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L’Aryen, son rôle social/03

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CHAPITRE TROISIÈME


ORIGINE DES ARYENS.


Méthode de recherche. — Toute la morphologie de l’Homo Europæus, constitution lymphatique, diminution générale du pigment, nous montre en lui le produit d’une évolution demi-pathologique, laquelle a dérivé d’un type normal cet albinos relatif. Cette évolution suppose un séjour prolongé des ancêtres de la race dans un pays humide, sans grands écarts de température, sous un ciel chargé dont les nuées arrêtaient les rayons chimiques.

Je m’appliquerai d’abord à démontrer ces deux propositions. Je chercherai ensuite à déterminer le pays dans lequel cette évolution a dû se produire, et les conditions de milieu qu’il devait alors présenter. Je serai ainsi amené à chercher parmi les races éteintes ou vivantes de la région les prédécesseurs phylogéniques de l’H. Europæus, et à établir ses rapports de généalogie avec les races qui lui sont apparentées.

Lymphatisme de l’Aryen. — Le lymphatisme n’est pas un caractère special à l’H. Europæus. Il se retrouve dans toutes les races du globe, chez des individus isolés, ou des groupes de population soumis au paludisme ou à d’autres conditions contraires à l’hygiène, mais dans tous ces cas il est accidentel et à l’état d’exception. Dans la race que nous étudions, le caractère est au contraire ethnique, il fait partie du tableau normal des qualités physiques, et quand il s’atténue ou disparaît, c’est alors que nous sommes dans l’exception. Ces tissus gorgés d’humeurs sont la cause immédiate des formes et des couleurs du corps. Les membres sont volumineux et arrondis, les muscles gonflés mais en quelque sorte ouatés de tissus mous qui atténuent les formes ; la peau fine, souple, à peine protégée par l’épiderme, laisse voir la coloration que lui donne une circulation abondante. Ces formes à la fois volumineuses et adoucies, cette peau blanche et rosée donnent quelque chose de féminin à la race masculine entre toutes, et le contraste sur ce point est frappant au conseil de révision dans les régions où le type Europæus n’est pas rare. A distance, et avant que la couleur des yeux et des cheveux, la forme du crâne puissent être perçus, l’anthropologiste reconnaît ainsi avec une certaine probabilité le type du conscrit qui s’avance. Chez les femmes, les caractères de la race sont plus accusés que chez l’homme, mais l’intervalle morphologique est moins grand entre elles et celles des autres races européennes. Il est d’ailleurs plus difficile d’avoir une impression en bloc, aucune circonstance n’existant où l’on puisse voir, comme pour les conscrits, défiler en deux ou trois heures plusieurs centaines de sujets d’un même âge[1].

La quantité d’eau plus grande dont les tissus de l’H. Europæus sont imprégnés comme une éponge leur donne une moindre pesanteur spécifique. On a essayé divers moyens d’évaluer la pesanteur spécifique de diverses catégories humaines. Le plus simple consiste à faire immerger le sujet dans une tonne cylindrique munie d’une échelle. Le volume est donné par la différence de niveau au moment de l’immersion totale, le sujet plongeant sa tête sous l’eau, et après l’émersion. Le procédé n’est pas compliqué, mais il est difficile de l’appliquer à des séries sérieuses, sauf dans les corps de troupes. On a trouvé que la densité de la femme était moindre que celle de l’homme, celle du soldat anglais que celle du cipaye. Il serait bon de reprendre méthodiquement ces recherches[2].

La même insuffisance de documents existe quant à l’analyse chimique des tissus. Il a été fait des analyses donnant des teneurs en eau sensiblement différentes pour l’homme et la femme, et les individus de divers pays, mais sans tenir assez compte de la race.

Le lymphatisme de l’H. Europæus retentit sur sa physiologie normale et pathologique. Transporté dans les pays secs, ou simplement dans un milieu chaud, il transpire abondamment et boit d’une manière exagérée. Sa façon de se comporter dans des conditions pareilles est toute différente de celle de l’Espagnol ou de l’Arabe, et l’Anglais ou le Hollandais transportés dans les pays chauds réagissent déja tout différemment du Francais moyen. C’est là une des raisons qui rendent difficile l’acclimatement même individuel dans les régions tropicales, où la femme de race Europæus ne résiste pas longtemps, et l’homme succombe avant l’âge normal s’il ne peut retourner en Europe pour refaire sa constitution. De là aussi l’impossibilité pratique d’élever des enfants de cette race aux colonies, où l’Espagnol élève parfaitement les siens.

Dépigmentation. — L’Homo Europæus est la seule race d’hommes qui ait naturellement, sans mélanges et à titre ethnique, les cheveux et les yeux clairs. La généralité des primates a les yeux plutôt foncés, et le pelage de couleur très diverse, mais rarement tout à fait noir. L’homme a aussi les yeux foncés, mais ses poils sont toujours noirs, à part la race qui nous occupe, ses métis et quelques exceptions individuelles d’ordre pathologique. Cette situation particulière de l’homme parmi les primates et du dolicho-blond parmi les hommes exige une étude spéciale, mais avant d’aborder la question de la pigmentation renforcée de l’un, diminuée de l’autre, il convient de se faire une idée de la pigmentation en soi, de sa nature histologique et des conditions qui la modifient.

Physiologie de la pigmentation. — La pigmentation chez l’homme et la plupart des animaux supérieurs est due à une matière colorante, nommée mélanine, qui se présente rarement à l’état diffus et presque toujours sous la forme de fines granulations. Ces granulations ne sont pas la matière chimique pure, mais des grains de protoplasme imbibés de mélanine, ce qui rend assez difficile la détermination chimique de celle-ci. Les granulations sont animées d’un mouvement très vif dans la cellule vivante et dans les solutions liquides, par exemple celles obtenues par le traitement des tissus de tumeurs mélaniques du cheval. Ce mouvement est purement brownien. Si le chloroforme le paralyse, comme celui des êtres animés, les expériences du Dr Paul Carnot (Recherches sur le mécanisme de la pigmentation, Thèse de sciences, Paris, 1896), montrent qu’il résiste à un quart d’heure d’ébullition dans une autoclave à 120, et à plusieurs mois de conservation.

Cette substance, encore mal connue, paraît provenir dans certains cas de la substance colorante du sang. Si l’on sacrifie à plusieurs jours d’intervalle des sangsues, bien gorgées après un long jeûne, on trouve dans le sang absorbe une proportion croissante de mélanine. En sens inverse, dans d’autres cas, il paraît bien certain qu’il se produit de la mélanine en dehors de toute oxydation d’hémoglobine.

Dans la peau, la mélanine a pour siège les cellules dermiques et épidermiques, et quelquefois une seule de ces catégories la renferme. Son abondance est d’ailleurs très inégale aux divers niveaux. Les corpuscules se groupent en plus grande abondance autour du noyau, mais dans quelques cas, par exemple dans les cellules dermiques supérieures du scrotum du nègre, ils remplissent entièrement la cellule[3]. Dans la karyokinése, la mélanine opère diverses évolutions qui ne paraissent pas avoir d’intérêt au point de vue de la question que nous traitons ici.

Les cellules de l’iris contiennent aussi de la mélanine, mais associée à d’autres pigments du groupe des lipochromes, et l’étude de la pigmentation de l’iris a besoin d’être refaite.

Dans le poil nous ne rencontrons chez homme que la mélanine, à état granuleux ou diffus. La pigmentation du poil est un phénomène indépendant de celle du derme et de l’épiderme. Chez une infinité de mammifères la peau est blanche, l’étude histologique montre fort peu de pigment dans les cellules dermiques, même sous-jacentes à l’épiderme, et cependant les phanères, poils, cornes, sabots ou griffes sont diversement colorés, parfois en noir pur. On observe le phénomène inverse : chez le cheval arabe, la poule nègre, certains singes, la peau est noire, et les phanères peuvent être plus clairs ou même blancs. Il est rare que les phanères et la peau soient noirs, cependant on en trouve des exemples, presque tous chez les primates : Anthropopithecus calvus, A. Gorilla, Homo afer. Quelquefois aussi les phanères et la peau sont également dépigmentés, mais il y a si peu de véritables espèces blanches chez les mammifères que l’on peut regarder le cas comme une anomalie pathologique (albinos), ou comme une variation d’origine climatérique, souvent spéciale à une saison (formes polaires).

La mélanine n’est pas entièrement localisée dans la peau et les phanères. On en trouve un peu partout chez le nègre, jusque dans le cerveau et le sperme. Les expériences de Carnot sur l’injection de grandes quantités de mélanine dans le sang (op. cit., p. 32 et suiv.) montrent que le foie, le poumon, et à un moindre degré les autres organes peuvent devenir complètement noirs, Il s’agit d’ailleurs de cas expérimentaux, et méme en physiologie pathologique on n’a pas observé de cas de mélanisme splanchnique si caractérisé.

L’intensité de la pigmentation n’est pas fixe. Le renforcement est très appréciable sur l’homme exposé au soleil et au hâle, et d’autant plus sensible que sa coloration normale est plus claire. Nous fonçons tous au printemps, et surtout les femmes, et, chose singulière, nous revenons l’été à la couleur de l’hiver, ou peu s’en faut. L’influence du renforcement par la lumière est encore plus manifeste quand on photographie les individus au lieu de les examiner directement. Il est très curieux de voir sur l’épreuve les mains et les têtes très foncées, souvent semées d’éphélides que l’œil ne percoit pas, mais qui modifient profondément la qualité photogénique de la peau. Le corps est très clair, et souvent le passage se fait sans transition à la place du haut du col et du bord des manches. Il arrive parfois que l’inégalité photogénique devient un embarras pour le photographe. Je ne parle pas de l’amateur ou de l’artiste, la situation étant sans remède il en est quitte pour s’abstenir de la photographie du nu sur de tels sujets, mais l’anthropologiste n’a pas la ressource de l’abstention. Quand son sujet est documentaire, il faut qu’il le prenne, et se contente du résultat quel qu’il soit. Il faut le dire, ce résultat n’est pas toujours suffisant, esthétique mise à part. Dans les cas d’inégalité actinique extrême, le cliché est tel qu’au tirage la tête et les mains viennent trop vite, et si l’on donne l’exposition nécessaire pour le corps, le reste est perdu. Si l’on raccourcit l’exposition, les détails de la tête et des mains sont parfaits, mais le corps ne vient pas. Il faut alors faire des clichés complémentaires, à longue et à courte pose. Avec une petite fille à peau d’une remarquable blancheur, mais très hâlée sur les mains et à la tête, j’ai obtenu ainsi deux clichés très curieux. Le tirage de l’un ne donne qu’un corps parfaitement détaillé, la tête, les mains et les pieds sont totalement absents. C’est la fille-tronc. Elle ne manque jamais d’étonner les curieux. L’autre cliché fournit seulement les extrémités, le reste n’est exprimé que par une nébulosité sur le papier. C’est la fille sans corps. Les deux épreuves se complétent pour étude, fort heureusement car le sujet est important comme type spécial, mais elles sont aussi des documents très curieux pour l’étude de la pigmentation.

Chez certains animaux, la pigmentation varie avec beaucoup plus de rapidité. Certains poissons et divers céphalopodes changent de couleur suivant le milieu qu’ils traversent. D’autres se contentent de devenir sombres la nuit. Le caméléon doit sa célébrité à des propriétés du même genre. Notre modeste grenouille verte jouit, à un degré moindre, de la même faculté. Les mammifères et l’homme ne sont pas susceptibles de pareils changements, mais l’étude de la grenouille n’en présente pas moins un intérêt direct, parce que nous saisissons sur le fait la physiologie des variations de pigmentation. Les variations lentes que nous offre la coloration de la peau humaine sont moins rapides, mais la physiologie en est la même, sauf ce qui sera ajouté plus loin.

Certains agents éclaircissent la couleur de la grenouille : lumière (la lumière rouge est la moins active, ce qui prouve qu’il s’agit plutôt des rayons chimiques) ; chaleur ; divers réactifs, comme le chlorhydrate d’aniline, la nicotine, l’ergotine, l’iodure de potassium, la santonine.

D’autres agents foncent la couleur : nitrite d’amyle, carbonates divers. Ces réactifs s’emploient injectés en solution dans le sac dorsal.

Si l’on fixe sur la platine du microscope la membrane interdigitale d’une grenouille soumise à ces agents, on constate que sous l’influence des premiers agents les granulations de pigment émigrent vers le noyau de la cellule. Le pigment exécute au contraire un mouvement centrifuge sous l’action des agents qui foncent la couleur. C’est pourquoi les premiers sont appelés chromoconstricteurs et les seconds chromodilatateurs. L’éclaircissement ou le renforcement de la teinte est donc dû, non a une variation quantitative du pigment, mais à un changement dans l’étendue respective des places noires et des surfaces claires.

Il est à remarquer que les agents ne produisent pas les mêmes effets sur le protoplasme pigmenté (chromoblastes) des divers animaux. La réaction du têtard est précisément inverse de celle de la grenouille, en présence de la plupart des agents.

Des diverses expériences instituées pour déterminer le mode de production des rétractions et des dilatations chromoblastiques, il résulte que ces effets sont causés, partie par une action chimique directe sur la matière cellulaire, partie et principalement par une action nerveuse d’origine centrale ou réflexe, s’exercant par des nerfs spéciaux chromoconstricteurs et chromodilatateurs.

Sous influence de divers agents, une autre cause, plus lente mais plus stable, d’obscurcissement ou d’éclaircissement peut intervenir. La quantité de pigment contenue dans les cellules peut être augmentée ou diminuée. La chaleur, chromoconstrictive chez la grenouille et probablement d’une manière assez générale, produit l’augmentation lente de la quantité de pigment. Cette augmentation a pour résultat de balancer, et au-delà, l’effet chromoconstricteur. De même l’action de la lumière solaire, de la lumière électrique, des rayons X, provoque une augmentation lente mais considérable du pigment. Quand je parle de lumière, il faut bien entendu regarder comme principale l’action des rayons chimiques. C’est ce que démontrent les photographies dont j’ai parlé plus haut, celle de la fille-tronc notamment et aussi d’un jeune homme des environs de Paris, dont la tête et les mains paraissent d’un nègre sur les photocopies. L’inégalité entre les réflexions photogéniques du tronc et des extrémités est bien des fois plus grande que celle des teintes perçues par l’œil. L’absorption ou la réflexion de la lumière sont en effet surtout sous la dépendance de la surface de la peau, tandis que les rayons chimiques traversent assez bien la couche superficielle et sont arrêtés ou réfléchis par la couche sous jacente et invisible.

L’augmentation quantitative du pigment paraît avoir ainsi pour but de rendre le corps moins pénétrable, et d’empêcher la radiation chimique, quand elle devient trop puissante, d’agir dans la profondeur des tissus. L’organisme se défend en faisant de la pigmentation contre des réactions fâcheuses qui pourraient s’accomplir dans les organes. Entre les rayons X qui traversent la plupart des tissus et la lumière qui ne doit guère dépasser la peau, il y a une infinité de radiations connues et inconnues. Le pigment a pour effet d’arrêter leur action perturbatrice, et les effets chromoconstricteurs nous donnent un exemple de cette action[4]

On peut donc estimer que si la constriction des chromoblastes est l’effet direct des rayons thermo et photo-chimiques, ou plus exactement de certains rayons, la multiplication des corpuscules, au point de remplir la cellule comme chez le nègre, est l’œuvre de la cellule même, qui réagit contre la chromoconstriction.

La multiplication des globules s’observe dans d’autres cas dont l’explication n’est pas aussi facile, par exemple sous l’influence de l’acide picrique, si employé dans le traitement des brûlures, de la cantharidine (vésicatoires), de la teinture d’iode. Elle s’observe encore dans les régions exposées au frottement : plante des pieds, empreinte du corset, des bandages et dans les régions soumises à la macération par la sueur : aisselles, aine, périnée. Elle s’observe enfin sous l’influence d’irritations répétées, piqûres de moustiques, de poux et surtout de morpions, qui produisent le mélanisme local dit des vagabonds.

Toute cellule n’est pas également apte à fabriquer ou emmagasiner du pigment. Il faut qu’elle soit vigoureuse et saine. En règle, la cellule faible ne fait pas de pigmentation, même défensive. C’est pour cette raison que le nègre pâlit quand il est atteint d’une maladie chronique, ou dans la vieillesse, que les poils et les plumes des animaux âgés deviennent plus clairs et même blancs. Le cheveu blanc est un poil qui ne fabrique plus de pigment, soit par vieillesse, soit par maladie du bulbe pileux. Si on lui fournit de la couleur par une teinture, il devient jaune, puis roux, chatain et brun foncé.

La corrélation de la vigueur cellulaire et de la production du pigment est établie par les expériences du Dr Carnot. Celui-ci emprunte à des cobayes bigarrés des parcelles de peau noire qu’il greffe sur des régions blanches. La greffe prend, et peu à peu la tache noire augmente ses dimensions jusqu’à décupler son étendue. Les cellules noires, c’est-à-dire richement pigmentées, détruisent et remplacent par prolifération les cellules blanches environnantes. La tache est encore en voie d’accroissement au bout d’un an. Les poils poussent d’abord blancs sur la greffe, puis des poils noirs apparaissent au centre, croissant plus fort et plus vite que les poils blancs.

L’expérience inverse n’a jamais réussi. L’épiderme blanc greffé sur peau noire est détruit par phagocytose quand par hasard la greffe consent à prendre. Cette destruction par phagocytose est l’écueil contre lequel avaient échoué tous les expérimentateurs antérieurs, qui avaient mal combiné leurs expériences, en greffant de l’épiderme de blanc sur des nègres.

Si la greffe noire est faite sur un sujet albinos, elle ne prend pas davantage. Le terrain est mauvais pour elle, et si elle prend, elle est promptement détruite par phagocytose. C’est ce qui explique l’échec des greffes faites du nègre au blanc, et à l’Aryen en particulier.

Ces résultats nous amènent à conclure que la cellule du nègre est plus vigoureuse que celle du blanc, et celui-ci plus ou moins comparable à l’albinos au point de vue de la pigmentation dermique, épidermique et pileuse.

Coloration des primates. — Le pelage des mammifères, à la différence du plumage des oiseaux, est à peu près dépourvu de pigments autres que la mélanine. Il ne varie guère en couleur, les diverses combinaisons formées par le noir, le blanc et le roux font tous les frais de sa parure. Il n’existe à cette règle que de rares exceptions, dont les plus remarquables sont celles de la taupe verte et de certains primates. Les primates paraissent avoir une tendance à s’écarter de la coloration normale des mammifères. Ceux qui ne présentent rien d’anormal dans les couleurs se distinguent déjà par leur disposition. Plusieurs espèces de primates ont du blanc sur le dos, sur la tête : le cas est rare chez les mammifères, on ne le rencontre guère que chez certains ruminants et subursins. La bigarrure est extrême, au moins aussi grande que celle du chat domestique : cela encore est anormal chez des mammifères sauvages. Les singes ne se contentent point de cette variété dans l’emploi des couleurs normales, ils se parent de deux couleurs inconnues du reste des mammifères, le vermillon le plus éclatant et le bleu vif, sans s’abstenir du vert.

Le jaune et le roux ne sont d’ordinaire que des nuances dues à un état particulier de la mélanine. Il en est peut-être aussi de même du bleu et du vert, mais il est probable que dans ces derniers cas un autre pigment intervient. Le vermillon éclatant des Brachyurus calvus et rubicundus suppose probablement quelque pigment du groupe des lipochromes, analogue à celui des plumes des perroquets, ou à la lutéine. Cet éclat varie toutefois avec la circulation cutanée et dépend par suite en partie de l’action des vasomoteurs, comme la rougeur chez l’homme.

J’étudierai d’abord les lémuriens et les singes ordinaires en bloc, réservant les anthropomorphes pour une étude plus détaillée.

La couleur de l’iris est d’ordinaire un brun plus ou moins foncé. Les espèces dont l’iris appartient à la catégorie chromatique intermédiaire sont rares, et ne constituent pas des groupes spéciaux : ainsi Brachyurus calvus Geo. a les yeux moyens, et les autres Brachyurus les ont foncés. Les yeux véritablement clairs sont plus rares encore et constituent surtout des variations individuelles quand il ne s’agit pas d’espèces nocturnes. Chez Lemur nigerrimus Scl. l’œil est bleu verdâtre, c’est-à-dire à peine pigmenté, ce qui est assez curieux chez une espèce toute noire de pelage, mais cette espèce est nocturne. J’ai vu des yeux franchement bleus chez des sujets albinos, notamment chez un jeune cercopithèque apporté du Gabon par le Dr Rul, et que celui-ci a bien voulu me donner.

La peau des primates est ordinairement blanche et mate sur le vivant, rarement tannée ou d’un jaunâtre sale. Sur les exemplaires empaillés, la dernière couleur l’emporte, et non seulement le blanc devient ainsi jaunâtre, mais encore les teintes foncées s’éclaircissent, de sorte que la couleur primitive est assez difficile à distinguer, d’autant que l’épiderme noirâtre disparaît aisément par la macération. La poussière et la crasse foncent artificiellement la peau chez les exemplaires de ménagerie, et ne disparaissent pas toujours à l’empaillage. Il ne faut pas confondre avec la coloration naturelle celle de ce revêtement qui souille la peau[5].

La couleur naturelle de la peau ne s’observe que sous le pelage. Toutes les parties nues subissent en général une modification de couleur. Chez la plupart des lémuriens et une forte minorité des singes, ces parties nues se réduisent à la paume des mains et à la sole des pieds, et au bout du museau encore chez les premiers. Chez les singes proprement dits, la dénudation des extrémités est d’ordinaire plus étendue, et les oreilles, souvent aussi la face sont à peu près glabres. Enfin chez les singes de l’ancien continent les fesses et les génitoires, chez ceux du nouveau la partie inférieure de la queue prenante sont également nues. Dans toutes ces parties qui ne sont pas abritées des rayons chimiques par des phanères, la peau présente une coloration différente, parfois défensive, parfois tout ornementale. En général, les parties nues ou à peu près nues de la tête et des membres, queue comprise, sont foncées. La coloration varie du chocolat clair au noirâtre, presque toujours avec une teinte plus ou moins violâtre ou bleuâtre. La teinte ardoisée, si rare chez les nègres bimanes, est fréquente chez les quadrumanes à face nègre. On trouve cette coloration foncée ou noire des parties nues dans tous les groupes : genres Lemur, Propithecus, et chez les singes Pithecia monachus Humboldt, Aluatia seniculus L., Lagothrix infumatus Spix, Ateles marginatus G., Theropithecus gelada Rupp., la plupart des Cercocebus, C. collaris Gray, petaurista Schr., Callitrichus Geo., la plupart des Colobus, C. verus Bened., rufomitratus Peters, ferrugineus Shaw, Satanas Walerh., la plupart des Semnopithecus, Cercopithecus patas Wat., etc.

Souvent on trouve cette coloration foncée des parties nues dans presque toutes les espèces d’un genre, et à côté des exceptions très nettes. Ainsi Cercopithecus fuliginosus Geo., est seulement tanné, de même S. Phayrei And. Cercopithecus mona Schreber, C. Grayi Fraser ont la face et les extrémités couleur chair. Chez le douc, C. nemæus L., le blanc devient un jaune franc. De même chez Macacus, Cebus, Ateles, etc., il y a des espèces leucoprosopes et d’autres mélanoprosopes. Bien plus, quelques espèces ont une forme à parties nues colorées, et une autre à face et extrémités blanches ou à peine tannées. Tarsius spectrum Geo., a les parties nues blanches, et sa variété fuscomanus Fisch. a les mains noires. Propithecus diadema est nègre de poil et de peau, sauf les parties couvertes, sa variété sericeus qui est à peu près albine a la plus grande partie de la face décolorée. Ateles paniscus L. et A. ater Cuv. ne forment qu’une même espèce, la seconde variété ne diffère de la première que par la coloration noirâtre des parties nues. De même la variété claire de Cebus fatuellus L. a la peau des parties nues blanche et rosée, le poil blond, tandis que le type est foncé.

Certaines espèces mélangent davantage le noir et le blanc, d’autres sont franchement polychromes, et outre le blanc et le noir ont diverses parties de la peau bleues, vertes, vermillon, etc. La plus prodigieuse variété règne parfois dans les couleurs de la peau.

Certaines espèces à face noire ont la peau du tour des yeux et des lèvres de couleur chair : Ateles Geoffroyi Kuhl, Semnopithecus obscurus Reid, frontatus Müll., holotephreus An ders., et beaucoup de Papions, qui sont d’ailleurs polychromes. D’autres à face et pattes relativement claires ont les oreilles noires : Cheiromys, Chirogale melanotis Fors. D’autres sont de plus en plus pie : Cebus hypoleucus Humb., monachus F., ont la face chair, la peau des extrémités et du dos violacée. Ateles cucullatus Gray a la face en partie chair, les joues, le menton, le front, les pattes noirs, les parties couvertes et l’extrémité nue de la queue sont blancs. Ateles Belzebuth Gev. a la face claire, sauf une barre noire a l’œil, et le reste des parties nues est noir.

La peau de la face est rouge ou vermillon chez plusieurs espèces américaines : Hapale argentata L., Brachyurus rubicundus Geo., calvus Geo. Pithecia albinasa Geo., a la région nasale rouge sur une face noire, il est vrai que par compensation son parent P. monachus Humb., a le nez noir sur un fonds pourpré. Chez les espéces de l’ancien continent, le vermillon est surtout réservé pour l’extrémité postérieure. Cependant Macacus fuscatus Blyth a ses deux faces rouge vif, ainsi que son parent M. speciosus Cuv.

Il est impossible de classer les espéces polychromes. Papio leucophæus Cuv., a la face noire, les mains, les pieds, le derriére rouges. P. sphinx Geo., a les parties nues noires, sauf le tour des yeux blanc et les génitoires rouges. De méme P. Anubis Cuv., qui a de plus les pattes blanches. P. Thoth Ogilby a toute la peau, couverte ou nue, blanche, sauf la sole, la paume et les oreilles noires, les callosités pourpre. Nasalis larvatus Wurmb., a la face rougeâtre, les génitoires violacées, et les extrémités noires. Cynopithecus niger Desm., a seulement les fesses roses, tout le reste des parties nues est noir. Cercopithecus cephus L. a la face violette, les lèvres noires, avec une tache blanche en guise de moustaches. C. cynosurus Sc., a la face chair, les oreilles et les extrémités noires, les callosités écarlate, le scrotum bieu vif. Ce dernier est dailleurs vert chez Cercopithecus sabæus L., C. callitrichus Geo. Enfin Rhinopithecus Roxellanæ Edwards a la face verte et les callosités jaunes. Le Papio maimon L. est célébre par l’éclat de ses couleurs : face noire, avec des rides bleues et pourpre sur les côtés du museau, le nez rouge, écarlate au bout, les mains et les pieds noirs, le derriére violet et les génitoires écarlate. Les papions et les cercopithéques sont presque seuls à arborer le bleu, cependant le Lemur rubriventer Geoff., tout au bas de I’échelle des primates, a déja du bleu vif autour des yeux.

Un certain nombre d’cspéces a la peau toute blanche, sur les parties nues comme sur celles qui se trouvent protégées : genre Hapale, Brachyteles Arachnoïdes Geo., et sur l’ancien continent, avec réserves pour le postérieur d’ordinaire brillamment vernissé : Papio cynocephalus Geo., Hamadryas L., Inuus ecaudatus Geo., Macacus speciosus Cuv., du Tibet, M. Rhesus Aud., lasiotis Gray., S. Johannis Swinh., cyclopis Swinhoe, ces deux espèces de Chine, pileatus Shaw, sinicus L., Cercopithecus ruber, Semnopithecus entelles.

Il est inutile d’entrer dans les mémes détails en ce qui concerne les poils, l’homme, notre autre terme de comparaison, étant à peu près glabre en dehors de la tête, des aisselles et des organes génitaux. On trouve chez les primates toutes les nuances existant chez les mammifères, et d’autres à peu près spéciales à ce groupe. Il importe seulement de retenir certaines lois générales qui président à cette bigarrure. 1° Il est très rare que l’animal soit entièrement concolore, le blanc plus ou moins pur s’associe presque toujours au brun, au roux ou au noir ; 2° chez un très grand nombre d’espèces, les poils ne sont pas d’une méme couleur dans toute leur longueur et présentent des zones successives souvent très tranchées. Par ces deux points les singes s’opposent nettement à l’homme, dont le revétement pileux est concolore, en dehors des croisements de H. Europæus, et le poil d’une méme couleur, sinon d’une même nuance dans toute sa longueur.

Ce polychroïsme des poils produit des effets ornementaux très importants. Le vert du Cerc. callitrichus Geo., du Papio leucophæus Cuv., etc., est obtenu par l’alternance sur les poils de zones noires et jaunes, et la nuance est plus ou moins claire ou foncée suivant que le bout du poil est noir ou jaune. Quelquefois (Semnopithecus maurus très adulte), le poil est noir et l’extrémité blanche, l’animal paraît comme poudré. Ce cas est le seul qui ait quelque chose d’analogue chez l’homme. Un même poil, chez certains macaques, peut affecter dans sa longueur trois ou quatre couleurs différentes, répétées le plus souvent.

Les espéces noires de poil sont rares, et ce noir n’est jamais ou presque jamais général et absolu. Citons Aluatta caraya Humb., male, A. villosa Gray, les deux sexes, Ateles ater Cuv., Cynopithecus niger Desm., sauf les fesses, Colobus satanas Waterh., etc.

Les formes blanches, sauf les cas d’albinisme, sont encore plus rares, et il n’y en a pas d’entièrement blanches. Propithecus sericeus ne paraît qu’une variété de P. diadema, et de méme Cercopithecus atys ? est probablement un albinos. J’en ai eu un exemplaire qui a fini par foncer.

Le blond tel qu’il existe chez l’homme est également rare. Il y a un certain nombre d’espèces qui poussent le rouge à l’excès : Cerc. patas Schreb., mais le blond proprement dit, à part des formes subalbines comme C. fatuellus L. v. blonde, est rare comme coloration générale. Le plus bel exemple à en donner est Midas Rosalia L. En général les femelles des espèces rousses sont plutôt blondes, mais aussi quelquefois celles d’espèces dout le mâle est noir, ainsi la femelle d’Aluatta caraya Humb.

Certaines espèces présentent un dimorphisme sexuel de coloration très marqué. L, macaco L. mâle est entièrement noir, parties nues et pelage ; sa femelle n’a de noires que les parties nues, le pelage du dessus est roux vif, plus clair sur le cou et les membres, le dessous est d’un beau blanc, ainsi que les favoris et la queue. Bartlett en avait fait une espèce sous le nom de L. leucomystax. Aluatta Caraya Humb. mâle est noir, et la femelle blonde, jaune paille dessous, aussi Geoffroy en avait-il fait son Stentor stramineus. Stentor, comme nom de genre, est synonyme de Aluatta, mais ce dernier nom, créé par Lacépède en 1801, a la priorité. Les petits sont d’abord jaune paille, puis, quand ils quittent leurs dents de lait, le poil devient plus foncé à la base, d’abord sur le dos. La pigmentation se renforce de plus en plus, jusqu’au noir opaque chez le jeune mâle, et la teinte gagne jusqu’à la pointe. Ce procès est exactement conforme à ce qui se passe chez les individus de notre espèce qui évoluent du cendré au blond foncé et au noir. Sur les longues nattes des petites filles, on observe très bien le passage, et les échantillons prélevés à la pointe et à la base sont fortement contrastés.

Un très grand nombre d’espèces présente une amplitude individuelle de variation très remarquable. Chez la plupart des makis, chaque individu constitue une variété particulière, et il serait difficile de trouver deux exemplaires identiques du Lemur varius. La classification des Cebus et des Ateles, celle des Cercopithecus, ne sont pas beaucoup plus faciles, en raison de l’extrême variabilité de la plupart des espèces. Par ce caractère les primates en général se différencient profondément de l’homme.

Nous arrivons aux anthropoïdes. Ici tout est changé. Plus de couleurs voyantes, à peu près exclusivement le noir, le blanc et leurs combinaisons. L’orang-outang seul fait exception par sa couleur d’un roux vif. La coloration est à peu près uniforme dans les deux sexes, sur le corps entier, et dans toute la longueur du poil, sauf les cas de canitie commençante.

La peau des Hylobates est presque blanche sur le corps, mais plus ou moins noire sur les parties nues. Cependant H. lar et même B. agilis ont souvent la face et les extrémités blanches. Simia satyrus L. est également variable. Le Prof. Selenka, qui a tué et étudié sur place à peu près 300 orangs, distingue plusieurs variétés locales, toutes confinées dans le N. O. de Bornéo, l’espèce ne se trouvant nulle part ailleurs dans l’île. S. satyrus tuakensis a la peau peu pigmentée, les autres variétés sont plus ou très pigmentées (Selenka, Die Rassen und der Zahnwechsel des Orang-Utan, Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 1896, I, 333). La coloration peut être très faible chez les individus élevés en Europe. J’ai eu un orang étiolé par six ans de domesticité, dont la peau était presque aussi blanche que celle d’un Européen, sauf sur le visage et sur les autres parties découvertes. Ces parties, sur l’orang normal, sont plus ou moins noirâtres ou ardoisées suivant la variété. Les lèvres et le tour des yeux sont toujours plus clairs.

Troglodytes gorilla Wyman est franchement nègre. Il a la coloration moyenne du nègre respectivement dans toutes les parties du corps. Il y a d’ailleurs des variations individuelles, comme chez Homo afer.

Troglodytes calvus du Chaillu est également nègre, mais le Troglodytes niger est seulement couleur de mulâtre, plus tanné sur la face. L’exemplaire décrit par Gratiolet sous le nom de Troglodytes Aubryi présentait une pigmentation très marquée, singulièrement répartie : une bande scapulaire allant d’une aisselle à l’autre, et se prolongeant sur la face dorsale des bras, réunie par-dessous à une autre bande qui allait rejoindre les cuisses, et enfin une autre sur la jambe. J’ai vu un dessin à peu près analogue sur un chimpanzé empaillé du laboratoire de zoologie de l’Université de Rennes. J’ai eu un jeune chimpanzé qui avait seulement deux taches sombres sur les pectoraux, tout le reste de la peau étant très clair, et le visage rosé. D’autres chimpanzés sont à peu près entièrement clairs comme les blancs.

L’iris est de coloration foncée, rarement moyenne. Mon orang avait les yeux châtain clair, tachetés de fines pétéchies brunes. J’ai vu des yeux presque clairs chez un H. lar, mais demi-albinos.

La fourrure des Hylobates est épaisse, assez longue, et foncièrement noire. Chez presque toutes les espèces, et spécialement chez l’agilis, le syndactylus et le lar, il y a des individus atteints de canitie partielle ou presque totale. Chez syndactylus, cette canitie est plus fréquente, plus désordonnée, et il serait difficile de trouver deux exemplaires entièrement semblables. La canitie existe, chez cette espèce et chez H. lar, sur des individus même très jeunes, mais son caractère demi-pathologique est accusé par l’irrégularité des taches blanches, et la présence de nombreux poils dont le bout seul est blanc.

L’orang est également pourvu d’une puissante fourrure, sèche et rude, qui le protège contre les pluies tropicales. Chez mon orang, les poils du bras atteignaient 0 m 16, et ceux des épaules 0 m 33. Les cheveux et les poils du ventre n’avaient que neuf centimètres. Ces longueurs, très rares chez les exemplaires de musée qui proviennent des ménageries, sont normalement dépassées chez les orangs sauvages. Le poil de l’orang varie du roux blond sous le ventre au roux brun sur le dos. Chez la plupart des variétés ce roux brun est très foncé, très brûlé, mais il reste toujours un reflet rutilant.

Les anthropoïdes africains sont au contraire pourvus d’une fourrure courte, rare, et parfaitement noire. Le gorille, en particulier, n’a guère sur la poitrine que des poils clairsemés. Les exemplaires clairs de chimpanzé paraissent les plus velus, et la coloration de la peau est en général d’autant plus foncée que la partie est moins protégée.

Nous arrivons donc pour les anthropoïdes à cette conclusion, applicable à tous les singes et aux lémuriens, sauf quelques exceptions individuelles : les régions qui se défendent en faisant de la pigmentation sont celles et seulement celles qui ne sont pas autrement protégées contre les rayons chimiques[6].

Coloration chez l’homme. — L’homme ne varie guère, à l’exception de H. Europæus, que par la peau. L’œil est, en effet, trèg pigmenté chez presque toutes les populations noires et jaunes. Il ne s’éclaircit qu’en Europe, et dans les pays colonisés autrefois ou récemment par des émigrés venus d’Europe. C’est dans ces conditions seulement que nous trouvons des iris dépigmentés, et paraissant bleus. Entre l’œil foncé, à iris brun de teinte uniforme, et le bleu il y a toute une série d’intermédiaires. Le pigment peut être raréfié, ou disposé par traînées divergentes, par rayons, ou par cercles concentriques, le pourtour étant plus pigmenté que la zone voisine de la pupille. De là l’infinie variété des yeux marrons, verts, gris, qui caractérisent les métis de H. Europæus et forment la grande majorité en Europe, sauf dans l’extrême sud et dans le N.-O. Pour se rendre compte de cette variété, il faut se reporter aux planches coloriées de l’album de Bertillon (Identification anthropométrique, Nouv. éd., Melun, 1893), et ne pas oublier que les exemples fournis sont une très petite partie des cas qui peuvent se présenter. Il en est de même pour les cheveux. Entre le N.-O. de l’Europe, où le blond est la règle, et le reste de l’Ancien Continent, s’étend une large zone où toutes les nuances intermédiaires se combinent, parfois chez le même individu, car la barbe est souvent plus claire que les cheveux. Sur tout le reste du globe, le noir est la règle[7].

Pour la peau, il en est autrement. Il y a beaucoup de races peu ou médiocrement pigmentées et la couleur primitive de l’homme est, je pense, aussi éloignée du teint du nègre que de celui de l’Écossais. L’homme des tropiques a subi plus que nul singe, même le gorille, l’influence mélanisante des climats tropicaux parce qu’il était nu. Dans les régions moins chaudes, où l’homme était obligé de se garantir par des vêtements le jour comme la nuit, la peau n’a pas subi une pareille adaptation, ou plus exactement la sélection basée sur la résistance aux radiations ne s’est pas exercée avec la même intensité. La même raison explique pourquoi les populations de race plus claire qui ont dépossédé les anciens noirs de l’Inde n’ont pas encore pris la livrée du climat. La formation de variétés très pigmentées a été rendue moins utile par l’usage des vêtements, et l’influence du climat s’est trouvée moindre que sur les anciens indigènes à peu près ou entièrement nus. La question de la pigmentation et celle de la perte du pelage sont ainsi en corrélation directe avec celle du vêtement.

Aussitôt que l’homme a pu faire varier le milieu, comme le remarque très justement Vaccaro, la nécessité de varier a diminué pour lui-même. L’usage des abris, du feu et des vêtements a rendu inutiles la pigmentation intense dans les pays chauds et la conservation de la fourrure dans tous les pays, ceux où la nuit seule est fraîche, et ceux où le froid peut régner même le jour. Il n’est resté de fourrure que sur la tête, pour assurer mieux contre les rayons chimiques, la chaleur et le froid le cerveau déjà garanti par sa boîte osseuse, au visage chez l’homme à titre d’ornement soumis sans doute à la sélection sexuelle, aux aisselles et aux aines pour éviter l’érosion de la peau toujours humide et soumise à de fréquents frottements. Les sculptures de l’époque du mammouth nous montrent déjà le vêtement en usage chez une race encore pourvue d’un pelage assez fourré pour que l’artiste ait éprouvé le besoin de l’indiquer (Piette, La station de Brassempouy, Anthropol., 1895, p. 129 s. ; Cp. 1897, p. 168).

L’extrême pigmentation comme la dépigmentation sont donc deux exceptions. La teinte dominante varie du blanc mat et plus ou moins ambré au vieux cuir et à l’olivâtre. En somme la coloration de la peau suit d’une manière grossière les zônes géographiques. La région des peaux bistrées et jaunes coïncide assez exactement avec la zone sèche qui commence au Sahara et se termine au désert de Gobi. La région des peaux noirâtres correspond à la zône de l’humidité chaude. Il fait plus chaud en Arabie et dans le Sahara qu’au Congo. Dans les régions humides et moins chaudes, la couleur tourne à l’olivâtre. Dans les régions froides et assez humides de l’extrême nord, le teint est plus foncé que dans la zone sèche et ses régions bordières à climat continental. C’est ce que montrent bien les cartes météorologiques, celles de l’Atlas Brockhaus par exemple, comparées avec les cartes anthropologiques publiées par le professeur Ripley de Boston dans sa Racial Geography, spécialement la carte de la page 757 (Color of Skin.)

La pigmentation est en relation plus directe avec le climat et le genre de vie qu’avec la race anthropologique. Il existe sur le Haut-Nil et dans la région du Niger des peuples aussi foncés que les nègres et qui se rattachent cependant au groupe dolichocéphale d’Europe. La pigmentation est surtout une livrée de climat, lentement acquise par sélection. J’ai étudié longuement cette question du climat dans un précédent volume de ce cours (Sélections sociales, chap. V, p. 127 et s.) et je me borne à renvoyer le lecteur à ce que j’ai dit des climats qui font blanc, jaune ou noir. V. aussi plus loin, p. 76, et note.

J’insiste seulement sur un point qui paraît avoir attiré l’attention d’une manière insuffisante. Beaucoup de populations n’occupent les régions où nous les trouvons que depuis un nombre limité de siècles. Ainsi les populations jaunes ont débordé sur les noires dans l’Inde, l’Indo-Chine, l’Indonésie, mais le type noir est plus ancien, antérieur à la géographie actuelle. Ainsi les Indonésiens se retrouvent à Madagascar, et il y a de fortes raisons de croire qu’ils n’y sont pas venus directement par mer, mais en suivant des terres disparues dont Teffondrement peut d’ailleurs ne pas appartenir aux âges géologiques. La fixation de la couleur paraît remonter, au contraire, au delà des temps historiques, à l’époque antérieure aux civilisations. Les nègres, au témoignage des Égyptiens, n’ont pas varié depuis six mille ans, c’est-à-dire depuis notre époque de la pierre polie. Sous le bénéfice de cette observation, on consultera avec fruit le chap. III du travail du Prof. Ripley.

Coloration chez l’Aryen. — À mesure que nous avancions dans l’étude minutieuse de la coloration des primates et de l’homme, il devenait plus évident que celle de H. Europæus est un phénomène unique, anormal et pour ainsi dire pathologique. Cette peau rosée, ce visage vermeil, ces yeux dépigmentés, ces poils clairs, presque déteints, nous n’avons rien vu d’équivalent. Si parfois ces caractères se rencontrent, c’est chez des espèces ou plutôt des variétés vivant dans des conditions anormales, et frappées d’une sorte de dégénérescence. Les singes à face vermeille habitent les forêts obscures et inondées de l’Amazonie, à l’abri d’impénétrables frondaisons et dans une atmosphère saturée d’humidité. Le mico, Hapale argentata, dont la face est vermeille et le poil fin et presque blanc, vit dans ces conditions depuis le Tucuman jusqu’à l’isthme de Panama, pays où l’homme lui-même est souvent frappé d’albinisme, et les exemplaires qui ne sont point pris dans les forêts inondées, ou qui ont longtemps vécu captifs, ne sont ni si clairs de pelage, ni si vermeils sur la face. Midas Rosalia, tantôt vermeil et tantôt foncé sur les parties nues, est d’un blond plus roux, mais devient dans certaines variétés d’un blond brun ou brun clair. De même chez les Brachyurus le caractère anormal, demi-pathologique, de la coloration est évident si l’on considère la coloration tout à fait ordinaire d’individus, tellement voisins des premiers à tous autres regards que les naturalistes hésitent à les regarder comme appartenant à des espèces distinctes.

Ces races claires sont donc des races demi-albines appartenant à des espèces primitivement normales, et cet albinisme est lié à l’habitat dans un milieu très humide et obscur. Leur coloration est un phénomène d’étiolement, et l’adaptation au milieu est si parfaite que ces races, d’ailleurs très pauvrement représentées en individus, s’éteignent à mesure que la forêt vierge disparaît. On peut dire d’autre part que cette coloration claire est due à la conservation par l’adulte de caractères du jeune âge. Chez la plupart des singes la femelle est plus claire que le mâle, et le petit très clair, souvent blond, ou presque blond, car, je le répète, la couleur à laquelle on donne ce nom est presque l’apanage exclusif de l’homme et ne se réalise que par à peu près chez le singe. Le Cyn. maurus, qui est tout noir, est tout à fait jaune paille dans son enfance et j’ai donné plus haut un autre exemple semblable. J’ai cité également, en parlant du dîmorphisme sexuel, l’exemple d’un platyrhinien dont le mâle est foncé et la femelle blonde. La couleur claire est ainsi nettement caractéristique de l’âge ou du sexe le plus débile.

H. Europæus vit, lui aussi, dans une région qui, si elle est moins chaude, n’est guère moins humide que l’Amazonie, et qui par l’obliquité des rayons solaires et l’épaisseur des brumes se trouve dans des conditions d’inactinisme particulières. Son habitat était autrefois plus étendu, mais il est aujourd’hui confiné autour de la Mer du Nord et du bassin inférieur de la Baltique. Il semble, comme le mico et le marikina, n’avoir pu résister à la destruction des grandes forêts. Cette race spéciale et unique est ainsi cantonnée dans un climat unique et spécial, maritime et terne, sans hivers rigoureux mais sans étés véritables, brumeux quand il n’est pas pluvieux, et dépourvu de soleil. Il est à remarquer que nulle région du globe ne présente ces conditions particulières, résultantes d’une infinité de causes, l’exposition à l’ouest, sous le vent de mer, le Gulf-Stream, le peu d’élévation des terres, l’abondance des marécages et des lieux humides, et l’enchevêtrement des terres avec la mer. La côte américaine située en face est relativement sèche et ensoleillée, ces conditions étant absentes. Sur le Pacifique la Colombie anglaise ne présente qu’une étroite bande de littoral, derrière laquelle les hautes montagnes condensent aussitôt les nuages apportés par le vent d’ouest et le Kuro-Sivo. Les conditions seraient plus favorables sur la côte sibérienne, mais l’orientation est à l’est, il n’y a pas de courants chauds s’épanouissant sur la côte, et le vent dominant vient de terre. Dans toutes ces régions froides et médiocrement humides la peau est jaune et assez foncée.

On peut donc dire que H. Europæus est par sa morphologie l’homme du Gulf-Stream. Quand on le sort de ce milieu, il dépérit, comme je l’ai montré dans les Sélections sociales en parlant de l’acclimatement. Nous sommes donc amenés à conclure que ses caractères spéciaux, lymphatisme et dépigmentation, nouveaux dans le groupe des primates et surtout chez les bimanes, ont été acquis par l’innuence d’un milieu humide et obscur, analogue à celui où la race prospère aujourd’hui, mais présentant sans doute un maximum de ces conditions. Nous sommes ainsi conduits à chercher la région dans laquelle ces conditions maxima ont pu se trouver remplies[8]

Recherche du milieu producteur du type dépigmenté. — Dans cette recherche nous devons nous inspirer d’abord d’un principe à tort bien négligé par la plupart des anthropologistes. La géographie que nous connaissons, celle d’aujourd’hui, n’est pas la géographie des temps où s’est formée la race Europæus L’Europe et ses environs n’ont pas subi de modifications considérables depuis deux mille ans. Sauf au N. de la Caspienne et sur les bords continentaux de la Mer du Nord, il ne paraît pas y avoir eu de variation des limites de la terre et de la mer, et ces variations ont, en somme, été restreintes. Dans les périodes antérieures il n’en a pas été ainsi, et de grandes fluctuations dans les contours du N. O. et de l’E. de l’Europe se sont produites dans les temps que nous appelons néolithiques en Europe, mais qui répondent déjà aux débuts de la civilisation en Égypte et en Chaldée. Des effondrements étendus, dans les regions égéenne et pontique, ne paraissent même pas remonter plus haut. Quant au quaternaire proprement dit, le pleistocène des auteurs actuels, il a été marqué par une succession d’effondrements à l’orient de l’Europe et dans la région de l’Atlantique, combinés avec des soulèvements et affaissements alternatifs de toute la region N. O. de l’Europe.

Apres avoir longtemps cru que les modifications géologiques s’étaient produites par de brusques cataclysmes, puisque ces modifications étaient l’œuvre lente et insensible des causes actuelles, les géologues ont fini par constater que, si dans la généralité des cas les mouvements du sol sont plutôt lents et graduels, il se produit aussi parfois des relèvements soudains et des effondrements subits, dus à la rupture et à la chute de voussoirs parfois très étendus de la voûte terrestre, et à des mouvements de bascule des régions mises ainsi en porte-à-faux. La fin du pliocène et le pléistocène tout entier ont vu se produire avec une fréquence exceptionnelle ces ruptures de voûte accompagnées de dislocations et de relèvements partiels, C’est ainsi que la formation de la Méditerranée actuelle et de l’Atlantique sont des faits récents, contemporains de l’homme paléolithique et pliocène.

Tous ces faits relatifs à la géologie et à la palégéographie du pléistocène sont connus d’un très petit nombre de personnes, du moins en France, où la plupart des géologues ne lisent même pas les travaux relatifs aux époques géologiques récentes. Les préhistoriens sont encore plus mal renseignés, l’ouvrage de M. de Mortillet qui leur sert de guide datant d’une période où les notions sur le pléistocène étaient à peu près nulles. Depuis dix ans les géologues suédois, russes, allemands, anglais, se sont passionnés pour la géologie et la climatologie quaternaires, et un nombre infini de monographies excellentes a paru. La lumière est déjà suffisante, et il est possible de se faire une idée des vicissitudes extraordinaires qui ont bouleversé l’Europe et ses environs pendant ces temps si rapprochés et que l’on croyait naguère avoir été géologiquement si calmes.

C’est dans ces vicissitudes qu’il faut aller chercher l’origine de l’H. Europæus. C’est pourquoi, je vais résumer l’histoire de la période pléistocène, qui ne se trouve nulle part, et qu’il est indispensable cependant de connaître avant d’aller plus loin.

Définition du pléistocène. — Si l’on prend pour caractéristique du pléistocène l’alternance de périodes chaudes et de périodes froides, il faut lui rattacher le sicilien, qui correspond à la première période froide connue de ce système climatologique, et qui a été placé jusqu’ici dans le pliocène supérieur. Il n’y a pas lieu d’autre part de distinguer du pléistocène la période actuelle, qui ne diffère en rien par la faune du pléistocène supérieur, à l’exception de quelques espèces détruites récemment par l’homme. Tout le pléistocène enfin doit être compris dans le tertiaire, aucune différence considérable de faune ne permet de faire pour lui une division équivalente à celle du secondaire et du tertiaire. Sans les phénomènes spéciaux de glaciation, et le changement de l’orientation des grandes masses océaniques, autrefois parallèles et devenues perpendiculaires à l’équateur, il n’y aurait même pas à séparer le pléistocène du pliocène, dont les espèces se continuent presque toutes par des variations légères jusque dans la faune actuelle.

Les glaciaires. — Le pléistocène ainsi déterminé présente une dizaine de périodes, alternativement chaudes et froides, avec des alternances correspondantes de faunes tempérées et arctiques. Si l’on en juge par l’importance des traces, les périodes les plus anciennes ont été les plus longues ; elles paraissent avoir été aussi les plus contrastées. Le froid paraît avoir été en croissant de la première à la seconde période froide, et en décroissant dans les autres. Chaque période chaude paraît au contraire avoir été moins chaude que la précédente. On trouve sur tout le globe des traces de pareilles alternances, sans qu’on ait pu établir encore si le refroidissement ou le réchauffement affectaient la terre entière, ou si une période de chaleur dans un hémisphère correspondait à un refroidissement dans l’autre. On paraît, en tout cas, avoir établi le synchronisme des périodes pour rhémisphère boréal dans les deux continents.

Ce qui donne aux prennières périodes froides leur caractère particulier, c’est l’intensité des phénomènes glaciaires. Il y a eu probablement toujours des régions élevées et froides sur la terre. C’est dans de pareilles conditions que s’est faite la spécialisation des formes animales et végétales que nous appelons alpines et arctiques, dont la vaste diffusion caractérise les époques froides du pléistocène. Il y a même eu des glaciers dès l’époque primaire, et l’on a signalé sur plusieurs points, en France, en Australie, des conglomérats et des cailloux striés d’origine glaciaire[9]. Ces glaciations locales ont pu prendre des proportions énormes sur les flancs de chaînes de montagnes aujourd’hui usées et réduites par l’action des intempéries à des proportions relativement modestes, comme le Caucase et les Pyrénées. De vastes dépôts miocènes subpyrénéens ont été attribués, à tort ou à raison, à de semblables causes. Le refroidissement des régions polaires n’était pas non plus un fait nouveau. Graduellement pendant le tertiaire la température s’était abaissée dans la zone arctique, et les couches les plus élevées, au Spitzberg et au Groenland, n’accusent plus une flore chaude, mais tout au plus celle de la France. Mais en somme, entre ces phénomènes et ceux des époques glaciaires pléistocènes, il y a une telle différence qu’elle doit être regardée comme qualitative et non simplement quantitative. Au moment de la plus grande glaciation, pendant le second ou grand glaciaire, la région nord de notre hémisphère était écrasée sous le poids d’une énorme calotte de glace d’une épaisseur moyenne de plusieurs centaines de mètres, et qui atteignait en Scandinavie une épaisseur assez grande pour recouvrir les basses montagnes. La limite méridionale des dépôts laissés en Europe par ce glacier formidable passe à peu près par Bristol, Douvres, Anvers, Magdebourg, Leipzig, Breslau, Lamberg et Kiev. En Asie elle remonte plus au nord, pour redescendre un peu vers le sud dans la Sibérie orientale. Les traces sont plus difficiles à suivre, une partie de ces régions ayant été couverte par la mer pendant le pléistocène moyen, la moraine frontale a été dispersée par les flots, et son existence n’a été constatée que depuis peu d’années. En Amérique la calotte glaciaire paraît avoir été plus épaisse qu’en Europe, et ses traces descendent davantage vers le sud à mesure qu’on approche de l’Atlantique, dont l’influence sur la production des glaces paraît indiscutable. Sur cette coupole de glace, uniforme et dont la continuité est établie par le transport jusqu’en Belgique des roches scandinaves, s’élevaient comme des îles rocheuses les sommets les plus élevés des montagnes de la Scandinavie et de l’Écosse. La base du glacier rabotait le fond de la mer, relevant jusqu’à la hauteur de son front, le long des montagnes britanniques, les coquilles marines dont la présence a fait exagérer longtemps l’amplitude de la submersion de l’Angleterre.

On est stupéfait de la prodigieuse masse des eaux solidifiées ainsi et devenues pendant longtemps comme une formation géologique. On se demande quelle influence la soustraction d’une pareille couche a pu exercer sur le régime de l’Océan, et on se trouve plus stupéfait encore de constater que presque partout le niveau de celui-ci était plutôt supérieur au niveau actuel, par suite de causes diverses, et d’un affaissement marqué du sol. Cet affaissement lui-même serait facile à comprendre, par le double effet de la contraction due au refroidissement, et de la compression due au poids du glacier, dont la pression moyenne dépassait cinq millions de kilogrammes par mètre carré, mais il doit avoir eu des causes plus générales, car le maximum d’affaissement a toujours accompagné le début et non le plein des périodes glaciaires[10].

La température sur cette coupole de glace n’était pas toujours et partout très basse, mais elle devait rarement se relever au-dessus de zéro[11]. En dehors de ses limites, et dans une zone très étendue, devait régner un régime humide et froid, humide, car la production de la glace suppose une abondance de neiges, et l’évaporation reproduit à son tour de la vapeur d’eau, froid, car une pareille masse de glace devait emprunter au loin le calorique nécessaire à sa fusion. Certains géologues ont soutenu que la température pouvait être douce au voisinage du glacier polaire. Il en est ainsi en Nouvelle-Zélande tout près de glaciers qui descendent jusqu’à 200 mètres du niveau de la mer, le Waïhau par exemple, mais il n’y a guère plus de comparaison à établir entre un modeste glacier et la coupole polaire qu’entre un feu de tisons et un volcan. En pareille matière, c’est la quantité qui est tout. Il n’y a pas davantage à tenir compte de la plupart des preuves directes, tirées de la superposition immédiate de couches fossilifères et de dépôts glaciaires. Les fossiles datent d’une époque où le glacier n’avait pas atteint son développement maximum ou se trouvait déjà en régression, dans les deux cas assez éloigné pour que le régime glaciaire virtuel ne fût pas actuel au point éludié. Cependant » par suite de circonstances particulières, régime du vent d’ouest, humidité plus tiède, certains dépôts britanniques montrent des alternances de flores presque tempérées avec des lits nettement glaciaires. Sur ce point, la zone neutre entre la mort et la vie doit avoir été plus étroite.

Partout ailleurs, de la calotte glaciaire jusque bien loin dans le sud, le sol devait être constamment balayé par un vent furieux et glacé, une sorte de mistral perpétuel causé par le retour vers l’Équateur de l’air ramené à zéro sur cet énorme appareil réfrigérant. Les faunes de toundra et de steppe, si bien étudiées par Nehring en Allemagne, correspondent à ces époques où le vent ne permettait pas aux arbres de vivre, même à plusieurs centaines de lieues du bord extrême de la coupole.

Il paraît y avoir eu quatre périodes comportant un grand développement de la calotte polaire. La première glaciation et les deux dernières n’ont que peu dépassé les bassins de la Baltique et de la Mer du Nord, mais le développement des phénomènes glaciaires a été cependant très grandiose dans les régions montagneuses. Les chicots de montagnes du centre de la France montrent les traces de glaciers formidables, contemporains du premier glaciaire, et que l’usure des cimes a empêché de se reproduire plus tard. Dans les Alpes, les glaciers du grand glaciaire ont au contraire entièrement raboté les moraines du premier.

Dans les intervalles des périodes froides, la température était d’abord supérieure à celle d’aujourd’hui. La faune à Elephas meridionalis et celle à Elephas antiquus comportent des espèces dont le genre de vie exigeait un climat doux, par exemple le magot, et des amphibies exigeant des eaux constamment libres de glace, comme l’Hippopotamus major et son descendant amoindri l’hippopotame ordinaire. A partir du troisième interglaciaire les espèces adaptées au froid, rhinocéros laineux, mammouth et renne, dont la présence ne se constatait que par exception dans la couche inférieure, ne quittent plus le pays jusqu’à leur entière destruction. Les périodes froides ne le sont plus assez pour leur interdire la vie dans les lieux abrités, et pendant les périodes chaudes, l’excès de la température n’est pas tel qu’ils ne puissent subsister dans les montagnes ou dans les forêts exposées au nord. De là de singulières coïncidences dans divers dépôts du pléistocène moyen et supérieur, et des mélanges déconcertants qui s’expliquent par les incursions estivales des espèces méridionales dans le nord, et les migrations hivernales des espèces du nord vers le midi, sous un régime climatérique à saisons très contrastées comme celui de nos pays à la fin du pléistocène.

Causalité des glaciations. — On ne sait rien de bien précis sur les causes des phénomènes glaciaires. Elles paraissent avoir été fort multiples, les unes générales et les autres locales. Les maxima de froid ont été dus pour chaque région à des conjonctures spéciales de causes, ce qui explique l’inégalité du phénomène dans les divers pays.

Pendant le miocène, la flore du Groenland et du Spitzberg avait de grandes analogies avec les flores actuelles des Canaries, de la Galice et de l’Irlande, elle suppose un climat très doux, plutôt chaud, et une grande humidité. Même en admettant un léger déplacement du pôle, que penser d’une pareille flore dans des régions où le soleil monte aujourd’hui si peu sur l’horizon l’été, où l’hiver est marqué par une nuit de plusieurs mois ? Il faut supposer qu’alors le soleil, plus grand, probablement moins chaud, éclairait à la fois les deux pôles du globe. Depuis, sa condensation s’est accusée, les pôles sont privés de ses rayons, et l’équateur les reçoit plus chauds. Le pléistocène paraît répondre à cette période de transition. Que le phénomène ait été dû à des causes internes, ou que le soleil lui-même ait subi une action réfrigérante extérieure, il paraît certain que la crise a coïncidé avec la période météorologique tourmentée qui nous occupe. Le soleil n’était certainement pas durant le tertiaire tel qu’il est aujourd’hui (Blandet, Lapparent, Faye).

Il est évident que la réduction de volume du soleil, et le changement dans l’incidence de ses rayons ont déterminé une condensation considérable de vapeurs atmosphériques. Il s’est produit en petit pour la vapeur d’eau ce qui s’était fait en grand quand le globe entier était passé de l’état gazeux à l’état liquide. De là, et pendant une longue période coupée d’alternatives, un régime de brumes épaisses, de pluies interminables et de neiges abondantes, et la cessation du rôle protecteur contre le refroidissement que jouait l’épaisse couche de nuages permanents du monde ancien.

Ce phénomène, sur lequel mon attention a été attirée par M. de Rouville, me paraît avoir eu sur le pléistocène une influence principale. D’autres causes générales ont exercé aussi une influence probable. Le général Drayson pense que le pôle décrit un cercle autour d’un point situé à 6° du pôle de l’écliptique, et à 29° 25’ 47’’ du pôle. Vers 13700 avant J.-C, le cercle polaire pouvait ainsi coïncider avec le centre de l’Angleterre. Il est possible aussi que la théorie de Croll explique une partie des phénomènes, mais elle a le tort grave de n’expliquer facilement qu’un glaciaire, commençant il y a 240.000 ans, durant 160.000 ans et prennent fin il y a 80.000 ans à peu près. Pour quiconque a étudié les dépôts pléistocènes, alluvions de fleuves ou dépôts marins, il est bien difficile d’admettre une pareille durée du glaciaire, et une pareille ancienneté de sa fin. Ces dépôts, terrestres ou marins, partout où la glace n’est pas intervenue, ne représentent que bien peu de chose auprès des couches vraiment géologiques[12]. Il ne s’agit plus, d’autre part, d’un seul mais de plusieurs glaciaires, de sorte que l’hypothèse de Croll s’appliquerait seulement au second. Il est possible enfin que des phénomènes géologiques internes aient produit un déplacement appréciable de l’axe de gravité, et par suite des pôles, à diverses reprises, mais cette cause est à peu près négligeable. Il faudrait un prodigieux changement d’équilibre, un soulèvement en masse de la moitié des terres du globe à deux ou trois mille mètres, pour faire varier d’un ou deux degrés la position du pôle. La cause dominante reste donc celle-ci : avant le pléistocène il n’y avait pour ainsi dire ni zônes ni saisons, la paléontologie nous le prouve, et les périodes de lutte entre le chaud et le froid ont été la crise inaugurale du régime actuel.

Des modifications importantes dans la répartition des eaux et la direction des courants se sont produites pendant le pléistocène. En Europe, les choses se sont passées comme si dans les périodes froides le Gulf-Stream fut arrêté très au large, à des centaines de lieues, par une barrière de terres basses, ne laissant accéder les nuages que refroidis et prêts à se résoudre en neige. Les effondrements considérables dans la région atlantique ont agi aussi comme causes directes de production de vapeur, et ont dégagé certainement au fond de la mer des quantités considérables de calorique, en partie dues à l’action mécanique et en partie à d’immenses épanchements basaltiques. Ces effondrements ont agi encore d’une manière plus directe, en soulevant d’immenses raz-de-marée qui balayaient les continents jusqu’à une grande hauteur. Les phénomènes diluviens, en effet, sont à peu près les seuls qui puissent expliquer la présence d’alluvions de plateaux dans diverses régions. Il suffit de se reporter aux récits du raz-de-marée qui accompagna l’explosion du Krakatoa pour comprendre l’élévation prodigieuse des lames que devaient produire des effondrements étendus, mille ou un million de fois plus vastes, et plus profonds.

Il n’y a pas à tenir grand compte des dénivellements lents. Ils ont agi simplement en modifiant la répartition des terres et des eaux, dans le N. O. surtout, mais ils n’ont élevé aucune région étendue à de grandes hauteurs. Des mouvements de bascule ont porté en Sicile, en Calabre, en Turquie, de petits lambeaux de terrain sicilien ou saharien à quelques centaines de mètres d’élévation, mais, d’une manière générale, c’est plutôt par une tendance à l’affaissement des terres que se caractérise le pléistocène. Ces périodes d’affaissement comportent des phases, de compensation partielle qui sont les périodes chaudes, mais les époques froides paraissent avoir été toutes des périodes d’affaissement général. Il faut d’ailleurs retenir que le maximum de dépression ne coïncide pas dans l’espace et le temps avec celui de la coupole glaciaire et de l’extension des froids, de sorte que les dépôts nous renseignent surtout sur la faune marine du commencement et parfois de la fin de l’époque glaciaire correspondante. Il est bien certain que cet affaissement n’a pas été dû seulement à la compression par la calotte de glace, ou à l’attraction exercée par celle-ci sur les eaux, déterminant un bourrelet de la surface marine, ni à la contraction des matériaux de l’écorce terrestre par l’effet du refroidissement[13]

A titre d’exemple, la côte scandinave était, avant le pléistocène, de 1.000 m. environ au dessus de son niveau actuel dans la region des fiords, qui, naturellement, n’ont pas été creusés sous l’eau. Pendant le quatrième glaciaire, la Scandinavie méridionale était de 300 m. environ au dessous du niveau actuel. Les dénivellations ont été généralement moins considérables dans le reste du N. O. de l’Europe, a peu près 40 m. seulement pour l’Écosse et moins pour l’Angleterre. Evidemment des causes géologiques locales sont intervenues comme élément principal dans ces dénivellations.

Formation de l’Atlantique. — L’événement géologique du pléistocène est la formation de l’Atlantique. Jusqu’alors et depuis le crétacé supérieur la grande masse des eaux dans l’Occident de l’hémisphère nord affectait la forme d’une bande irréguliere, s’étendant depuis le N. de la Perse jusqu’au fond du Golfe du Mexique, et dont l’étendue longitudinale et les contours ont varié suivant les époques dans des proportions considérables. Les régions couvertes aujourd’hui par l’Atlantique Nord etaient un continent fort ancien, dont les débris nous montrent encore en Irlande, aux Foeroer, en Islande, au Groenland, dans le N. E. de l’Amérique, des traces de lits charbonneux à flore et à faune terrestres. Plus au N. il y avait probablement de vastes étendues d’eau, mais d’eau tiede, car les couches du Spitzberg nous montrent une flore tempérée chaude, et oq a trouvé au N. du Groenland, à Discovery-Harbour, par 81°.48, le Taxodium distichum qui vit actuellement au Mexique.

On peut voir dans l’ouvrage célèbre de Suess, et surtout dans l’édition française publiée par M. de Margerie sous le nom de Face de la terre, (t. I, part. 2, ch. iv), le résumé des vicissitudes de cette mer parallèle à l’Équateur et dont la faune avait une grande uniformité à chacune de ses époques. Les formations à polypiers de Saint-Barthélemy, leurs équivalents de Cuba, de la Jamaïque, représentent les bancs à polypiers de Castel-Gomberto et de Crosara en Europe : Trochosmilia subcurvata, arguta, Stephanocœnia elegans, Astrocœina multigranosa, Ulophylla macrogyra, Porites ramosa. Cidaris melitensis existe dans plusieurs des Antilles, en compagnie d’espèces proches parentes de celles du calcaire supérieur de Malte ; comme Schizaster Loveni, Brissopsis Antillarum. La différenciation s’accuse dans les étages supérieurs ; une cause, sur la nature de laquelle on n’est pas fixé, mais qui ne comporte pas l’existence d’une séparation complète, empêche la diffusion des faunes.

Le pléistocène débute par l’effondrement de vastes parties de ces régions, permettant à la faune du plus extrême Nord de pénétrer jusque dans la Méditerranée pendant les divers glaciaires. Pendant tout le pléistocène se sont succédé ces effondrements, dont les derniers ont donné lieu à la légende de l’Atlantide et à d’autres analogues. Ces cataclysmes, le mot est purement exact dans ce cas, ont été très rapides. Presque tout le travail de formation de l’Atlantique Nord s’est fait ainsi dans la période si courte du pléistocène, quelques dizaines de mille ans au plus. Ces phénomènes soudains, dus à des ruptures de voûtes, ont été accompagnés de mouvements de bascule lents et plusieurs fois répétés au N. O. de l’Europe. Le résultat définitif a été la formation de ce vaste bassin qui s’étend depuis le pôle jusqu’à l’Équateur, où il se joint au grand maritime austral.

La direction nouvelle des eaux, suivant les méridiens, fait croix avec la mer tertiaire dont il reste seulement les deux extrémités, le Golfe du Mexique et la Méditerranée. L’aspect des américaines a donc profondément changé depuis le pliocène et ce phénomène a été général sur tout le globe. Au régime des mers peu profondes et enchevêtrées dans un système d’archipels et de terres découpées a succédé un régime de continents compacts et de vastes et profonds océans.

Les faunes. — Les vicissitudes du climat ont entraîné d’une manière nécessaire une grande vicissitude de faunes. Les espèces de la fin du pléistocène sont en grande partie nouvelles, et les plus caractéristiques du commencement de cette époque ont disparu. Ces dernières sont cependant moins nombreuses qu’il ne paraît d’abord. Il faut distinguer les espèces vraiment disparues sans descendance, comme l’Elasmotherium ou le Megaceros, de celles qui ont survécu dans des formes mieux adaptées, comme l’Elephas meridionalis N. dans l’E. antiquus F., celui-ci dans E. primigenius Bl. et l’E. Africanus L., ce dernier encore vivant. Pour les rhinocéros, les éléphants, les chevaux, les bœufs, etc., la transition des espèces est insensible, et il existe, par exemple, dans la collection Sirodot, tous les intermédiaires entre les formes éteintes et vivantes d’éléphant. Tous ceux qui ont eu à classer des mammifères pléistocènes, et qui se sont maintes fois butés à l’impossibilité de rapporter un exemplaire à une espèce plutôt qu’à une autre, savent à quoi s’en tenir sur l’extinction des espèces. En réalité, à part Machœrodus latidens, Elasmotherium, Trogontherium et quelques hippopotames et éléphants minuscules de Crète, de Sicile et de Malte, les espèces pléistocènes d’Europe et de Sibérie survivent toutes. La faune pléistocène de l’Amérique a été, au contraire, prodigieusement réduite en grandes espèces[14]. Il en est de même pour les petits animaux et les plantes, il n’y a pas plus d’une dizaine des uns et des autres qui aient disparu sans descendance. Quant aux espèces disparues de chez nous mais qui survivent ailleurs, comme les cerfs, les hyènes et les félins pléistocènes, Machœrodus excepté, c’est à tort qu’elles sont parfois appelées éteintes.

Cette dernière catégorie est généralement qualifiée : animaux émigrés. Cela ne veut dire aucunement que le climat ayant cessé de leur convenir, ils aient été chercher fortune ailleurs. En réalité, à mesure que le climat variait, chaque espèce s’éteignait sur une partie de son aire, et envahissait au contraire de nouveaux territoires devenus appropriés à sa constitution. Cette remarque a son intérêt. Elle nous permet de comprendre que le renne de France pouvait avoir un tempérament moins spécial que le renne actuel de Laponie, son collatéral mais non son descendant. Il est probable que le tigre de la Mandchourie et de la Sibérie orientale, transporté brusquement à Ceylan, mourrait aussi vite que le renne de Laponie amené à Paris. L’Esquimau adapté au climat polaire meurt en peu de mois dans nos climats, en vertu même de la spécialité de son adaptation.

Je ne crois pas que la transformation des espèces qui apparaissent durant le pléistocène ait toujours été accomplie au temps géologique où nous les voyons se multiplier. Les espèces de montagne et de l’extrême nord de l’Europe à la fin du pliocène nous sont inconnues, ce sont elles probablement qui ont envahi les plaines plus tard, au moment où nous apparaissent les faunes froides. Cette remarque encore est utile, elle nous permet de comprendre la rapide succession des espèces d'éléphants, par exemple, dans un temps assez court en somme. Le climat nouveau a contribué à parfaire et à répandre les types de faune froide, mais il existait depuis l’origine de la vie des formes adaptées aux températures peu élevées, espèces monticoles sur la terre, abyssales dans la mer.

C’est très probablement à une certaine profondeur, dans le bassin subpolaire, que se sontainsi formées les espèces de faune froide qui apparaissent brusquement pendant le premier glaciaire dans le crag de Norwick, dans les sables de Palerme à Ficarazzi et Monte Pellegrino. Il est probable que pendant le pliocène la température douce de la mer devait être superficielle, entretenue par un courant analogue au Gulf-Stream. Nous ignorons parfaitement comment ce courant, qui n’était pas, et pour cause, le Gulf Stream alors tournant en rond dans l’Atlantique central, a pu parvenir dans la mer polaire, mais la formation même d’une faune froide dans ces eaux prouve à peu près son existence.

Nous possédons jusqu’ici très peu de documents pour la zoologie du premier glaciaire. Les dépôts terrestres du nord de l’Europe ont été ravinés par les glaciaires suivants, et l’action du froid paraît n’avoir pas été si marquée dans l’Europe moyenne et méridionale que la faune terrestre en ait subi de très profonds changements, ou tout au moins que de nouvelles espèces aient été créées. Les coquilles d’eau douce de la couche inférieure de Magdebourg et de quelques autres stations sont à peu près tout ce que nous connaissons de la première faune froide, en dehors des dépôts marins. De mammifères nouveaux, point de traces. En revanche une grande partie de la faune arnusienne ne se retrouve plus dans les couches du niveau de Saint-Prest ; les âges de ces deux assises étant séparés par le premier glaciaire, on peut en conclure que le changement du climat détruisit un grand nombre d’espèces du pliocène.

Dans le crag supérieur de Norwich et les couches de Chillesford, la faune spéciale comprend Fusus striatus, Turritula communis, Cardium edule, Cyprina islandica, espèces qui vivent encore dans la Mer du Nord, mais qui n’y existaient pas pendant le pliocène, ou s’introduisaient à peine. Elle comprend en outre Scalaria groenlandica, Panopœa norwegica, Astarte borealis, formes nettement polaires. Dans les sables supérieurs d’Anvers la Chrysodomus despecta a la même signification.

La présence de ces coquilles dans la Mer du Nord, avec le voisinage de la Scandinavie couverte d’un glacier comme celui du Groenland actuel, et de l’Écosse également couverte de glaces, n’est pas faite pour surprendre. Celle des coquilles boréales dans la Méditerranée est plus étonnante, malgré la présence de puissants glaciers dans les Alpes et sur le Plateau central. La faune de Ficarazzi et Monte Pellegrino, Buccinum groenlandicum, Trichotropis borealis, Mya truncata, Cyprina islandica, Saxicava arctica, est démonstrative d’un abaissement de plusieurs degrés dans la température marine. Il est probable que, par suite de la configuratiou des côtes à cette époque, un courant polaire devait venir s’engouffrer par le détroit bétique, peut-être par celui de Gibraltar s’il existait déjà, dans la Méditerranée occidentale. Les formes arctiques deviennent moins abondantes dans les dépôts plus orientaux.

La faune de l’interglaciaire qui suivit est la continuation de celle du pliocène supérieur, la faune arnusienne diminuée d’un grand numbre d’espèces[15]. Dans l’Europe moyenne les formes animales du premier glaciaire et du premier interglaciaire sont identiques. La faune des alluvions de la Bresse, par exemple, qui paraissent dues à une première glaciation alpine comme les deckenschotter suisses, est exactement celle de S. Prest et des couches supérieures du Val d’Arno. C’est la faune à Elephas meridionalis N. dominant, E. antiquus, Rhinoceros Merkii Kaup., Hippopotamus major, Trogontherium Cuvierii, Machærodus latidens, Megaceros Carnutum, Cervus Sedgwicki, capreolus, dama. Les petites espèces de mammifères sont moins connues, à cause de la nature des dépôts. Les dépôts d’eau douce sont caractérisés par Belgrandia, Paludina diluviana, Cyrena fluminalis, formes aujourd’hui éteintes ou cantonnées dans la région méditerranéenne. Paludina diluviana, qui forme à Magdebourg et à Berlin de véritables bancs, ne reparaît plus dans le chelléen d’Allemagne et suffit à dater un gisement. Dans le Forest-bed de Cromer on trouve des plantes qui prouvent l’existence d’un climat constant et plutôt doux que chaud : Abies pectinata, Picea excelsa, Pinus silvestris, P. montana, Taxas baccata, Nymphœa alba[16]. Dans le midi de la France, la flore à lauriers et figuiers de Castelnau paraît de cette époque ou de l’interglaciaire suivant et prouve l’existence d’hivers moins rigoureux qu’aujourd’hui. L’existence des hippopotames montre que, même en Angleterre, les rivières n’étaient jamais prises. Toutes ces espèces ne supposent d’ailleurs pas des étés plus chauds qu’aujourd’hui, leur ardeur pouvait même être moindre. Il suffisait que l’hiver fût peu rigoureux, car la faune et la flore sont réglées plutôt par la température hivernale que par celle des mois les plus chauds.

Le second ou grand glaciaire a laissé peu de traces dans la faune marine de la Méditerranée. Il n’y a pas du moins de lits à faune froide actuellement connus qui se rapportent à cette époque. Comme le précédent, ce glaciaire a laissé des traces plus importantes en Angleterre, par exemple les lits à Leda myalis au-dessus du Forest-bed de Cromer. L’E. primigenius se trouve, dans le Forest-bed de Cromer, représenté par des précurseurs. Son arrivée date probablement du commencement du second glaciaire, quand la grande coupole de glace commençait seulement à s’avancer. Plus tard le glacier est descendu de Scandinavie, rabotant la mer du Nord et couvrant les îles Britanniques. Il a supprimé pour un temps la vie dans la région. La faune du Boulder-Clay inférieur, qui correspond au second ou grand glaciaire, est donc à proprement parler celle du commencement ou de la fin de l’époque. Dans tous les dépôts marins du Boulder-Clay inférieur continental, nous trouvons de nouveau Cyprina islandica, Astarte borealis, Saxicava arctica, Leda myalis, Yoldia arctica, Natica groenlandica. En Angleterre, même faune marine. Comme mammifères les couches contemporaines donnent le morse, le narval, le phoque de la mer polaire, Pagophilus groenlandicus, le renne, Rangifer groenlandicus, le chien, C. familiaris v. groenlandica, Ovibos moschatus, le castor, le glouton, Gulo borealis, le mammouth, E. primigenius, le rhinocéros laineux, Rh. tichorhinus, le cheval, E. caballus fossilis, le bœuf, Taurus primigenius B., le bison, Bison priscus, des cerfs et des ours que nous retrouverons tous plus tard. Absence du daim et du chevreuil, espèces délicates. Tout le nord de l’Europe tempérée a pendant le progrès et le regrès du glacier porté une flore à Salix polaris, herbacea, Dryas octopetala, Betula nana, etc.

L’interglaciaire suivant est connu par de nombreux dépôts d’alluvions, dont le plus célèbre en France est celui de Chelles, d’où le nom d’époque chelléenne donné au second interglaciaire. La faune est à très peu près celle du S. Prestien, mais l’Elephas antiquus y remplace l’E. meridionalis devenu très rare, du moins dans la région correspondant au N. de la France. Le gisement de Tilloux et certains gisements de la région méditerranéenne en France et en Italie nous montrent en effet la survivance de cet éléphant jusqu’à l’époque où le mammouth domine à son tour. Il ne faut pas perdre de vue que la faune dont on parle d’ordinaire est celle de l’Angleterre méridionale, du nord et du centre de la France, de l’Allemagne, et qu’à toutes les époques certaines de ses espèces ont manqué dans le nord de l’Europe, tandis que le midi en possédait une série d’autres dont l’occurrence est fort rare dans la région moyenne. Ainsi le renne n’est à aucune époque descendu en Espagne et en Italie, sauf des incursions individuelles, et sous la même réserve le Nord n’a jamais vu l’Elephas meridionalis ni l’E. antiquus. Les éléphants nains, E. mnaidriensis et melitensis B., et le petit Hippopotamus Pentlandi n’ont pas vécu sur le continent. Hyaena brunnea, crocuta, n’ont vécu que dans la région méditerranéenne, et en petit nombre. De même le magot ne paraît avoir été trouvé que dans l’Hérault et les Pyrénées. Toutes ces formes sont du chelléen. Le rhinocéros dominant du chelléen est le Merckii, le tichorhinus reparaissant seulement comme précurseur du glaciaire suivant. Les espèces datant du pliocène se raréfient : Machærodus, Trogontherium, Equus Slenonis.

L’homme fait dans le second interglaciaire sa première apparition certaine. Il a semé ses lourdes haches de type chelléen et acheuléen sur le globe presque entier, mais nous n’avons de débris humains authentiques que deux dents trouvées à Taubach près de Weimar. Il est probable que nous avons affaire au sous-genre Pithecanthropus, représenté par P. erectus Dub. dans les couches de Trinil à Java, dont la date est à peu près celle du S. Prestien français, Norfolkien de Geikie, et par P. Neanderthalensis King dans le troisième interglaciaire.

Le troisième glaciaire nous fournit de nouveau comme faune marine Cyprina islandica, Psammobia ferœnsis, Mya truncata, Buccinum undatum et autres espèces déjà citées. Le renne, le rhinocéros laineux, le mammouth, E. primigenius, sont les espèces caractéristiques de l’époque. E. antiquus disparait à peu près entièrement de France et d’Allemagne, et d’une manière définitive. On ne le retrouve plus qu’au delà des Pyrénées, où il s’est maintenu jusqu’à une époque très récente, et d’où il a fait quelques incursions dans le S. O. de la France pendant l’interglaciaire suivant.

Après le troisième glaciaire nous voyons très nettement, grâce aux fouilles minutieuses faites en Allemagne et en Suisse, et à la richesse des dépôts des cavernes, la succession des faunes s’opérer. Il faut distinguer entre les régions de l’Angleterre et de l’Allemagne, où les documents ne commencent guère avant le quatrième interglaciaire, et le midi de la France, où le quatrième glaciaire ayant faiblement agi la faune n’a pas subi de fortes vicissitudes. Cette dernière est caractérisée par des félins et des ours qui existaient déjà pendant le chelléen, mais n’y avaient pas la même valeur caractéristique : Hyœna spelaea G., Léo spelœus G., Ursus spelæus Bl., par le mammouth et le rhinocéros laineux. La plupart de ces espèces du pléistocène moyen s’éteignent peu à peu chez nous ; dans les couches supérieures on ne les retrouve plus, mais les deux dernières ont seules réellement disparu.

Le quatrième glaciaire apporte peu de changement à la faune dans nos régions, mais réintroduit la faune arctique dans l’Europe septentrionale et centrale. C’est du quatrième glaciaire que datent les restes innombrables et bien conservés de la faune à lemmings du lœss et des cavernes. Aucun bouleversement n’étant venu depuis lors remanier les alluvions et vider les cavernes, les archives se sont empilées dans un ordre parfait. Leur destruction par les phosphatiers est un des faits les plus regrettables de notre époque, où la recherche inintelligente du lucre causé d’incalculables ravages. Par ces dépôts nous apprenons comment se sont passées en détail les périodes de transition du froid au chaud, dont nous n’avons qu’une notion sommaire pour les temps antérieurs.

Aussitôt après que le sol est redevenu habitable apparaît une faune de toundras, le climat correspondant à celui de la Sibérie dans le voisinage de la mer glaciale. C’est la couche à lemming, Myodes torquatus, qui offre les espèbes suivantes : Lepus glacialis, Vulpes lagopus, Gulo borealis. A la même époque appartient Ovibos moschatus. Chose singulière, l’ours blanc n’en fait pas partie, et cette espèce ne se trouve pas à l’état fossile. Vient ensuite une faune de steppe, avec Lagopus pusillus, Spermophilus rufescens K., citillus, Lepus variabilis, Canis corsac, Equus hemionus P., Saïga prisca, Cervus canadensis, maral, Rangifer tarandus L., Elephas primigenius, Rhinoceros tichorhinus, Alactaga jaculus P., Arctomys bobac Sch., Cinvetus frumentarius, vulgaris D., phœeus, Ovis argalioïdes, etc. A cette faune se superposent les grands carnassiers énumérés plus haut[17].

La faune à saïga, hamster et spermophile s’est étendue jusque dans Tout l’ouest de la France (Périgord, Mayenne), mais celle à lemming n’y est guère représentée que par le glouton et l’ovibos. Le renne est abondant jusqu’aux Pyrénées. La reconstitution du sol arable et des forêts fit disparaître peu à peu les espèces de steppe, excepté dans les régions où le steppe dure encore, en Russie et Sibérie. Peu à peu les grands carnassiers diminuent, et les espèces actuelles, d’abord pauvrement représentées, se multiplient et les remplacent. De même les bovidés et les cervidés supplantent les éléphants et le rhinocéros, et enfin le renne même. Le cheval, qui paraît avoir été d’une extraordinaire abondance après le troisième et le quatrième glaciaire, diminue aussi de fréquence. La fin du pléistocène est marquée par un développement considérable des forêts et par l’abondance des cervidés, représentés par les espèces actuelles, le cerf de Virginie, le maral, tous deux éteints en Europe, l’élan, relégué aujourd’hui dans l’extrême nord avec le renne, et le prodigieux Megaceros hibernicus, dont l’existence s’est prolongée jusqu’à notre ère et même au-delà.

À la faune des grands carnassiers, du mammouth et du renne, qui se divise elle-même assez bien en trois sections chronologiques d’après la prédominance de ces espèces, succède donc celle des cervidés, puis la faune actuelle, résultat de l’extinction progressive des espèces par l’homme.

Le cinquième et le sixième glaciaire n’ont pas sensiblement agi sur la faune et la flore, en dehors des régions de montagne et de l’extrême nord de l’Europe.

Homme. — J’aurai plus loin à étudier en détail l’anthropologie pléistocène pour chercher l’ancêtre de l’H. Europæus. Je n’en dirai donc ici qu’un mot. L’homme est déjà représenté pendant le pléistocène par des formes très variées. Laissant de côté les formes exotiques, et en particulier la plus ancienne et la plus primitive, P. erectus Dub. de Java, nous avons dans le pléistocène supérieur d’Europe Pithecanthropus Neanderthalensis, King, la plus ancienne forme connue dans toutes ses parties, et une série de formes appartenant au g. Homo dans le sens strict. De celles-ci, les unes sont connues par leurs restes, comme celles de Chancelade et de Menton, les autres ne sont que supposées d’après des dessins ou des statuettes, comme la race stéatopyge de Piette. Il est problable aussi que les races de pygmées, découvertes exclusivement jusqu’ici dans les couches néolithiques, existaient déjà en Europe durant le pléistocène. Enfin le crâne de l’Olmo et celui de la Truchère représentent d’autres variétés.

Chronologie. — Nous possédons très peu de travaux synthétiques sur le pléistocène. Le meilleur est assurément le Great Ice Age de Geikie, mais il est fait à un point de vue spécial. Les monographies locales sont innombrables, et leur dépouillement m’a fourni un nombre considérable de coupes de terrains, dont la plupart sont difficiles à raccorder ensemble[18]. La terminologie présente une première difficulté. Chaque monographe, et je ne saurais trop le louer de le faire, appelle première glaciation celle qui a laissé les plus anciennes traces observées dans sa région. Il en résulte que la première glaciation d’Écosse correspond seulement à la seconde de Suède. De même la quatrième glaciation d’Écosse, de la Forêt-Noire et de Suisse ne paraît pas avoir de correspondante chez nous. D’autre part, il y a de visibles oscillations dans le grand glaciaire d’Écosse, des lits de végétaux intercalés prouvant que dans cette région protégée par le Gulf Stream, la vie était aux aguets et gagnait du terrain à chaque recul temporaire de la coupole de glace.

Les glaciations, d’autre part, n’ont ni le même centre ni la même aire. Il en résulte une superposition des gisements très irrégulière. Sur certains points, ils accusent une ou deux phases de simple refroidissement sans glaciers, sur d’autres la présence quatre ou cinq fois répétée d’un épais manteau de glace. La géologie pléistocène ne se comporte d’ailleurs pas autrement en cela que celle des temps antérieurs. Toutes les époques nous montrent des dépôts marins absents ici, parce que la région était alors exondée, ou parce que les couches ont été abrasée, très puissants ailleurs, avec faciès abyssal dans un pays, littoral ou d’estuaire dans un autre, et enfin dans d’autres régions encore, les couches contemporaines sont lacustres, fluviales ou purement terrestres. Le travail de coordination, l’établissement des synchronismes se fera donc de la même manière. On se guidera tout à la fois par la stratigraphie, la paléontologie, même la lithologie micrographique, car les argiles et les graviers pléistocènes accusent une composition minéralogique différente suivant les époques, à cause de la différence des roches dans les régions desquelles émanaient chaque fois les courants de glace[19].

Les débris de l’industrie humaine sont un élément de détermination nouveau et précieux dans la géologie du pléistocène. Il ne faut d’ailleurs pas essayer de se guider uniquement d’après l’archéologie préhistorique. Certaines formes d’instruments ont survécu plus longtemps dans certaines régions. Ainsi le coup-de-poing chelléen, qui chez nous caractérise le second interglaciaire, a été trouvé lors des fouilles de la British Association à Hoxne dans les couches A et B, au-dessus d’une couche C à flore de toundra, qui correspond au 4e glaciaire. On n’en a pas trouvé dans les couches D et E du troisième interglaciaire, superposées directement au Boulder-Clay supérieur à blocaux calcaires du 3e glaciaire.

Sous le bénéfice de ces explications, je vais résumer la chronologie du pléistocène, en prenant pour base les divisions de Geikie dans un plus récent travail (« Classification of european glacial deposits », Journal of Geology, Chicago, 1895).

Premier glaciaire.Scanien = sicilien inférieur. — Géologie. Sicilien de Calabre, de Sicile, du Péloponèse. Couches de Chillesford (Norfolk). Graviers sous paludiniens de Magdebourg. Glaciaire scanien de Suède. Graviers glaciaires de Moen, Möckern. Plus anciens dépôts morainiques dans la région à l’est de la Baltique. Formation fluvio-glaciaire du Hanovre. Deckenschotter supérieur de Suisse. Plus anciennes moraines du Cantal. Cailloutis de la Dombes et de la Bresse. — Paléontologie. Extermination des espèces caractéristiques du pliocène. Faune boréale dans la mer du Nord, dans l’Europe moyenne. Buccimun groenlandicum, Cyprina islandica, Trichotropis borealis, etc. dans la Méditerranée. — Géographie. Effondrement partiel du continent euro-américain. Contours du N. O. et de l’O. de l’Europe plus avancés vers l’ouest qu’aujourd’hui. Le Rhône affluent du Rhin, le Rhin de la Saône. Massif du Cantal, Alpes, Pyrénées, de mille mètres au moins plus élevés qu’aujourd’hui au-dessus de la plaine. Méditerranée occidentale très irrégulière et petite, communiquant avec l’Océan par le détroit de Gibraltar récemment formé, et par périodes avec un bassin maritime au sud de la Grèce. Pas d’Adriatique ni de mer Égée, lacs d’eau douce et lagunes dans la région de la mer Égée. Fleuves de Syrie affluents du Nil, dont l’embouchure devait se trouver au S. E. et à peu de distance de la Crête. Dans la région de la mer Noire orientale, un lac saumâtre communiquant au nord avec la Caspienne très étendue qui reçoit le Danube. Ce fleuve séparé du lac par une chaîne unissant le Balkan aux montagnes de Crimée. Grande glaciation. Au maximum l’Inlandsis couvre la Baltique, l’Allemagne du Nord et l’Écosse. Grands glaciers dans toutes les chaînes, spécialement sur le plateau central de la France, où la glaciation a été plus forte que celle du grand glaciaire. — Climatologie. Période de refroidissement, neiges et pluies abondantes.

Premier interglaciaire. — Norfolkien. — Géologie. Forest-bed du Norfolk. Saint-Prestien de France. Couches de Durfort. Couches supérieures du Val d’Arno. Couches à Paludina diluviana de Magdebourg. Argiles et marnes à Paludines de Berlin. Formation d’eau douce de Fleming. — Paléontologie. Faune des survivants du pliocène, sans éléments nouveaux. Éléphant dominant : meridionalis. Rhinocéros dominant : Merckii. — Géographie. Période d’émersion dans le N. O. Le Rhin continue à recevoir le Rhône par la vallée de l’Aar, mais coule vers le N. et va se déverser au N.E. de l’Écosse. — Climatologie. Époque plus chaude, au moins l’hiver, que de nos jours, pluvieuse et humide.

Deuxième ou grand glaciaire. — Saxonien. — Géologie. Erratique ancien de l’Europe du Nord. Boulder-Clay inférieur d’Angleterre et d’Allemagne. Moséen de Belgique. Sables alluvio-glaciaires de l’Europe moyenne. Deckenschotter récent de Suisse. Moraine inférieure de la Forêt-Noire, des Carpathes, du Caucase et des Pyrénées. Probablement conglomérat nordique de Klinge. Kansan formation de l’Amérique du Nord. — Paléontologie. Coquilles boréales en Angleterre. Faune à Elephas primigenius trogontherii. — Géographie. Contours atlantiques de plus en plus voisins de ceux d’aujourd’hui. Submersion partielle, jusqu’à l’altitude actuelle de 200 mètres, de la partie nord de la Grande-Bretagne. Affaissement de la Scandinavie. Persistance de l’isthme du Pas-de-Calais. Creusement des lacs alpins, du lac de Genève, et rattachement du Rhône à la Saône. Peu de modifications dans l’Europe méditerranéenne et orientale. Centre de glaciation en Scandinavie.

Fig. 1. — Europe pendant la seconde période glaciaire.


Calotte glaciaire dont la limite passe par Bristol, Douvres, Anvers, Magdebourg, Leipzig, Breslau, Lamberg, très au sud de Perm, de Kiev, et remonte obliquement jusqu’aux sources de la Petchora pour reprendre en Sibérie et suivre le 53e parallèle. Lobes glaciaires de Bretagne, du Cotentin. Glaciers couvrant la Suisse. Glaciers des Carpathes, du Caucase, des Vosges, du Plateau-Central, des Pyrénées, de la Sierra-Nevada, etc. — Climatologie. Période très froide, à précipitations abondantes ; climat arctique entraînant la destruction des espèces préexistantes sur une aire immense.

Deuxième interglaciaire.Helvétien de Geikie, auquel il est préférable de conserver le nom de Chelléen. — Géologie. Graviers interglaciaires de Sunderland, de Rixdorf, calcaires interglaciaires de Scanie et de Magdebourg, graviers à faune chaude de Chelles et d’Abbeville, assise inférieure de M. Ladrière, travertins de Weimar, gisement de Taubach, lignites de Dürnten, etc., tourbe inférieure de Klinge et de Lauenburg. En Amérique, Aftonien, tourbes d’Afton, Iowa. — Paléontologie. Éléphant dominant : antiquus. Rhinoceros Merckii, Hippopotamus amphibius et dans la Méditerranée Pentlandi, Trogontherium Cuvierii, Equus, déjà Ursus spelæus, Leo spelæus, Hyena spelæa. Faune malacologique de type oriental dans l’Europe centrale et l’est de la France. Faune d’eau douce à Corbicula. Flore d’eau douce à Paradoxocarpus carinatus et Cratopleura halsatica. Flore terrestre à Laurus canariensis de la Celle. — Géographie. Extension des terres vers l’ouest. Pas de Manche. Jonction avec l’Amérique du Nord à une latitude assez élevée. Époque probable du passage de l’Elephas primigenius et autres espèces de faune froide, reléguées alors dans la région septentrionale : Tarandus rangifer, Alces, Cervus canadensis, Ursus ferox, Lupus, vison, castor, etc. — Climatologie. Hivers très doux, régime pluvieux, température moyenne plus élevée qu’aujourd’hui.

Troisième glaciaire. — Polandien. — Géologie. Erratique supérieur du N. de l’Allemagne et de la Pologne, Boulder-Clay supérieur d’Angleterre et d’Allemagne. Moraines terminales de la Baltique. Moraine de 850 mètres de la Forêt-Noire, hautes terrasses de Suisse, moraines intérieures des Pyrénées. Graviers à blocs erratiques d’Abbeville. Moustérien de Chelles. Graviers moyens de M. Ladrière. En Amérique, Iowan formation. — Paléontologie. Coquilles boréales en Angleterre. Elephas dominant : primigenius. Ours dominant : spelæus. — Géographie. Centre de glaciation plus à l’E. que pendant le second glaciaire. Charriage de matériaux de Finlande. Extension moindre de la coupole glaciaire, principalement vers l’E. où la nappe glaciaire ne dépasse pas la Volhynie et remonte directement vers la mer Blanche, laissant un intervalle étendu entre elle et la Caspienne qui recouvre encore une partie de la Russie méridionale. — Climatologie. Période aussi humide, mais à température moyenne basse, neiges abondantes. Influence destructive s’étendant moins loin que pendant le saxonien.

Troisième interglaciaire.Neudeckien. — Géologie. Graviers sus-glaciaires de Neudeck. Lœss ancien. Tourbe supérieure de Klinge. Moustérien supérieur de Chelles. Limons panachés, fendillés de M. Ladrière. Hesbayen de Belgique et Flandrien. En Amérique, Toronto formation. — Paléontologie. Faune à Elephas primigenius, Rhinoceros tichorhimus, Ursus spelœus. Cheval déjà abondant, renne, mais toujours rare. Megaceros Ruffii, Hyæna spelæa, Leo spelæus. — Géographie. C’est peut-être à cette époque seulement que les communications avec l’Amérique du Nord s’étant rétablies les échanges de faune se sont produits. Dans ce cas la communication aurait pu avoir lieu à une moindre latitude que le passage par les Feroer. — Climatologie. Époque de froid sec, climat continental, sauf le long du rivage océanien de l’Europe et des terres euro-américaines. Durée probablement courte et faible réchauffement dans l’Europe du Nord. En réalité, période de dégel du troisième glaciaire, interrompue par l’arrivée du quatrième sans établissement d’un régime chaud, d’où continuité de la faune et des alluvions jusque dans le quatrième interglaciaire.

Quatrième glaciaire. — Mecklemburgien. — Géologie. Glaciaire baltique supérieur du Meckembourg. Quatrième couche glaciaire d’Écosse. Argile à Betula nana de Hoxne. Couches jaune à renne de Rabenstein. Graviers et couche inférieure à rongeurs du Schweizersbild, graviers supérieurs de M. Ladrière. Moraine de 90 mètres de la Forêt-Noire. Terrasse moyenne du Breisgau. Moraine sur la haute terrasse de Suisse et le Deckensehotter. Couche stérile de Brassempouy. En Amérique, Wisconsin formation. — Paléontologie. Complexe. Faune de toundra dans l’Europe centrale et une partie de la France : Myodes torquatus, Lepus glacialis, Arvicola nivalis, Vulpes lagopus, etc. Plus au sud, continuation de la faune précédente, quelques espèces boréales en plus. Lagopus vulgaris dans la région méditerranéenne, harfang dans les Pyrénées dans et dans les îles de la Méditerranée, Cyprina islandica, Chlamys islandica dans la Méditerranée et le Golfe de Gascogne. — Géographie. A peu varié. — Climatologie. Climat du 70° à Schaffhouse, boréal jusqu’à la Méditerranée, plus doux dans le Golfe de Gascogne.

Quatrième interglaciaire. — Lower Forestian de Geikie. Fin du Moustérien, Solutréen et Magdalénien de Mortillet, Papalien et Gourdanien de Piette. — Géologie. Couche jaune à renne du Scheizersbild. Couche à cheval du Mas d’Azil, rive droite, couches A E rive gauche. Brassempouy. Gourdan. Kiökkemölding inférieur d’Oban. Lœss des terrasses et moraines de Suisse. Loess supérieur d’Allemagne. Ergeron de France et de Belgique. Couches à Yoldia de la Baltique, à flore de toundra. — Paléontologie. En Allemagne et autres régions du même climat, faune de steppe à saïga, marmotte, hamster, etc., suivie du retour de la faune à mammouth, cheval et renne. Ursus spelæus et ferox, etc. Extinction graduelle de l’éléphant, du rhinocéros, des grands ours, finalement prédominance du cheval, puis du renne et des cerfs, mais conservation du renne jusqu’à la fin de la période et pendant les suivantes, jusqu’au Moyen Âge, ainsi que de l’Ursus arctos et du glouton. En France et dans l’Europe méridionale, continuation de la faune à Elephas primigenius. Ursus spelæus et ferox, rapidement diminuée par l’élimination de l’éléphant, du rhinocéros et des grands carnassiers. Ensuite prédominance du renne et du cheval, le renne moins abondant d’abord que le cheval, plus abondant ensuite, et laissant la place comme espèce d’une fréquence caractéristique au Cervus elaphus, tout à la fin de la période. Le lion ordinaire, la panthère, l’ours brun remplacent comme carnassiers les espèces autrefois dominantes. — Géographie. Affaissement de la partie méridionale de la région égéenne, dénivellations considérables dans la Méditerranée moyenne, isolement de la Corse, de la Sardaigne, de la Sicile, des Baléares. — Climatologie. Climat froid, presque boréal dès la vallée moyenne du Rhin. Période sèche, humide vers la fin.

Cinquième glaciaire. — Lower Turbarian de Geikie. — Géologie. Couche supérieure à rongeurs de steppe du Schweizersbild, couche à graviers marins d’Oban, limon E du Mas d’Azil. Basse terrasse de Suisse. Moraine de Cazeaux (Ariège). Moraine de 1.250 mètres dans la Forêt-Noire (Wanne, Seibenlechtenmoos, Schwarzenbach, Eschenmoos, Heitermoos, etc). Tourbières inférieures de la Grande-Bretagne. Couches à flore subarctique de Scandinavie. — Paléontologie. Faune de steppe en Allemagne. Faune froide en France, mais sans espèces nouvelles, les grands mammifères de l’ancienne faune froide étant éteints dans ce pays, et le renne devenu rare. — Géographie. Affaissement de la région Scandinave. Baltique en communication avec la mer Blanche par la dépression des lacs de Russie et avec l’Atlantique par celle des lacs de Scandinavie. Scanie encore soudée au Danemark. Glaciers dans les montagnes et dans le N. de l’Europe, mais pas de manteau glaciaire en dehors des régions boréales. Formation du Pas-de-Calais par invasion marine d’un ancien lit de rivière. — Climatologie. Période très humide, mais ne paraissant pas avoir été très froide le long de l’Océan. Les tourbières de l’époque des pins en Danemark paraissent dater de cette période. Durée très courte. D’après les observations de M. Piette au Mas d’Azil, les couches stratifiées de limon correspondant à cette époque n’accusent que quelques centaines de crues de l’Arise. On ne sait rien sur la périodicité de ces crues, mais le cinquième glaciaire, s’il est permis de l’appeler ainsi, n’a pas duré longtemps dans l’Ariège. Il est probable que sa durée a été plus longue dans le Nord, les périodes chaudes se continuant encore dans le Midi pendant toute la phase croissante, pour recommencer bientôt après le maximum des froids. — Archéologie. Mésolithique.

Cinquième interglaciaire. — Asylien de Piette. Upper-forestian de Geikie. — Géologie. Couches à galets coloriés et harpons plats de Saint-Martory, Montfort, Mas d’Azil, Kiökkenmödding supérieur d’Oban (Écosse), etc. Couches à flore boréale de Blyth. Couches baltiques à Ancylus, et Kiökkenmöddings. — Paléontologie. Faune caractérisée par l’abondance des cerfs. Cervus elaphus L., capreolus L., canadensis L., maral, etc. Alces palmatus, Megaceros hibernicus. — Géographie. Relèvement considérable du massif Scandinave. Émersion de la mer du Nord. La Baltique, lac d’eau douce fermé de toutes parts (Ancylus See). Époque probable de la formation de la mer Noire et de la rupture du Bosphore. Affaissement par fractions de la région de la mer Égée. Relèvement de couches récentes à plusieurs centaines de mètres en Sicile, en Calabre, dans le Péloponèse et aux Dardanelles. Le mouvement se continue pendant la période suivante. — Climatologie. Température un peu plus élevée qu’aujourd’hui, tout au moins hivers moins froids. —Archéologie. Mésolithique. Néolithique. Énéolithique.

Sixième glaciaire. — Upper Turbarian de Geikie. Coquillier de Piette. — Géologie. Tourbes supérieures d’Angleterre. Dernières moraines d’Écosse. Couches à littorines de Scandinavie. — Paléontologie. Prédominance du Megaceros. — Géographie. Affaissement graduel de la région anglo-scandinave. Formation du Sund et des Belts. Glaciers en Écosse ; en Scandinavie et en Suisse, dernière avance des glaciers. Forêt-Noire, glaciers à moraine de 1.250 mètres : Mantelhalde, Zastler Viehhütte, Baldenweger Viehhütte, Hirschsbaden, Kriegsbach. — Climatologie. Période tempérée, froide dans le Nord, pluvieuse et neigeuse. Courte durée. — Archéologie. Partie de l’énéolithique. Date probable 3000 avant J.-C.

Époque actuelle. — Géologie. Terrains contemporains : terres noires de Russie, sables sahariens. — Paléontologie. Espèces actuelles, plus celles éteintes récemment par l’homme. — Géographie. Derniers affaissements dans la mer Égée et l’Adriatique. Retrait graduel de la Caspienne. Nouvelles et faibles fluctuations du sol dans la région baltique (époque à limnées, suivie de la période actuelle à Mya). Formation graduelle des lignes de côtes de la mer du Nord[20].

Spécialisation des données. — Ces données générales sur le pléistocène nous permettront de comprendre les conditions spéciales présentées durant cette époque par les diverses régions où l’on a voulu placer le berceau des Aryens. Ces régions sont au nombre de trois, ou plutôt forment trois groupes : 1° le nord de l’Afrique ; 2° le sud de la Russie et la Bactriane ; 3° la région baltique et celle de la mer du Nord. Je commencerai par l’étude du nord de l’Afrique, où Brinton a voulu, très à tort ce me semble, chercher le milieu d’évolution du dolicho-blond. Nous ne perdrons point notre temps en examinant les conditions climatériques de cette région pendant le pléistocène. S’il est improbable au plus haut degré que H. Europæus ait accompli son évolution dans le N. de l’Afrique, il est probable au contraire que la race de laquelle il descend occupait ce pays pendant le pléistocène. Lui-même a fait de bonne heure son apparition en Afrique. Le plus ancien sujet dolicho-blond que nous connaissions autrement que par des pièces osseuses, c’est-à-dire par ses cheveux, a été trouvé dans la nécropole indigène d’El Amra, contemporaine à peu près de l’installation des Khemi en Égypte. Il date par conséquent d’environ cinq mille ans avant notre ère. Enfin ce que nous verrons du régime climatérique du N. de l’Afrique durant le pléistocène nous servira beaucoup dans l’étude des péripéties traversées par le N. O. de l’Europe.

Nord de l’Afrique. — Le pléistocène du N. de l’Afrique est bien moins connu que celui de l’Europe. Les chercheurs, peu nombreux, sont depuis trop peu de temps à l’œuvre. Leurs méthodes de recherches sont infiniment loin de la précision de celles des géologues allemands et suédois. Les couches pléistocènes sont loin d’être négligeables au Maroc et en Algérie, le manteau des alluvions clysmiques atteint au sud de l’Atlas des proportions formidables, mais les alternances de périodes froides et chaudes ont été peu accusées, les faunes froides sont absentes, et il est plus difficile de s’orienter dans la stratigraphie.

Il est encore très délicat de classer les dépôts correspondant aux débuts du pléistocène. Les vallées entre l’Atlas et la Méditerranée sont comblées par des atterrissements de transport violent formant dans leurs parties inférieures des bancs épais de cailloux roulés, recouverts par un limon gris jaunâtre. Ces couches se superposent nettement dans la Mitidja au pliocène supérieur. La faune de cette époque comprend Elephas meridionalis, Equus Stenonis, associés à des formes locales : Cynocephalus atlanticus, Antilope Tournoueri, Gaudryi, dorcas, Bos antiquus, à des rhinocéros et des hipparions, ces derniers qui ne dépassent pas le pliocène en Europe. Cette faune qui se trouve surtout dans les limons correspond-elle à l’époque de Saint-Prest ? Il serait difficile de le dire. Les lits de cailloux, qui indiquent un développement torrentiel formidable, correspondent-ils au premier ou au second glaciaire ? Probablement aux deux, car la stratification indique plusieurs époques clysmiques. Sur le versant méridional de l’Atlas, des dépôts semblables recouvrent tout le Sahara septentrional, et finissent par confluer avec des nappes de galets et de limon descendues du plateau central du Sahara. Cet ensemble de formations constitue le faciès continental de l’étage saharien, mais il est probable que l’on devra plus tard y distinguer une série de périodes et de lits différents. Il est visible, quand on longe les grands gours sahariens, que l’accumulation des débris n’est pas l’œuvre d’une seule période de pluies diluviennes. Partout ou observe plusieurs couches de galets, séparées par autant d’assises limoneuses. M. Ficheur distingue quatre séries répondant peut-être aux quatre premiers glaciaires. C’est pourquoi il vaut mieux, avec Pomel, employer le terme provisoire de terrain subatlantique.

Ces couches sont recouvertes en général par une carapace calcaire qui paraît due à l’évaporation des eaux telluriques, remontant par capillarité au travers des lits de sable et de cailloux, et cimentant la couche superficielle par le dépôt des sels calcaires tenus en dissolution. On peut considérer l’époque de la formation de cette carapace comme une période plus sèche. L’existence d’une flore forestière magnifique dans les travertins de la même époque prouve que si cette période était sèche, elle ne comportait cependant pas le faciès désertique de nos jours[21]. En d’autres termes, à la période diluvienne avait succédé une période de sécheresse, mais non d’aridité, contemporaine à peu près du chelléen.

Sur le littoral, on trouve au Maroc, en Algérie, en Tunisie, des lambeaux de dépôts marins aujourd’hui soulevés à une vingtaine de mètres d’altitude, qui se trouvent superposés aux conglomérats subatlantiques, et même parfois à la carapace calcaire des dépôts continentaux. Ces lambeaux ne se trouvent que sur quelques points, l’ancien littoral ayant disparu ailleurs, mais leur existence sur les deux rivages du détroit de Gibraltar prouve que celui-ci était dès lors ouvert. M. Pomel les regarde comme les témoins d’affaissements en corrélation avec les périodes glaciaires. Je croirais plutôt que ce cordon de 20 mètres, qui règne sur tous les points conservés de l’ancien rivage méditerranéen, est dû à ce que la mer plus richement alimentée, cinq fois plus petite et fournissant une évaporatïon beaucoup moindre, à surface égale, dans les périodes pluviaires, était simplement surélevée par l’abondance des eaux, qui s’écoulaient péniblement par le détroit de Gibraltar.

Toutes ces formations sont en général plutôt postérieures aux deux grands glaciaires, peut-être au troisième, et sur certains points au quatrième. La carapace continue encore à se former aujourd’hui dans quelques régions. La faune des dépôts marins est plutôt chaude et correspond aux dépôts sahariens de Sicile et de Calabre. Elle est caractérisée par Strombus mediterraneus, aujourd’hui éteint, Nassa gibbosula, etc. La faune terrestre est différente de celle de l’époque précédente. On y trouve un éléphant de médiocre taille, E. Iolensis P. qui lui est spécial, et un grand éléphant différent du meridionalis et frère de l’antiquus, E. Atlanticus P.

Ce dernier se rencontre plus communément dans les couches sableuses et limoneuses superposées à la carapace d’exsudation, et qui constituent un horizon géologique correspondant à l’époque du mammouth et à celle du renne. Dans la sablière de Ternifine on trouve avec E. Atlanticus P. un éléphant pygmée voisin de ceux de Malte, le Rhinoceros mauritanicus P., le Camelus Thomasii P., toutes espèces spéciales et en outre la Hyena spelœa. Cette station est datée par de nombreux silex paléolithiques de types acheuléen et moustérien, mélangés comme en Égypte de formes plus récentes. La présence de l’hippopotame dans une région aujourd’hui si dépourvue de cours d’eau est un indice du régime pluvial de l’époque. On le trouve en abondance, et représenté par plusieurs espèces, H. Hipponensis, Sirensis, Icosiensis P. La grande faune de l’époque comprenait, outre le Rhinoceros mauritanicus, deux ou trois autres espèces dont la mieux connue est l’Atelodus subinemis P. À ces grandes espèces, il faut ajouter deux ou trois formes éteintes de cheval et de zèbre, plusieurs antilopes et des phacochères.

Ces espèces disparaissent peu à peu dans les alluvions les plus récentes du quatrième interglaciaire. Elles s’éteignent à peu près en même temps que chez nous la faune du renne. Une nouvelle faune les remplace, caractérisée par E. Africanus, Bubalus antiquus P., Antilope bubalis, Bos primigenius Mauritanicus, par un chameau voisin du dromadaire, le cheval barbe et l’âne d’Afrique. Cette faune est à peu près celle d’aujourd’hui, sauf deux ou trois espèces éteintes, comme le Bubalus antiquus, ou localement exterminées, comme l’éléphant africain. Les gisements de cette faune fournissent des débris de l’industrie humaine correspondant à la fin du paléolithique et au commencement du néolithique.

Après cette époque seulement commence un régime désertique, celui dont nous voyons aujourd’hui le complet développement[22]. Sous l’influence de la sécheresse, les alluvions, triturées autrefois par les glaciers de l’Atlas et du Hoggar et répandues sur le Sahara par les inondations torrentielles, se résolvent en sable partout où elles ne sont pas protégées par la carapace d’exsudation, et forment d’immenses dunes que l’on a longtemps regardées comme les traces d’une mer intérieure. Ces dunes sont parfois assez anciennes pour que l’on trouve des objets néolithiques à leur surface, et datent ainsi de quatre à cinq mille ans au moins.

En somme, depuis quelques milliers d’années seulement, le Sahara septentrional a cessé d’être une vaste forêt vierge, arrosée par des pluies abondantes, semblable à celles de l’Afrique équatoriale, mais avec une température constante et modérée. Les manifestations clysmiques du commencement du pléistocène étaient dues probablement à un régime plus humide encore, mais surtout à une élévation plus grande de l’Atlas et des massifs du Sahara central, qui constituaient d’énormes condensateurs et nourrissaient de leurs neiges des glaciers immenses. Pendant les époques de l’E. Atlanticus et de l’E. Africanus, l’humidité moins extrême était cependant très grande, et la transition du régime humide au régime désertique semble s’être opérée d’un seul coup, par un brusque changement dans la direction des nuées.

Ces phénomènes d’apparence étrange sont faciles à expliquer. Ils sont sous la dépendance étroite de modifications de niveau dans la région de la Floride, des Grandes Antilles et des Bahamas. Supposez le détroit de la Floride fermé. Le Gulf Stream qui s’écoule par cette issue pour réchauffer l’Atlantique Nord serait obligé de prendre directement son cours vers l’Est, rasant la côte sud d’Haïti et de Porto-Rico, passant au travers des Petites Antilles au sud d’Anguilla et de Saint-Christophe, pour aller buter sur la côte du Maroc, entraînant et déplaçant le courant Nord-Équatorial. Dans un pareil état de choses, l’immense nappe de vapeurs tièdes, qui se déverse aujourd’hui en pluies sur l’Atlantique Nord et le N. O. de l’Europe, transformerait l’Espagne et le N. de l’Afrique en un pays à température constante, tiède et fortement humide, quelque chose d’analogue au bassin de l’Amazone, avec un peu moins de chaleur.

Or cet état de choses n’est pas une hypothèse, il est l’expression même de la réalité. Les petites îles de l’archipel des Bahama, les Grandes Antilles et les îles qui les continuent à l’E., Anguilla par exemple, fournissent les restes de faunes de grands mammifères éteints du pléistocène. Ces terres, aujourd’hui fragmentées à l’infini par des effondrements et des affaissements, faisaient un seul tout avec la Floride et continuaient le continent américain du Nord. Pendant cette période, le Gulf Stream a simplement repris son ancien chemin tertiaire, celui qu’il suivait à l’époque des divers étages méditerranéens où il tournait en rond autour d’un bassin fermé, envoyant sans doute un bras dans la Méditerranée occidentale.

On comprend parfaitement dans ces conditions les apparentes bizarreries climatériques du pléistocène. L’Angleterre, la France, l’Allemagne ne sont point actuellement dans l’état climatérique normal que comporte leur latitude. Ces régions sont sous les mêmes parallèles que la Sibérie, le Labrador, le Canada. Le Gulf Stream est la cause et la cause unique du climat demi marin, très humide et sans écarts extrêmes, du N. O. de l’Europe actuelle[23]

Le climat de ces régions à l’époque du renne était exactement ce qu’il devait être d’après la latitude. Le renne et toute la faune qui l’accompagne sont encore vivants au Canada, au Labrador et en Sibérie. L’Afrique du Nord, aujourd’hui brûlée par le soleil, était vivifiée à leur place par les vapeurs du Gulf Stream, couverte d’une végétation puissante et de fleuves, dont les uns, comme l’Igharghar, apportaient à la Méditerranée un volume d’eau plus considérable que le Rhône, et d’autres remplissait les vastes lits aujourd’hui à sec qui sillonnent le Sahara depuis l’Atlas jusqu’au Niger.

Pour faire renaître cet état de choses, il suffirait de construire une digue de Key-West à la Havane. Le cinquième glaciaire répond probablement à l’époque où la digue naturelle s’étant rompue, des masses énormes de vapeur furent brusquement introduites dans nos régions. La température étant basse, ces vapeurs produisirent de grandes quantités de neiges, d’où une recrudescence des glaciers qui prit fin bientôt par l’établissement d’un équilibre entre les vapeurs de l’atmosphère et la terre insensiblement réchauffée par la douceur des pluies.

Je ne m’occuperai pas en détail des modifications géographiques survenues pendant le pléistocène. Les couches diverses de cette époque ont subi en Algérie, en Tunisie et au Maroc, des soulèvements et des affaissements locaux très nombreux. Toute la région a travaillé, pour emprunter une comparaison exacte au langage des ouvriers du bois, et ce travail s’est produit d’une manière inégale dans tous les temps et à peu près partout. Il en résulte que certaines couches d’eau douce se trouvent à des niveaux différents de ceux où elles se sont formées, que la stratification des alluvions de date différente est souvent discordante, même en dehors de tout ravinement. Du côté de la mer les traces de plages soulevées indiquent un relèvement général des terres. Toutes ces modifications, qui ont changé sur quelques points l’aspect du terrain ou le cours des eaux, n’ont que peu d’importance générale.

Il en est autrement des phénomènes qui se sont accomplis dans les régions aujourd’hui submergées, dans la direction de l’Italie. Nous savons qu’en Sicile et en Calabre des couches marines pléistocènes, siciliennes et sahariennes, se trouvent aujourd’hui à plusieurs centaines de mètres d’altitude. Ces soulèvements sont des cas particuliers de mouvements de bascule liés à un système d’effondrements considérables. Pendant le pléistocène inférieur et moyen, toute la région, jusqu’à la Corse et à la Toscane, a été le théâtre de mouvements divers, les uns lents, les autres soudains. La Corse a été rattachée à la Toscane, et la profondeur est encore moindre de 300 mètres entre la Corse et l’île de Capraja, entre celle-ci et l’île d’Elbe. La séparation a été causée par l’effondrement tyrrhénien, dont un prolongement s’étend dans le canal de Corse. La Corse tenait aussi à la Sardaigne, et peut-être à l’Italie méridionale par celle-ci. La Sicile au contraire était largement réunie à l’Afrique. La présence de l’E. meridionalis et d’autres espèce en Europe et en Barbarie prouve que par moments les communications furent entièrement coupées entre les deux grands bassins méditerranéens. L’absence des éléphants pygmées sur le continent européen et dans les deux grandes îles de Corse et de Sardaigne prouve au contraire que ces espèces, dont on trouve les traces en Barbarie, à Pantellaria, à Malte et en Sicile, n’ont pu trouver un passage par le détroit de Messine. Ces communications diverses ont cessé probablement au commencement du quatrième interglaciaire, et les modifications géographiques paraissent, en l’état actuel des connaissances, n’avoir porté depuis que sur des régions peu étendues.

L’effondrement tyrrhénien a porté sur une étendue triple de celle de la Sicile, et déjà couverte en grande partie par les eaux, mais dont un bon tiers devait être exondé. Le fond de la fosse d’effondrement accuse 3.731 mètres au N. O. et 3.639 mètres au S. E. L’effondrement ionien, dont les bords rasent les côtes actuelles de la Sicile et de la Calabre, est encore plus profond et tellement abrupt qu’au large du cap Passera, l’on passe en moins de 40 kilomètres des profondeurs de 100 mètres à celles de 3.600 mètres, par une pente moyenne de 10 centimètres au mètre.

Telles sont les vicissitudes de toutes sortes subies pendant le pléistocène par le N. O. de l’Afrique. Les conditions de cette région, pendant la fin de cette époque et jusqu’à l’établissement du régime désertique, ne sont point celles qui conviendraient pour expliquer la transformation d’une race dolichocéphale brune en H. Europæus. Assurément l’humidité ne manquait pas, mais la lumière était intense. Si épais que l’on suppose le voile de brumes chaudes jeté sur la Barbarie, le soleil d’Afrique était derrière, ardent et haut, sur l’horizon. Le milieu n’était pas de nature à pousser à la nigrescence, une race blonde aurait pu s’y conserver, mais il n’est pas admissible qu’elle ait pu s’y former. J’aurai l’occasion de revenir sur la valeur de ce milieu en étudiant l’origine phylogénique des Aryens, et aussi en rapportant les conquêtes de la race blanche dans l’Afrique du Nord, pendant la haute antiquité.

Région russo-caspienne. — Toute cette région a présenté durant le pléistocène et presque jusqu’à nos jours un aspect bien différent de celui que nous lui connaissons, et une étroite dépendance unit la palégéographie ponto-caspienne à celle du territoire égéen disparu.

Pendant l’époque tertiaire tout entière, la région recouverte aujourd’hui par l’archipel faisait corps avec l’Asie-Mineure et la Turquie. C’est plus à l’ouest, dans la région actuelle des Alpes, que passaient les bras de mer par lesquels la Méditerranée communiquait avec ses vastes annexes de l’Austro-Hongrie et de la Russie. Pendant presque toute la durée du pléistocène, ce plateau égéen, probablement très élevé, continue à subsister. Les masses d’eau salée placées plus au N. ne communiquent plus avec la Méditerranée, jusqu’au moment tardif de l’ouverture des détroits actuels du Bosphore et des Dardanelles, après l’effondrement du plateau égéen.

On peut donc distinguer deux phases dans l’histoire pléistocène de la région russo-caspienne : celle qui précède l’effondrement égéen, et qui dure pendant presque tout le pléistocène, et la période qui suit. Je vais étudier dans cet ordre les trois questions : état ancien de la région, effondrement égéen, état récent.

Pendant toute la première période, la région de la mer Noire constitue un plateau élevé, depuis l’Asie-Mineure et le Caucase jusqu’aux montagnes de Crimée et aux environs de Varna en Bulgarie. Entre ces deux points s’étend une chaîne montagneuse, continuation du Veliki-Balkan. La région au N. O. forme une plaine basse ou plutôt un vaste estuaire, par lequel le Danube se déverse dans la mer d’Azow, au N. de la Crimée. Sur le plateau, un système de lacs saumâtres, dont quelques-uns ont laissé des débris de dépôts, appendus aux côtes actuelles de l’Asie. Les eaux s’écoulent dans la mer d’Azow. Celle-ci, beaucoup plus grande qu’aujourd’hui, s’étendait au N. jusqu’au plateau du Donetz, et au S. jusqu’entre le Caucase et le cours du Kouban. Un long et large détroit, qui a pris son nom de la ville de Stavropol, faisait communiquer la mer d’Azow avec la Caspienne. Celle-ci, tout autrement conformée qu’aujourd’hui, était plus restreinte dans sa partie méridionale, agrandie par un effondrement ultérieur, mais possédait en revanche une superficie triple dans toute sa région nord. Elle battait presque le pied du versant nord du Caucase, et son rivage passait par Naltchik et Vladikavkaz. À l’ouest, elle était limitée par les hauteurs d’Ergeni, et celles de la rive droite de la Volga. La Volga et la Kama débouchaient dans un golfe à la partie N. O. Un autre golfe s’avançait très près d’Orenbourg. À l’E., la Caspienne s’étendait jusqu’au plateau d’Oust-Ourt, et recevait les eaux du lac d’Aral, dont les dimensions étaient bien plus considérables qu’aujourd’hui, sans s’étendre comme on le croyait naguère jusqu’au lac Balkasch. Celui-ci a toujours été une nappe d’eau douce, dont les dimensions sont aujourd’hui fort diminuées.

Au N. de ces régions, la mer polaire a parfois empiété dans de vastes proportions, couvrant une partie du nord de la Russie et le N. O. de la Sibérie, golfes immenses entre lesquels le massif de l’Oural s’avançait comme un cap. Dans les périodes de relèvement au contraire, la côte se reportait très au N. et enclavait la Novaia-Zemlia.

Ajoutons pour compléter le tableau, que le Caucase et l’Ou


Fig. 2. Région russo-égéenne (3e interglaciaire).


ral possédaient un relief plus puissant qu’aujourd’hui, ces montagnes ayant fourni la presque totalite des matériaux qui couvrent la Russie méridionale et les régions à l’est.

C’est dans ce cadre que se déroulent les phénomènes locaux du pléistocène inférieur et moyen. Sur leurs différentes phases nous n’avons encore que peu de documents. On n’a pas encore trouvé de gisements à faunes chaudes correspondant à celles de Saint-Prest et de Chelles. Pendant le grand glaciaire, la coupole de glace s’est avancée au point de ne laisser entre elle et la mer d’Azow qu’une bande de 400 kil. de large. L’Oural a été le siège d’une puissante glaciation, ainsi que le Caucase. Ce dernier a poussé une moraine jusque sur la barre de calcaire tithonique entre l’Ardon et le Terek. Cette moraine, faite de roches cristallines du haut Caucase, est à plus de 3.000 m. d’altitude. Or la barre présente au S., face au Caucase, un escarpement très élevé au pied duquel se sont arrêtées les moraines des glaciations postérieures Celles du grand glaciaire ont eu la puissance de le franchir.

La faune de cette époque a été décrite par Tcherski. Elle comprend le mammouth et le rhinocéros laineux, le saïga, qui vit encore dans le pays, l’Ovibos moschatus, le cheval, mais non l’Ursus spelæus et le renne. Celui-ci, très abondant en Europe et dans la Sibérie orientale, paraît avoir été très rare dans la région intermédiaire, à toutes les époques et jusqu’à nos jours.

Une faune supérieure à Cervus canadensis, capreolus, elaphus, parait dater de la fin du pléistocène. Le cheval paraît ne s’être étendu d’ouest en est, sur la Sibérie, que durant la fin du pléistocène. Dans certaines cavernes, par exemple à Nishni-Udinski en Sibérie, on a trouvé, emballée dans le limon encore glacé, toute une faune du pléistocène supérieur en état de complète conservation.

En somme, durant le pléistocène moyen, la région ponto-aralo-caspienne paraît avoir été soumise à un régime moins diluvien que l’Europe occidentale et la Barbarie. Elle a été moins privée de soleil, plus froide sans doute en hiver que les pays à l’ouest, mais plus chaude en été, plus voisine de son régime extrême de l’époque actuelle. C’est pourquoi la faune actuelle est à très peu près la faune fossile, et pourquoi celle-ci se montre si pauvre.

La destruction du grand isthme eurasien du sud, par la péninsule des Balkans, la mer Égée, l’Asie Mineure, est l’œuvre d’une série d’effondrements séparés par des intervalles relativement courts. La faune du quatrième étage méditerranéen, contemporain du pliocène supérieur, se voit en divers points du Péloponèse, dans des couches aujourd’hui relevées jusqu’à 500 m. Elle se rencontre jusqu’à Rhodes, à Milo, et dans l’île de Cos. C’était la limite extrême des golfes méditerranéens dans cette direction au début du pléistocène. Au N. existaient de très nombreux lacs d’eau douce, depuis la Bosnie jusqu’à l’Asie Mineure, et sur les rivages de la mer Egée, sur ceux de ses îles, on voit, par places, la coupe très nette de leurs dépôts, à divers niveaux d’élévation. Ces coupes nettes nous montrent comment se sont faits les affaissements, par des ruptures de voussoirs. Les parties détachées se sont engouffrées à plusieurs milliers de mètres, et les bords allégés des cassures ont été souvent relevés au contraire au-dessus de leur premier niveau.

L’achèvement de ce travail est très récent, s’il est permis de le dire achevé. Dans les Dardanelles, à Gallipoli, près de Salonique, on trouve des dépôts marins à une dizaine de mètres au-dessus de la mer, et contenant la faune actuelle de la Méditerranée. Leur formation est donc postérieure aux derniers changements de faune. À Gallipoli ces couches ont fourni un couteau de silex dont la date est ainsi postérieure à l’ouverture des Dardanelles, mais antérieure à l’abaissement des eaux.

L’étude des dépôts du détroit de Stavropol nous fournit d’autres détails sur la date de l’ouverture du Bosphore et des Dardanelles. Ces dépôts sont limités au nord et au sud par les terres noires, Tchernoiziem, provenant de la décomposition des végétaux de la grande steppe pléistocène, et qui font la richesse agricole de la Russie méridionale. Le détroit est donc resté ouvert jusqu’après le dépôt presque complet de cette formation. Les couches marines du détroit contiennent, d’autre part, une grande quantité de blocs erratiques descendus du Caucase, emballés dans les glaces, pendant les diverses époques glaciaires. On n’en trouve aucun à la surface. De toute façon, le détroit subsistait donc après le quatrième glaciaire, le quatrième interglaciaire, et peut-être le cinquième.

Après l’ouverture du Bosphore et des Dardanelles, et l’achèvement de la mer Noire, la Caspienne dont le niveau était d’au moins trente mètres au-dessus de celui de la Méditerranée actuelle, fournit à celle-ci une grande quantité d’eau, et le gisement de Gallipoli date peut-être de cette période de relèvement artificiel de l’étiage. Le système mer d’Azow — Caspienne — mer d’Aral se trouva, pendant un temps très court, constituer un prolongement de la Méditerranée. Privée de son grand affluent le Danube, recevant moins d’eau qu’elle n’en perdait par l’évaporation, et par l’écoulement dont je viens de parler, la mer Caspienne ne tarda pas à se restreindre, et perdit tant qu’un jour le seuil du détroit de Stavropol se trouva découvert. Le niveau s’abaissant de plus en plus, la communication avec la mer d’Aral finit par cesser à son tour, de sorte que cette dernière devint indépendante, et la Caspienne prit peu à peu ses limites actuelles.

Ces dernières ne sont pas encore définitives. Le niveau continue à baisser lentement. Hérodote donne à la Caspienne une étendue de quinze jours de navigation à la rame dans le sens des paralèles, et de huit seulement dans celui des méridiens. Elle communiquait donc toujours, si les données d’Hérodote étaient exactes, avec la Mer d’Aral. Ptolémée lui donne aussi 23 degrés de longitude sur 9 de latitude. Cette dernière donnée demeure à peu près exacte de nos jours, la Caspienne n’ayant guère perdu de ce côté que vers l’embouchure de l’Oural.

De tous ces faits nous pouvons déduire les conditions de vie dans la Russie méridionale et le Turkestan pendant la fin du pléistocène. Durant le quatrième interglaciaire, le régime de steppe qui dure encore existait déjà, mais beaucoup plus égal, l’humidité causée par la présence de masses d’eau triples au moins devait atténuer la rigueur des hivers, l’ardeur et la sécheresse des étés. Le climat était plus tempéré, le désert turcoman beaucoup moins aride. Depuis lors, et à mesure que les eaux se retiraient, le régime actuel s’est établi, et il ira s’aggravant encore.

La région ne nous offre donc point dans le passé les conditions nécessaires pour expliquer la transformation d’un peuple de bruns en blonds lymphatiques. La Bactriane, le Pamir, dont on a parlé comme du berceau des Aryens, sont encore plus éloignés de nous offrir ces conditions nécessaires. La première ne recevait que l’excédent d’humidité du Turkestan, le second était aussi peu habitable que de nos jours.

Nord-Ouest de l’Europe. — L’étude de l’ensemble du pléistocène a été faite surtout d’après les données fournies par la France, l’Allemagne, les Îles Britanniques et la Scandinavie, c’est-à-dire par le N. O. de l’Europe et les parties voisines. L’étude spéciale que nous allons faire de la région de la Mer du Nord et de la Baltique se trouve donc largement préparée ; nous n’aurons à nous occuper en détail que de la fin du pléistocène, seule époque d’ailleurs qui soit pour nous d’un intérêt direct.

À la fin du pléistocène, il ne restait plus qu’un bassin maritime très restreint dans cette région. Il occupait la partie méridionale de la mer du Nord actuelle. C’était le reste de la mer qui avait déposé les couches jurassiques, crétacées et tertiaires du bassin de Paris et de celui de Londres. Il débordait un peu sur les contours actuels de l’Angleterre en Norfolk, et du continent en Belgique et en Hollande. Plus haut le bassin était plus restreint, n’atteignant ni l’Écosse, ni la Scandinavie. Il était fermé vers le N. Toute la région de l’Écosse, des Feroer, faisait partie des terres intercontinentales unissant l’Europe à l’Amérique, et déjà fortement éventrées par les effondrements. Une mer froide, venant du Pôle, descendait probablement jusqu’entre la Norvège et les Feroer. La première ébauche de la mer du Nord fut dessinée par la jonction de cette mer froide et du bassin dont je viens de parler. Cette jonction amena sur la côte du Norfolk la première faune marine froide, celle de Weybourn et de Chillesford. Ainsi débuta dans la région le premier glaciaire, mais déjà la Scandinavie possédait de puissants glaciers pendant le pliocène. Les formidables entailles qui constituent les fjords ont été creusées dans la roche pendant le pliocène, par l’action prolongée de puissants glaciers de montagne. La profondeur des fjords, dépassant parfois le niveau de 600 mètres au-dessous de la mer, prouve que le creusement est antérieur à l’état actuel des choses. Tout le massif entre l’Écosse et la Norvège a subi depuis ce creusement un affaissement vertical de 1000 à 1500 mètres, contemporain sans doute du premier glaciaire et de la première formation de la mer du Nord. Cet abaissement permit l’introduction des eaux marines dans la grande plaine aujourd’hui occupée par la Baltique. La forme de celle-ci est d’ailleurs toute différente de celle qu’elle avait d’abord, et l’orifice d’entrée se trouvait dans la région déprimée que jalonnent aujourd’hui le Skager-Rack et la chaîne des grands lacs suédois.

Pendant la période chaude qui suivit, époque de l’E. meridionalis, il est inutile de dire que ce dernier ne se montra guère que dans le midi de l’Angleterre et ne pénétra pas en Suède. Il est probable que la faune de cette période chaude en Scandinavie et en Écosse devait être intermédiaire entre les faunes froides et chaudes des régions de l’Europe centrale et occidentale. La Mer du Nord fut sensiblement amoindrie pendant cette époque.

Le second ou grand glaciaire fut précédé d’une période d’affaissement qui porta en général la mer du Nord au-delà de ses limites actuelles. En Écosse, les régions au-dessous du niveau actuel de 100 à 120 mètres furent submergées. Pendant l’interglaciaire chelléen, la mer du Nord se trouva de nouveau considérablement réduite, puis un nouvel affaissement, pendant le troisième glaciaire, couvrit les plaines et les vallées de l’Écosse. La terrasse témoin est aujourd’hui relevée de nouveau à 30 mètres au-dessus de la mer. Ces fluctuations se continuèrent en Écosse, l’invasion des eaux forma pendant le 4e glaciaire la terrasse de 25 mètres, et celle de 10 pendant le 5e. Dans l’intervalle le dessèchement atteignait la presque totalité de la mer du Nord à la même latitude, à mesure que son fonds était relevé par les détritus glaciaires. Dans le S. de l’Angleterre les fluctuations furent moins marquées, moins encore en Belgique, et il est probable que pendant les périodes où la région N. était à peu près émergée, il se conservait une nappe d’eau assez étendue au voisinage de la côte belge.

Du côté de la Scandinavie, les fluctuations furent probablement plus fortes qu’en Écosse, ce qui nous explique les variations extraordinaires de la région comprise entre ces deux pays. Submergée au commencement des périodes glaciaires, couverte de glaces pendant le fort des deuxième et troisième glaciaires, prise en partie pendant le premier et le quatrième, cette région présentait pendant les périodes d’assèchement un étrange système de vastes lagunes, de marais fangeux, de sables mouillés, de canaux tortueux, une sorte de Hollande immense, exposée à tous les coups de mer, et dont les lignes de rivage étaient en perpétuel changement. Le chaos de sables, de vasières et d’étiers de l’estuaire de l’Elbe et du Weser donne, sur la carte, une impression de ce que devait être cette vaste terre basse (V. Habenick, See-Atlas, n° 13, Gotha, Perthes.)

La ligne de profondeur de 100 mètres suit à peu près une ligne idéale allant d’Aberdeen en Écosse à Stavanger en Norwège. Elle enveloppe les Shetland, les Orkneys et le système entier des îles Britanniques et joint le S. E. de l’Irlande à la pointe de Bretagne. Dans la mer du Nord cette ligne était à peu près la limite des terres pendant les grandes émersions, si l’on fait abstraction des affaissements et soulèvements locaux. Plus à l’ouest, des effondrements ont complètement défiguré le relief des terres par lesquelles s’est fait entre l’Europe et l’Amérique l’échange des espaces du pléistocène moyen. Le plateau de Rockall, aujourd’hui submergé à 180 mètres de profondeur, offre encore un fonds de coquilles littorales récentes, qui confirme les légendes médiévales relatives à l’existence d’une terre dans cette région, à une époque toute moderne[24]. Entre l’Irlande et l’Angleterre il paraît y avoir eu toujours un canal étroit, parfois fermé tout au N. de l’Irlande. Cependant E. meridionalis a pu passer. On l’a trouvé en Irlande. Le canal s’est donc, par moments, trouvé asséché en quelque point.

Il est incertain dans quelle mesure les régions entre l’Espagne et l’Irlande ont été atteintes par les changements de niveau. J’ai des raisons de croire que leurs lignes de rivage étaient beaucoup plus rapprochées à une époque voisine du cinquième siècle avant notre ère, et que des effondrements considérables ont totalement modifié, durant le pléistocène et les temps récents, la topographie de la région. À Rennes, les alluvions à galets calcaires et à schistes rouges du sixième glaciaire prouvent qu’à cette époque la Vilaine venait du sud du département, suivait exactement à rebours son lit actuel, et allait se jeter dans la Manche. À ce moment les rivages actuels du sud de la Bretagne devaient donc être de 100 mètres au moins au-dessus de leur niveau actuel. Le mouvement de bascule a été produit par la formation de la fosse profonde au N. de l’Espagne.

Quant à la Baltique, elle a constitué pendant les périodes de relèvement, tantôt un bassin maritime ou saumâtre restreint, en communication avec la mer libre par la profonde fosse de Norvège, tantôt une plaine basse, couverte de marécages et de lacs saumâtres ou d’eau douce, tantôt un grand lac d’eau douce, l’Ancylus See.

Les travaux des géologues belges nous fournissent une histoire très détaillée du rivage méridional de la région de la mer du Nord. Les géologues suédois ont étudié avec non moins de détail l’histoire de la Baltique. Pour la région centrale et septentrionale de la mer du Nord, aujourd’hui couverte de 50 à 100 mètres d’eau, nous ne pouvons connaître son régime climatérique que par induction, à l’aide des données fournies par la Norvège et l’Écosse.

Les couches du commencement du pléistocène en Belgique sont peu importantes, surtout les terrestres. L’invasion marine qui a formé les dépôts poerdeliens paraît se rapporter au début du pléistocène. Celle qui a déposé les couches moséennes est probablement celle du second glaciaire. Après ce dépôt le sol se relève, une faune de bisons et de cerfs s’établit sur les estuaires desséchés, et l’homme fait son apparition. Les silex des alluvions mesviniennes paraissent contemporains des haches chelléennes, cependant l’hippopotame et l’éléphant n’apparaissent pas dans ces couches. Ni E. meridionalis, ni E. antiquus ne paraissent avoir vécu sur le sol de la Belgique, tandis qu’ils abondaient dans le Norfolk, de l’autre côté de la baie qui formait alors la partie méridionale de la mer du Nord. Ces alluvions mesviniennes ont d’ailleurs été encore plus maltraitées que celles du chelléen de France par les pluies torrentielles qui préparèrent le troisième glaciaire. Ces pluies ont dépouillé les montagnes, remanié les dépôts antérieurs et laissé jusqu’à de grandes hauteurs des cailloutis diluviens qui forment le campinien de Belgique, à Elephas primigenius, Rhinoceros tichorhinus et haches chelléennes, correspondant aux graviers sus-chelléens de France, et aux graviers de fond de M. Ladrière.

Le régime torrentiel diminuant avec le progrès du froid, les matières déposées devinrent plus ténues, du sable d’abord, puis de la glaise, enfin un limon tourbeux. Puis le régime des gelées intenses et des dégels successifs s’établit, faisant éclater les cailloux de la surface. Ces cailloux éclatés, graviers glaciaires, constituent la base de l’assise moyenne de M. Ladrière. Ils sont les restes d’une couche plus ou moins épaisse de matériaux, lavée par les pluies qui succédèrent au régime glaciaire et inaugurèrent le troisième interglaciaire. Les limons panachés, pointillés et fendillés représentent les alluvions de la fin de cette période pluvieuse, pendant laquelle les fleuves étendirent depuis les Flandres jusqu’en pleine mer les dépôts limoneux hesbayens. Puis la sécheresse vint, et de cette époque datent les limons à débris de mollusques et de plantes qui couronnent l’assise moyenne dans le N. de la France et forment le limon brun clair non stratifié, d’origine éolienne, de la Belgique et des parties voisines de la Hollande. La Belgique fut à peu près inhabitable non seulement pendant le fort des glaciaires, mais pendant la période hesbayenne, en raison de l’inondation générale.

Le quatrième glaciaire est précédé d’un affaissement, et d’une invasion marine durant laquelle se formèrent les dépôts flandriens. Ce quatrième glaciaire est indiqué dans la stratigraphie terrestre par un nouveau lit de cailloux éclatés par le gel et le dégel. Ils forment dans nos alluvions du N. de la France la base de l’assise supérieure. On y trouve en France la faune et l’industrie moustériennes. Il ne faut pas oublier que ce lit provenant du lavage de la partie supérieure des alluvions telles qu’elles existaient alors, ces débris datent de l’époque immédiatement antérieure au maximum du froid, pendant lequel le pays fut inhabitable, et peut-être inhabité.

Le quatrième interglaciaire est accompagné d’un relèvement du sol. On appelle ergeron, dans le N. de la France et en Belgique, le limon déposé pendant cet interglaciaire.

Jusqu’à cette époque le pays n’avait été habité que par intermittences depuis l’époque chelléenne. À la fin du quatrième interglaciaire, l’homme s’installe d’une manière définitive et les cavernes ont fourni de nombreux objets magdaléniens. Jusqu’au cinquième glaciaire, qui n’a pas laissé de traces comme en Belgique, mais fut accompagné d’un léger affaissement pendant lequel la mer parvint à franchir enfin le seuil du Pas-de-Calais, toute la région autour de la partie méridionale de la mer du Nord se trouva dans les mêmes condition, avec cette différence que pendant le grand glaciaire la coupole glaciaire s’étendit jusqu’à Londres, Anvers et Bruxelles, plaçant ainsi dans des conditions différentes deux zones qui tout le reste du temps se confondirent en une seule.

Le cinquième interglaciaire est marqué par un relèvement du sol. La mer recouvre aujourd’hui, jusqu’à 10 kilomètres au large de la côte actuelle, un dépôt de tourbe dont la formation remonte à cet interglaciaire. D’après les calculs de M. Rotol, la formation de cette tourbe aurait exigé 7.000 ans. La partie inférieure ne fournit pas d’objets préhistoriques, mais la partie moyenne est riche en objets de l’époque de la pierre polie, qui remonteraient ainsi à 4.000 ans avant notre ère. Cette couche de tourbe a été recouverte vers l’époque des invasions barbares par une nouvelle transgression marine dont l’histoire a conservé le souvenir.

Tandis que ces péripéties s’accomplissaient en Belgique, la région de l’Angleterre située en face parait avoir joui d’un climat plus heureux. Cette différence se marque dès le chelléen, où l’E. antiquuus habitait le Norfolk, tandis qu’il ne paraît pas avoir vécu d’une manière permanente en Belgique et dans le N. de la France. La fin du quatrième glaciaire est marquée en Angleterre par un développement des forêts, comme dans les Pyrénées et le cinquième glaciaire est bénin. Tandis qu’en Écosse il se traduit par un retour des glaciers, en Angleterre il se réduit à une substitution de la végétation des tourbières à celle des forêts, et celles-ci reprennent le dessus (upper buried forest) pendant le cinquième interglaciaire. Le climat était moins humide en Angleterre, en raison de la plus grande élévation du sol. Le sixième glaciaire de Geikie (tourbe recouvrant l’upper buried forest, terrasses inférieures, glaciers supérieurs de Corrie, ligne des neiges permanentes à 1.100 m) parait avoir été de peu de durée, comme le prouvent les observations de M. Piette au Mas d’Azil. Ces derniers glaciaires nous sont connus en détail parce que leurs dépôts n’ont pas été enlevés par un glaciaire véritable, mais si celui-ci doit se produire un jour, avec l’intensité du second ou du troisième, il est probable qu’il prendra le numéro cinq, peut-être quatre, en faisant disparaître les faibles traces de ses devanciers. Des glaciaires frustes ont pu exister ainsi avant le troisième et le quatrième, sans laisser de traces suffisantes pour que nous puissions les distinguer aujourd’hui.

De tout ce qui précède, nous pouvons déduire ce qui suit. Dans la région méridionale de la mer du Nord, et plus encore dans les îles Britanniques, en excluant l’Écosse et en ajoutant les régions exondées par périodes dans le sud et dans l’ouest, le climat n’a pas cessé d’être humide depuis la dernière partie du quatrième interglaciaire. Il n’a pas été assez froid pendant le cinquième glaciaire pour être intolérable. L’archéologie nous prouve d’ailleurs que l’homme a vécu en permanence dans toutes les parties de cette région accessibles aujourd’hui à l’observation directe. Pour les parties couvertes par les flots, on sait seulement que les dragages du Dogger-Bank ont fourni des grattoirs, et sur un autre point une dent de mammouth couverte de serpules.

Pour la région Scoto-scandinave et celle de la Baltique, les documents sont encore plus riches et mieux étudiés. Toutes les couches, depuis la fin du quatrième glaciaire, ont été l’objet d’études minutieuses, les anciens rivages et leurs niveaux portés sur des cartes, la matière de la tourbe et du limon examinée au microscope pour déterminer les graines et les débris ligneux, les diatomées et les écailles de poissons. Ces travaux méticuleux, comparables aux recherches de Nüesch au Schweizersbild, font ressortir la légèreté avec laquelle procèdent les explorateurs français, dont un seul, M. Piette, a su tirer de ses gisements des indications précises. Aussi peut-on dire que le passé récent de la région Scandinave est connu millène par millène, tandis que le pléistocène de France est connu seulement en gros. La période que nous allons décrire ne comprend pas plus d’une dizaine de mille ans.

Jusqu’à la fin du quatrième interglaciaire, la région Scandinave était restée à peu près inhabitable. La Baltique constituait une mer glaciale, dont les dépôts sont caractérisés par Yoldia arctica. Cette mer communiquait avec la mer du Nord par la ligne des lacs suédois, les détroits danois n’existaient pas encore. Elle communiquait aussi largement par la Finlande avec la mer Blanche, dont elle n’était qu’un golfe. Les dépôts terrestres de l’époque n’ont donné qu’une flore de toundra. Betula odorata, Populus tremula, Pinus silvestris apparaissent vers la fin de cette période, et le sol se soulève de plusieurs dizaines de mètres suivant les régions. C’est alors que se produit le cinquième glaciaire, marqué par une recrudescence des glaciers et le retour passager à une flore sub-arctique. Dans les derniers temps du quatrième interglaciaire et pendant le cinquième glaciaire l’homme s’était déjà installé en Danemark et en Suède (Kiökkenmöddings).

Le cinquième interglaciaire, qui comprend à peu près l’époque de la pierre polie, est marqué par une nouvelle phase de soulèvement du sol et par une amélioration marquée du climat. C’est la deuxième période boréale de Blytt, dont la flore est caractérisée par le frêne et le coudrier. Les forêts succèdent aux tourbières du cinquième glaciaire dans la région baltique, et, au Danemark, le frêne remplace le pin comme essence dominante. Cet état de choses s’étend jusqu’à la Finlande, où il correspond à la période de climat méridional de Hult. Ce climat méridional ne serait point tel pour nous. La flore finlandaise signalée par Hult, Andersson et Nathorst comprend encore Pinus silvestris, Betula intermedia, odorata, Populus tremula, Arctostaphilos uva-ursi, Empetrum nigrum, Alnus glutinosa, Scirpus silvaticus. Cette période est aussi appelée dans la région baltique Ancylus-Zeit. Par suite de l’élévation du sol, l’eau marine s’étant écoulée entièrement, la Baltique devint un lac d’eau douce, dont le niveau était très supérieur à celui de la mer actuelle. Ce lac, comparable aux grands lacs nord-américains avec son système d’eaux secondaires en Finlande, ne communiquait probablement que par un fleuve avec la mer du Nord, ou plus exactement avec le Cattégat, car la mer du Nord, pour la dernière fois, devait être alors à peu près entièrement exondée entre la Scandinavie et l’Écosse. Le relèvement du sol en Danemark, en Scandinavie et en Écosse était supérieur à la profondeur actuelle de la mer du Nord dans sa partie moyenne.

J’attache une importance particulière à ce fait. On verra plus loin que cette importance est capitale. La date exacte de l’Ancylus-Zeit nous est fournie par un instrument en os, fait d’un radius de Cervus Alces. Munthe a décrit cet objet dans un mémoire spécial (Om fyndet af ett Benredskap i Ancylus lera nära Norsholm i Ostergötland, Ofvers. K. Vetensk. Akad. Förh., 1895, 151-177). Il n’existe aucun doute sur la date du gisement, l’absence de remaniement, et l’instrument est nettement néolithique.

Fig. 3. — Région anglo-scandinave (5e interglaciaire).

Un affaissement lent de la région danoise ouvrit au lac Ancylus une issue inférieure au niveau des lacs suédois, et bientôt le lac d’eau douce fut remplacé par une Baltique dont les contours étaient voisins de ceux d’aujourd’hui. Cette phase de l’évolution de la Baltique porte le nom de Littorina-Tide, et la mer elle-même celui de Littorina-Meer. La période correspond probablement au sixième glaciaire, mais on ne voit point de traces d’un grand développement des glaces en Scandinavie. La faune marine est riche en Ostrea, mollusque de tempérament délicat. La flore forestière demeure très développée, c’est l’époque du chêne, Quercus sessilifera. Le climat est plutôt pluvieux que froid, c’est pourquoi Blytt a donné à cette période le nom de subatlantique et d’atlantique. Cependant les glaciers des montagnes, alimentés par des neiges abondantes, poussèrent leurs moraines jusque dans les vallées. Nous trouvons donc bien la succession ordinaire des phénomènes : affaissement du sol, régime diluvien, marche en avant des glaciers. Heureusement ce glaciaire est demeuré fruste. S’il eût pris un grand développement il eût apporté un grand trouble dans l’évolution de la civilisation, car il correspond comme date au premier âge du bronze scandinave, et aux grands empires d’Égypte et de Chaldée.

À la fin de l’époque du bronze, la région danoise est de nouveau soulevée. L’eau de mer pénètre moins facilement, dans la Baltique, et celle-ci redevient un lac d’eau douce. C’est l’époque à lymnées, Lymnœa-Tide. C’est le dernier moment où nous trouvons des terres émergées dans les limites actuelles de la mer du Nord, et il est probable qu’il s’agit seulement d’une bande de quelques dizaines de kilomètres le long de la côte. Au commencement de l’époque du fer, l’eau de la mer s’introduit de nouveau dans la Baltique. C’est l’époque à Mya, Mya-Tide, qui se prolonge encore aujourd’hui et correspond à l’état actuel des choses. Cette dernière période d’affaissement s’est étendue, comme nous l’avons vu, jusqu’à la Belgique, mais avec un retard de quelques siècles. Cet exemple nous prouve que les mouvements lents ne commencent et ne finissent pas en même temps au centre et à la périphérie de l’aire[25].

Les péripéties subies par l’Écosse sont exactement correspondantes. À la fin du quatrième interglaciaire, le temps est devenu doux. De grandes forêts se sont développées. Pendant le cinquième glaciaire, une période d’affaissement se produit, dont on trouve par exemple la trace dans la Mac Arthur Cave à Oban, où le Kiökkenmödding à harpons plats asyliens est coupé par une couche de graviers marins. Les plages qui datent de cette époque sont par places couvertes par des moraines de glaciers, dernière manifestation du cinquième glaciaire. Ces plages sont aujourd’hui à 45-50 pieds anglais au-dessus de la mer. Le niveau devait donc être de 15 à 20 mètres inférieur à celui de nos jours. Puis vient une période de soulèvement, et une nouvelle végétation forestière recouvre la tourbe où gisent les restes de la forêt plus ancienne. Puis vient une dernière période d’affaissement, d’environ 10 m., accompagnée d’un régime pluvieux dont témoigne un lit supérieur de tourbe et d’une apparition de glaciers, la dernière, limitée aux plus hautes montagnes d’Écosse. Le synchronisme des oscillations du sol et du climat est donc parfait en Écosse et en Scandinavie. Nous pouvons en conclure que la région moyenne de la mer du Nord a subi les mêmes oscillations, avec des différences climatériques moins marquées. Cette immense plaine d’alluvions vaseuses, toute en étiers et en marécages, directement exposée au Gulf Stream mais largement ouverte au vent du Nord, devait être moins froide en hiver, moins chaude en été, constamment couverte d’un voile de vapeurs qui se résolvaient en pluie douce.

Le berceau des Aryens. — C’est dans cette région indécise, tantôt terre et tantôt mer, le plus souvent terre et mer à la fois, que Latham plaçait le berceau des Aryens. Cet écrivain est mort avant d’avoir vu justifier par les géologues cette notion d’une plaine anglo-scandinave aujourd’hui disparue sous les flots. Je crois même que cette croyance de Latham ne s’est pas répandue au-delà du cercle de ses amis et qu’il ne l’a jamais précisée par écrit. Je n’en ai eu connaissance que par le Dr Beddoe. Il n’en est pas moins juste de reconnaître que Latham avait pressenti avant nous la situation nécessaire du berceau des Aryens, et c’est pourquoi je donnerai son nom à la plaine anglo-scandinave, qui n’en a pas encore en palégéographie.

Il ne faut pas un grand effort d’imagination pour reconstituer l’existence des Proto-Aryens. Dans ces plaines immenses, découpées et morcelées à l’infini par les étiers et les lagunes, sans un relief, sans un abri, la vie monotone et triste ne devait cependant pas être difficile. Le sol, humide partout, inondé deux fois par jour sur des étendues sans fin, devait être couvert de prairies abondantes, de tourbières dans les lieux où les eaux du ciel se trouvaient rassemblées, de plantes salines le long des étiers et des lagunes. La marée basse découvrait de vastes régions, où le sable et la vase alternaient avec les herbiers. La prairie nourrissait de nombreux herbivores, les grèves découvertes fournissaient à foison les coquilles, le gibier d’eau devait être d’une prodigieuse abondance, les eaux riches en poisson se prêtaient aux modes les plus faciles de pêche. La vie matérielle était donc facile, et l’alimentation suffisante pour une population nombreuse. L’hiver brumeux mais sans gels n’apportait point d’obstacle à la chasse et à la pêche, les herbivores trouvaient de quoi brouter même dans la saison la plus mauvaise, et l’été sans soleil ne desséchait jamais les prairies.

L’existence morale du Proto-Aryen devait être monotone et triste, comme la nature au sein de laquelle il vivait. Cet horizon vaporeux qui l’enveloppait dans un cercle étroit et mouvant avec lui, sous un ciel bas, couvert de nuages plombés qu’entrouvrait rarement un rayon de soleil, ces demi-ténèbres faites en haut de nuées et de brouillards en bas, diffusant la lumière oblique, les retours incessants de la pluie, douce et fine mais battante, le contact du vent du nord, froid, humide et puisant qui le secouait sans cesse, tout ce milieu d’harmonique mélancolie devait travailler à façonner son esprit, comme l’excès d’eau et l’absence de lumière façonnaient peu à peu son corps.

Il est facile de comprendre combien ce climat devait être supporté avec peine. Si riche en nourriture que fût la plaine de Latham, ses habitants durent être d’abord clairsemés, et une dure sélection se fit pendant des milliers d’années parmi les fils des immigrants. Toute race, tout individu gai, vif, ami du soleil et de la vie se trouvait fatalement écarté. Dans cette nature abondante mais austère, mais uniforme, mais infiniment triste, ceux-là pouvaient vivre seulement qui apportaient avec un tempérament résistant une disposition d’esprit froide et mélancolique, une énergie calme, mais inépuisable.

Ainsi se fit une race de pêcheurs, de chasseurs, de marins, de pasteurs, robuste mais lymphatique, intelligente mais triste, énergique mais froide, qui de siècle en siècle augmenta en nombre, accusa ses caractéristiques et devint enfin l’Aryen de l’antiquité la plus haute.

Peu à peu cette race s’étendit sur la grande plaine du Nord, dans la région de la Baltique, dans les grandes forêts de la Gaule, de la Germanie, de la Scandinavie, se mêlant à des éléments analogues, qui dans ces milieux frais, humides, couverts, ne devaient guère différer d’elle par les caractères du corps et se rattachaient à une même origine. C’est de la grande forêt ombreuse de l’Europe moyenne, de l’Atlantique à la mer Noire, que sortiront peu à peu les essaims aryens, marchant à la conquête de la chaleur, de la lumière, de tout ce qui avait manqué à leur enfance terne, uniforme et sévère, et derrière ces essaims d’autres viendront à leur tour, à mesure que la nature enchanteresse, l’air embaumé, les vibrants rayons d’or, les horizons infinis et la vie douce et molle de l’Orient et de la Méditerranée auront couché les premiers sous la terre perfide et couverte de fleurs, car le soleil a toujours attiré l’Aryen, l’attire sans cesse, l’amollit, le désarme et le tue.

Généalogie de l’homme. — Il nous reste maintenant à déterminer la race qui placée dans le milieu spécial de la région de Latham, a donné, sous l’influence du milieu et de la sélection, la forme de H. Europæus. C’est en somme la question de la généalogie de H. Europæus qui se pose, c’est-à-dire d’un rameau seulement du groupe humain. Je parlerai donc très sobrement du tronc et pas du tout des branches éloignées, l’étude très difficile de la généalogie générale de l’homme ne me paraissant pas avoir un intérêt direct pour la question.

Nous ne connaissons pas les ancêtres fossiles de l’homme, à part les Pithecanthropus qui sont déjà des hommes. Les primates sont très anciens. Les frères Ameghino ont trouvé et décrit de nombreuses espèces de singes du crétacé et du tertiaire inférieur de la Patagonie[26]. Parmi ces formes, quelques-unes sont plus près du type humain qu’on ne pourrait le supposer, et d’une manière générale les singes sont d’autant plus singes qu’ils se rapprochent davantage de notre époque. Les espèces à mâchoires formidables comme le gorille et le chimpanzé, ou comme les cynocéphales, celles à mains adaptées pour la fonction de crochet et dépourvues de pouce comme les colobes, celles à estomac complexe comme les semnopithèques, toutes les formes à longues queues servant de balancier, à membres très allongés et à corps très grêles, adaptés à la vie arboricole d’une manière si parfaite, tous ces singes très évolués paraissent récents, les espèces fossiles que l’on connaît sont très loin d’être spécialisées avec la même perfection. Au risque de provoquer l’étonnement, je crois devoir dire, après une longue étude des primates, que de tous ces êtres les moins différenciés, les moins éloignés du type ancestral des mammifères, ce sont encore les anthropoïdes. Or si nous étudions les fœtus ou les petits des anthropoïdes, nous sommes aussi obligés de conclure que la ressemblance avec l’homme diminue avec l’âge, et que par suite les ancêtres du gorille ou du chimpanzé ne possédaient ni formidables mâchoires, ni crêtes osseuses du crâne, qu’ils avaient les pieds mieux adaptés à la marche, et que par l’aspect général du corps, des membres et surtout de la tête, ils s’écartaient beaucoup moins du type de l’homme[27].

De ces observations, qui feront l’objet d’un ouvrage spécial, il résulte à mes yeux deux choses très probables, la première que l’homme ne descend pas du singe, la seconde que les singes sont les cadets et non les aînés de l’homme. L’origine commune, indiscutée aujourd’hui, est indiscutable, la plus proche parenté avec les anthropoïdes est évidente, mais c’est l’homme qui me parait représenter la descendance la plus directe de l’ancêtre commun.

Je ne crois pas que ce soit une humiliation pour la science, qui de nos jours a fait tant de découvertes en si peu de temps, d’avouer l’ignorance complète où nous sommes de l’ascendance de l’homme. Le hasard nous a livré récemment le chaînon le plus rapproché de la chaîne, le Pithecanthropus, il nous livrera probablement les autres, mais il serait téméraire d’y compter. La découverte que j’ai faite moi-même de l’Anthropodus Rouvillei prouve que nous ne connaissons pas tous primates fossiles de l’Europe, mais il n’est pas probable que ce continent nous réserve de grandes surprises. Les gisements nouveaux fournissent désormais très peu de nouveautés. Le reste de l’ancien continent n’a pas été exploré d’une manière complète, mais les découvertes d’Ameghino permettent de craindre que le berceau des primates se soit trouvé dans le continent austral. Déjà l’on vient de découvrir à Madagascar un singe à formule dentaire semblable à celle des singes américains, le Nesopithecus Fors. Maj., et d’autre part les recherches de Selenka démontrent la fréquence chez l’orang-outang des molaires supplémentaires. Il est donc possible qu’une bonne partie des formes ancestrales ait vécu dans des régions couvertes aujourd’hui par la masse profonde de l’Océan[28].

Les Pithecanthropus. — Les revues scientifiques et les journaux ont vulgarisé le Pithecanthropus erectus Dub. découvert à Trinil, dans l’île de Java, par le Dr Dubois. De cette forme on connaît seulement une calotte crânienne, deux dents et un fémur. La calotte ressemble beaucoup à celle du Néandertal, mais est intermédiaire entre celle-ci et le crâne des gibbons. Les dents sont également intermédiaires entre celles de l’homme et des anthropoïdes. Le fémur, bien humain, caractérise l’être de Trinil d’une manière définitive. Le genre Pithecanthropus doit être regardé comme rentrant dans le genre Homo, et formant le sous-genre le plus inférieur de celui-ci[29].

Le Pithecanthropus erectus Dub. parait avoir vécu à une époque très tardive du pliocène, peut-être au commencement du pléistocène. Il est très difficile d’établir le synchronisme exact des faunes fossiles de l’Europe et de la Malaisie. Les espèces communes manquent, et nous ne possédons pas assez de jalons intermédiaires pour établir des synchronismes par intermédiaires rapprochés. Il est certain seulement que le Pithecanthropus faisait partie d’une faune éteinte, que cette faune a été remplacée par celle d’aujourd’hui sans intermédiaire, et que ce dernier remplacement est déjà ancien, car les formes communes à l’île et à la presqu’île malaise sont assez nombreuses, et doivent avoir préexisté à la submersion des régions voisines.

Fig. 4. — Pithecanthropus erectus Dub. — Trinil[30].
Fig. 5. — Pithecanthropus erectus Dub. — Trinil.

Le Pithecanthropus erectus appartient certainement au groupe de formes qui a donné naissance à celles de l’humanité actuelle. Peut-être est-il même l’ancêtre indirect des Australiens, dont les affinités avec le type du Néanderthal ont été souvent relevées. Je ne crois pas qu’ils doivent figurer dans la lignée directe de H. Europæus. Il est probable qu’il a existé diverses variétés régionales de Pithecanthropus, le type de Néandertal, P. Neanderthalensis King est certainement une de ces variétés, mais il n’y a pas de raison pour regarder le Pithécanthrope de Java comme le père plutôt que l’oncle ou le cousin de celui d’Europe, et il n’est pas d’autre part bien certain que H. Europæus descende du Pithecanthropus Neanderthalensis.

Les traces certaines de l’homme ne remontent pas en Europe au-delà du second interglaciaire. Il subsiste des doutes très fondés sur l’origine artificielle des silex et des autres objets provenant des couches antérieures. Les volumineux coups-de-poing chelléens sont au contraire le produit évident d’une industrie, et on les trouve répartis en abondance variable dans les alluvions du second interglaciaire et même des temps qui suivirent. Ces instruments, même allégés et modifiés, disparaissent tout à fait en Europe vers le commencement du quatrième interglaciaire, mais ils paraissent être restés en usage plus longtemps sur d’autres points du globe.

L’homme qui a taillé ces silex nous est inconnu. Les deux seuls débris humains authentiques trouvés dans les couches du second interglaciaire sont deux dents. Elles ont été trouvées dans le tuf à ossements du gisement célèbre de Taubach près Weimar, et étudiées par Nehring (Ueber einen fossilen Menschenzahn aus dem Diluvium von Taubach bei Weimar, Verh. d. Berliner anthrop. Gesellschaft, 1895, 338-340 ; Ueber einen diluvialen Kinderzahn…, ib., 425-433 ; Ueber einen menschlichen Molar…, ib., 573-587). Ces dents, une première molaire de lait inférieure gauche, et une première molaire adulte inférieure gauche, sont très volumineuses et indiquent une puissance de mâchoires qui rappelle les anthropoïdes. La molaire adulte est en outre ridulée comme celles du chimpanzé. L’industrie de l’homme de Taubach était distincte de celle de nos Chelléens et très supérieure, de sorte qu’on ne peut conclure à l’identité de la population (V. Reinach, La Station de Taubach, Anthropologie, 1897, VIII, 33-60).

Les débris humains contemporains du mammouth et de l’ours des cavernes sont plus nombreux. Ils appartiennent les uns à P. Neanderthalensis, les autres à de véritables Homo. De la première forme on connaît aujourd’hui tous les os, par les squelettes presque entiers de Spy et par des pièces diverses, surtout des calottes crâniennes et des mâchoires, trouvées dans un grand nombre d’endroits de l’Europe centrale, occidentale et méridionale.

Fig. 6. – Pithecanthropus Neanderthalis King – Spy.

MM. Fraipont et Lohest ont consacré aux squelettes de Spy deux monographies qui se complètent (Recherches ethnographiques sur des ossements humains découverts dans les dépôts quaternaires d’une grotte à Spy, Archives de Biologie, VIII, 587-757, et Les Hommes de Spy, Congrès int. d’Anthr., 10e session, Paris, 1889). Il a paru depuis de nombreux mémoires de divers auteurs qui ne contiennent pas d’éléments nouveaux. Le P. Neanderthalensis était relativement petit et trapu, d’une taille analogue à celle des Lapons modernes. Il avait la tête volumineuse, le tronc massif, les membres courts, même les supérieurs, ce qui l’éloigne fortement des anthropoïdes, les jambes sensiblement ployées en avant, au niveau de l’articulation du genou, dans la station verticale. Cette conformation lui donnait une facilité plus grande pour la marche, moindre pour la station debout. La marche en messager, comme disent les Belges, c’est-à-dire la jambe un peu pliée, lui était naturelle ; elle est la plus pratique et donne une grande résistance à ceux qui parviennent aujourd’hui à l’apprendre[31]. Le crâne était dolichocéphale, platycéphale, peu capace, le front bas, fuyant, avec des saillies sourcilières proéminentes en visière comme celles du chimpanzé ou du gorille. Les orbites paraissent avoir été vastes et arrondies, les os de la face puissants, sans prognathisme bien marqué. La mâchoire inférieure dépourvue de menton.

Fig. 7 et 8. — P. Neanderthalensis K. — Neanderthal.

Ces caractères morphologiques sont confirmés par le crâne de Gibraltar, par celui du Néandertal, qui exagère le faciès bestial du type, et par toutes les autres pièces. On trouvera dans l’ouvrage de Mortillet, Formation de la nation française, 275-295, l’étude sommaire des pièces de date moustérienne authentiques connues en 1896. L’auteur omet une quantité à peu près égale de documents dont la date seule est incertaine et qui se rapportent à la race de Néandertal avec une complète certitude. Je crois cette omission peu justifiée, car on n’a jamais trouvé cette race dans des couches dont la date plus récente soit certaine[32]. Dans ces conditions les pièces se datent elles-mêmes, comme le feraient des débris d’ours des cavernes. Peu nous importe d’ailleurs ici, car nous étudions la race en elle-même, et sans nous occuper d’une manière principale de l’époque à laquelle son existence paraît avoir cessé[33].

P. Neanderthalensis ne parait pas avoir possédé un cerveau remarquable. La capacité crânienne, estimée 1.200 cc environ, est de 200 cc supérieure à celle du sujet de Trinil, mais inférieure d’autant aux races de Homo. Son degré de civilisation était cependant supérieur à ce que l’on suppose d’ordinaire. On a trouvé à Spy et dans diverses cavernes des fragments de poterie. Peut-être les hommes de Spy avaient-ils été inhumés ? On a trouvé aussi à Spy des foyers. Maska, dans le gisement de Predmost en Moravie, qui date de l’époque du mammouth, a trouvé aussi des foyers, des sépultures et des poteries, mais on ne pourrait sans témérité conclure par analogie, les sujets de Predmost paraissant avoir appartenu à une race de Homo. D’autre part, à Taubach, la race à molaires de chimpanzé dont j’ai parlé plus haut montre une industrie très voisine de celles du magdalénien et du solutréen. Elle se servait d’instruments d’os, de bois de cerf et de silex, ceux-ci finement taillés, en pleine époque chelléenne. Ce qui rend plus délicate encore l’appréciation des facultés du Pithécanthrope, c’est la possibilité de lui attribuer les sculptures en ivoire de mammouth trouvées à Brassempouy et ailleurs. Certaines de ces pièces, très supérieures aux ébauches de l’art grec, révèlent un véritable génie artistique.

Homo. — Les Homo contemporains sont d’abord la race de Predmost, puis celles de la Truchère et de l’Olmo, celles enfin qui nous sont connues seulement par les sculptures.

La station de Predmost a fourni une quantité prodigieuse de choses. Le mammouth seul est représenté par plus de 25.000 pièces. De l’homme, on a une douzaine de squelettes incomplets, enterrés et recouverts d’une vaste dalle sur laquelle se continuait le gisement sous-jacent. On a restauré onze crânes qui indiquent une race distincte, à front moins fuyant et à orbites moins saillantes que chez les Pithecanthropus. Le crâne était dolichocéphale et la taille élevée. Un squelette atteint 1.80. Cette découverte est d’une importance considérable, mais on ne pourra l’utiliser qu’après la complète publication des matériaux. Jusqu’ici les mémoires publiés sont de nature à exciter une curiosité légitime plutôt qu’à la satisfaire (Maska, Nalez diluvialniho cloveka u Predmosti, Ceski Lid, 1894, IV, 2 ; Kriz, O dokonceni vyzhumnych u Predmosti, J. s. Olmutz, 1897).

Le crâne de la Truchère a été trouvé dans des marnes bleuâtres à Elephas primigenius, recouvertes de restes d’une forêt pléistocène, sous le lit d’un cours d’eau mais dans des conditions qui semblent exclure la probabilité d’un remaniement. On le regarde comme suspect et accidentellement enfoui, sans autre raison que ses conditions de gisement, sa brachycéphalie et son analogie avec les crânes modernes du pays. De fait, dans la même vitrine du Musée de Lyon, j’en ai trouvé un dont les formes sont semblables. Sans me prononcer, je crois qu’il faut conserver comme hypothèse la possibilité de l’existence d’une telle race à l’époque du mammouth. Les découvertes récentes prouvent que l’on avait tort de regarder comme un demi-animal l’homme de cette époque. Ses détracteurs seraient peut-être en peine de tirer d’un morceau d’ivoire les statuettes décrites depuis quelques années. Il existait sans doute des races très différentes et à des degrés divers d’évolution morphologique et psychique.

Tel qu’il est, le crâne de la Truchère ne nous renseignerait d’ailleurs que par à peu près, car il est franchement pathologique. Depuis le haut du nez jusqu’au bregma, on trouve des traces de wormiens, et la suture métopique est ouverte. Elle aboutit à près de deux centimètres de la sagittale, ce qui permet d’admettre un élargissement pathologique d’au moins trois centimètres à la hauteur de la suture coronale. Le frontal, fuyant dans son ensemble, le serait beaucoup plus s’il n’avait été soulevé, boursouflé par la même cause. Aussi le crâne de la Truchère a-t-il une capacité tout à fait anormale, 1925, et l’indice 84.5. L’intérêt principal de cette pièce est de nous montrer comment un crâne probablement très inférieur, à front fuyant, peut devenir semblable à un crâne normal de nos jours. Il nous montre, réalisée d’une manière individuelle par l’hydrocéphalie, l’évolution qui a produit les races actuelles. Je ne veux d’ailleurs pas dire que le sujet de la Truchère est un P. Neanderthalensis hydrocéphale ; tel que je le vois à l’état normal il devait plutôt ressembler aux crânes à frontal néandertaloïde que j’ai signalés de la région du Tarn, ou à celui de Bougon figuré au Crania ethnica. Je n’insiste pas davantage sur le crâne de la Truchère, dont on trouvera une bonne description et quatre excellentes figures en grandeur naturelle dans le travail de Lortet et Chantre, Études paléontologiques sur le bassin du Rhône, période quaternaire, Arch. du Muséum de Lyon. I, 59-130.

Le crâne de l’Olmo, trouvé aussi dans les argiles, et daté par une défense d’éléphant, une mâchoire inférieure d’Equus Larteti et une pointe de lance en silex, a été rapporté par certains lecteurs à l’époque chelléenne, la défense paraissant ne pas provenir d’un mammouth, animal rare en Italie. On n’est point sûr qu’il soit contemporain du dépôt, et il est, comme le précédent, le seul de sa forme, s’il est vraiment de l’époque comprise entre le troisième glaciaire et le milieu du quatrième interglaciaire. Ce crâne est réduit à la calotte, dont les morceaux sont mal recollés. Il est moins rétréci en avant que celui de P. Neanderthalensis, mais également dolicho-platycéphale. Le front était peu élevé, mais modérément incliné. MM. de Quatrefages et Hamy ont eu l’idée bizarre de regarder cette forme comme le type féminin de leur race du Néandertal. J’ai trouvé à Montpellier, dans une tombe aristocratique du xviie siècle, un crâne très semblable à celui de l’Olmo. Ce dernier, quelle que soit sa date, représente certainement une forme du groupe de celles qui ont donné naissance à H. Europæus. Il se place un peu bas dans l’échelle, à côté ou au-dessous des types néolithiques, mais il est de la famille. Il sera intéressant de le comparer aux crânes de Predmost.

Il me reste à parler des races connues seulement par des sculptures. Une race de l’époque du mammouth, et d’une manière précise, du commencement du quatrième interglaciaire, possédait un remarquable talent artistique. Elle a travaillé l’ivoire de mammouth avec une rare perfection, et tiré de cette dure matière des chefs-d’œuvre dont les débris font l’étonnement des artistes. Quand M. Cartaillac voulut bien me montrer la statuette de Brassempouy, dont il venait d’achever à l’instant la restauration, je fus littéralement stupéfait. Cette impression fut générale, et telle que plusieurs crurent à une supercherie. D’autres statuettes ont été découvertes depuis, et tous les doutes sont levés.

M. Piette a décrit et figuré cette pièce dans l’Anthropologie (La station de Brassempouy et les statuettes humaines de la période glyptique, 1895, t. VI, 129-151). Il n’en reste que la partie moyenne et inférieure du tronc, modelée avec une précision documentaire. Il n’a pas été possible de reconstituer la partie supérieure et les jambes, l’ivoire friable ayant été pulvérisé par un coup de pioche. Le ventre est volumineux, pendant, replié, les flancs obliques et vastes ; la cuisse énorme et les fesses volumineuses rappellent la conformation des Boschimanes, ainsi que le développement de la vulve et des nymphes. Des hachures indiquent un système pileux court mais abondant. Ces caractères se retrouvent sur plusieurs autres pièces, dont une a conservé les seins, longs et cylindriques. Une statuette plus complète, moins stéatopyge et à seins piriformes mais pendants, a été trouvée encore à Brassempouy (Piette, Fouilles à Brassempouy en 1896, Anthropologie, 1897, VIII, 165-173). Cette pièce remarquable est aussi finement modelée qu’une figurine de Tanagra.

Toutes les pièces trouvées jusqu’ici dans diverses grottes sont décapitées. On a cependant une tête isolée de jeune fille, mais coiffée d’une sorte de capeline qui rend l’appréciation du crâne assez incertaine. Le nez long et mince, la figure très fine par en bas donnent une impression sympathique. La physionomie générale me paraît celle de certaines femmes annamites plutôt que d’une représentante des races d’Europe. L’indice céphalique est 94.87, mais il ne convient de faire aucun fonds sur cette indication. Il faut retenir seulement que sur cette pièce et quelques autres moins bien exécutées, le front est bas, un peu fuyant, le crâne platycéphale et plus élevé en arrière.

Ces documents, d’un intérêt considérable au point de vue de l’art, nous apprennent qu’à l’époque du mammouth il existait dans le Midi de la France des races bien distinctes du Pithecanthropus Neanderthalensis, appartenant au groupe Homo, et dans un état d’évolution assez avancé. Il serait très hasardeux de prétendre faire des rapprochements entre ces représentations et une race humaine quelconque. Nous sommes autorisés à exclure le type de Néandertal, mais c’est tout.

M. de Mortillet a voulu rapprocher de la race de Brassempouy, stéatopyge et velue, deux sujets nés dans un département voisin, à Arthez (Basses-Pyrénées). Brassempouy est en Chalosse, dans la partie méridionale des Landes. M. de Mortillet (Formation, 244) dit : « Ce ventre, actuellement anormal, je l’ai retrouvé dans une famille de la même région… Mais fait bien singulier, c’est qu’une de ses filles, âgée de douze ans, non formée, présente la même tendance pour ce qui concerne le ventre et offre un phénomène tout particulier, des taches brunes sur la peau, taches qui sont en outre caractérisées par un développement pileux assez prononcé. »

J’ai étudié ces deux sujets. Le ventre de la femme est tout à fait ordinaire chez une femme de la campagne, quadragénaire et mère de six ou sept enfants. J’ai vu le cas nombre de fois, et cette conformation est la règle chez les femmes des environs de Parthenay (Deux-Sèvres), même à l’âge de vingt ou trente ans. Ces dernières constituent, il est vrai, une race spéciale. Quant à la fille, le cas est uniquement pathologique. J’ai photographié et mensuré le sujet, j’ai sous les yeux mes notes, quatre grandes photographies en pied, deux photographies en demi-grandeur de la tache qui couvre l’épaule gauche et le cou, et des échantillons bruts ou en coupe des cheveux et des poils, et je puis affirmer que des pieds à la tête, cette jeune fille est couverte de tares de dégénérescence. Les plaques velues sont de vastes envies, dont la peau rugueuse et épaisse est profondément sclérosée, sauf parfois sur le bord des plages sombres, où l’aspect s’éloigne peu de celui de la peau du nègre. Les poils accrus sur ces nœvus sont anormaux, leur coupe irrégulière, toute différente de celle des cheveux. L’aine droite présente une pointe de hernie. Le ventre n’a d’ailleurs rien d’anormal, il est celui d’une fillette de cet âge, et les figures de M. de Mortillet font nettement ressortir l’absence chez la fille des caractères signalés chez la mère. La taille est très cambrée, un peu ensellée, forme et anomalie fréquentes chez les races dolichocéphales et chez les Basques même brachycéphales. La partie inférieure du sacrum est anormale. Il y a une sorte de bouton osseux visible sur une de mes photographies, mais qui ne se voit pas sur la reproduction réduite de M. de Mortillet. Les mâchoires sont défectueuses, les dents anormales, accompagnées de surdents externes qui font un double râtelier incomplet[34]. Le reste de la famille, que j’ai vu également, est bien normal. Tout ce monde est intelligent, et la fille pie autant que les autres.

Race de Chancelade. — Le paléolithique supérieur, c’est-à-dire la partie du quatrième interglaciaire qui est postérieure à l’extinction du mammouth dans nos pays et antérieure à celle du renne, a fourni très peu de débris humains authentiques. M. de Mortillet ne lui attribue que les squelettes de Laugerie-Basse et de Chancelade, tous deux de la Dordogne et celui de la couche inférieure de Sordes (Landes). M. Hervé admet encore le crâne du Placard (Charente). M. de Mortillet rejette ce dernier, et tous les ossements provenant de sépultures. Il pense que l’homme paléolithique ne connaissait pas le respect des morts. Les découvertes récentes ne permettent pas de continuer à le suivre dans cette voie. Les artistes dont j’ai parlé plus haut n’étaient certainement pas assez inférieurs par les autres points de leur psychologie pour avoir abandonné leurs morts. Les découvertes de Maska règlent d’ailleurs la question, et je regarde comme probablement enterrés les sujets de Spy. Nous devons donc nous dégager de tout préjugé, ne plus attribuer à l’homme du quatrième interglaciaire une intelligence rudimentaire, et reporter aux formes plus anciennes la période d’enfance de l’homme intellectuel et moral. J’écarterai cependant aussi les pièces nombreuses provenant de sépultures, mais seulement comme appartenant à une autre race et un peu plus tardives, tout à fait de la fin de l’âge du renne, ou de la période intermédiaire entre le paléo et le mésolithique, qui comprend les temps voisins du cinquième glaciaire, en deçà et au-delà.

Fig. 9. — Homo priscus. Laugerie.

Le squelette de Chancelade a fait l’objet d’une monographie du Dr Testut, enrichie de planches et de phototypies (Recherches anthropologiques sur le squelette quaternaire de Chancelade, B. Soc. d’Anth. de Lyon, 1889, VIII, et tirage à part). Le sujet, âgé de 55 à 65 ans, était de petite taille, 1.59 environ, il avait la tête volumineuse, fortement dolichocéphale, remarquablement haute, une face à la fois très haute et très large, des orbites également très hautes, le nez étroit et allongé, le maxillaire inférieur puissant, des membres supérieurs relativement longs, de grandes mains et surtout de grands pieds, des os particulièrement robustes, massifs, trapus, et une musculature puissante.

Fig. 10. — Homo priscus. Chancelade.

Le Dr Testut signale chez son sujet une série de caractères d’infériorité, dont la plupart lui sont communs avec Pithecanthropus : les formes massives, le squelette robuste, le développement de la mandibule, la configuration des molaires, croissant de la première à la troisième, la brièveté des membres inférieurs, l’incurvation de l’extrémité distale de l’humérus et de l’extrémité proximale du cubitus, l’aplatissement du tibia, l’inclinaison de la diaphyse de cet os sur les plateaux articulaires, entraînant la marche en flexion ou en messager et rendant difficile la station parfaitement droite, la forme du fémur, l’écartement du gros orteil, lui permettant de faire pince avec le second.

Malgré ces analogies, il n’est pas possible de rapprocher la race de Chancelade, que j’appellerai H. priscus, des Pithécanthropes. La conformation du crâne est toute différente. Le front, relativement large, est haut, presque droit, nullement fuyant même en haut, la région iniaque est beaucoup moins saillante, le crâne dans son ensemble est haut, bien développé à la base et au verlex, bien que celui-ci soit presque horizontal. Deux caractères plus fondamentaux encore différencient ces formes. H. priscus a des orbites tout à fait normales, sans lunettes ni visières rappelant la conformation du gorille, et il possède des apophyses mastoïdes bien développées. J’ai été frappé en examinant un des crânes de Spy en 1889 de constater le faible volume des apophyses mastoïdes, et ce caractère est, en effet, un des plus marquants des Pithecanthropus. L’apophyse mastoïde véritable se retrouve quelquefois, mais très faible, sur les anthropoïdes. On l’a nié, mais je possède des sujets probants dans ma collection. D’ordinaire elle est suppléée par une saillie différente. Chez l’homme, l’apophyse est toujours présente.

De cette morphologie il résulte que le crâne de Chancelade est beaucoup plus vaste que celui du Pithecanthropus. Sans atteindre la capacité phénoménale du crâne de la Truchère, un des plus grands connus, il dépasse d’autant la moyenne actuelle que ceux de Spy restent au-dessous. La capacité, évaluée à 1.000 cc chez P. erectus, est de 1.200 cc chez le P. Neanderthalensis de Spy, de 1 565 chez l’Européen moyen ; elle atteint chez H. priscus de Chancelade au minimum 1.710.

Ce volumineux cerveau, dont le poids calculé devait être de 1.487 grammes, ne semble pas avoir présenté une grande richesse de circonvolutions. M. Testut (p. 22-24) dit : « Or comme les crêtes qui, sur l’endocrâne, répondent à ces scissures, sont continues, je veux dire se prolongent sans interruption de l’une à l’autre de leurs extrémités, j’en conclus immédiatement : 1° que, sur le cerveau, les scissures temporales se poursuivaient, elles aussi, sans interruption, de leur extrémité postérieure à leur extrémité antérieure ; 2° que les circonvolutions temporales n’étaient réunies les unes aux autres par aucun pli de passage, et qu’elles étaient par cela même nettement isolées et fort simples… Morphologie du cervelet : 1° Chez l’homme de Chancelade les lobes latéraux du cervelet, séparés l’un de l’autre par un intervalle de 1 1/2 centimètre à 3 centimètres, étaient moins développés qu’ils ne le sont chez l’homme actuel. 2° Par contre, le lobe médian ou vermis, compris dans cet intervalle, devait présenter un développement plus considérable que celui qu’il a aujourd’hui ; il est à remarquer cependant qu’il était peu saillant en arrière, puisqu’il n’existe pas, à son point de contact avec l’endocrâne, de fossette destinée à le recevoir. C’est là manifestement un caractère d’infériorité. »

Il ne faut pas croire cependant que l’homme de l’époque du renne ait été psychologiquement inférieur aux artistes contemporains du mammouth. Il ne nous a pas laissé de statuettes en ivoire, et pour cause, mais il pouvait tailler le bois. Il nous a laissé en tout cas une quantité considérable de sculptures en bas-relief, de gravures simples et à contours découpés, représentant des animaux, des plantes et des sujets divers. M. Piette, M. Cartailhac ont figuré quelques-uns de ces objets, et on en trouve une infinité d’autres dans divers recueils[35]. Ces gravures et sculptures sont exécutées sur bois de renne, rarement sur os ou sur pierre, avec une vérité d’expression saisissante. Le style est un peu différent de celui de l’époque précédente. L’art éburnéen, pour employer le terme de Piette, rappelle davantage le Proto-Égyptien, l’art indigène antérieur au sixième millène et à l’arrivée des Égyptiens de Ménès, l’art tarandien emploie les procédés un peu différents de l’art chaldéen de la haute époque. Même manière de traiter la musculature, et les chasseurs de renne nous ont laissé des études d’écorché qui montrent leurs connaissances anatomiques. Les sculptures d’épis d’orge permettent de se demander s’ils ne cultivaient pas cette céréale, comme leurs successeurs des temps élaphiens ont cultivé le froment vers l’époque du cinquième glaciaire[36]. Ces mêmes chasseurs de renne nous ont laissé dans plusieurs grottes, à la Mouthe, à Pair-non-Pair, des gravures rehaussées de couleurs, qui constituent des sortes de fresques sur les murailles[37]. Avec leurs circonvolutions simples et leur gros cerveau, l’un compensant l’autre, je pense qu’ils feraient bonne figure dans nos écoles des Beaux-Arts, et que pour trouver l’homme primitif, une fois de plus, il faut remonter bien haut, très haut dans les premiers temps du pléistocène.

C’est une question très délicate que de déterminer l’origine phylogénique de H. priscus, ses parentés et sa descendance. Nous ne connaissons bien en somme que le sujet de Chancelade. Celui de Laugerie, un peu plus fin d’ossature, lui ressemble de très près. Le crâne du Placard, moins allongé, même aux limites de la brachycéphalie, car son indice atteint 80, n’en diffère que par un raccourcissement marqué de la partie antérieure, caractère probablement individuel, mais qui le rapproche de H. contractus. Un nouveau squelette découvert dans la grotte des Hotteaux, près Rossillon (Ain), accuse un indice céphalique de 77.34. Le sujet n’étant pas complètement adulte, on peut supposer que son indice serait devenu un peu inférieur à 77, c’est-à-dire intermédiaire entre le crâne féminin du Placard et les crânes masculins de Chancelade 72.02 et Laugerie 74.87[38].

On admet en général que H. priscus est le produit de l’évolution sur place de P. Neanderthalensis. Je le veux bien. Les deux races ont de grandes affinités. Même squelette robuste, même taille réduite, même tête volumineuse, et jusqu’aux détails des extrémités, tout est analogue. L’affinement n’a porté que sur le crâne, qui de presque simien est devenu très humain, très supérieur même à la moyenne de nos jours par la forme et le volume. La face a peu changé, la partie supérieure seule s’est modifiée par l’évolution du crâne. Dans son ensemble, elle reste haute, large, amincie vers le bas, et en même temps saillante, telle que se montre la tête d’ivoire de la fille à la capuche. La mâchoire inférieure a cependant acquis un menton, ce qui donne un relief encore plus saillant à la partie basse du visage.

Il faut bien dire cependant que cette filiation est très hypothétique. C’est une pure conception de l’esprit, fondée sur les probabilités de l’évolution, mais nous ne possédons encore aucun intermédiaire. Certains exemplaires de P. Neanderthalensis semblent tendre vers le type H. priscus. La mandibule d’Arcy-sur-Cure présente un rudiment de menton. Le crâne n° 2 de Spy, celui de Bréchamps, encore plus le frontal de Marcilly atténuent la platycéphalie moyenne que la calotte du Néandertal exagère[39]. N’importe, toutes ces pièces sont fort homogènes, et entre les plus parfaites d’un côté, la race priscus de l’autre, l’intervalle est beaucoup plus grand qu’entre ce dernier et n’importe quelle race humaine. Il est donc possible que H. priscus soit dérivé d’un Pithecanthropus différent du Neanderthalensis, ou même provienne d’une évolution parallèle à Pithecanthropus par des formes inconnues encore, et qu’il soit arrivé d’un pays inconnu, se superposant à la race du Néandertal et finissant par l’exterminer. Il est encore possible que cette forme ait coexisté avec le Pithécanthrope à l’époque du mammouth, et que la fille à la capuche en soit la représentation.

On est aussi d’accord pour admettre la parenté proche de H. priscus et des Groënlandais actuels, H. arcticus Haeckel, race également petite, très dolichocéphale, à crâne volumineux et à vaste face. Il est certain que les mensurations et le faciès présentent des analogies trop nombreuses pour être fortuites. Les Groënlandais, et les Esquimaux en général, vivent dans des conditions très analogues à celles des habitants de nos pays à l’époque du renne. Ils occupaient à une époque récente tout le N. des États-Unis et le Canada, où les Scandinaves ont eu affaire à eux au Moyen Âge, et j’ai déjà fait remarquer l’identité du climat de la France à la fin du pléistocène et de celui du Canada actuel. Refoulés dans les glaces par les Peaux-Rouges, ils ont peu modifié leur genre de vie, tout en descendant d’un degré dans l’échelle de la civilisation. Civilisés par les Danois et les Américains, du Gröenland à l’Alaska, ils se sont fait remarquer par leur intelligence. Ils ont maintenant une littérature, des imprimeries, des journaux dans leur langue, et dans une seule génération, cette race a fait plus de chemin que les nègres en dix mille ans.

Il est possible que nos Magdaléniens aient été frères des Esquimaux. Cela peut s’expliquer soit par une migration, soit par une évolution parallèle, mais nous ne pouvons faire que de gratuites hypothèses. Le renne du pléistocène moyen était le Groenlandicus, on a trouvé le chien groënlandais dans les dépôts de la même époque, et jusqu’au Carabus Groenlandicus. Le cerf du Canada était commun en Europe, ainsi que nombre d’espèces. Il ne conviendrait donc nullement de s’étonner que l’homme de l’époque du renne survécût, comme tant de ses contemporains, dans l’Amérique du Nord.

Les communications par terre ont été rétablies une ou plusieurs fois durant le pléistocène, et il est possible que le passage de l’homme ait été facilité par la navigation, à un moment où déjà des solutions de continuité pouvaient exister. Je n’invoquerai cependant pas l’exemple des Indiens débarqués en Germanie à l’époque romaine[40], car le Gulf Stream favorise les voyages d’Amérique en Europe et contrarie les traversées inverses, mais nous savons que ces conditions n’existaient pas durant le quatrième interglaciaire.

Outre ces affinités marquées avec les Esquimaux, race voisine mais distincte de H. Asiaticus, et qui pourraient nous faire voir des jaunes dans les chasseurs magdaléniens, il en existe de plus certaines encore avec les races dolichocéphales leptoprosopes de l’Europe, les méditerranéens proprement dits et l’Europæus lui-même. La longue et large face, atténuée par en bas, du crâne de Forbes-Quarry à Gibraltar, du crâne de Spy, du sujet de la grotte de Gourdan, de la statuette à la capuche, des crânes de Chancelade, de Laugerie, de Sordes inférieur, du Placard, des Hotteaux, c’est à bien peu près le prototype grossier de celle du Germain des Reihengräber et de l’Italien des Siciles[41].

Race de Cro-Magnon, H. spelæus Lap. — Je n’insisterai pas sur la race bien connue des préhistoriens sous le nom de Cro-Magnon ou de Beaumes-Chaudes, et à laquelle j’ai donné celui de H. spelæus. Cette race est certainement proche parente de H. priscus, mais elle en diffère par de nombreux caractères. La taille est élevée, voisine de 1.80, alors que celle du Pithécanthropus et de l’homme magdalénien ne dépasse pas 1.60. Le squelette est beaucoup moins massif, le tibia souvent très platycnémique, le péroné cannelé, non plus arrondi, et robuste, les membres inférieurs sont beaucoup plus allongés, le crâne, plus dolichocéphale, offre une inclinaison plus marquée en avant et en arrière et présente ainsi un caractère d’évolution moins avancée ou de régression. La face est tout autre. Les orbites sont peu élevées, et l’apophyse externe du frontal ne se recourbe pas. Les maxillaires supérieurs sont larges et robustes, mais peu élevés. De cette structure résulte une physionomie toute particulière. Cette face en largeur est caractéristique. Que l’on examine le crâne du vieillard de Cro-Magnon qui exagère le type de la race ou celui de Sargels qui le représente exactement, l’impression est la même au degré près. Le simple examen de la face suffit ainsi à écarter H. spelæus de la généalogie de H. Europæus, bien que MM. Topinard, Cartailhac, de Mortillet le regardent comme le représentant des premières invasions blondes[42].

H. spelæus représente probablement une variation en mieux de H. priscus, mais il peut provenir aussi d’une évolution parallèle. Il parait être originaire du N. O. de l’Afrique. On le trouve dans les cavernes françaises dès la fin du quatrième interglaciaire. À Menton, il paraît avoir été contemporain des Magdaléniens, avec une industrie différente et moins artistique[43]. On a cependant publié une statuette de cette provenance[44]. C’est peut-être lui qui vivait à Solutré, ce qui expliquerait la difficulté de distinguer les squelettes quaternaires des néolithiques dans cette station célèbre. À l’époque néolithique on le retrouve dans presque toute l’Europe, mais surtout dans le S. O. de ce continent. La race indigène des Canaries se rattache en partie à ce type, et on le retrouve abondamment aujourd’hui au Maroc, en Algérie, en Espagne. On peut lui rattacher comme variante avec indice un peu plus élevé la race atlanto-méditerranéenne ou littorale de Deniker, très brune et dont l’indice du crâne, 77-78, atteint 79-80 sur le vivant.

La race H. spelæus a fourni de très nombreuses variations de taille, d’indice et probablement de coloration. La face, chez beaucoup de sujets, est moins large, moins écrasée, les orbites sont moins aplaties. Ces nuances s’observent aisément quand on examine des séries un peu étendues de crânes néolithiques. Quand cependant les différences s’accentuent dans le visage, c’est au contact de populations de type Europæus ou méditerranéen, et par suite de mélanges. Il faut d’ailleurs dire que chez les populations de type Europæus on trouve souvent des sujets dont la face est courte, bien que la coloration soit claire. C’est que probablement des éléments provenant du type spelæus, furent englobés dans le mouvement d’évolution qui a donné à l’Europæus ses caractères si distinctifs. Il est également possible qu’il s’agisse d’une variation dans la race Europæus analogue à celle qui a produit le spelæus aux dépens d’une autre race. Il n’en est pas moins certain que ces individus sont atypiques, et que le type de l’Europæus comporte une face grande et haute à la fois.

Au moment du réchauffement de nos régions, vers la fin du quatrième interglaciaire, H. spelæus a commencé à s’avancer chez nous, remplaçant H. priscus qui se retirait vers le nord. Les deux races se trouvaient ainsi suivre en quelque sorte le climat qui leur était favorable. On comprend que dans ces conditions des peuplades de la race de Cro-Magnon aient pu arriver dans la région où s’accomplissait la transformation de l’Europæus et se mêler avec lui dans la période de formation du type.

Les recherches récentes ont mis en lumière l’existence de races nombreuses dans l’Europe centrale et occidentale à l’époque postérieure au cinquième glaciaire. Quelques-unes peuvent avoir existé déjà dans nos pays aux époques antérieures, mais nous n’avons aucun indice qui permette de l’affirmer. Ces races ne peuvent avoir de rapport avec H. Europæus. L’une H. contractus, de très petite taille, est caractérisé par le renfoncement du visage sous le crâne, et la partie postérieure de celle-ci enroulée en dessous, ce qui place l’indice au commencement de la série brachycéphale. Cette race est probablement une forme de misère développée parallèlement à la forme prospère spelæus, dont la face ressemble beaucoup à la sienne. On a décrit aussi de plusieurs côtés de curieux pygmées dolichocéphales, encore mal connus. Certains crânes raccourcis supposent aussi l’existence de races très brachycéphales, dont ils seraient les produits de croisement. Parmi ces races très brachycéphales, on peut citer avec une grande probabilité certaines formes du groupe Acrogonus, dont on a trouvé dans la péninsule ibérique, dans les Pyrénées et les Cévennes (Sainsat, Sallèles), et même à Paris (carrière Hélie), des exemplaires à peu près typiques. Les crânes de ces diverses races sont relativement rares, la grande majorité des sépultures donnant surtout les types de Cro-Magnon, méditerranéen ou Europæus. Ce n’est pas que les documents aient fait défaut, mais ils ont été criminellement détruits de nos jours par les phosphatiers. La Révolution avait une excuse quand elle semait sur les champs de bataille nos archives transformées en gargousses, elle croyait faire œuvre sainte en propageant dans le monde les sornettes de nos philosophes, mais la France d’aujourd’hui portera éternellement la honte d’avoir, sans raison et sans nécessité, transformé en engrais les archives de l’humanité.

Races méditerranéennes. — Il nous reste à parler d’une race néolithique, dont le rôle historique a été considérable, et qui couvre encore de ses descendants une partie des territoires méditerranéens et des îles. C’est la race de petite taille, de structure délicate, très brune, dolichocéphale et leptoprosope, que l’on confond encore souvent avec celle de Cro-Magnon sous le nom de méditerranéenne. Entre ces deux races les affinités sont marquées, le crâne et le squelette ont beaucoup d’analogie, mais les différences sont plus grandes que les analogies. La race méditerranéenne sensu stricto diffère de toutes les autres races par son indice céphalique plus bas, par l’étroitesse et la hauteur extrême de la face ; elle s’éloigne de H. spelæus et de toutes ses variétés, par la face dont l’exagération est en longueur et non en largeur, et par sa taille beaucoup plus petite, peu supérieure à celle des pygmées ; plus apparentée avec H. Europæus qu’avec toute autre, elle s’en distingue spécialement par la couleur et la taille.

Ce rapport de parenté entre H. Europæus et la race méditerranéenne sont importants. Les deux races semblent avoir été presque identiques à l’origine. La haute taille et la dépigmentation sont des caractères très importants mais nouveaux chez la première, et ses ancêtres n’étaient ni très grands, car l’accroissement s’accuse d’époque en époque, ni dépigmentés. Le méditerranéen proprement dit, auquel j’ai dû donner le nom de H. meridionalis[45], n’a pas été non plus toujours aussi fin de formes, n’a pas eu toujours le visage aussi allongé, le crâne aussi étroit. Des indices au-dessous de 70 comme nous en rencontrons n’existaient pas, selon toute vraisemblance, chez les formes les plus primitives de Homo. Les deux races sont donc en divergence, mais peuvent s’être détachées d’un rameau commun. D’autre part, les méditerranéens leptoprosopes peuvent être en grande partie le résultat du croisement de dolicho-blonds et d’autres races, aujourd’hui répandues jusqu’au Somal et au Sénégal, dont la peau va jusqu’au noir, mais qui ne sont point nègres. Il est très difficile de distinguer un intermédiaire par absence de différenciation d’un autre issu du croisement de deux formes différenciées.

Du Somâli et du Maure sénégalais, du Nubien et du Foulah au Norvégien le plus typique, toutes les formes de transition existent quant à la couleur, et la différence du squelette est si faible qu’elle ne dépasse guère entre les types les plus extrêmes les limites de la variation individuelle dans chacune des races. Toutes ces populations ne sont qu’une même espèce adaptée à des climats divers, revêtant des livrées différentes, mais dont toutes les variétés sont encore en continuité, se sont mélangées et se mélangent sans cesse d’une manière qui exclut la possibilité d’une séparation complète. Les Égyptiens nous montrent l’Afrique du Nord peuplée de blonds jusque dans le Sahara, Procope (De Bello vandalico, XI, 3) nous représente blonds les habitants du Sahara méridional, et d’autre part les races brunes ont sans cesse envahi l’Europe, à l’exemple de la race de Cro-Magnon. Je rappellerai que j’ai même trouvé à Castelnau le crâne d’une négresse authentique, amenée probablement du Niger ou du Sénégal à l’époque argarienne.

Ces affinités incontestables entre H. Europæus, méditerranéen, H nuba Haeck., etc., expliquent pourquoi Brinton et Sergi placent en Afrique le berceau de la race dolicho-blonde, et pourquoi ce dernier insiste avec énergie pour faire du dolichocéphale blond un simple rameau des méditerranéens. Sergi est l’inventeur d’un système de nomenclature des formes crâniennes, en nombre assez limité de fait, qui permet des rapprochements plus saisissants que des tableaux comparatifs. À la suite de l’examen de séries de crânes germaniques, il a publié dans Centralblatt für Anthropologie, 1898, III, 1-8, un court mémoire Über den sogennanten Reihengräbertypus, destiné à mettre en évidence les nombreuses formes communes à ces séries et aux anciennes séries méditerranéennes d’Italie. Il relève comme communes les formes suivantes du groupe Ellipsoïdes : planus, rotundus, africus, et du groupe Pentagonoïdes : acutus, obtusus. J’ai vu des pièces bien plus nombreuses et ne puis que confirmer les observations de Sergi.

Formation de la race aryenne. — Je ne crois pas cependant que les choses se soient passées comme il le pense. La face haute de H. Europæus est en même temps large, et cela me paraît suffire pour ne pas permettre de croire que cette forme soit passée d’abord par un type à visage fin comme celui du méditerranéen néolithique. Je crois bien qu’il y a eu poussée du sud au nord, à mesure que la zone des pluies tièdes se relevait, je crois aussi que l’ancêtre de H. Europæus pouvait être déjà en voie d’évolution à la limite méridionale du priscus, alors que celui-ci était encore florissant en France ; il est possible même que cet ancêtre ait vécu plus ou moins près de la région des grandes pluies durant le quatrième glaciaire, mais je placerais tout au plus cet ancien habitat vers le Portugal, dans une région à climat humide et déjà tempéré, où l’évolution aurait pu commencer pour se continuer ensuite à mesure que la race s’étendait davantage vers le N. C’est la limite de ce que je regarde comme probable dans l’hypothèse de Brinton et Sergi. J’ai déjà démontré en effet combien peu le climat de la Barbarie pléistocène était favorable à l’évolution du type vers le blond.

Ces questions de détail n’ont d’ailleurs qu’une bien faible importance. Que l’ancêtre ait été plus ou moins près du type priscus ou du type méditerranéen, c’est dans la région de Latham que son évolution s’est accomplie, et les rapports de généalogie de H. Europæus peuvent être schématisés ainsi :

  1. L’importance de l’inspection simultanée d’un grand nombre d’individus pour saisir les faciès différentiels est bien connue des naturalistes. Quand on rapproche deux individus d’espèces ou de variétés très voisines de Curabus, d’Aphodius, de Cétoines, l’œil le plus expert fait à peine la différence des faciès. Si l’on pique au contraire sur deux lignes trente ou quarante exemplaires des deux variétés, on s’étonne d’avoir été porté à les confondre. Pour les crânes il en est de même. Deux crânes de race différente peuvent paraître à peu près semblables, mais le faciès très différent se manifeste dès qu’on aligne un certain nombre d’exemplaires de chaque race. Il en est ainsi alors que la variabilité dans l’espèce ou la race paraît dépasser l’intervalle qui les sépare. Ces écarts individuels ne frappent plus quand les échantillons sont en nombre, et le faciès collectif est l’impression dominante.
  2. Voir les recherches nouvelles de Mies communiquées au xiie Congrès médical international, Moscou 1897.
  3. Pour la répartition quantitative du pigment, voyez Ludolf Breul, Ueber die Verbreitung des Hautpigments bei verschiedenen Menschenrassen, Iena, Fischer, 1896, thèse soutenue à Strasbourg la même année. Breul a étudié le pigment de coupes prises en 25 ou 30 endroits de ses sujets, mais ces derniers étaient moins nombreux que le titre ambitieux du travail tendrait à le faire croire : cinq Européens, dont deux femmes et un seul blond, un Soudanais, un Fellah, un Arabe, un Japonais. Le travail est suivi d’une bibliographie d’ailleurs fort incomplète.
  4. Il est très difficile de déterminer la nature et l’étendue des ravages causés par l’action chimique et physique intempestive des radiations qui pénètrent les tissus. Toute cette branche de la physiologie est a peu près inconnue. Jusqu’ici on s’est peu occupé de ces radiations, et on a cru que leur zone d’action ne dépassait pas la peau. La découverte des rayons X, qui produisent dans l’intérieur des tissus des lésions remarquables, et notamment sur les os (Gilchrist, A Case of dermatitis due to the X Rays, Bull. of the J. Hopkins Hospital, t. VIII, 1897, p. 170), a ouvert des horizons nouveaux dont l’exploration sera difficile, car nous ignorons évidemment la plus grande partie des espèces de rayons pénétrants. La corrélation entre les rayons chimiques, cause d’altérations probables dans l’organisme, et la pigmentation, qui a pour effet d’éteindre en grande partie ces rayons et de les employer pour son propre renforcement, est de nature à pouvoir être plus facilement étudiée. Il est probable que la plupart des maladies des Européens dans les pays chauds sont dues à des altérations chimiques profondes dont ils pourraient se défendre en portant des vêtements imperméables aux rayons chimiques. Le blanc qui arrête et réfléchit beaucoup de rayons lumineux est une défense illusoire contre les autres et ne les empêche point d’aller faire dans les cellules profondes de la chimie à contre-temps. La nature intervient heureusement en faisant de la pigmentation. Sur les photogravures du mémoire Gilchrist, la main atteinte de périostite est venue bien plus sombre, en raison de l’absorption des rayons lumineux par les cellules pigmentaires, dont l’auteur dit « were almost as numerous as are usually found in a section of negro skin », Cette pigmentation toutefois n’avait pas suffi pour empêcher l’action profonde.
    Il est probable qu’une doublure rouge appliquée aux vétements et aux coiffures serait d’une grande utilité pour les Européens vivant dans les pays chauds. Elle suppléerait à l’insuffisance de la pigmentation. Il faut remarquer que les populations peu pigmentées de I’Inde, de Ja Chine et de l’Afrique ont depuis longtemps une préférence pour les vêtements blancs, jaunes et rouges. Les nègres au contraire tolèrent parfaitement le bleu et l’ont en affection.
  5. La peau des parties couvertes est nettement bleuâtre chez quelques cercopithèques : C. Diana L., et semnopithèques : S. Entelles Dufr., mais ce caractère n’est pas constant. L’entelle décrit par Cuvier avait la peau bleuâtre, mais j’en ai vu chez qui elle était claire. Nous verrons la même instabilité chez le chimpanzé ordinaire, Tr. niger. Geo, , et l’orang-outang.
  6. Il n’existe guère de répartition géographique de la couleur chez les singes. Tous ou à peu près sont tropicaux, et tous pourvus de fourrure. En Amérique les espèces les plus septentrionales ne remontent pas au delà de Mexico, les plus méridionales n’atteignent pas Buénos-Ayres. En Europe le magot atteignait pendant le pléistocène la région des Pyrénées, où M. Harlé a trouvé ses restes ; ce singe a été trouvé dans l’Hérault associé à la faune actuelle ; il existait encore en Corse au commencement de notre ère, et une série de textes fournis il y a quelques années par divers collaborateurs à la Revue scientifique permet de supposer qu’il en a survécu des exemplaires jusque dans les temps modernes, depuis les Pyrénées jusqu’aux Alpes. Aujourd’hui on ne le trouve plus qu’à Gibraltar. Par ses caractères, ce singe ne se classe ni parmi les clairs ni parmi les foncés. En Asie nous trouvons au Thibet, dans la Chine occidentale et jusqu’en Mandchourie des singes très résistants qui supportent de longs et rigoureux hivers. La présence de singes au N. de l’Himalaya est plus étonnante qu’en Chine, étant donnée l’altitude, mais il ne faut pas oublier que du singe et du relief montagneux, c’est peut-être ce dernier qui est le plus jeune.
    Plusieurs singes du nord et de l’ouest de la Chine paraissent se rattacher au Macacus Rhesus, dont ils constitueraient des races claires. M. lasiotis Gray du Sou-Tchuen a la peau claire partout, sauf les callosités qui sont écarlate. M. Tcheliensis Edw., qui affronte les hivers rigoureux de la Mandchourie, est pourvu d’une fourrure très épaisse. Il a également la peau claire. Le premier est olivâtre jaune, le second tourne davantage au roux.
    D’autres espèces constituent un genre spécial, Rhinopithecus caractérisé surtout par la présence d’un nez, sinon aussi sémitique que celui du nasique, tout au moins très respectable. Rh. Roxellanæ Edw. habite les montagnes du N.-O. de la Chine. Il est gris argenté dessus, gris jaunâtre dessous. La peau est blanche, mais la face est nettement verte, les callosités jaunes. Rh. Bieti Edw., le singe des neiges, qui habite le Thibet dans la région du haut Mékong, est plus clair de face et plus foncé de poil, le gris tournant au noirâtre sur le dos.
    En somme, les espèces des régions froides sont plutôt claires de peau et même de poil. En revanche le gorille, presque nu et habitant le pays des nègres, est à peu près de leur couleur, ainsi que le chimpanzé chauve, un peu mieux vêtu cependant. Mejer a décrit un Troglodytes calvus du jardin zoologique de Dresde qui avait la peau d’un blanc rosé, les poils roux ou roux foncé, mais il s’agit d’un individu anormal (Ein Brauner Tschimpanze, Abh. und Ber. des Museums zu Dresden, 1894-95).
  7. On a signalé depuis longtemps des cas de flavisme avec vitiligo chez les nègres et diverses autres populations foncées. C’est probablement à des cas de demi-albinisme qu’il faut rapporter ce qui a été dit de nègres blonds vus au Congo (Bull, de la Soc. d’Anthr. de Paris, 1895, p. 724). Il existerait aussi vers le pays de Kong des troglodytes à peau assez claire, avec des yeux bleus. Jusqu’ici aucun exemplaire n’a pu être étudié. J’ai vu un Chinois demi-albinos qui avait aussi la chevelure d’un roux clair et les yeux bleus, avec de vastes plaques de vitiligo sur la peau. Buffon et les écrivains du siècle dernier ont déjà connu les Indiens dépigmentés de la Colombie et du Darien. Le chimpanzé blond de Meyer était probablement l’analogue des nègres blonds.
  8. La théorie de l’influence des climats sur la pigmentation n’est pas nouvelle. Elle remonte aux anciens (Aristote, Pline, Manilius), qui d’ailleurs ne comprenaient pas le mode d’influence du milieu. Aristote (Προβλήματα, XXXVI, 2) disait : « Διὰ τί οἱ ἀλιεῖς καὶ πορφυρεῖς καὶ ἁπλῶς οἱ τὴν θάλατταν ἐργαζόμενοι πυῤῥοί εἰσιν ; Πότερον ὅτι ἡ θάλαττα θερμὴ καὶ αὐχμώδης ἐστὶ διὰ τὴν ἄλμην, τό δὲ τοιοῦτον πυῤῥὰς ποιεῖ τὰς τρίχας, καθάπερ ἢ τε κονία καὶ τὸ ἀρσενικόν ; Ἥ τὰ μὲν ἐκτὸς γίνονται θερμότεροι, τὰ δ’ ἐντὸς περιψύχονται διὰ τό βρεχομένων αὐτῶν ἀεὶ ξηραίνεσθαι ὑπὸ τοῦ ἡλίου τὰ πέριξ ; τουτῶν δὲ τοῦτο πασχόντων αἱ τρίχες ξηραινόμεναι λεπτύνονται καὶ πυῤῥοῦνται. Καὶ πάντες δ’ οἱ πρὸς ἄρκ τον πυῤῥότριχες καὶ λεπτότριχές εἰσιν ». La première observation, que les pêcheurs et les préparateurs de pourpre étaient blonds, prouve simplement que du temps d’Aristote comme aujourd’hui les Aryens aimaient le métier de gens de mer, la dernière, sur les peuples nordiques, aboutit à une explication bizarre, mais en rapport avee l’idée d’influence des climats.
    Pline (II, 90, 1) formule cette idée plus nettement ; « Contexenda sunt his cœlestibus nexa causis. Namque Æthiopas vicini sideris vapore torreri, adustisque sîmiles gigni, barba et capillo vibrato, non et dubium. Et advcrsa plaga mundi atque glaciali, candida cute esse gentes, flavis promissas crinibus ».
    Manilius développe davantage (Astronomicon, IV, 709 et suiv.). Il développe même beaucoup :

    « Idcirco in varias leges variasque figuras
    Dispositum genus est hominum, proprioque colore
    Formantur gentes ; sociataque jura per artus
    Materiamque parem privalo fœdere signant.
    Flava per ingenies surgit Germania partus.
    Gallia vicino minus est infecta rubore.
    Asperior solides Hispania contrahit artus.
    Martia Romanis orbis Pater induit ora
    Gradivumque Venus miscens bene temperai artus ;
    Perque coloratas subtilis Græcia genies
    Gymnasium prœfert vultu fortesque palæstras ;
    Et Syriam produnt torii per tempora crines ;
    Aethiopes maculant orbem, tenebrisque figurant
    Per fuscas hominum genies. Minus India tostas
    Progenerat mediumque facit moderata tenorem.
    Jam proprior, tellusque natans Aegyptia Nilo

    Lenius inriguis infuseat corpora campis.
    Phoebus areuosis Afrorum pulvere terris
    Exsiccat populos. Et Mauritania nomen
    Oris ha bet, titul unique suo fert ipsa colore. »

    Galien (Περὶ κράσεων, II, 5) développe la thèse avec des proportions qui ne permettent pas de reproduire le texte. Je resume : « Les Égyptiens, les Arabes, les Indiens, tous ceux enfin qui habitent une région sèche et chaude ont les cheveux noirs, courts, secs, crépus, fragiles. Au contraire ceux qui habitent une région froide et humide, les Illyriens, les Germains, les Dalmates, les Sarmates, tous les habitants de la Scythie ont les cheveux fins, droits et roux, Ἰλλυριοί τε καὶ Γερμανοὶ καὶ Δαλμάται καὶ Σαυρόμαται καὶ σύμπαν το Σκυθικὸν… λεπτὰς καὶ εὐθείας καὶ πυῤῥάς. Il en est de même pour les âges, les cheveux des enfants rappellent ceux des Germains, ceux de l’âge adulte rappellent ceux des Éthiopiens ». La doctrine se retrouve developpée encore davantage dans le traité De l’air, des eaux et des lieux d’Hippocrate, qui lui est entièrement consacré.

    Les grandia et mollia corpora des Gaulois avaient fortement frappé les Romains. Hippocrate et Galien étudient le lymphatisme des Scythes et le décrivent d’une manière minutieuse. S’il n’y a pas d’exagération dans leurs récits, on peut dire que les Scythes d’Europe avaient atteint le dernier degré de lymphatisme compatible avec la vie. Je conseille de lire le livre II de l’ouvrage de Galien, et celui d’Hippocrate en entier.

  9. Geikie a coosacré un appendice du Great Ice Age à l’énumération des gisements glaciaires antérieurs au pléistocène, et les notes contiennent une riche bibliographie.
    On a constaté la présence de conglomérats d’apparence glaciaire, et parfois des stries caractéristiques, dans des couches appartenant à presque tous les étages, de l’écorce terrestre : précambrien en Écosse ; cambrien au Varangerfiord en Norwège et dans l’Inde ; silurien à Pangi, Cachemire, Glen App, Écosse, Maimanse près du Lac Supérieur, Gibbo-river, Australie ; dévonien, Sedburgh, Lammermuir Hills. Le carbonifère d’Europe et d’Amérique est riche en dépôts glaciaires. M. Julien qui a spécialement étudié ceux de France a établi leur corrélation avec la chaîne Hercynienne, alors élevée de six mille mètres environ (V. Julien, Carbonifère marin de la France centrale, Paris, Masson, 1896, p. 269).
    Le permien est d’une prodigieuse richesse en gisements glaciaires. L’énumération par Geikie tient six pages. De nombreuses localités ont été cependant omises. On trouvera une très riche bibliographie des glaciaires permiens, spécialement de l’Inde, dans Nôtling, Beitraege zur Kenntniss der glacialen Schichten permischers Allers in der Salt-Range, Punjab, Indien, Neues Jahrbuch für Mineralogie, 1896, II, pp. 61 sq.
    Le trias, le jurassique et le crétacé ont laissé moins de traces de leurs glaciers. On en a récemment signalé de nouvelles, notamment des blocs de granit erratiques de la craie d’Angleterre, présentés par M. Stebbing à la Société géologique de Londres dans la séance du 24 février 1897.
    Le miocène a été riche en glaciers. La région des Alpes et celle des Pyrénées, montagnes alors infiniment plus élevées qu’aujourd’hui, fournissent de nombreux exemples de conglomérats et de déjections glaciaires. V. Trulat, Les Pyrénées, Paris, Baillière, 1896.
    Tous ces phénomènes glaciaires paraissent avoir été dus à l’existence de massifs montagneux énormes, agissant comme condensateurs dans une atmosphère saturée d’humidité, et dont la température, constante sur tout le globe, n’était probablement pas très élevée. Il est probable que le soleil encore diffus n’échauffait pas autant la terre d’autrefois que les Tropiques d’aujourd’hui. On a évalué la température de la grande époque des fougères, carbonifère moyen et supérieur, à 15 ou 16° seulement.
    Le régime des saisons et des zones n’a débuté que pendant le tertiaire, quand le soleil a commencé à éclairer moins fortement les deux pôles. L’inégalité s’est accusée sans cesse et ira en s’accusant davantage. En somme, il y a toujours eu des phénomènes glaciaires, mais ceux du pléistocène sont d’une nature particulière, et en corrélation intime avec la crise météorologique causée par la réduction de l’insolation polaire au dessous d’un minimum critique. Aucune faune froide n’est venue jusqu’ici nous révéler l’existence de périodes de refroidissement général antérieures au pléistocène.
  10. La surface couverte par la glace en Europe, au moment de la plus grande extension des glaces, a été de six millions de kilomètres carrés, soit les deux tiers de la surface totale. Grand axe 4.000 kil., petit axe 2.500. Cubage 70 millions de kilomètres cubes. En Amérique, surface totale 15 millions de kilomètres carrés, grand axe 7.000 kil. Pour l’Asie les chiffres manquent. De même pour les surfaces maritimes. La masse totale de la calotte polaire ne devait donc pas être inférieure à 200 millions de kilomètres cubes, et atteignait probablement 300 millions. Cette quantité de glace, si énorme qu’elle paraisse, ne représente cependant qu’une tranche d’eau de moins d’un mètre enlevée aux océans.
  11. Sur le plateau du Groenland, qui subit aujourd’hui le régime glaciaire, Nansen a observé des températures très basses. Entre le 11 et le 15 septembre, à l’altitude de 2.000 à 2.500 m., le maximum de jour a été -20°, le minimum de nuit -45°. A l’altitude de 2.000 m., en hiver, la température moyenne est -25° et descend jusqu’à -65° et -70°. Au moment de la plus grande glaciation, la Scandinavie, située sous les mêmes parallèles, devait subir des températures beaucoup plus basses et presque interplanétaires. Si l’on attribue au sol un niveau de 1.000 m. plus élevé qu’aujourd’hui, chiffre faible en raison de l’énormité de la masse des matières enlevées par la glace et dispersées sur le N. de l’Europe, et au glacier une épaisseur de 1.500 m., on est amené à conclure que la surface moyenne de la couche de glace devait être comprise entre 3.000 et 4.000 mètres. Le froid était bien moins vif dans nos régions.
    La ligne des neiges persistantes, indiquée par la position des glaciers, était de 1.000 m. au S. de la Forêt Noire et des Vosges. Elle se relevait dans les Alpes, et dans les Pyrénées ne descendait pas au dessous de 1.700 m. On en a conclu que la température était seulement de 5 ou 6° plus froide qu’aujourd’hui en Allemagne et en France, et de 6° dans les Pyrénées. Ces chiffres s’appliquent au moment de la plus grande glaciation. En somme, la température était ce qu’elle est aujourd’hui au Canada, et dans le sud de la Sibérie, régions placées sous le même parallèle que les nôtres. Le climat était donc normal, et c’est celui de nos jours qui est anormal, dû à l’influence du Gulf-Stream. Il devait seulement, au point de vue biologique, être rendu plus dur par la constance et la violence du vent du nord.
    Nous n’avons pas de données pour les régions intermédiaires, la zone extérieure de la coupole polaire, et les terres libres qui l’avoisinaient immédiatement. La décroissance était probablement très rapide depuis la Scandinavie jusqu’à la limite des glaces, et surtout depuis celle-ci jusqu’aux régions pour lesquelles nous sommes documentés.
  12. Les dépôts laissés par les glaciers sont comparables par leur épaisseur à d’importantes formations géologiques, mais partout où n’ont pas agi ces formidables instruments d’érosion et de transport, les couches pléistocènes ne dépassent pas quelques mètres. Les dépôts glaciaires marins du nord de l’Europe ont de 40 à 200 mètres. Dans l’île de Seeland, un sondage a atteint 400 m. sans sortir de la couche. On évalue la masse totale des matériaux enlevés à la Scandinavie et aux régions voisines à plus de 700.000 kilomètres cubes. La Baltique et les lacs de Finlande, dus à l’érosion glaciaire, ont fourni une partie des matériaux, mais l’abrasion a dépassé 2.000 m. dans quelques régions de la Scandinavie. Dans la région du Léman, des sondages ont atteint une profondeur de 200 m. sans sortir de la couche des matériaux alpins apportés par les glaciers. Les alluvions de rivière ne dépassent, au contraire, généralement pas dix ou vingt mètres en France et en Allemagne. Plus au sud, la couche devient très faible.
    Les couches marines sont à peu près négligeables. Cependant elles ont atteint une épaisseur plus grande dans certains dépôts de la Méditerranée, formés durant une période d’affaissement local lent et continu. Dans ce cas l’épaisseur des couches pléistocènes peut atteindre plusieurs dizaines de mètres.
    En Chine, le loess, qui est une formation éminemment pléistocène, un dépôt de poussière et de boues, atteint dans la vallée du Hoang-Ho une épaisseur de 600 m. C’est encore une anomalie dont l’explication sera impossible tant que le mode de formation du loess n’aura pas été expliqué.
    Ces données ne concordent donc pas avec les chiffres de Croll. L’hypothèse de Croll peut cependant fournir des résultats plus satisfaisants, combinée avec celle d’Adhémar sur la précession des équinoxes. D’après cette théorie, Thémisphère nord et l’hémisphère sud jouissant alternativement d*un été plus long, et souffrant d’un hiver plus prolongé, le maximum de refroidissement pour chacun d’eux constituerait une période glaciaire, dont l’intensité serait réglée par une combinaison avec les causes invoquées par Croll. La période d’Adhémar est d’environ 10.500 ans. Elle donnerait au pléistocène une durée de 50 à 60.000 ans, peut-être suffisante pour l’accomplissement des phénomènes d’érosion et de transport.
    Il ne faut pas toutefois chercher à raccourcir trop les périodes glaciaires. Que l’on songe au temps nécessaire pour amener, à dos de glacier, un bloc de Finlande en Brandebourg ou de Suède en Angleterre. Avec la marche actuelle des glaciers il faudrait plusieurs milliers d’années. Mettons que le transport ait été dix fois plus rapide, il n’en a pas moins fallu, le glacier établi, des milliers et des milliers d’années pour transporter la prodigieuse quantité de matériaux détritiques indiquée plus haut.
  13. Drjgalski a calculé que le granité se dilatant de 8 à 9 millionnièmes lorsque sa température augmente de 1°, pour 5 ou 10 degrés la dilatation serait de 40 à 90 millionnièmes. Il suffirait d’une dilatation de 4 millionnièmes pour expliquer les relèvements produits en Scandinavie depuis l’époque glaciaire. Réciproquement l’affaissement general de la region circumpolaire pourrait être en partie explique par la perte de chaleur pendant les périodes glaciaires, perte très incomplètement recupérée depuis, mais cette cause ne peut être invoquée seule, car les affaissements précèdent toujours les maxima de froid.
  14. Le globe entier était couvert durant le pléistocène moyen d’une faune de mammifères gigantesques, éléphants, rhinocéros, édentés, ruminants, marsupiaux. Toute cette faune est éteinte, à part deux espèces d’éléphants et trois ou quatre de rhinocéros, qui survivent en Afrique et en Asie. L’Amérique du Nord a perdu Mastodon ohioticus, Elephas Colombi, americanus, Mylodon, Megatherium, Megalonyx. Toute cette faune s’est éteinte depuis la fin du pléistocène. On la trouve dans les brèches et dans les grottes des Grandes Antilles et des Bahamas, jusqu’à Anguilla, dans l’est extrême du système des Grandes Antilles. Toutes ces terres faisaient, comme nous le verrons plus tard, partie du continent. L’Amérique du Sud a perdu de grands félins, Machœrodus neogœus, Feles protopanther, des chameaux, Macrauchenia, Protauchenia, et toute une faune singulière d’édentés, de tatous : Chlamydotherium, Glyptodon, Eutatus, Panochtus, Dœdicurus, Toxodon, Tant dans le Nord que dans le Sud, quelques espèces ont végété jusqu’à une époque récente, le dernier mastodonte aurait été tué au siècle dernier et le bison a été exterminé de nos jours. L’immense majorité des espèces n’existait déjà plus à la un du pléistocène.
  15. Espèces des couches immédiatement antérieures au niveau sicilien qui ne se retrouvent plus aux niveaux supérieurs : Mastodon arvernensis Cr., Borsoni H., Rhinoceros etruscus Falc, Tapirus arvernensis Dev., Gazella Julieni Dép., borbonica, burgundina Dép., Antilope ardea, Palæcreas torticornis, Cervusardeus Cr., Pardinensis Cr., Douvillei Dép., Etueriarum Cr. et J., cusanus Cr., Castor issiodorensis Croix., Ursas arvernensis Cr., Hyœna Perrieri Cr., Machaerodus crenatidens Fabr., etc. En Italie, Palœoryx Meneghinii, Equus intermedius, Inuus florentinus. La disparition totale des antilopes est surtout à remarquer. Il faut toutefois observer que les tombes néolithiques de l’Hérault ont fourni des débris de gazelles dont quelques espèces ont pu se maintenir sur le littoral méditerranéen, si elles n’ont pas été importées, les gazelles ayant été domestiques en Égypte et dans le N. de l’Afrique à l’époque indiquée.
    Du commencement à la fin du pliocène, la faune de la France et des pays voisins est à peu près constante. On remarque très peu d’apparitions et d’extinctions de formes nouvelles, l’abondance relative varie seule. Il y a aussi des faciès locaux, avec espèces spéciales, qui rendent parfois difficile le classement chronologique des gisements isolés, mais ne rompent pas l’unité de la faune. Celle-ci perd plus de la moitié de ses espèces dès le commencement du pléistocène, par l’effet du changement de climat.
  16. Pour les flores du pléistocène, il n’a pas été fait de découvertes botaniques importantes depuis l’ouvrage classique de Mortillet, auquel je renvoie par suite le lecteur. À noter cependant la découverte du blé cultivé dans les dépôts asyliens du Mas d’Azil, et de plusieurs arbres fruitiers. Cette graminée d’une si grande importance appartenait donc probablement à la flore pléistocène d’Europe, ou du moins de la région ibérique. Ainsi prend fin une longue controverse sur l’origine du blé. La thèse de l’importation asiatique est d’ailleurs abandonnée pour la plupart de nos espèces domestiques animales et végétales, qui sont maintenant rattachées à des souches indigènes ou méditerranéennes.
    Pour les flores d’époque chaude, voyez aussi Dollfus, Tufs de Montigny. C. R. Ac. Sc, t. 126 (1898), 139.
    Pour celles d’époques froides, et d’une manière générale pour les pays du Nord, voyez Nathorst, Blytt. Nehring, Andersson, Hult.
  17. Les recherches de Nehring, de Sluder et de divers autres savants allemands ont prodigieusement enrichi la liste des espèces du quatrième interglaciaire. En France, les dépôts de cavernes ont été transformés en phosphates sans avoir été étudiés, et la science ne dispose que de débris sans état civil bien précis, arrachés à la rapacité des phosphatiers ou récoltés au hasard par des amateurs souvent zélés, rarement pourvus des loisirs, de l’argent et des connaissances techniques nécessaires. C’est donc aux gisements allemands que nous sommes surtout redevables de la connaissance de la faune à rongeurs, petits carnassiers et insectivores, jusqu’à la taille du Felis manul V. et du Hystrix hirsutirostris.
    On trouvera dans le mémoire de Wuldrich une liste de près de 80 espèces de mammifères du quatrième interglaciaire de la Basse-Autriche. Pour la région du Rhin, le volume consacré au Schweizersbild fournit des listes de mammifères presque aussi copieuses, et d’autres relatives aux oiseaux, aux vertébrés inférieurs. Dans l’ouvrage de Rivière, Antiquité de l’homme dans les Alpes-Maritimes, on trouve une liste à peu près complète des espèces alors vivant dans la région. La faune des coquilles du lœss a fait l’objet de diverses publications allemandes. Les principales et les plus caractéristiques sont : Limas agrestis L., Hyalina cristallina M., Palula pygmœa Drap., Helix pulchella Mûll., costata Mûll., sericea Drap., hispida L., villosa Drap., arbustorum L., alpestris Sandb., Cochliopa lubrica M., Pupa secale Drap., dolium Drap., muscorum L., columella Mart., pygmœa Drap., Clausilia parvula Studer, corionydes Held, Succinea oblonga Drap.
  18. J’ai principalement utilisé les travaux suivants, dont la liste complétera dans une certaine mesure celles de la 3e édit. du Great Ice Age, qui s’arrétent à 1892 ou 1893.
    Andersson. — Om nagra vaetfossil fran Gottland (Geol. Foren. Forhandl., 1893, XVII, 33-52),
    Andersson et Berghell. — Torfmosse öfverlagrad af Strandvall vester om Ladoga (ibid., XVII, 21-24).
    Andersson. — Om senglaciala och postglaciala aflagringar i mellersta Norrland (ibid., XVI, 531-666).
    Andrussow. — Sur l’état du bassin de la Mer Noire pendant l’époque pliocène (Bull. Ac. des Se, de Pétersbourg, 1894, NXXV, 437-448).
    Baltzer. — Beitrage cur Kenntniss der interglacialen Ablagerungen (Neues Jahrbuch für Mineralogie, 1896, I, 159 et s.)
    Blytt. — Om to kalktufdannelser i Gudbrandsdalen (Vid. Selsk. Forehand]., 1892, n° 4, et tirage à part, Christiania, 1892, 50 p.)
    Blytt. — Om de fytogeografiske og fytopaleontologische grunde forat antage klimatvexlinger under kvartaetiden {ibid., 1893, n° 5).
    Blanckenhorn. — Das diluvium der Umgegen von Erlangen (Sitzungsberichte der physikal-medic. Societät zu Erlangen, 1895).
    Boule. — La topographie glaciaire en Auvergne (Annales de géographie, 1895, V, 277-296, carte montrant la plus grande étendue de la première glaciation).
    Cappelle. — Der Lochemerberg, ein Durchragungszug im niederlindischen Diluvium (Mededeel omtr. Geol.-v. Nederland, 12, in Verhandl. k. Akad, Wetensch., 1893, III, 1).
    Davison. — Die Conchylienfauna der altpleistocänen Travertine der Weimarisch Taubacher Kaltestuffbeckens (Nachrichtsblatt der deutschen Malakologischen Gesellschaft, 1893, 145-167),
    Fournier. — Description géologique du Caucase central (Annales Fac. des Sc. de Marseille, 1897, VII, avec carte de I’époque glaciaire au Caucase).
    De Geer, — Om Strandliniens förskjutning vid vara insjöar (Geol. Foren, i Stockholm Förh., XV, 378). Hult. — Mossfloran i trakterna mellan Alavasaksa och Pallastunturit (Acta Societatis pro Fauna et Flora Fennica, 1886, III, 66 et s.)
    Hansen. — Strandlinje studier (Archiv for Math, og Naturvidenskab, 1890, XIV, 254-343, XV, 1-96).
    Kerner, — Das glaciaterraticum im Wippthalgebiet (Verh, der geol. Reichsanstalt, 1894, n° 11).
    Ladrière. — Étude stratigraphique du terrain quaternaire du Nord de la France (B. Soc. geol. du N., 1890, XVIII, 93-149, 205-276).
    Munthe. — Preliminary report on the physical Geology of the Litorina Sea (Bul. Geol. Inst. Univ. Upsala, 1895, 1-30). — Om fyndet af ett Bernredskap i Ancylus lera ndra Norsholm (Ofversigt. vetensk. Akad. Förhandl., 1895, 151-177).
    Nathorst. — En växtförande lera fran Viborg i Finland (Geol. Förening. i Stockholm Forhandl., 1895, XVI, 361). — Die Entdeckung einer glacialflora in Sachsen (Ofversigt. vetensk. Akad. Förh., 1894, 519-543).
    Nehring. — Ueber Wirbelthierreste von Klinge (N. J. für Min., 1895, I. 183 et s.) — Ueber einem neuen Fund von Cratopleura-Samen in dem Lauenburger Torflager (N. J. M. 1895, II, 254 s.) V. aussi Nüesch.
    Nötling. — Beiträge zur Kenntniss der glacialen Schichten permischen Alters in der Salt-Range, Punjab (N. J. M, 1896, II, 61 et s., riche bibliographie).
    Nüesch. — Das Schweizersbild. (Forme le t. XXXV des N. Mem. de la Soc. Helv. des Sc. nat., 1896 ; les diverses spécialités ont été traitées à part par autant de spécialistes, Penck, Studer, Nehring, Kollmann).
    Pruvot et Robert. — Sur un gisement de coquilles anciennes du cap de Creus (Arch. zool. expérim., 1897, 497-510).
    Pomel. — Carte géologique de l’Algérie. Explication de la 2e ed. provisoire. Paléontologie, monographies. — Alger, Fontana, plusieurs volumes déjà parus.
    Regelmann. — Ueber Vergletscherung und Bergformen im nordlichen Schwarzwald (Württ. Jahrb. für Statistik, 1895, H. I).
    Rutot. — Réseau fluvial de la Belgique aux temps quaternaires (Mouv. geogr., 1896, 1897). — Modification du sol de la Flandre, Gand, 1897. — Conditions d’existence de l’homme au travers des temps… (B. Soc. d’Anthr. de Bruxelles, 1897, XVI, 98. — Les origines du quaternaire de la Belgique (Mem. Soc belge de Geol., 1897, XI), — Les modifications du littoral belge pendant la période moderne (Ann. Soc, geol. du N., 4897, XXVI, 157-167).
    Sernander. — Om Litorinatidens klimat och vegetation (Geol. Föreningens i Stockholm Förh., 1893, XV, 345).
    Schlosser. — Ueber die Pleistocenschichten in Franken (N. J. für H. 1895, I, 209 et s.)
    Steenstrup. — Til istidens gang i Norden, navenlig dens Udgang og Forsvinden (K. dansk. vidensk. selsk. Förh., 1896).
    Steinmann. — Spuren der letzten Eiszeit im hohen Schwarzwalde (Festprogramm S. K. H. G. Friedrich zur Feier des 70 Geb., Univ. Freiburg, 1896).
    Tcherski. — Wissenschaftliche Resultate der… zur Erforschung des Ianalandes and der Neosiberischen Inseln… Expedition. IV, Sam m lung posttertiarc Saugethiere (Mem. Ac. des Sc. de Pel., 1892, S. VII, XL, 1-511).
    Toll. — Die fossilen Eislager und ihre Beziehungen zu der Mammuthleichen (M. Ac. de Pet., 1895, XLIT, n° 13).
    Anderson. — Notice of a cave recently discovered at Oban (Proceed, of the Soc. of Antiquaries of Scotland, 1895, XXIX, 211).
    Chamberlin. — Classification of american glacial deposits (J. of Geology of Chicago, 1898, III, Avril-mai.)
    Lapparent. — Traité de géologie, 3e édit. — Paris, Savy, 1894, in-8°.
    Mühlberg. — Der Boden von Aurau (Festschr. zur Eröffnungen der n. Kantons-Schvelgeb., 1896).
    Konchine. — La question de l’Oxus (Annales de Géographie, 1896, V, 496).
    Piette. — La station de Brassempouy (Anthropologie, 1895, VI, 137). — Études d’ethnographie prehistorique (ibid., 277).
    Suess. — La face de la terre, trad, de Margerie. — Paris, Colin, 1897.
    Turner. — On human and animal remains found in caves at Oban, Argyllshire (Pr. of the Soc. of Ant. of Scotland, 1895, XXIX, 410).
  19. Ainsi la présence de parcelles de Rapakiwi dans un gravier prouvera que celui-ci contient des éléments d’origine finlandaise, cette roche étant propre à cette région. Dans le N. de l’Allemagne, cette présence prouvera que le limon est contemporain du troisième glaciaire, ou postérieur, les courants de glace n’ayant apporté dans les périodes antérieures que des matériaux scandinaves. L’analyse microscopique des limons de l’Allemagne du Nord, de la Scandinavie, de la Belgique, de l’Angleterre et de ceux retirés du fond de la mer par les sondages a donné de précieux résultats.
  20. Les alternatives de périodes pluviaires et séches, de plus en plus faibles et rapprochées continuent. Les couches de fond de Ja vallée de la Vilaine à Rennes ont fourni à MM. Lebesconte et Béziers des coupes qu’ils ont comparées a celles de Ladriére, mais qui reposent sur des graviers remaniés a silex néolithiques, probablement du sixiéme glaciaire, Ces couches nous font connaître deux nouveaux épiglaciaires, du commencement et de la fin du Moyen-Age, qui paraissent répondre à ceux des couehes de l’estuaire de l’Escaut. Voyez Description stratigraphique des ter- rains quaternaires et des alluvions modernes de Rennes (Bull. de Ja Soc. se. et med, de l’Ouest, 1897, VI, 221-235). L’identification avee les couches de Ladrière est contredite par le contenu archéologique, mais l’analogie est curieuse, et dans plus d’un eas les couches similaires à celles de Ladriére, signalées sur tant de points, sont plus probablement contemporaines de celles de Rennes.
  21. Cette flore à Laurus canariensis est celle du chelléen de la Celle, de Montigny près Vernon et de Meyrargues. On la trouve en particulier à Tlemcen.
    Les conditions climatériques dans lesquelles elle s’est développée ne peuvent pas avoir été très différentes en France et en Algérie. Celle-ci n’avait donc pas un climat tropical, ni même une moyenne de température aussi élevée qu’aujourd’hui, les ardeurs de l’été se Lrouvant amorties par l’humidité de l’atmosphère, comme chez nous les rigueurs de l’hiver.
  22. La cessation soudaine du régime des pluies abondantes n’a pas encore complétement déterminé la mort du Sahara. La végétation, de plus en plus restreinte et précaire, s’est longtemps maintenue dans les bas-fonds en épuisant les eaux telluriques. Si l’on dépensait, comme le veulent certains ingénieurs, le peu d’eau fossile qui reste disponible, non seulement les oasis créées par leur soin ne tarderaient pas à disparaitre, mais les puits nécessaires aux voyageurs seraient bientot taris. Il ne faudrait pas développer beaucoup les puits artésiens pour supprimer avant un siécle toute espéce de vie animale ou végétale dans la région désertique.
  23. Il ne faut pas essayer d’expliquer de même les périodes chaudes antérieures, ni le climat tertiaire. Pendant le tertiaire, le Gulf-Stream ne pouvait influer sur le climat du N. O. de l’Europe, l’emplacement actuel de l’Atlantique Nord étant alors occupé par un système de terres qui laissaient communiquer l’Europe et l’Amérique. La température douce de ces hautes régions ne pouvait être due qu’à un plus grand volume du soleil, dont les rayons tangents aux pôles de la terre élaient convergents, tandis qu’ils divergent aujourd’hui, Tous les déplacements du pôle compatibles avec la mécanique céleste et l’aplatissement de la terre ne peuvent expliquer la présence d’une flore chaude à Taxodium distichum, forme mexicaine, dans les couches tertiaires du Groenland et du Spitzberg, à une latilude de plus de 81°. Dans ees régions la grande nuit d’hiver dure trois, quatre et cinq mois. Méme en admettant une température constante, ces plantes n’auraient pu vivre dans un pays où le soleil reste un tiers de l’année sans se lever. Un déplacement du pôle de vingt ou trenle degrés ne permettrait méme pas d’expliquer leur existence.
    Les lignes isothermes ont donc descendu depuis et descendront sans cesse davantage vers l’Équateur, C’est la mort par refroidissement qui s’avance.
  24. L’ilot de Rockall est un rocher inaccessible situé a 420 kil. de l’lrlande, au tiers de la distance entre l’Europe et l’Amérique. Il est formé d’un granite porphyrique special appelé rockallite. Ce rocher domine un banc de roches basaltiques de 100 kil. de long sur 80, situé à 180 m. sous l’eau. Ce basalte, comme celui des îles Shetland, Feroer, etc., parait appartenir à un systeme de nappes basaltiques émises à plusieurs reprises sur toute l’étendue du continent euramericain effondré. Ces émissions paraissent correspondre à des phases d’effondrement. Les unes sont pliocènes, d’autres pléistocènes. On trouve en Amérique une autre vaste nappe de basalte dans l’O. des États-Unis, mais dont l’émission n’a pas semblablement entrainé l’engloutissement de la région recouverte.
    Les pêcheurs donnent le nom de Buss à la terre dont Rockall faisait partie, et qui aurait encore subsisté au Moyen-Age. V. Revue scientifique, 1898, I, 283 ; Tour du Monde, 1898, couverture du 19 février.
  25. Pythéas raconte que dans son expédition dans la mer du Nord, l’épaisseur de l’eau empêchait la manœuvre des rames. Cette observation a été l’objet des critiques les plus vives. Il est probable que Pythéas n’a point imaginé ce fait. Les navires de l’époque avaient l’habitude de naviguer le long des côtes, et le voyage de Pythéas correspond à une période d’affaissement, dont l’invasion de la plaine maritime belge fut le maximum. La mer du Nord avait à peu près acquis ses contours actuels, mais ceux-ci, depuis le Pas-de-Calais jusqu’en Norvège, étaient encore indécis. Le navire de l’explorateur s’avançait sur des vasières à peine couvertes, où les rames s’enfonçaient dans la fange. Il se trouvait aux prises avec les mêmes difficultés que les navires de gros tonnage de la marine actuelle, obligés de naviguer loin des côtes pour ne pas labourer la vase molle à demi glacée en hiver, couverte de ces glaçons tendres qu’il compare à des méduses, et que connaissent encore les navigateurs de la région. Entre l’Elbe et la Weser, les cuirassés qui suivent la côte ne peuvent le faire qu’en se tenant en moyenne à trente kilomètres de la terre.
    A mesure que nous connaissons mieux l’état ancien des choses, une infinité de faits paradoxaux s’expliquent, dont la critique s’était emparée pour jeter le discrédit sur les affirmations des plus anciens historiens et géographes. La catastrophe de l’Atlantis et l’inondation progressive du pays des Cimbres se rattachent d’une manière directe à un état de choses ancien, sur lequel la critique littéraire a dit bien des sottises. Il ne faut d’ailleurs pas en vouloir aux critiques, notre génération est la première à savoir d’une manière exacte que la figure du sol est en perpétuel devenir.
  26. Ameghino, Contribucion al conocimiento de los Mamiferos fosiles de la Republica Argentina, Actos de la Acad. de Sciencias en Cordoba, 1889, VI, 1059 pages. 97 planches. — « Prem. contrib. a la connaissance de la faune a Pyrotherium », Bul. Inst. Geogr. arg., 1895, XV.
    On trouve ce qu’il est nécessaire de connaître, et de bonnes figures, dans divers mémoires de seconde main : Trouessart, « Les primates tertiaires », Anthrop., 1892, 257-274 ; Glangeaud, « Les mammifères crétacés de la Patagonie », R. gén. des sciences, 1898, 133-144. V. aussi Ameghino, « L’âge des couches fossilifères de Patagonie », R. scient., 1898, II, 72-74.
    Les Notopithecidés (Notopithecus, Eupithecus, Archaeopithecus) des couches à Pyrotherium du crétacé supérieur seraient les ancêtres des Lémuriens, mais en même temps très rapprochés des Typothéridés, qui sont des ongulés. À côté des Lémuriens, on trouve de vrais singes dans les couches éocènes du Santacruzien. Ces singes répartis par Ameghino en plusieurs genres (Homunculus, Anthropops, Eudiastatus, Homocentrus), ancêtres des cébiens, dont ils ont la formule dentaire. Anthro- pops perfectus A. a une machoire inférieure de forme presque humaine, courte, presque en demi-cercle, à symphise haute et epaisse, n’ayant ni plus ni moins de menton que celle de Pithecanthropus Neanderthalensis. Celles des autres espèces, et aussi du Notopithecus adapinus A. crétacé, rappellent les formes des machoires des anthropoïdes.
  27. Le crâne du gorille, du chimpanzé très jeunes, âgés de moins d’un an, ressemble d’une manière prodigieuse à celui des Pithecanthropus. Les arcades sourcilières sont même moins accusées, et la ressemblance se continue dans la face. À partir d’un an la divergence s’accuse, et à mesure que les saillies osseuses se développent la ressemblance diminue et disparaît. Le prognathisme énorme du gorille et du chimpanzé ne dépasse pas à la naissance celui du Boschiman adulte. L’évolution de l’homme se fait donc par la conservation de plus en plus longue des caractères fœtaux, et celle des anthropoïdes par l’exagération chez l’adulte d’une foule de caractères nouveaux. C’est pourquoi l’on peut dire exactement que les anthropoïdes, partis du même point que l’homme, n’ont pas su s’arrêter à temps. La lente oblitération des sutures crâniennes chez l’homme, a été cause et effet du développement cérébral. La matière osseuse qui chez lui sert à l’agrandissement de la boîte crânienne a été différemment utilisée par les grands singes, et leur a fourni les matériaux d’une puissante ossature faciale et crânienne, destinée à porter des muscles robustes. L’évolution des anthropoïdes est analogue à celle qu’ont subie les grands carnassiers.
    Il a été publié depuis la thèse de Deniker (Recherches anatomiques et embryologiques sur les singes anthropoïdes, Paris, 1886), des documents intéressants sur l’embryogénie des anthropoides. Le travail en cours de publication de Selenka sera d’une grande importance.
  28. Sur les anthropoïdes fossiles, voyez comme travaux récents : Gaudry, Le Dryopithèque, Mém. de la Soc. Géol. de France, Paléontologie, 1890, I, 1 ; Harlé, Une mâchoire de Dryopithèque, B. Soc. géol. de Fr., 1898, S. III, XXVI, 377-383 ; Dubois, Über drei ausgestorbene Menschenaffen, N. Jahrb. für Minéralogie, 1897, I, 83-104 ; Branco, Die menschenähnlichen Zähne aus dem Bohnerz der schwabischen Alb, Jahreshefte des Ver. für Naturk. in Wurtt., 1898.
    Pour le Nesopithecus, v. Gaudry, Communication à l’Acad. des Sciences, C. R. Ac. des Sc, 1896, CXX11I, 542. Ce singe pléistocène atteignait la taille de l’homme ; sa dentition était voisine de celle des macaques et des semnopithèques, mais il avait 36 dents comme les singes américains. Nesopithecus Roberti n’est connu que de Madagascar. Pour l’orang-outang, v. Selenka, Die Rassen und der Zahnwechsel des Orang-Utan, Sitzungsberichte der K. K. Akad. der Wissenschatten zu Berlin, 1896, XXXVI, 391-392.
  29. Le travail fondamental sur ce Pithecanthropus reste l’étude originale de Dubois, Pithecanthropus erectus, eine menschenähnliche Uebergangs-form aus Java, Batavia, 1894. Il a paru depuis toute une bibliothèque de travaux de seconde main, dont le meilleur est peut-être celui de Manouvrier, Deuxième étude sur le Pithecanthropus erectus, Bull. Soc. d’Anthr., 1896, VI, 553-641.
    Comme autres travaux sur les hommes tertiaires, voir le résumé de Buschan, V° Tertiärmensch, Handwörterbuch der Zoologie, t. VII (Breslau, Trevendt, le tome a paru en 1897), et Issel, Liguria geologica e preistorica, II, 319-330 et pl. XXIV. Il est douteux que les pièces citées soient fossiles, mais la preuve contraire n’est pas faite, et les découvertes de Trinil et de Taubach commandent une circonspection de plus en plus grande dans la négation.
    Pour l’homme fossile pléistocène, voyez Quatrefages et Hamy, Crania ethnica, p. 1-146. Cette partie, comme d’ailleurs tout le recueil, est bien incomplète et surannée aujourd’hui. Hamy a donné dans le Compte-rendu du Xe congrès d’Anthropologie à Paris une bonne étude critique des matériaux connus en 1889 (Matériaux pour servir à l’étude de la paléontologie humaine, p. 405 à 456 du Compte-rendu). Voyez encore, comme étude critique générale, Mortillet, Formation de la nation française, Paris, Alcan, 1897, spécialement VIe part., ch. 1 et 2.
  30. Les figures 4 à 10 sont empruntées a la Formation de la nation française de M. de Mortillet. Les clichés ont été gracieusement communiqués par l’éditeur M. Alcan.
  31. La marche en flexion a été étudiée par Marev qui a constaté par la méthode chronophotographique sa superiorité physiologique sur la marche ordinaire. Des essais pratiques ont été faits ensuite au IIe corps sous la direction du commandant Raoul. Les troupes arrivent à donner sans fatigue 20 kilometres en 1 heure et demie (Comment on marche, par F. Regnault et Raoul, pref. de Marey, Paris, 1898).
  32. Voici les principales mensurations des crânes de Pithecanthropus les moins mutilés :
    ORIGINE Longueur Largeur Indice céph. D. f. min.
    P. erectus, Trinil 185 135 72.97
    P. Neanderthalensis, Neanderthal  200 144 72-74 106
    P. Neanderthalensis, Canstadt   92
    P. Neanderthalensis, Spy 1 200 140 70 104
    P. Neanderthalensis, Spy 2 198 130 74.8 106
    P. Neanderthalensis, Eguisheim 200 150 74-76
    P. Neanderthalensis, Brechamps 75.5
    P. Neanderthalensis, Marcilly 75.5
  33. On connaît de l’Amérique du Sud un autre Pithecanthropus du pléistocène moyen qui paraît avoir survécu et laissé quelques traces dans les populations actuelles, mais toutes les pièces néandertaloïdes récentes trouvées en Europe n’ont qu’une fausse analogie avec les Pithécanthropes. Ce sont des crânes dont le frontal est très fuyant, et parfois les orbites saillantes, soit par un effet d’atavisme car les Pithécanthropes figurent assurément dans l’ascendance de beaucoup de nos contemporains, s’ils ne sont la souche de l’humanité entière, soit par variation individuelle. Le crâne à visière le plus remarquable figure dans ma collection. Je l’ai trouvé à Restinelières, près de Montpellier, dans une tombe en dalles, avec deux sujets normaux, et il date de quelques siècles avant ou après notre ère. J’ai voyagé une fois d’Arvant à Béziers avec le porteur d’un crâne aussi caractérisé. Le voyageur, que je n’ai pas interrogé, par une discrétion dont il me donnait l’exemple, était pourvu du Temps et de brochures protestantes. J’ai pensé et je pense encore qu’il était probablement ministre du culte réformé. J’ai décrit encore, parmi mes crânes de Montpellier, une forme curieuse à frontal fuyant qui n’est pas rare dans la direction du Tarn. Toutes ces formes n’ont du P. Neantherthalensis qu’une ressemblance dans la conformation du frontal. Darwin, dont les yeux étaient abrités sous d’énormes arcades surplombantes, ne se rattachait pas davantage aux Pithecanthropus, mais dans tout son ensemble le frontal de l’illustre naturaliste était visiblement pathologique.
  34. Marie L., 40 ans, née à Artez (13. Pyrénées), parents d’Artez, F, F, nez DA, 49, 37, face 119, 115, crane 180, 149, indice 82.77. Irma L., sa fille, 13 ans, née a Artez, parents d’Artez, M, F, nez DA, 48, 34, crâne 181, 146, indice 79.78.
  35. En outre des classiques Reliquiae aquitanicae de Lartet et Christy et de l’Album préhistorique de Morillet, les principaux grands recueils à consulter sont les deux ouvrages en cours de publication de Piette, L’Art pendant l’âge du renne, et de Girod et Massénat, Stations de l’âge du renne dans les vallées de la Vézére et de la Corrèze. V. aussi Hornes, Urgeschichte der Bildenden Kunst, Wien, Holzhausen, 1898. De nombreuses pièces isolées ont été publiées dans la Revue d’anthropologie, L’Anthropologie et surtout les Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1869, 1873-77, 1880, 1885. Il existe de bonnes séries au Muséum de Paris et au British Museum.
    Les recueils et les musées d’art, qui collectionnent tant de brimborions sans ombre de goût, n’ont pas donné accès aux œuvres d’art préhistoriques, et ces objets n’ont pas acquis la valeur marchande qui aurait pu assurer leur conservation. Je considère les statuettes d’ivoire de M. Piette comme égales en valeur d’art aux célèbres terres-cuites de Tanagra ; leur mérite est infiniment plus grand, car elles datent d’au moins trente mille ans avant la belle époque hellénique. Cependant les grottes qui contiennent les chefs-d’œuvre de la glyptique préhistorique ont été livrées aux phosphatiers à des prix très inférieurs pour chacune à la valeur de la moindre Tanagra, et les chefs-d’œuvre mêlés aux ossements des artistes ont été mis au moulin. Cela prouve combien la recherche des objets d’art est surtout une affaire de mode, et leur valeur l’effet d’une concurrence où le snobisme exerce plus d’action que le sentiment artistique.
  36. Ils avaient certainement domestiqué le cheval, et dès l’époque du renne. Voyez Piette, Notes pour servir à l’histoire de l’art primitif, Anthropologie, 1894, V, 129-146. L’auteur figure, p. 139 et 141, des têtes de chevaux munies d’une chevètre très compliquée.
  37. Rivière, La grotte de la Mouthe, C. R. Ac. des Sc. de P., 1896, CXXIII, 543-546 ; 1897, CXXlV, 731-734. Daleau, Les gravures sur roches de la caverne de Pair-non-Pair, Actes de la Soc. archéologique de Bordeaux, 1897.
  38. Pour l’ensemble des exemplaires connus de H. priscus, voyez Hervé, La race des Troglodytes magdaléniens, R. de l’Éc. d’Anthrop., 1893, III-173-188. Les fouilles des Hotteaux ont été arguées de peu de méthode. Elles avaient été faites par un curé. Cette raison ne me parait pas suffisante. Ce qui est vrai, c’est que le mémoire est faible au point de vue anthropologique. L’auteur me semble avoir eu raison cependant de ne pas anticiper sur l’étude qui devra être faite par un spécialiste.
    Mon ami et ancien élève Bauby a découvert à Estagel des squelettes de l’âge du renne qui ne paraissent se rapporter à aucune des races connues, et qui apporteront probablement une certaine perturbation dans les notions acquises. Il faut attendre la publication des pièces par le Pr. Depéret. V. Donnezan, Grotte d’Estagel, Bull. de la Soc. Agricole. Scientif. et Litt. des Pyrénées-Orientales, 1895, XXXVI.
  39. Schwalbe sépare la calotte d’Egisheim du groupe néandertaloïde en raison de la moindre platycéphalie (Über die Schädelformen der ältesten Menschenrassen, Mitt. der philom. Gesellschaft in Elsass-Lothringen, 1897, VII). Manouvrier regarde les crânes de Marcilly et Bréchamps comme des formes atténuées (R. de l’Éc. d’Anthrop., 1897, VII). Dans le même ordre d’idées ou peut citer le mémoire de Newton sur le nouveau squelette paléolithique trouvé à Galley-Hill, Kent (On fossil remains found in paleolithic gravels, Quart. Journ. of the geolog. Sec, 1895, LI, 505-527).
  40. Le fait est rapporte par Pline (H. Nat. n, 67) et Pomponius Mela (III, v, 45) d’apres Cornelius Nepos. De Ceulenaer regarde ces Indiens comme ayant inspiré l’auteur d’une tête de bronze du Louvre, qui ressemble beaucoup aun portrait de Peau-Rouge (Type d’Indien du Nouveau-Monde représenté sur un bronze antique du Louvre, Mem. cour. de l’Acad. de Belgique, serie 8°, XLV).
  41. Données des principaux sujets priscus, et d’un lot de 15 Groenlandais orientaux :

    Pour l’étude des Groënlandais, voyez Hansen, Bidrag til Ostgronländernes Anthropologi, Copenhague, 1886, Bidrag til Vesgronldndernes Anthropologi, Copenhague, 1893. La premiere monographie porte sur 250 vivants et 15 crânes, la seconde sur 2.500 vivants, le quart de la population totale.

  42. Comme documents spéciaux pour la race de Cro-Magnon, voyez : Hervé, Distribution en France de la race néolithique de Beaumes-Chaudes Cromagnon, R. de l’Éc. d’Anthr., 1894, IV, 105-122 ; Rivière, De l’antiquité de l’homme dans les Alpes-Maritimes, Paris, 1878 ; Verneau, Nouvelle découverte de squelettes préhistoriques aux Baoussé-Rousse, Anthropologie, 1892, III. 513-540 ; Lapouge, Crânes préhistoriques du Larzac ; et la monographie des crânes de Cro-Magnon dans le Crania ethnica. Les mensurations des crânes de Cro-Magnon indiquées ci-dessous sont celles de Verneau. J’ai rectifié pour le crâne de Sargels l’indice orbitaire, pris d’abord d’après l’ancienne méthode. Les indices orbitaires des séries néolithiques n’ont pas été rectifiés, et ne sont pas exactement comparables à ceux des sujets de Cro-Magnon, Sargels et Menton.
    Je regarde les sujets de Beaumes-Chaudes, L’Homme-Mort, Sordes, l’Argar et la plupart de ceux que l’on rattache aujourd’hui à la race de Cro-Magnon comme des métis de spelæus et meridionalis. H. spelæus est de bien plus haute taille, Cro-Magnon h. 1.75. Sargels f. 1.68. Menton h. 1.83, 1.73, 1.78, 1.94. f. 1.64, h. jeune 1.63, L’Homme-Mort 1.65, Beaume-Chaude, h. 1.60. Il a aussi la face bien moins haute, et se distingue nettement de ses métis par l’indice orbitaire et l’indice nasal. Dès le néolithique moyen, H. spelæus est fort rare à l’état typique ou subtypique.
  43. La région atlantique a toujours eu une industrie et un art plus ou moins différents de ce qui existait en Allemagne et dans l’est de la France. Les instruments chelléens ressemblent peu aux instruments mesviniens et à ceux de Taubach. La glyptique usitée dans le bassin de la Garonne et ses environs diffère de celle de l’Est et du Sud-Est. Le solutréen est de plus en plus considéré comme le faciès du magdalénien dans l’Est et le Sud-Est. Les dolmens, à une époque plus récente, sont cantonnés dans l’Ouest, le Centre-Ouest et le Midi. Cette différence dans l’ethnographie rend parfois difficile l’établissement des synchronismes, et dans bien des cas les périodes ne peuvent correspondre terme à terme.
  44. Reinach, Statuette de femme nue de Menton, Anthropologie, 1898, IX, 26-31 et pl. 1-2. Mortillet a contesté sans raisons valables l’authenticité de la pièce. Virchow a publié la photographie d’une statuette en ivoire de mammouth de Brunn, en Moravie (Photographie eines aus Mammuthsstosszähnen geschnitzten Idols von Brünn, Verhandl. der Berliner anthr. Gesellschaft, 1895, XXVII, 705).
  45. Le petit méditerranéen répond à la race Pélage ou Méridionale de H. Japeticus Bory. Il est souvent désigné par la dénomination taxinomique de H. mediterraneus. Je ne connais pas l’auteur de la date de l’introduction de cette dénomination, mais je regarde celle-ci comme postérieure à l’emploi fait par Haeckel du même mot pour désigner à peu près ce que Bory appelait H. Japeticus. D’après le code taxinomique il ne convient pas de tenir compte de l’expression H. Japeticus, qui correspond à une satura, et l’emploi par Haeckel du nom H. mediterraneus peut être ainsi regardé comme non avenu. J’ai préféré cependant créer un nom nouveau que de reprendre en changeant l’affectation celui de Haeckel. Le jour où la validité de H. mediterraneus pour désigner le méditerranéen de Broca serait établie, H. meridionalis tomberait simplement en synonymie.