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L’Aryen, son rôle social/01

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CHAPITRE PREMIER


DÉFINITION DE L’ARYEN


Homo Europæus. — Ce livre est la monographie de l’Homo Europæus, c’est-à-dire de la variété à laquelle on a donné les noms divers de race dolichocéphale blonde, kymrique, galatique, germanique et aryenne. Je la désignerai d’ordinaire par son nom scientifique, celui que lui a donné Linné. J’estime, en effet, que dans un ouvrage scientifique consacré à une forme de Homo, il convient de ne pas plus s’écarter de la nomenclature zoologique que s’il s’agissait de Felis, Corvus ou Ammonites. C’est le moyen le plus sûr de rappeler incessamment au lecteur que l’être dont il question n’est pas un animal à part, mais qu’il rentre dans le systéme général de la nature et subit l’application des lois communes de la biologie. Trop souvent on parle de l’homme, même dans les ouvrages sérieux, comme d’une créature particulière, à côté, peut-être au-dessus des lois. C’est un travers contre lequel il convient de réagir. L’arbitraire dans les choses humaines n’existe que pour l’imagination des mystiques, et la science politique darwinienne, l’anthroposociologie, s’efforce précisément de substituer des notions concrétes aux conceptions métaphysiques ou mystiques de la sociologie des philosophes.

Si j’ai écrit-en tête de l’ouvrage le nom d’Aryen, c’est parce que le public instruit, dont l’éducation est surtout littéraire, ne sait point trop ce que veut dire le terme H. Europæus. Depuis que j’ai remis en vigueur cette dénomination linnéenne, de nombreux écrivains, Ammon, Wilser, Muffang, Fouillée, Closson, Ujfalvy, Ripley, beaucoup d’autres encore l’ont vulgarisée en Europe et en Amérique, mais elle n’est pas encore assez connue bien que les journaux quotidiens commencent à l’employer. J’ai donc été obligé de choisir entre les divers noms les plus connus : Kymri, Germain, Aryen. Le premier qui veut dire compatriotes[1] ne date que du Moyen-Age et n’a aucun rapport avec le nom des Cimmériens ou des Cimbres. Il n’a jamais désigné que des tribus galloises. Le second n’a jamais été accepté pour dénomination de la race entiére. Je me suis arrété au dernier, parce que depuis vingt ans il paraît l’emporter dans la pratique, et parce que les philologues lui ont donné une étendue générale aujourd’hui connue de tous.

Je ne crois pas cependant qu’il soit bien meilleur. Il suffit pour s’en rendre compte de faire l’historique de ce mot.

Dans les livres sacrés de l’Inde et de la Perse, le mot Arya désigne le peuple indivis duquel sont descendus les Iraniens et les Hindous. D’Arya, les philologues ont dérivé aryen, pour qualifier le groupe linguistique et la civilisation particulière des peuples de ce rameau ethnique. On est ensuite arrivé à regarder toutes les langues indo-européennes comme dérivées d’un aryen plus primitif, parlé dans la région bactrienne, et tous les peuples indo-européens comme dérivés d’un même peuple aryen, dont les essaims auraient peuplé toute l’Europe et une partie de l’Asie.

Dans cette conception qui a régné jusqu’à la fin de ce siècle, il y a beaucoup plus d’erreurs que de vérités. Le groupe indo-iranien n’est pas le plus ancien et le plus rapproché de la souche des langues indo-européennes, les peuples indo-européens ne sont pas sortis de l’Asie centrale, et les éléments qui les composent sont d’origine très diverse, sans autres liens que des communautés de langues et d’institutions.

Dans ces conditions choisir pour désigner l’ensemble des langues et des institutions primitives des peuples indo-européens le nom du rameau aryen n’était pas précisément une idée heureuse. C’est à peu près comme si dans un avenir très lointain, où le souvenir de notre histoire serait perdu, des philologues et des ethnographes voulaient appeler Tasmaniens les Anglo-Saxons, dont ils auraient trouvé d’abord en Tasmanie des traces d’institutions ou de littérature.

Sur cette généralisation malencontreuse s’est greffée une spécialisation plus fâcheuse encore. La plupart des savants et des érudits qui placent en Europe l’origine des peuples aryens pensent que l’évolution de la langue et des idées générales de la culture primitive aryenne s’est faite chez un peuple dolicho-blond, ou tout au moins dont la partie dirigeante était dolicho-blonde. De là une détermination nouvelle du nom d’Aryen, qui étendu d’abord des Iraniens védiques à tous les Indo-Européens cesse d’être un nom ethnique commun pour devenir un nom de race dans le sens zoologique.

Je crois bien que la classe dominante chez les Aryens védiques était dolicho-blonde, peut-être le peuple aryen tout entier était-il dolicho-blond. Je n’en suis pas assez sûr pour ne pas trouver que l’équivalence Aryen = H. Europeæus est bien près de la limite des licences permises quand on prend la partie pour le tout. Le mot, à force de changer de sens, est cependant devenu si vague qu’il est encore préférable aux noms de galatique, germanique ou kymrique, ceux-ci étant propres à des peuples bien connus, incontestablement dolicho-blonds, mais dont chacun était seulement une petite partie nettement limitée de la race.

Voilà donc pourquoi j’ai adopté pour titre le nom connu du public et pourquoi je m’abstiendrai de m’en servir désormais, autant que le permettront les nécessités du langage.

Sous le bénéfice de ces observations je pourrais entrer en matière, et commencer la monographie de H. Europeæus. Pour ne point paraîre esquiver la controverse aryenne, qui a fait noircir des monceaux de papier, ct qu’on s’étonnerait peut-être de ne pas voir en tête d’un ouvrage consacré aux Aryens, je vais cependant lui consacrer quelques pages. L’intérêt de cette controverse n’est plus qu’historique, le seul point discutable et discuté restant la part de la race blonde dans l’évolution de la civilisation protaryenne. Le lecteur qui désirerait étre éclairé davantage trouvera ce qu’il cherche dans les travaux de Penka, le livre de Taylor et la monographie de la controverse par Salomon Reinach[2]. Cette monographie très érudite est presque complète, il n’y manque guère qu’un peu plus de développements sur les travaux de Penka et les miens, et une plus équitable appréciation de nos idées, auxquelles l’auteur s’est rallié l’année suivante.

La controverse aryenne. — Dans son livre célébre et plein de brillantes erreurs, Leçons sur la science du langage, Max Muller assure qu’il fut un temps où les premiers ancêtres des Hindous, des Perses, des Grecs, de Romains, des Slaves, des Celtes et des Germains vivaient ensemble sous le même toit. Cette idée de la famille patriarcale d’Aryas, souche de peuples, premier foyer de la langue et des institutions, fit rapidement fortune. En 1861, elle résumait les souvenirs bibliques et les résultats de la philologie. Que les choses ont marché depuis !

La conception était simpliste, trop simpliste pour être vraie, car la simplicité n’existe guère dans les faits et les choses de la science. A mesure que la petite peuplade des Aryas se développait, que le langage évoluait, se détachaient des essaims qui poussés les uns par les autres emportaient jusqu’au bout du monde la langue et les institutions de l’époque de leur séparation. Les Indiens, les Iraniens sont les ainés de la famille, les conservateurs les plus fidèles du langage et des institutions de l’époque primitive. Les Celtes, les Latins, les Grecs, les Germains, les Slaves, représentent des colonies sans cesse croissantes, s’éloignant de plus en plus pour peupler l’Europe encore déserte. A ces fils de Japhet l’immensité avait été donnée pour demeure.

En ces temps pourtant bien proches, on oubliait aisément l’existence des races qui ne rentraient point dans le cadre biblique, et l’affirmation de l’homme préhistorique était encore traitée de rêve par l’érudition officielle, de blasphème par celle de l’Église.

Mais on s’apercut bientôt que les grandes divisions linguistiques avaient entre elles des affinités complexes, tout autres que ne le comportait l’idée généalogique ; chacune d’elles était apparentée d’une manière particulière à plusieurs autres, et, chose inquiétante, ces parentés existaient entre peuples aujourd’hui voisins, corrélatives à la position géographique et non à l’ordre d’émigration des colonies supposées. Il fallut donc admettre que le déplacement des Aryens s’était seulement produit après la différenciation des grandes tribus, Celtes, Germains, Slaves, Indiens, etc., et que la position respective de ces tribus dans l’Arye primitive était la même que celle des peuples historiques. C’est ainsi que l’on fut amené à regarder l’Europe centrale comme le lieu de formation des tribus aryennes, qui auraient simplement divergé, gagnant du terrain chacune au droit de soi, à l’exception des Phrygiens, des Arméniens, des Iraniens et des Indiens qui auraient seuls accompli des migrations véritables. Il était plus logique en effet de regarder comme centre le pays où se trouvaient tant de nations aryennes, encore dans leur ordre d’affinité, plutôt que la lointaine Bactriane.

En méme temps on faisait de bien autres découvertes. On s’apercevait que les races zoologiques de l’homme aujourd’hui répandues en Europe se trouvaient déja en place des milliers d’années avant le temps des Aryas. La notion de formation des peuples aryens par démembrement d’un peuple primitif était calquée sur celle de la formation des peuples en général formulée dans la Genèse. Ce qui était une cause de crédit devenait une cause de doute, depuis que l’ethnogénie biblique se trouvait mise en défaut par la découverte de l’antiquité de l’homme et par l’archéologie préhistorique. On s’apercevait aussi que le lithuanien et d’autres langues d’Europe avaient gardé des formes plus primitives que le sanscrit ou le zend, et tout récemment la critique, dépassant peut-être la vérité par un excès contraire, s’est efforcée de ramener à des temps très historiques l’antiquité fabuleuse des livres sacrés de la Perse et de l’Inde, jusqu’à faire l’Avesta plus récent que la littérature des peuples classiques. M. Darmesteter (Le Zendavesta, Paris, Leroux, 1893), conclut ainsi sur la date de ce livre réputé le plus ancien du monde : « Il a été rédigé tout entier apres la conquête d’Alexandre, entre le ie siècle avant notre ère, et le ive siècle après notre ère ». La rédaction zende, soit, mais les rédacteurs pouvaient avoir à leur disposition des documents vieux de quelques siècles, écrits en caractères araméens ou cunéiformes achéménides.

Le systéme de Muller n’a plus qu’un seul partisan, lui-même. Il est encore enseigné dans les établissements d’éducation, conservatoires de toutes les doctrines hors d’usage ; les philologues en sont arrivés peu à peu aux conceptions suivantes. Point de famille patriarcale ni même de peuplade aryenne primitive, mais un ensemble de peuplades nomades, répandues sur un vaste territoire, parlant des langues très apparentées, subissant une évolution linguistique collective vers les formes aryennes, chaque dialecte réagissant sur ses voisins. Dans cette masse touffue et complexe de dialectes indéfinis, une sélection qui faisait disparaître les plus faibles, donnant une aire d’extension considérable aux plus forts. Ainsi par la suppression des intermédiaires se formaient les grands groupes linguistiques, comme se sont formés plus récemment le français, l’espagnol, l’italien, langues issues d’idiomes locaux imposés à de vastes régions par des accidents historiques, et qui achèvent d’étouffer les innombrables idiomes sortis avec eux du fonds commun latin.

A cette théorie, résultante de l’ancienne doctrine des ondes de Schmidt et de plusieurs autres, s’est jointe une explication complémentaire de la simplification croissante des idiomes. La destruction des formes est due à la formation de sortes de sabirs dans les pays où la conquête superposait des peuples parlant des idiomes trop éloignés pour permettre de s’entendre, et dans les familles où le père et la mère ne parlaient pas la même langue.

C’est ainsi que les philologues sont arrivés à abandonner la théorie de l’origine unique et bactrienne des peuples aryens, des langues et des institutions aryennes.

Pays d’origine. — J’ai dit plus haut que les philologues étaient aujourd’hui d’accord pour regarder l’Europe centrale comme la région où s’est produite l’évolution des langues et des institutions aryennes. Il existe plusieurs autres opinions, dont les unes sont abandonnées et les autres n’ont pas pris faveur. De ces opinions les deux plus sérieuses sont celles qui placent l’origine de la culture aryenne dans les steppes de la Russie méridionale et en Scandinavie. La première a pour elle un fait généralement admis, c’est que les premiers Aryens menaient la vie de pasteurs nomades. Le steppe convient à merveille à ce genre de vie. A cet argument il est facile de répondre que la grande forêt Hercynienne, très développée au commencement de notre ère, avait succédé à des steppes, et que cinq ou six mille ans avant notre ère les fourrés impénétrables ou se débattaient Galates et Germains à l’époque historique pouvaient fort bien ne pas exister. L’hypothèse scandinave pèche par confusion entre deux choses : l’origine de la civilisation aryenne, et celle de la race dolicho-blonde considérée comme aryenne par excellence. Nous verrons que cette dernière s’est développée dans la région scandinave, dans les terres basses de la Mer du Nord et de la Baltique, mais à l’époque où s’est formée la civilisation aryenne, H. Europæus déversait l’excédent de ses essaims dans l’Europe centrale.

Si nous traçons sur une carte les lignes de migrations connues des peuples aryens, les prolongements des flêches se recoupent dans l’Europe centrale. Les migrations vers l’Inde et l’Iran venaient du N. O., celles des Arméniens et des Phrygiens de l’ouest ; les Grecs, les Latins ont marché du N. au S., les Gaulois, les Germains, du N. E. au S. O., les Scandinaves du S. au N., les Slaves du S. O. au N. E. Le réservoir duquel s’échappaient les migrations à l’époque historique se trouvait donc limité vers le sud par le massif alpin, les Balkans et la Mer Noire. Cette région est très vaste, mais il ne faut pas chercher à la circonscrire davantage. Les données du problème ont changé, il ne s’agit plus de retrouver l’emplacement de la hutte où vécurent en communauté les premiers Aryens ; ceux-ci constituaient déja un complexe de tribus nomades entre lesquelles il n’a jamais existé d’identité absolue de race, de langage et d’institutions.

Et si l’on nous demande ce qu’il y avait avant, nous répondrons qu’avant ce taillis humain il y en avait un autre, différant un peu de langues, d’institutions et de race, mais que jamais peut-être, si haut que l’on veuille remonter, on ne trouverait à toutes ces tribus une famille ancestrale unique, parlant une seule langue et vivant sous le régime de coutumes uniques. Nous retrouvons le conflit de la notion darwinienne des origines, et de la notion biblique, d’un monogénisme exclusif.

La région que nous venons de circonscrire renferme toutes les choses dont le nom se retrouve dans toutes les langues aryennes. Les philologues ont attaché une grande importance aux arguments de ce genre, et l’existence dans toutes ces langues d’un nom applicable d’abord au hêtre, qui vit seulement à l’ouest d’une ligne passant par Koenigsberg et Odessa, les a convaincus de l’origine occidentale de la civilisation aryenne. Je n’insisterai pas sur ce point. Les aires botaniques et zoologiques sont tellement variables qu’il serait très difficile de dire où se trouvait il y a sept ou huit mille ans la limite extrême du hêtre ou de l’anguille. Je me bornerai donc à renvoyer aux travaux de Penka et de ses devanciers.

Civilisation primitive des Aryens. — La méme méthode philologique a permis de faire des hypothèses d’une certaine vraisemblance sur l’état de civilisation des peuples aryens avant leur différenciation. Il n’existe point de noms d’origine commune pour les métaux et le travail du métal. On peut en conclure que la différenciation était déja complète avant que ces peuples connussent les principaux métaux. L’agriculture était rudimentaire et le blé inconnu. L’orge cependant paraît avoir été cultivé. Les hommes de l’époque magdalénienne connaissaient d’ailleurs déja cette graminée, dont ils nous ont laissé des dessins. Les animaux domestiques étaient surtout le chien, le mouton et le bœuf, celui-ci élevé en grands troupeaux qui faisaient la seule richesse de ce temps. Ce genre de vie ne comportait pas l’existence de populations denses, mais seulement de tribus demi-sédentaires, que les circonstances pouvaient parfois porter très loin. Le sol, plus herbeux que celui de la Tartarie, de l’Arabie ou du pays des Cafres, n’exigeait pas de continuels déplacements et d’aussi vastes parcours que ceux des tribus mongoles, arabes ou zouloues, mais il ne retenait pas non plus, comme le fait une terre appropriée, les populations que des motifs sérieux poussaient à chercher des demeures nouvelles au delà des terres du voisin.

Max Muller et Pictet ont donné une description de la vie des anciens Aryas qui ne manque point d’exactitude, si on laisse de côté le roman des mythes et si l’on restreint le sujet aux Aryas proprement dits de l’Airianem vaego et de la Médie, les ancêtres des Perses, des Mèdes et des Hindous. Ce rameau de la famille aryenne, venu par la Thrace ou par les steppes russes, la Crimée et le Caucase, avait longtemps vécu dans des conditions plus favorables à la vie pastorale. L’archéologie préhistorique nous montre dans l’Europe centrale une plus grande tendance à la vie agricole. La civilisation aryenne primitive n’était donc pas entièrement uniforme et comprenait tous les stades de passage entre le régime de la chasse et celui de l’agriculture sédentaire.

Race dominante chez les peuples aryens primitifs. — J’aborde une matière d’un intérêt plus direct, et qui ne me paraît pas avoir encore été traitée d’une manière satisfaisante. Il convient donc de serrer de plus près le sujet, et d’entrer dans plus de détails, car il n’existe pas de travaux auxquels je puisse renvoyer le lecteur.

Il convient d’abord de poser nettement la question. Quand on regardait les peuples aryens comme dérivés d’une seule famille, il était permis de se demander à quel type anthropologique appartenait celle-ci. Cette manière d’envisager les choses ne me paraît plus permise maintenant que tout le monde est d’accord pour regarder les peuples aryens comme provenant de l’évolution de peuples antérieurs. L’unité de type, possible au sein d’une famille, ne l’est déja plus dans une peuplade. Je ne crois pas que l’on puisse trouver dans le monde une peuplade entièrement homogène, et il paraît en avoir été toujours ainsi, pour lointain que soit le passé dans lequel nous remontions avec l’anthropologie préhistorique.

Pour que la question puisse étre résolue, telle qu’on la posait autrefois : quel est le type de l’Aryen primitif ? il faudrait que l’anthropologie préhistorique nous montrât une population homogène dans la région et à l’époque de la formation de la première civilisation aryenne. Il s’en faut qu’il en soit ainsi. La région étant celle au nord de la Seine, du massif alpin, des Balkans et de la partie occidentale de la Mer Noire, et l’époque celle du milieu et de la fin de la pierre polie, l’énumération des types humains parmi lesquels il faut choisir est fort longue. La question doit donc aujourd’hui se poser ainsi : parmi les races en présence chez les peuples aryens primitifs, quelle est celle dont la prépondérance sociale était telle que la civilisation pouvait être regardée comme la sienne ?

Il s’agit donc d’exclure les races représentées seulement par l’élément servile, par les peuplades sauvages existant à l’état d’inclusions au milieu des peuplades aryennes, par les étrangers, qui pouvaient être des esclaves venus de loin, des conquérants de passage, des aventuriers de toute espèce. Dans tout peuple, en effet, et à plus forte raison chez les peuples analogues à ces premiers Aryens et aux Indo-Chinois d’aujourd’hui, la distinction est nécessaire entre l’élément qui compte et celui qui ne compte pas, celui qui a une influence et celui qui vit inclus dans la société sans y jouer un rôle actif. Cette position moins simpliste du problème est plus conforme à la réalité, mais il faut bien dire que la solution n’en devient pas plus facile.

Cinq ou six mille ans avant notre ère, à l’époque la plus ancienne possible des commencements des peuples aryens, l’Europe centrale et la région britanno-scandinave nous montrent déja un mélange confus de types. Je les étudierai plus loin en détail, et me contente ici de les énumérer.

H. Europæus. Il existe partout, depuis les Îles Britanniques et le nord de la France jusqu’à Moscou et au lac Ladoga.

H. spelæus. La race dite de Cro-Magnon, qui parait venue du S. O. de Europe, et qui commence dès cette époque à ne plus être commune à l’état de pureté, ne se trouve que comme élément adventice dans la région qui nous occupe, mais les sépultures néolithiques fournissent des sujets qui s’y rattachent de plus ou moins près. On peut la mentionner seulement pour mémoire, mais il ne faut pas la passer sous silence.

H. meridionalis. La race méditerranéenne représentée par des sujets soit purs, soit mélangés avec les deux races précédentes, abonde dans les Long-Barrows de la Grande-Bretagne. Elle parait avoir joué un moindre rôle dans l’Europe centrale, mais on la trouve un peu partout.

H. contractus. Cette race, que j’ai d’abord distinguée dans les ossuaires cévenols de l’époque du cuivre, s’est retrouvée comme élément important dans plusieurs parties de la France. Elle parait y être venue du N. E., et il est probable qu’une étude plus approfondie la fera reconnaitre dans les séries néolithiques de l’Europe centrale.

5° Races pygmées. Les fouilles du Schweizersbild ont fourni des exemplaires d’un pygmée dolichocéphale leptoprosope, très différent de H. contractus, et dont l’existence comme race distincte peut étre admise.

H. hyperboreus. La race si caractérisée des Lapons a été retrouvée dans des dolmens et autres sépultures néolithiques en Danemark, en Suède, dans le nord de la Russie. Sa présence en Belgique semble établie par plusieurs pièces, notamment par un des crânes de Sclaigneaux.

7° Race de Borreby. Une autre race brachycéphale, mais à visage large et haut, et de taille fort grande, a été trouvée en plusieurs endroits, et notamment en Danemark, dans les Îles Britanniques, etc. Cette race n’apparaît que tout à la fin de l’époque néolithique. Elle résulte probablement du croisement de H. Europæus avec une race brachycéphale de haute taille, analogue à H. Dinaricus. Quelques pièces de l’Europe centrale peuvent appartenir à ce dernier. Ces grands brachycéphales ont été sans raison rapprochés des races mongoliques. Ils n’ont de commun avec elles que des caractères résultant de la présence de l’Acrogonus parmi les ancêtres communs de ces races métisses.

8° Race de Furfooz. Cette race, également métisse, a joué un rôle d’une certaine importance daus l’ouest de l’Europe centrale à la fin de l’époque de la pierre polie. Elle a été rapprochée sans plus de raison des Finnois, qui paraissent constituer des races métisses de formation récente, car les différents types actuels n’apparaissent pas dans les sépultures avant le Moyen-Age. On n’en trouve point trace dans les tombes néolithiques et protohistoriques de la Russie.

H. Alpinus. Je cite cette forme de métis d’Acrogonus pour mémoire, car je ne suis pas sûr qu’on puisse lui rattacher les divers crânes néolithiques regardés jusqu’ici comme celto-slaves.

10° Acrogonus. Je cite également pour mémoire ce type dont l’existence ancienne nous est surtout prouvée par celle de métis nécessairement formés sur place, car ils tiennent une partie de leurs caractéres des races locales de chaque région, depuis la Galice jusqu’au Tibet.

Je ne crois pas qu’il faille comprendre dans l’énumération H. Asiaticus, le type chinois, qui, originaire de la Kaschgarie, paraît avoir constamment marché vers l’est, ni son métis avec Acrogonus, le Mongol proprement dit, si malheureusement baptisé par Bory H. Scythicus[3].

De toutes ces races une seule se trouve partout dans les sépultures néolithiques, c’est le dolichocéphale blond, H. Europæus. Dans certaines régions on le trouve seul, avec des formes variables, mais souvent identiques à celles actuellement vivantes dans le même pays. Dans d’autres il est représenté par des exemplaires de race pratiquement pure et par des métis divers bien reconnaissables. Dans la plupart des pays on le trouve associé à des races différentes, représentées par une proportion d’exemplaires qui peut aller jusqu’à la moitié de l’ensemble. Parmi ces éléments, les brachycéphales deviennent de plus en plus nombreux vers la fin de la pierre polie et représentent des types fort divers dont la plupart ne correspondent à aucune race fixée aujourd’hui existante.

Les données que nous fournissent les sépultures de la pierre polie ne représentent probablement pas d’une manière exacte la proportion des races. L’étude attentive des sépultures permet de conclure que les crânes et les autres ossements appartiennent presque tous à des chefs ou à des familles au-dessus du commun et se rattachant d’une manière à peu près uniforme à H. Europæus, sauf les accidents de métissage résultant du croisement avec des races différentes occupant une situation sociale inférieure. Il est très rare en effet que ces sépultures nous donnent des individus bien typiques de races autres que la dolichocéphale blonde. Les sujets qui ne se rattachent pas à cette race sont ou paraissent être d’ordinaire des femmes empruntées aux classes inférieures ou aux races sauvages vivant juxtaposées à la civilisation aryenne, des métis résultant de ces croisements imprudents, et quelquefois de simples esclaves égorgés pour accompagner leurs maîtres dans l’autre monde. Les représentants, probablement plus nombreux qu’on ne pense, de ces esclaves de race étrangére et de ces sauvages vivant en marge de la civilisation relative des Aryens, paraissent n’avoir pas pratiqué de modes de sépulture susceptibles de transmettre leurs ossements jusqu’à nous.

Je citerai comme exemple typique H. contractus, dont les seuls exemplaires rigoureusement purs sont tous féminins.

Nous arrivons à cette conclusion que la classe dominante chez les Aryens primitifs était dolicho-blonde. Que cette prédominance ait été à la fois sociale et numérique, ou sociale seulement, cela importe peu. Chez un peuple la civilisation et la langue sont regardées comme propres aux maîtres, bien que partagées par les esclaves, les serfs et les étrangers. La question se trouve ainsi résolue par l’identification, dans le sens et dans la mesure indiqués plus haut, de H. Europæus et de l’Aryen.

Cette thèse diffère à la fois de celle de Penka, qui regarde le dolichocéphale blond comme ayant seul constitué les peuples aryens, et de celle de Mortillet ou de Topinard, qui font des brachycéphales les seuls et véritables Aryens de race, de culture et de langue.

Je regarde la thèse de Penka comme fautive en ce sens qu’elle suppose une absence peu vraisemblable de rapports sociaux entre les dolicho-blonds de l’époque protaryenne et les brachycéphales qui vivaient avec eux. Penka et Wilser cherchent en vain à se soustraire à cette objection en plaçant dans la Suéde méridionale leur berceau des Aryens. Cette localisation ne paraît exacte que pour les Germains primitifs. La contrée aurait été trop étroite pour les divers peuples aryens, qui ont été différenciés dès l’origine à un degré qui suppose un certain éloignement géographique. D’autre part on a trouvé en Scanie méme des brachycéphales dans les sépultures néolithiques. Enfin il est bien certain que, dès une période reculée de l’époque néolithique, H. Europæus avait déjà une aire d’extension très vaste autour de la Mer du Nord et de la Baltique méridionale.

L’hypothèse brachycéphale. — La thèse de Mortillet et de Topinard est encore moins soutenable. Elle est une des formes du mirage oriental. Les brachycéphales, dans la conception de ces deux auteurs, seraient venus d’Asie, apportant la hache polie, amenant les animaux domestiques. Ils auraient introduit le blé, les plantes et les arbres utiles. Or dans les Kiökkenmödding portugais, dans les grottes de la région des Corbières, ailleurs encore, le brachycéphale paraît antérieur à l’époque néolithique. Il n’est donc pas venu avec la pierre polie. En sens inverse, les dépôts asyliens des Pyrénées nous montrent le blé cultivé dès le cinquième interglaciaire, bien avant l’époque de la pierre polie. Ces mêmes dépôts nous fournissent des fruits du noyer, du prunier, du cerisier et d’autres arbres d’origine réputée asiatique, déja modifiés par la culture. Les animaux domestiques de l’époque néolithique appartiennent en majorité à des races africaines, le bœuf notamment. La hache polie n’est pas davantage d’importation asiatique. Elle est rare en Asie, ou elle a été introduite tardivement. Son origine est africaine. L’évolution se suit dans les dépôts paléolithiques africains depuis la forme acheuléenne jusqu’à la forme la plus parfaite de l’époque néolithique. Ces diverses importations ont été faites plutôt par les méditerranéens.

Enfin, partout où nous trouvons le brachycéphale dans les stations néolithiques, il y paraît comme élément accessoire. On ne peut plus douter par exemple que les crânes brachycéphales des palaffites de Suisse proviennent de trophées de guerre, j’allais dire de chasse, car les sépultures de la population des palaffites, comme on le verra plus loin, prouvent qu’elle a été constamment dolichocéphale.

En Asie, d’autre part, nous ne trouvons aucune trace, soit en Asie-Mineure soit dans la Bactriane, d’une ancienne civilisation brachycéphale aryenne. Il y avait bien une civilisation, mais non aryenne, il y avait bien des brachycéphales, mais non aryens.

Les partisans de l’identification des Aryens avec les brachycéphales néolithiques sont cependant encore assez nombreux. Outre Mortillet, Topinard, il faut citer Sergi, Ripley, et dans un camp différent Taylor. Enfin la campagne antisémite de Drumont comporte une revendication du titre d’Aryens pour les brachycéphales. La noble bête de proie blonde de Nietzsche n’est pas beaucoup plus sympathique aux antisémites que le Juif lui-même. M. Drumont n’aime pas les Anglo-Saxons, et peut-être n’a-t-il pas absolument tort, car peu importe au brachycéphale le profil nasal de son maître. Je n’étonnerai que les esprits frivoles en disant que de nos jours Drumont est le seul tenant de l’idée profonde de la Révolution. Celle-ci a été avant tout la substitution du brachycéphale au dolicho-blond dans la possession du pouvoir, et la campagne antisémite a pour but la défense du brachycéphale contre le Juif au dedans, contre le dolicho-blond au dehors. En raison de l’importance du mouvement antisémite, et de la notoriété que le nom des Aryens a acquise dans le public par sa propagande, il n’était pas inutile d’indiquer dans quel sens il doit être entendu quand il apparaît dans une polémique de quotidiens.

Ainsi donc, quand dans un livre il est question de civilisation aryenne, de langues aryennes, de religions aryennes, on s’entend à peu près ; il n’y a d’inexactitude que dans le fait de prendre la partie pour le tout, procédé onomastique facile et courant, mais sujet à critique. S’il s’agit d’hommes au contraire, l’image évoquée par le nom d’Aryen doit différer avec l’auteur. Si vous lisez Mortillet, Topinard ou Drumont, l’Aryen devra vous apparaître avec les traits du marchand de marrons du coin ; il est Piémontais, Auvergnat, Savoyard, un brachycéphale avéré. Si l’auteur est Ammon, Penka, le pur Aryen, c’est John Bull débarquant sa valise à la main. Pour Virchow et pour moi, le globe trotter et le marchand de marrons sont tous deux Aryens, mais le plus Aryen, c’est le trotter, l’autre est Aryen comme un domestique est de la maison.

De tout ce qui précéde il faut conclure à la nécessité de faire disparaître de la terminologie anthropologique tous les termes qui ne sont point linnéens, conformes aux règles zoologiques de nomenclature. Chaque fois qu’il s’agit d’une race zoologique, le nom en -us s’impose, rituellement donné d’après les canons du baptême taxinomique. Chaque fois qu’il s’agit d’un peuple, d’une race ethnographique, s’abstenir du nom en -us, car il n’y a point de peuple dont le métal vil ou précieux soit sans alliage, le nom qui s’impose doit être emprunté à l’histoire. C’est pourquoi le terme d’Aryen peut être à sa place dans un ouvrage d’ethnographie, mais ne peut être employé que par licence, et pour être compris des lecteurs, dans un ouvrage d’anthropologie pure ou appliquée. Je l’emploierai donc seulement dans les titres, pour que le lecteur non initié ne soit pas dépaysé ; dans le texte si j’en fais parfois usage ce sera avec le sens ethnographique, qui est légitime, rarement avec le sens illégitime et pour éviter la répétition multiple et rapprochée du très inharmonieux vocable Homo Europæus.

  1. De Combrox, pl. Combroges, de com et broz, brogos, pays. Le terme Kymri apparait seulement après l’invasion saxonne, comme nom de confédération des indigènes gaulois de Grande-Bretagne. Voyez d’Arbois de Jubainville, R. celtique, 1898, 74.
  2. L’Origine des Aryens. Histoire d’une controverse. Paris, Leroux, 1892. Cet ouvrage est consacré à l’Aryen ethnographique, et non anthropologique, c’est-à-dire à la discussion de l’origine des peuples aryens, abstraction faite de leur type. Il comprend une bibliographie presque complète de tous les travaux linguistiques, ethnographiques, historiques, jusqu’à la date de sa publication. L’auteur, alors indécis, s’est rallié à l’hypothése de l’origine européenne dans un travail ultérieur (Le mirage oriental, Anthropologie, 1893, iv, 539-578, 699-732). Je conseille de lire ce mémoire vraiment remarquable et d’une érudition autorisée.
    La thèse complexe de l’origine européenne et du type dolicho-blond des Aryens, la question de l’Aryen anthropologique, est déja exposée par plusieurs des auteurs analysés dans l’ouvrage de Reinach. Elle remonte à Bulwer Lytton (Zanoni, 1842) et d’Omalius d’Halloy (B. Ac. de Belgique, 1848, xv, 549). Elle comporte un renversement de la position primitive de la question, et raisonne ainsi : l’Aryen étant le dolicho-blond, et le dolicho-blond étant d’origine européenne, c’est en Europe qu’il faut chercher l’origine des peuples aryens. La thèse reprise par Latham en 1851 dans sa préface de la Germania de Tacite n’était déjà plus nouvelle quand elle fut brillamment développée par Clémence Royer au Congrès d’Anthropologie de 1872, et au Congrès des Sciences anthropologiques de l’Exposition universelle de 1878. A partir de ce moment le protagoniste fut Penka, propagateur de l’hypothése qui place l’origine des dolicho-blonds et de la civilisation aryenne en Scandinavie. Les principaux travaux de Penka sont Origines aryacæ, Wien, Prochaska, 1883 ; Die Merkunft der Arier, Wien, Prochaska, 1886 ; Die arische Urzeit, Ausland, 1890, 741-744, 764-771 ; Die Entstehung der urischen Rasse, Ausland, 1894, 432-136, 141-145, 170 174, 191-193 ; Die alter Völker der estlichen Linder Mitteleuropas, Globus, 1892, lxi, n. 4-3 ; Die Heimat der Germanen, Mitt. der Anthr. Gesellschaft in Wien, 1893, xxiii, Heft 2 ; Zur Paläoethnologie Mittel- und Südeuropas, ib. 1897, xxvii, 19-52).
    L’hypothèse de l’origine scandinave avait d’ailleurs été soutenue avant Penka par Wilser, à la séance du 29 décembre 1881 de la Société archéologique de Karlsruhe (Karlsruher Zeitung, 22 jan. 1882). Wilser a publié une quinzaine de mémoires sur cette question, en dernier lieu Stammbaum der arischen Völker, Naturwissenchaftliche Wochenschrift, 1898, xiii, 361-364.
    Avant Wilser, Latham avait dans ses dernières années modifié son hypothèse de l’origine des Aryens dans l’Europe centrale. Il regardait celle-ci comme le berceau de la civilisation aryenne, et la région aujourd’hui couverte par la Mer du Nord comme le berceau de la race. Je tiens cette indication de Beddoe, ami de Latham.
    Parmi les auteurs qui regardaient l’Asie centrale comme lieu d’origine des Aryens, parce qu’ils considéraient les brachycéphales comme les vrais Aryens, il faut citer Ujfalvy. Aujourd’hui Ujfalvy regarde, avec raison, les brachycéphales eux-mêmes comme nouveaux venus en Asie centrale. Les Tadjiks, si analogues à nos brachycéphales que Topinard les regardait comme des Savoyards attardés dans leurs migrations, sont en réalité un peuple transplanté en Bactriane peu de temps avant notre ère, et venu des confins de l’Arménie. Ujfalvy, dans son récent ouvrage, Les Aryens au Nord et au Sud de l’Hindou-Kouch (Paris, Masson, 1896), se rallie à l’hypothése complexe de l’origine européenne des peuples aryens, et du type dolicho-blond des Aryens.
    Taylor (Origine des Aryens, tr. de Varigny, Paris, Bataille, 1895) soutient une hypothése complexe différente, origine européenne de la civilisation et de la langue des Aryens, type brachycéphale et finnique des Aryens. Son livre, rempli d’erreurs anthropologiques, est à consulter pour les questions ethnographiques et philologiques. Sur ce terrain, qui correspond à la spécialité de Taylor, l’Origine des Aryens est d’ordinaire le guide le meilleur et le plus récent.
    Je renvoie instamment aux livres de Reinach, Penka et Taylor. Dans tout ce livre d’ailleurs, je ne développerai que les matières sur lesquelles il n’existe pas encore d’ouvrages spéciaux et bien au courant des découvertes récentes. Cela m’entraînera à des développements considérables sur des points moins importants, à des esquisses sommaires sur des questions capitales, mais pour être complet il me faudrait dix volumes, et je préfère d’ailleurs me borner à un renvoi motivé quand la matière a été traitée mieux que je ne pourrais le faire. Ce livre a exigé des reherches originales trop considérables pour qu’on puisse m’en vouloir d’abréger ma tâche en renvoyant le lecteur à des sources connues, quand il en existe.
  3. Personne n’a jamais soutenu d’une manière sérieuse l’origine asiatique des dolichocéphales bruns, dont les affinités avec les populations les plus anciennes de l’Occident sont incontestables. Il en est de méme pour les dolichocéphales blonds, que certains écrivains ont seulement fait naître dans la partie méridionale de la Russie, sans les rattacher par un lien généalogique aux races jaunes. Il en est autrement pour les brachycéphales, que l’on a longtemps regardés comme apparentés directement avec H. Scythicus, le Tartare brachycéphale de l’Asie centrale. Cette thèse est à la fois connexe avec la théorie de l’origine asiatique des Aryens, assimilés par certains auteurs aux brachycéphales, et avec celle de Pruner-Bey, qui rattachait aux races jaunes toutes les populations primitives de l’Europe, même dolichocéphales. Cette dernière thèse n’est inexacte qu’en partie. H. priscus était certainement très proche parent de I’Esquimau, et celui-ci a plusieurs caractères communs avec les jaunes, en particulier ceux de la peau, qui dans l’anthropologie rudimentaire d’autrefois prenaient le pas sur les autres. Ce qui est tout à fait faux, c’est d’établir un lien de filiation entre les brachycéphales d’Europe et ceux d’Asie.
    Les caractères mongoloïdes qui se trouvent quelquefois chez des occidentaux s’expliquent suffisamment par des mélanges accidentels avec des individus isolés de type mongol ou chinois, amenés par des circonstances diverses, ou par les incursions du Moyen-Age. Ces caractères sont d’une incroyable ténacite, et l’atavisme peut les faire reparaitre à de longues générations d’intervalle. Souvent aussi ces caractères sont dus à la variation individuelle, dont l’amplitude est plus grande qu’on ne pense.
    Nos ultra-brachycéphales de la région des Cévennes, et ceux des Alpes orientales, dépassent de beaucoup le degré de brachycéphalie des Mongols les plus accusés. Cette brachycéphalie est d’ailleurs le seul caractère qu’ils aient en commun avec eux, et encore l’analogie de l’indice céphalique n’est-elle pas accompagnée de celle des formes générales du crâne.
    Tappeiner qui connait mieux que personne les ultra-brachycéphales des Alpes orientales, a fait de la question une étude particulière. Les conclusions de son travail (Der europäische Mensch und die Tiroler, Meran, Pitzelberger, 1896) sont catégoriques, « Ich habe bei den anthropologischen Untersuchung der 3.400 lebenden hochbrachycephalen Tiroler keinem einzigen Mann gefunden, welcher die charakteristichen Merkmale der mongolischen Rasse an sich gehabt hat (p. 42). So wird auch der weitere Schluss nicht bezweifelt werden können, dass alle europäischen Brachycephalen Schadel wesentlich verschieden von den mongolischen Schadeln sind, dass also die europäischen Brachycephalen keine Nachkommen der Mongolen sein kennen, und dass daher eine prähistorischen Einwanderung von Mongolen aus Asien ein anthropologischer Irrthum ist (p. 48). Die Vergleichung meiner 3.400 lebenden Tiroler mit den mongolischen Rassenbildern Ranke’s hat augenscheinlich erwiesen, dass die Tiroler keine Aehnlichkeit in körperlichen Eigenschaften mit den mongolischen Völkern haben. Und da die Tiroler mit den anderen kurzköpfigen Europäern in somatischer Beziehung übereinstimmen, so gilt dieser Satz auch für alle kurzköpfigen Europäer. Aber am klarsten beweist meine vergleichende craniologische Uebersichtstabelle der brachycephalen Tiroler Schädel und der Mongolenschädel, dass die Mongolenschädel in allen craniologischen Merkmalen streng verschieden sind von den Tiroler Schädeln und da diese mit den brachycephalen europäischen Schädeln fast ganz ubereinstimmen, kann von einer mongolischen Einwanderung in Europa keine Rede mehr sein (p. 53). »
    Au témoignage de Tappeiner, fondé sur l’étude de 3.600 vivants et 927 cranes, dont 384 au-dessus de 83. je puis ajouter le mien, qui repose sur l’étude d’un nombre à peu près égal de Cévenols. Je n’ai non plus jamais rencontré un seul mongoloïde. On peut d’ailleurs consulter les chiffres de deux de mes mémoires sur la région cévenole qui ont déja paru : Matériaux pour l’Anthropologie de l’Aveyron et Recherches sur 127 ultra-brachycéphales de 95 a 100 et plus.
    Je ne trouve pas davantage de types mongoliques parmi les brachycéphales anciens que j’ai pu voir dans divers musées.
    La question a du reste pris récemment une tournure nouvelle. Les recherches anthropologiques en Russie, dans le Caucase et la Sibérie occidentale, Turkestan compris, n’ont pas encore fourni un seul crâne mongolique antérieur aux Huns, aux Turcs et aux Tartares. L’arrivée des brachycéphales jaunes dans l’Asie centrale ne parait pas antérieure à notre ère. J’ajoute que les migrations par le N. de la Caspienne n’étaient pas précisément faciles jusqu’à une époque assez rapprochée des temps historiques. Nos brachycéphales sont au contraire pour partie apparentés de très près à ceux de l’Asie Mineure, de l’Arménie et des régions voisines, jusque dans le N. de la Perse et au Pamir. Ces derniers, étudiés par Ujfalvy, ne sont d’ailleurs, d’après leurs propres traditions, que des colons amenés par les Macédoniens en Bactriane. Ce sont ces Galtchas, dans lesquels Topinard voyait des Savoyards attardés dans leur migration vers l’Ouest !
    Ne faut-il pas profiter de l’occasion pour en finir avec une autre légende, connexe avec la première ? On s’imagine couramment que la race jaune est brachycéphale. C’est une erreur profonde, que j’ai relevée plusieurs fois, et aussi mon ami Ujlalvy, mais qui paraît tenace. Le véritable H. Asiaticus, jaune, aux yeux et aux cheveux noirs, de petite ou moyenne taille, à la paupière oblique, est toujours dolichocéphale. C’est son métis avec un Acrogonus indéterminé qui est brachycéphale. En fait, sur sept cents millions de jaunes, il n’y a pas un quart de brachycéphales. Les peuples jaunes dont l’indice atteint le niveau moyen des peuples brachycéphales d’Europe sont peu nombreux, et ceux à indices supérieurs à 84 très rares. Ce sont tous de petites tribus (Mandchoux 84, Usbeks 84, Kirghiz 83, Kalmouks 86). Leur nombre total ne fait pas trois millions d’individus. Les jaunes de Sibérie sont en général au-dessous de 80 ou un peu au-dessus. Les Ladakis du Pamir mesurés par Ujlalvy lui ont donné une moyenne de 77 pour 36 individus. Risley a trouvé sur 388 montagnards du Darjeeling une moyenne de 80.7. Les Thibétains sont au-dessous de ce chiffre. Hagen a trouvé sur de nombreuses séries de Malais des moyennes comprises entre 80 et 86.9, mais les Malais sont déja pour partie une autre race. Sur 15.382 Chinois, il a trouvé un indice de 81.7, inférieur à ceux de la France, de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Russie, de l’Italie, de la péninsule des Balkans, qui flottent entre 82 et 86.
    Il y a donc en Chine et chez tous les peuples jaunes beaucoup moins de brachycéphales que chez nous, et comme chez nous ces brachycéphales représentent un élément intrus !