de leur mère. Les femmes de chambre sont les premières femmes faciles qu’ils rencontrent. Elles sont autour d’eux, elles assistent à l’éveil de leur désir, ce sont elles qui le déterminent.

Une habitude se crée vite. Qu’un jeune homme ait quelques déconvenues successives avec des femmes d’une autre condition, que son physique ou son caractère soit la cause chez lui d’une excessive réserve et il reviendra vite à la maîtresse domestique, que sa situation empêche d’être fuyante comme les autres femmes, puisqu’elle ne quitte pas l’appartement, cruelle, puisque sa servitude l’oblige à céder, impolie, puisque la civilité est la première qualité exigée d’une bonne.

Il est amer de songer que celle à qui nous donnons nos bottines usées, le corset dont nous ne voulons plus, qui vide les eaux de notre toilette, aide la cuisinière à peler les oignons, à laver la vaisselle, est pour nous une rivale, a partagé de chers baisers, entendu les mêmes paroles d’amour que nous.

Et il ne faut pas s’abuser et se croire hors de danger si nous avons une bonne dont la laideur et le manque de soins sont indiscutables. Car l’amour du vulgaire, un incroyable amour de ce qui est humble et grossier est dans le cœur de tous les hommes, même les plus délicats.