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L’Aryen, son rôle social/07

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CHAPITRE SEPTIÈME


ROLE SOCIAL DES ARYENS


Supériorité de l’Aryen. — La supériorité de l’H. Europæus est une conséquence directe de son organisation psychique. Sur cette supériorité même il faut toutefois s’entendre.

Certaines gens, partant du principe mystique de l’égalité fondamentale, ne peuvent supporter qu’on leur parle de races supérieures. Je ne me donnerai même pas la peine de les contredire. Il est parfaitement inutile de raisonner avec des esprits ainsi tournés vers le surnaturel ; les fictions seules ont de la valeur à leurs yeux. Je ne m’adresse qu’à ceux pour qui les faits ont un sens, et aussi les chiffres, qui sont encore des faits, groupés et totalisés.

D’autres demandent : à quoi reconnaissez-vous la supériorité ? Je répondrai : il n’y a pas plus de supériorité en soi que de haut et de bas dans l’univers, que de bien et de mal, mais nous sommes convenus de nous orienter dans l’espace d’après certains points, et en morale d’après certaines conventions. De même nous regardons le brave comme supérieur au lâche, l’actif à l’indolent, le libre au servile, l’intelligent au faible d’esprit, l’homme de caractère à l’indécis, le loin voyant à l’homme de courte vue. La supériorité est donc chose de convention, et nous la prenons ainsi en effet.

D’autres disent encore : le brachycéphale intelligent, pacifique, laborieux, économe n’est-il pas plutôt supérieur au dolicho-blond, brillant pourfendeur, exploiteur des faibles ? Je répondrai : Si le brachycéphale est intelligent, il accumule les idées plutôt qu’il n’en fabrique, c’est un appareil enregistreur ; s’il est pacifique, c’est parce qu’il manque de hardiesse, mais non de convoitise du bien d’autrui ; le lucre le tente, mais le danger lui donne à réfléchir, ce qui n’empêche pas les assassins d’être partout plus brachycéphales que la moyenne ; s’il est laborieux, il rend moins que le dolicho-blond, et un travail de moindre qualité ; s’il est économe, c’est parce qu’il ne sait point regagner l’argent, quand il l’a perdu ; son économie prouve seulement la conscience d’une impuissance relative à acquérir. Le dolicho-blond n’est pas seulement un brillant pourfendeur, exploiteur de faibles. Il ne faut pas voir que le Gaulois de Delphes ou le Cimmérien de Ninive, il faut voir aussi les grandes usines d’Angleterre et d’Amérique, les laboratoires allemands ; il faut consulter les statistiques commerciales et industrielles, il faut comparer le Hinrichs, l’American Catalogue, l’English Catalogue au Lorenz, et voir de quel côté est la puissance de production intellectuelle. Si le dolicho-blond, quand il vit dans des pays de population mixte, prend le dessus et dirige le travail plus qu’il ne travaille de ses propres mains, c’est en raison d’une plus grande puissance mentale qui le rend plus apte à la direction. Chez lui il se montre apte à tout, il est un ouvrier prodigieux et un agriculteur modèle.

Il n’est donc pas seulement un oppresseur, un tyran, un conquérant. Il a la même supériorité mentale. Les démocrates oublient cela. Assurément les Anglais et les Américains sont raptores orbis, les uns en acte, les autres en puissance, mais chez eux et entre eux ils sont libres. Et c’est précisément parce que l’Aryen naît avec une âme d’homme libre qu’il s’élève au-dessus de ceux qui ont des âmes d’esclaves.

La supériorité sociale de l’Aryen s’accuse de toutes façons. En Europe il occupe les plaines, laissant les hauteurs à l’Alpinus. Il afflue dans les villes, dans les centres d’activité, partout où il faut plus de décision, d’énergie. Plus une couche sociale est élevée, plus on le rencontre en grand nombre, il prédomine dans les arts, l’industrie, le commerce, les sciences et les lettres. Il est le grand promoteur du progrès.

Dans mes leçons de février 1887, j’ai défini les quatre grands groupes intellectuels entre lesquels on peut répartir tous les hommes, et montré que de toutes les races la plus riche en hommes du premier type, initiateurs et pionniers d’idées, est la race dolichocéphale blonde. Ces leçons ont paru dans la Revue d’Anthropologie (De l’inégalité parmi les hommes, R. d’Anthr., S. 3, III, 1888, 1-38). Ce travail conserve toute sa portée et j’y renvoie, me bornant ici à une esquisse sommaire des idées principales.

Le premier type est celui des initiateurs, des pionniers qui ouvrent à travers l’inconnu des voies nouvelles pour l’humanité et qui l’entraînent après eux. Inquiet et hardi, d’une intelligence au moins moyenne, l’homme de ce caractère est mal à l’aise dans les sentiers battus où se plaît le vulgaire, et où il se tient par nécessité. Il aime les idées et les inventions nouvelles, il en est le partisan immédiat et ardent. Il en saisit l’intuition le côté pratique, s’efforce de le réaliser et, s’il le peut, passe sa vie en créations continuelles. Tout ce qui est nouveau, non de forme mais de fond, tout ce qui change une face de la civilisation et détermine un brusque mouvement en avant, nous le devons à ces esprits investigateurs, et l’évolution tout entière des sociétés est leur fait. Ces hommes sont rares, les circonstances les font s’occuper en général de choses au-dessous de leur valeur, et le petit nombre qui réussit est loin de rendre la somme de services qu’il pourrait dans des conditions meilleures. Ces audacieux ne sont d’ailleurs pas tous des génies, mais les hommes d’un vrai génie présentent tous, au plus haut degré, ce type d’organisation.

Le second type est celui des hommes intelligents et ingénieux, mais sans esprit créateur, qui prennent, taillent, travaillent et perfectionnent les idées et les inventions des premiers. Les hommes de cette nature arrivent, en donnant aux choses des formes ou des combinaisons nouvelles, à des résultats qui font parfois illusion sur leur valeur, et il faut y regarder de près pour voir qu’ils ont simplement élaboré, sans créer les matériaux. Le premier et le second type d’esprits se complètent. Les premiers produisent en général leurs découvertes sous une forme trop brute, les autres ne peuvent travailler que sur les découvertes d’autrui.

Le troisième type comprend les hommes peu, moyennement ou très intelligents que réunit le commun caractère appelé par Galton, esprit de troupeau. Pour eux, toute idée qui n’est pas admise d’une manière courante, toute invention nouvelle est un sujet de méfiance ou de raillerie. Quand l’idée ou l’invention ont prévalu, ils en prennent avec opiniâtreté la défense contre les promoteurs d’idées ou d’inventions plus parfaites. Les hommes de ce caractère, quand ils sont intelligents, sont ouverts à l’instruction plus qu’aucune autre catégorie. Dépourvus d’idées propres, incapables d’en créer, ils s’assimilent d’autant plus aisément celles des autres. Tout ce qu’on leur enseigne s’imprime avec facilité dans leurs esprits, et si profondément qu’il devient impossible d’y apporter aucun changement. Non seulement ils sont incapables de travailler les idées acquises et d’en faire des combinaisons d’apparence nouvelle, mais tout changement qu’on leur propose leur cause un trouble moral, et dans leur persuasion qu’ils possèdent la vérité officielle, qu’ils représentent le dernier mot de la perfection, ils opposent à tout progrès la plus redoutable des résistances, celle de l’inertie des masses. Chez les esprits de ce type, l’inertie augmente à mesure que l’intelligence diminue, de façon que l’indifférence absolue remplace chez les sujets inférieurs et les plus nombreux la résistance opiniâtre mais raisonnée.

Le quatrième type d’esprits, le plus inférieur, est incapable, non seulement de grouper et de produire, de découvrir et de combiner, mais même de recevoir par éducation la plus modeste somme de culture.

Il est évident que les hommes, tels qu’ils vivent, ne peuvent être exactement groupés et comme parqués dans ces quatre divisions. Ces types sont en quelque sorte des centres de groupement, de chacun desquels chaque homme est plus ou moins éloigné. Dans la série humaine il n’y a pas de groupes tranchés, de limites réelles. Si on la représentait par un graphique, la figure, en pointe aiguë vers l’extrémité supérieure, irait en se renflant brusquement pour s’élargir d’une façon démesurée, se rétrécir d’une manière graduelle et finir par une base assez restreinte. La pointe aiguë représenterait les hommes de génie, et la pointe très mousse les peuples les plus sauvages ou les individus les plus dégradés de nos peuples supérieurs. V. Ammon, Gesellschaftsordnung, 2e Aufl., 56.

Pour faire mieux comprendre ce procédé de cote, je vais en faire quelques applications à des peuples bien connus. Prenons d’abord la population de l’Angleterre. La première catégorie sera représentée par quelques centaines d’individus dont quelques-uns d’un génie reconnu, beaucoup d’un incontestable talent, et beaucoup aussi dont la valeur réelle n’a pas trouvé d’occasion de se manifester pleinement. La seconde catégorie comprendra sans doute plusieurs centaines de mille sujets, la grosse masse des millions appartiendra à la troisième, et la quatrième comptera un ou plusieurs millions peut-être. Nous dirons que la population anglaise est une population très supérieure. Cela ne veut pas dire, évidemment, que tout Anglais soit un homme supérieur. En réalité, les hommes de valeur sont une minorité infime, une toute petite poignée noyée dans les masses populaires, mais ces hommes sont encore relativement plus nombreux que chez la moyenne des peuples, mais ils sont reliés aux masses profondes par un groupe déjà imposant et compact d’autres hommes qui les comprennent et les imitent, mais les masses elles-mêmes, enlevées par l’exemple, sont lancées dans les voies ouvertes Dans un train il n’y a que la locomotive dont le mouvement soit propre. Derrière elle une longue file de wagons, tous inertes, qui par leur poids, leur frottement, usent en partie la force de la locomotive et ralentissent sa marche. Ces wagons inertes n’en roulent pas moins aussi vite que la locomotive.

Si nous prenons maintenant le Mexique, la première catégorie sera absente, la seconde beaucoup moins représentée qu’en Angleterre, et la quatrième égalera le tiers ou le quart de la population totale. Le mouvement viendra du dehors et sera très faible. Chez un peuple nègre, mais dont la culture a été tentée, les Haïtiens par exemple, la seconde catégorie est représentée à peine, et la quatrième tend à l’emporter sur la troisième. Enfin si nous nous adressons à un groupe totalement inférieur de Fuégiens, d’Australiens ou de Boschimans, la presque totalité des sujets appartiendra au quatrième type, et les hommes marquants de la race pourront tout au plus prétendre à une place modeste dans la troisième catégorie.

Si l’on étudie par le procédé graphique des cartes la répartition des hommes de talent en Europe depuis quelques siècles, la carte de la répartition des hommes de génie ou d’un talent voisin du génie est ponctuée d’une manière peu dense, mais la ponctuation a pour axe visible la ligne idéale partant d’Édimbourg et aboutissant en Suisse, déjà découverte par M. de Candolle. On distingue confusément un autre axe de répartition qui commence au-dessous de l’embouchure de la Seine et va rejoindre obliquement la Baltique en coupant l’autre vers Paris. En dehors de cette grande tache diffuse vaguement losangique, des points isolés et de plus en plus espacés sont éparpillés sur toute l’Europe, sauf l’Empire russe, très déshérité jusqu’ici, et la péninsule Balkanique, entièrement vierge. La haute et la moyenne Italie, la vallée du Rhône, l’Allemagne du Sud et l’Autriche présentent des traces de centres secondaires, mais sur cinq à six cents points la tache principale comprend les quatre cinquièmes à elle seule. Nous saisissons une corrélation entre la densité de la population aryenne, dans les deux derniers siècles, et la répartition du génie.

Contingence de l’eugénisme aryen. — Le haut eugénisme d’Europæus ne constitue pas une supériorité nécessaire. Elle n’existe pas chez tous les individus, elle n’a pas toujours existé, elle n’existera pas toujours peut-être.

J’insiste sur le premier point, à l’intention des esprits philosophiques, pour lesquels une porte doit être ouverte ou fermée. Dans le monde des réalités, la porte n’est presque jamais ouverte ni fermée tout à fait. Il y a des fils de dolichocéphales très grands et très blonds qui ne sont en rien supérieurs à la moyenne des nègres ; il y en a de parfaitement idiots, d’autres atteints d’aboulie. Les cliniques mentales d’Angleterre, de Hollande et d’Amérique ne manquent pas de sujets réduits à la vie animale. Il ne faut donc pas faire le raisonnement que j’ai entendu faire à des gens très doctes, voire bons professeurs : le dolicho-blond est supérieur, donc tout dolicho-blond doit être supérieur, tel crétin est dolicho-blond, donc le dolicho-blond n’est pas supérieur.

J’ai déjà montré que la masse des populations de race Europæus n’était pas, dans les premiers temps historiques, parvenue au degré de maturité cérébrale acquis dans ces derniers siècles par les peuples de la Mer du Nord et de la Baltique. Si la grande civilisation néolithique de l’Europe parait avoir été l’œuvre du dolicho-blond, celles de l’Égypte et de la Chaldée, qui en dérivent ou en sont des branches collatérales, ne paraissent pas dues à l’Europæus. Il ne faut pas toutefois se presser de conclure, car le grand développement de la civilisation dans ces deux régions peut s’être produit sous l’influence d’éléments dolicho-blonds, superposés à des populations d’autre race qui ont continué le mouvement après l’extinction des premiers initiateurs. J’ai montré qu’un élément blond a existé en Égypte dans les temps les plus reculés. De même en Asie les grandes civilisations du Mitani, et ensuite de l’Assyrie, paraissent dues à un noyau de race aryenne. Pour la Chaldée seulement les données font jusqu’à présent défaut.

Si d’ailleurs le développement a été plus précoce dans les vallées bénies du Nil et de l’Euphrate, la raison en est surtout au milieu. Ces régions étaient propres à un grand développement de la population, par suite de la facilité de la culture, et des moindres besoins de la vie. Le progrès n’est possible que dans une population d’une certaine densité, offrant aux chances de destruction une résistance due à sa propre masse. Avec les modes de culture des temps primitifs, et sous un climat dont la basse température exige une consommation individuelle plus forte, il est facile de comprendre qu’un développement pareil n’était guère possible dans les basses vallées du Rhin et de l’Elbe. Ce sont des pays propices à l’avancement, mais non aux débuts de la civilisation.

L’aptitude au progrès, à la production sans cesse croissante d’eugéniques, parait propre à la race dolicho-blonde. Les diverses races qui se trouvaient en contact intime avec le monde égypto-chaldéen n’ont pas participé à cette évolution. Si les éléments aryens de la Perse, de l’Inde, de la Grèce, ont évolué rapidement, et jusqu’à épuisement complet, les populations noires de l’Inde et de l’Afrique sont restées immobiles. L’Égypte a pris contact avec les nègres il y a six ou sept mille ans ; elle a dominé toute la région du Soudan égyptien, sans qu’il s’y développât par imitation une civilisation indigène.

Il en est d’ailleurs de même aujourd’hui. Les diverses races qui ont reçu notre civilisation moderne ne paraissent pas en avoir beaucoup profité. Le Mexique, le Pérou, l’Inde, pour ne parler que de populations anariennes d’un niveau élevé, ne paraissent pas en voie de progrès. Il faut distinguer avec soin la valeur des individus et celle de l’acquis social dont ils sont participants. L’homme de notre temps superpose à sa valeur personnelle tout l’acquis dont a bénéficié sa génération par l’accumulation des richesses, des découvertes scientifiques, des idées-forces. L’acquis social peut passer à des races inférieures d’un coup, mais non la supériorité mentale. Les populations des pays dont je parle n’ont rien ajouté à l’actif reçu de nous, il est donc permis de dire qu’elles ne sont pas en progrès réel.

Avec des nègres, des Chinois, des Indiens du Mexique on peut faire des soldats, des marins, des ouvriers habiles, des laboureurs patients, voire des notaires, des médecins, des commerçants, mais point de directeurs sociaux, de ces hommes qui apportent un facteur nouveau à l’évolution. C’est par la faculté de produire beaucoup d’hommes très supérieurs qu’Europæus se place en tête de toute l’humanité.

Cette supériorité ne se maintiendra pas d’une manière nécessaire. Je ne veux, pas dire qu’elle cessera, mais elle pourrait cesser. Les sélections sociales peuvent arriver, en un temps assez court, à éliminer les éléments les plus eugéniques. C’est ainsi qu’ont péri tous les grands peuples de l’antiquité. Les désastres militaires n’ont fait que renverser des états croulants de vétusté, vivant par habitude, et chez lesquels la multitude répandue dans les rues et les campagnes ne suppléait pas à l’absence d’hommes dans le sens complet du mot. Cette possibilité est tout simplement celle de l’arrêt et du recul de la civilisation. Rien ne permet, en effet, de compter sur des races qui depuis des siècles et des siècles n’ont pas tiré de leurs rapports avec la civilisation les moyens d’évoluer. Les nègres, par exemple, paraissent des barbares définitifs. Par une sélection systématique, on pourrait en faire sortir une population très supérieure aux Aryens les plus eugéniques, mais il ne faut pas faire cette hypothèse, car si l’on fait de la sélection systématique ce ne sera point à leur bénéfice. Les sélections sociales relèveront certainement les nègres, elles feront périr de misère les éléments qui ne pourront s’adapter au travail plus intense imposé aux peuples africains par la civilisation, mais elles ne feront que le nécessaire, c’est-à-dire ce qu’il faudra pour fabriquer de bons producteurs économiques.

L’anthroposociologie comme moyen d’investigation. — L’anthroposociologie est la branche de l’anthropologie qui étudie l’homme comme membre de la société. Je n’aime pas beaucoup ce terme, mais il est tellement répandu que je suis obligé de l’employer quelquefois pour me faire comprendre.

Les recherches de cet ordre, quand on les pratique dans les régions où existe H. Europæus, soit pur soit à l’état de combinaison ethnique, ont pour résultat immédiat de montrer la proportion de cette race dans les diverses catégories sociales. L’étude de la supériorité d’Europæus se ferait donc d’une manière toute naturelle par l’analyse ethnique des diverses catégories sociales en Europe et dans quelques régions hors d’Europe.

Je ne veux pas me livrer de nouveau à ces recherches, qui ont fait l’objet du cours de l’année précédente. Les Sélections sociales sont le développement tout naturel du présent chapitre, qui prendrait, si je voulais le traiter d’une manière étendue, des proportions supérieures à tout le reste du présent volume. Je me bornerai donc à compléter sur quelques points la documentation des Sélections sociales, mais avant de le faire, j’insisterai sur deux idées qui paraissent avoir besoin d’être présentées d’une manière très nette, car elles ont fait l’objet de raisonnements inexacts de la part de beaucoup de bons écrivains.

Gobineau pensait que la stratification sociale avait pour origine des faits militaires, invasion, conquête, assujettissement des vaincus. Cette idée se retrouve dans les écrits de Broca, nous avons vu tout à l’heure, dans le cas particulier des Germains établis en Gaule, que Livi ne l’avait pas abandonnée, et je sais que beaucoup de bons esprits lui accordent encore un certain crédit. En réalité la stratification actuelle n’a rien à voir avec la conquête barbare. Les phénomènes de dissociation, de capillarité, nous expliquent d’une manière suffisante l’état actuel des choses. Nous voyons sous nos yeux se produire l’afflux des dolichoïdes sur certains points, leur élévation dans l’échelle sociale. Toutes les recherches d’analyse ethnique sont d’une clarté parfaite à cet égard. Il y a longtemps que l’état de choses créé par les invasions a disparu, et l’état actuel se fait et se défait d’une manière continue. Je renverrai pour plus de développements aux mémoires spéciaux de Closson : Dissociation by displacement, La dissociation par déplacement, Ethnic stratification, etc.

Il faut d’ailleurs remarquer que la conquête peut revêtir deux formes, militaire et interstitielle. La conquête interstitielle se produit quand dans un pays s’infiltrent d’une manière graduelle et pacifique des éléments étrangers, qui finissent par s’emparer du pouvoir par le fonctionnement normal des institutions politiques. L’infiltration d’innombrables bandes de barbares dans l’Empire romain est un exemple d’invasion interstitielle précédant une conquête militaire. Encore peut-on aller jusqu’à dire que les nouveaux-venus avaient en partie conquis le pouvoir, car beaucoup d’entre eux avaient trouvé moyen d’accéder aux plus hautes charges. Nous assistons à un spectacle analogue en France, où l’oligandrie a provoqué un appel considérable d’étrangers, dont un grand nombre occupent les situations les plus en vue. La conquête interstitielle, pour s’opérer sans fracas, peut n’être ni moins complète ni moins définitive que la conquête par les armes.

L’autre idée fausse est peut-être encore plus généralement répandue. Elle est partagée par des anthropologistes très en vue, que les conséquences de l’anthroposociologie déroutent dans leurs idées préconçues, et aussi dans leurs préjugés politiques. Livi, Manouvrier, d’autres encore, soutiennent que les résultats de l’anthroposociologie sont mal interprétés, que les faits sont exacts, mais qu’ils ne supposent nullement une inégalité des races, entraînant superposition d’une manière nécessaire, comme dans un tube contenant du mercure, de l’eau et de l’huile. Il s’agirait simplement d’un phénomène de péréquation de l’indice. Le mélange des races étant plus grand dans les villes, dans les classes supérieures, dans les éléments en mouvement, il serait tout naturel que l’indice fût plus faible en France dans toutes les catégories correspondantes. Livi croit voir une preuve à l’appui de cette idée dans le fait que les éléments sélectionnés sont, dans l’Italie du Sud, moins dolichocéphales au lieu de l’être davantage.

Ammon et Closson ont répondu avec raison à Livi que son argument prouvait seulement l’infériorité du type dolicho-brun (meridionalis) par rapport au type brachycéphale d’Italie, (le plus souvent Dinaricus), mais qu’il n’y avait aucune conséquence à en tirer pour le cas où la comparaison s’établit entre Europæus et Alpinus. La psychologie de l’Anglais n’est pas celle du Sicilien, et celle du Yankee n’est pas davantage celle du Napolitain. Ce n’est pas l’indice qui fait la supériorité, tant s’en faut, puisqu’en Amérique le nègre est plus dolichocéphale que le Gallo-Saxon, et cependant lui est socialement inférieur. Meridionalis dolichocéphale est inférieur au brachycéphale, Alpinus ou Dinaricus, et celui-ci à Europæus, encore dolichocéphale.

En ce qui concerne la France, la péréquation de l’indice ne saurait expliquer les résultats de l’analyse ethnique. C’est évidemment à la péréquation que tout le monde a songé d’abord quand on s’est trouvé en présence d’une moindre brachycéphalie des catégories sélectionnées, mais il a bientôt fallu reconnaître que la péréquation n’était pas le seul facteur en jeu. C’est ce qu’Ammon et moi nous avons fait de bonne heure, et ce que feront tous les anthropologistes de bonne foi après avoir étudié les chiffres.

Collignon a trouvé pour moyenne des indices départementaux le chiffre 83.57. Ce chiffre n’exprime pas l’indice probable d’un lot considérable, de mille Français par exemple, pris au hasard. Les départements très brachycéphales sont, en effet, très peu peuplés en comparaison des moins brachycéphales. J’ai donc repris le calcul, en multipliant chaque indice départemental par la population du département, exprimée en milliers d’habitants. J’ai divisé la somme des produits par la somme des milliers d’habitants, et obtenu le chiffre 83.01, qui peut être, jusqu’à nouvel ordre, regardé comme l’expression de l’indice des Français mâles adultes. C’est celui que l’on devrait obtenir en mesurant la population masculine entière, vers l’âge de 21 ans.

Si la péréquation était le seul facteur en cause, nous devrions trouver 1° dans toutes les régions dont l’indice est supérieur à la moyenne, une moindre brachycéphalie des catégories sélectionnées ; 2° inversement, dans les régions dont l’indice est inférieur à la moyenne, une plus grande brachycéphalie des catégories sélectionnées. Or il n’en est pas ainsi, dans les régions les moins brachycéphales l’indice continue à s’abaisser davantage à mesure que les éléments sont plus sélectionnés. Il tend donc vers la moyenne 77 ou 78 d’Europæus et non vers celle 83.01 de la nation française.

Paris a un indice de 80.7, la Seine 80.9. L’indice est donc de plus de deux unités au dessous de la moyenne de la France, et même des départements de la région parisienne, qui varient entre 81.4 et 83.1. De même l’indice de Bordeaux 79.6, est inférieur à celui du département de la Gironde 80.8, à celui de tous les départements voisins, compris entre 80.4 (Charente) et 83.6 (Landes), inférieur de trois unités et demie à celui de la France. Il n’y a pas un seul département, sauf les Pyrénées-Orientales, dont l’indice soit aussi bas que celui de Bordeaux. La Corse, les Pyrénées-Orientales, la Creuse, la Dordogne, la Gironde, le Nord, le Pas-de-Calais, la Haute-Vienne sont les seuls départements dont l’indice soit inférieur à celui de la Seine, les deux premiers de deux unités, les autres de quelques dixièmes d’unité. Ces deux exemples suffisent à prouver l’insuffisance de l’hypothèse de la péréquation pour la France. Il en est de même pour le grand-duché de Bade, où l’indice des villes est inférieur à celui de toutes les circonscriptions rurales qui les alimentent et très inférieur à la moyenne générale. L’exemple le plus saisissant que l’on puisse donner est cependant l’Autriche. La ville de Vienne est moins brachycéphale que la circonscription dont elle est le centre, et celle-ci est précisément la moins brachycéphale de l’Empire Austro-Hongrois. Il en est à peu près de même en Suisse : tout le pays est brachycéphale, les villes seules tendent à la dolichocéphale : Genève, Bâle, Zurich, Berne.

On trouve en France quelques villes en très petit nombre, au centre de pays très brachycéphales, qui ont un indice supérieur à 83. Lyon parait être du nombre, près de 85, autant qu’on en peut juger sur des chiffres insuffisants : cette ville a bien une Société d’Anthropologie, mais celle-ci ne parait pas d’un zèle très actif pour les recherches locales. La région dont Lyon est le centre atteint des indices très élevés : l’Ain, le Doubs, le Jura, le Rhône dépassent 80, la Haute-Loire, la Haute-Saône, Saône-et-Loire sont au-dessus de 87.

L’explication de l’inégalité des indices par la péréquation n’est donc pas possible. Cette explication était la première qui dut venir à l’esprit, et de fait elle a retardé longtemps le rattachement du phénomène à la sélection sociale, mais c’est bien dans cette dernière qu’il faut chercher la cause principale. C’est ce qui résultera d’ailleurs, avec la dernière évidence, des paragraphes suivants, si l’on a soin d’avoir toujours présent à la mémoire le terme de comparaison fondamental, l’indice 83 de la nation française.

Les paragraphes suivants sont la reproduction partielle mise à jour quant aux chiffres, d’un travail très important que j’ai publié depuis les Sélections sociales. Il a paru en Amérique dans le Journal of Political Economy de l’Université of Chicago (Fundamental laws of Anthropo-sociology, 1897, VI, 54-92, et tirage à part), en Italie dans la Rivista italiana di sociologia (Le leggi fondamentali de l’antropo-sociologia, 1897, I, 304-331, et tirage à part). La Revue scientifique en a publié le texte, allégé de la plupart des tableaux, le public français n’aimant guère les chiffres, pour éloquents qu’ils puissent être (Lois fondamentales de l’Anthroposociologie, R. scient., 1897, II, 545-552).

Loi de répartition des richesses.Dans les pays à mélange Europæus-Alpinus, la richesse croit en raison inverse de l’indice céphalique.

Pour la France, le tableau suivant montre la différence de rendement des impôts les plus significatifs : l° par comparaison, entre les départements les plus dolichoïdes et les plus brachycéphales, groupés jusqu’à concurrence de dix millions d’habitants pour chaque groupe ; 2° par comparaison entre les 20 départements les plus et les moins brachycéphales. L’évaluation est faite en millions de francs. Les pourcentages sont de Reddoe (Selection in Man, 8).

L’inégalité se montre écrasante au détriment des brachycéphales. Il convient d’ailleurs de tenir compte de deux éléments pour son appréciation. 1° Le groupe de dix millions de dolichoïdes ne comprend que 13 départements, celui des brachycéphales en contient 30. Cette différence de surface explique le seul cas d’infériorité du groupe dolichoïde, qui se rapporte à la propriété non bâtie. 2° La Seine fait partie du groupe dolichoïde, mais si on la retranche, bien que le lot des dolichoïdes tombe à 7 millions contre 10, la supériorité lui reste encore sur toute la ligne. On obtient les mêmes résultats dans l’étude intérieure de chaque département. J’ai fait ce travail pour l’Hérault, l’Aveyron, et Muffang pour les Côtes-du-Nord.

La même loi se vérifie en Suisse, en Allemagne, en Autriche. Elle est également applicable en Espagne et en Italie, mais la démonstration est plus difficile qu’en France, en raison de la prédominance, croissante du N. au S., de l’élément méditerranéen, dont l’indice se confond avec celui du dolicho-blond, mais dont les aptitudes sont moindres. Le tableau ci-dessous donne le rendement des impôts en Italie, pendant l’année 1894, dans quatre groupes de provinces, comprenant chacun environ 5.000.000 d’habitants.

Dans les pays où l’élément Europæus est presque seul, la richesse est maxima. Il est probable que la loi n’est plus applicable dans ce cas : États-Unis, Dominion du Canada, Angleterre, Hollande, etc. La vérification serait à faire, car la loi paraît avoir une plus grande étendue que ne l’indique son énoncé. Les pays les plus dolichocéphales de l’Inde (Bengale), de la Chine et même de l’Afrique sont aussi les plus riches[1].

Loi des altitudes.Dans les régions où coexistent H. Europæus et H. Alpinus, le premier se localise dans les plus basses altitudes.

Sur le continent européen, l’habitat de H. Europæus coïncide à peu près avec la zone des alluvions quaternaires de la Mer du Nord et de la Baltique. La carte géologique et la carte anthropologique sont presque superposables. En France où son habitat recule sans cesse, il est presque localisé dans les plaines de Flandre, d’Artois et de Picardie, et dans la vallée inférieure des fleuves. À mesure que l’on s’avance vers le midi, il devient très rare dès l’altitude de 100 m. Cependant toutes les vallées des petits fleuves méditerranéens sont encore dolichocéphales jusqu’à cette altitude et les blonds y sont nombreux.

Réciproquement les axes de brachycéphalie suivent les lignes de partage des eaux. L’axe principal part de la Galice, suit la crête des monts jusque vers le milieu des Pyrénées françaises, rejoint le plateau central, couvre le massif alpin et se bifurque. Une branche continue le long de l’arête dorsale du continent par la Forêt noire, les monts de Bohême et le relief diffus qui constitue la ligne de partage en Russie. À cette extrémité l’axe cesse au milieu d’un vaste élargissement couvrant la Pologne et les environs. L’autre branche rejoint par les Balkans le massif brachycéphale de l’Asie Mineure. Des branches secondaires dessinent la chaîne de l’Apennin, partie septentrionale et moyenne, la ligne de partage des eaux entre Loire et Seine, avec évasement sur le massif breton, la ligne des Vosges avec évasement dans l’Est de la Belgique, la ligne qui aboutit au Danemark et la chaîne qui sert d’axe à la péninsule balkanique. Il est à remarquer que presque partout le maximum de brachycéphalie ne coïncide pas avec la crête géographique des chaînes, il est, suivant leur orientation, légèrement au Nord ou à l’Ouest[2].

Dans les massifs montagneux l’indice céphalique est assez exactement proportionné aux altitudes. Dans les régions moins élevées, il suffit souvent d’un relief de cent mètres pour que la brachycéphalie soit très marquée (Monts d’Arrée, Suisse normande). La loi n’est applicable ni en Angleterre ni en Espagne, faute de brachycéphales. Cependant la chaîne côtière du N. de l’Espagne rentre dans la règle. La loi des altitudes a cependant une étendue générale plus grande que ne le comporte l’énoncé. L’axe de brachycéphalie se continue par l’Asie-Mineure, l’Arménie, les plateaux de l’Asie centrale, le Tibet, la Mongolie, la Mandchourie et va jusqu’au détroit de Behring. Une branche importante descend en Indo-Chine. De même en Amérique le grand axe des Cordillières, depuis le détroit de Behring jusqu’au cap Horn, est un axe de brachycéphalie. Les hauts-plateaux du Mexique, du Pérou, de la Bolivie, de la Patagonie sont brachycépales. En Afrique il n’y à pour ainsi dire pas de brachycéphales.

Loi de répartition des villes.Les villes importantes sont presque exclusivement localisées dans les régions dolichocéphales, et dans les parties les moins brachycéphales des régions brachycéphales.

Cette règle souffre très peu d’exceptions en Europe : Rennes, Le Mans en France, Turin en Italie, Malaga en Espagne sont les plus notables. Elle n’est pas d’ailleurs tout à fait particulière aux grandes villes, et s’étend, avec de plus nombreuses exceptions, aux petites et même aux bourgs. Quand il n’y a pas une raison nécessaire pour qu’il en soit autrement, l’agglomération principale de chaque unité territoriale, si petite qu’elle soit, tend à coïncider avec le centre des plus faibles indices.

L’application est aussi générale dans les autres parties du monde.

La loi de répartition des villes semble être connexe avec une loi régissant la plus grande densité de la population, mais celle-ci n’a pas encore été dégagée avec une suffisante netteté. Elle se relie aussi d’une manière évidente à la loi des altitudes et à celle de répartition des richesses.

Loi des indices urbains.L’indice céphalique des populations urbaines est inférieur à celui des populations rurales qui les englobent immédiatement.

La première constatation de cette loi a été faite par Durand de Gros dans l’Aveyron, en 1869 : Rodez, ruraux 86.2, urbains 83.2 ; Millau, ruraux 85.8, urbains 84.1 ; Saint-Affrique, ruraux 83.4, urbains 82.2[3]. De 1887 à 1890 j’ai trouvé les mêmes résultats dans les petites villes de l’Hérault : Clermont, ruraux 84.4, urbains 79.5 ; Lodève, ruraux 82.3, urbains 79.7 ; canton de Lunel 83.3, ville de Lunel 82.1, ville de Marsillargues 81.3. Depuis 1890 il a été publié par Ammon, Livi, Weisbach et Oloriz de nombreux documents concernant des localités étrangères. En France, les recherches du D. Collignon et les miennes ont établi la généralité de la loi, et fourni des chiffres définitifs pour un certain nombre de localités.

Le département de la Seine, c’est-à-dire Paris, a pour indice 80.9 d’après les derniers travaux de Collignon ; Seine-et-Oise a 81.4, les départements limitrophes qui enveloppent la Seine-et-Oise varient entre 81.3 (Eure) et 83.1 (Loiret). La Seine est ainsi un des départements où l’indice est le plus faible, le 7e dans l’ordre des indices. Paris, lieu de concentration de la France entière, a un indice inférieur de près de trois unités à celui que Collignon attribue comme moyenne à la France.

Dans l’Ouest, la loi s’applique à Limoges, Périgueux, Bordeaux, la Rochelle, Bayonne, Tarbes, Auch, Mont-de-Marsan, Pau (Collignon). L’écart moyen est d’environ deux unités. Bordeaux a été étudié avec soin par Collignon : Bordeaux-ville 79.58, communes de banlieue 80.63 à 81.54, ruraux 81.8. Bordeaux a 60% d’indices inférieurs à 80, les communes de la banlieue 32%. On peut encore citer dans l’Ouest, Saint-Brieuc, d’après Muffang[4], et d’après les recherches de Collignon et les miennes, Niort, Nantes, Rennes, Angers, Laval, Le Mans, Saint-Malo, Coutances, Cherbourg, dans le centre Clermont, Bourges, Orléans, Nevers. Elle est également applicable à Lyon, où la Société d’Anthropologie de cette ville trouverait un vaste champ de recherches fort utiles. Dans l’Est on peut citer Besançon, Macon, Grenoble, où il existe également une Société d’Anthropologie à laquelle on pourrait conseiller des recherches approfondies ; dans le Midi, Marseille, Narbonne. Le Nord est peu connu, citons d’après Labit (Anthropologie des Ardennes, AFAS, 1897, II, 645-656), Sedan, Rocroi, Givet, Rethel, dans les Ardennes.

Nous avons moins de renseignements pour l’Allemagne, où l’adoption de la méthode de Jhering a littéralement jugulé l’anthropologie métrique. À Karlsruhe l’indice des ruraux est 83.0, celui des urbains 81.4, à Fribourg, 83.6 et 80.8. Mêmes résultats à Mannheim, Lörrach, Heidelberg, Tauberbischoffsheim[5]. En dehors du Grand Duché de Bade, les travaux sont en cours d’exécution mais on ne sait rien des résultats, sauf pour l’Alsace-Lorraine. Les beaux travaux du laboratoire de Strasbourg accusent une dolichocéphalie marquée dans toutes les villes d’Alsace.

En Autriche, comme en France, l’écart est d’ordinaire de 2 unités. Vienne, comme Paris, a un indice très inférieur à la moyenne de l’Empire en général. Cette ville offre aussi, comme Bordeaux, une zone suburbaine de transition : Vienne-ville, 81.2, banlieue 80.8 à 81.8, campagnes 83.8. Le pourcentage de dolichos est 37 en ville, 31-34 dans la banlieue, 10 dans les campagnes (Weisbach).

En Suisse les recherches se poursuivent. La loi est vérifiée dès à présent pour Genève, Berne, Bâle et Zurich.

En Italie la loi se vérifie bien pour les très grandes villes, les capitales : Turin, Milan, Venise, Gênes, Florence, Rome, et pour la généralité des villes secondaires du nord, mais à partir de la région moyenne, où la prépondérance numérique passe décidément à meridionalis, il n’en est plus ainsi. Dans les anciens États de l’Église et dans l’ancien royaume des Deux-Siciles, les urbains sont généralement moins dolichoïdes. Livi et Ripley en ont conclu que la loi des urbains était remplacée en Italie par une simple tendance vers la moyenne. Cette interprétation n’est pas acceptable. La moyenne de 300.000 hommes donne pour l’Italie entière 82.63. Or Rome, Florence, Gênes offrent des moyennes inférieures à la fois à celles de leurs environs et du royaume entier[6].

Dans les régions purement dolicho-blondes, Angleterre, Hollande, Allemagne du Nord, Scandinavie, la différence des indices urbains et ruraux n’est plus accusée, sauf dans quelques régions de l’Allemagne et de la Norvège, où il y a une certaine proportion de brachycéphales. En Russie la loi s’applique d’une manière générale, mais on n’a pas encore publié de résultats d’ensemble, et il faut se livrer souvent à des comparaisons boiteuses[7].

La loi comporte une exception apparente. Toute ville dont la sphère d’attraction s’étend à des régions hautement brachycéphales tend à élever son indice, bien que les sujets attirés soient d’un indice moyen inférieur à celui de leur pays d’origine. Ainsi Montpellier, qui reçoit une énorme émigration aveyronnaise et cévenole, donne aujourd’hui les résultats suivants : ruraux 81.6, urbains 81.0. L’égalité est parfaite. Naguère Montpellier était dolichocéphale. Si le mouvement continue, il pourra devenir plus brachycéphale que les environs, l’indice des départements qui le colonisent allant de 86 à 88.

Les villes n’attirent pas que les dolicho-blonds, mais aussi les dolicho-bruns, et surtout les Juifs, relativement dolichocéphales. Ces éléments, quand ils sont nombreux, contribuent à la fois à augmenter la proportion de bruns et à faire baisser l’indice. Il en résulte que les villes moins brachycéphales peuvent être aussi moins blondes que les campagnes d’alentour. Cette tendance est renforcée par le phénomène, que je crois avoir constaté, du retour de l’Europæus au type atavique brun, sous la double influence du milieu et d’une sélection favorable aux plus résistants et aux plus nerveux.

La loi des indices urbains est en rapport étroit avec la loi d’émigration, la loi de concentration, la loi d’élimination urbaine et la loi des intellectuels.

Loi d’émigration.Dans une population en voie de dissociation par déplacement, c’est l’élément le moins brachycéphale qui émigre le plus.

D’une manière générale, les populations coloniales formées par émigration sont moins brachycéphales que celles des pays d’origine. En Algérie, 234 sujets d’origine française ont donné un indice moyen de 79.2. Si l’on exclut les cas de mélange, 174 individus descendant exclusivement de colons français ont donné un indice de 80.9, inférieur de deux unités à la moyenne 83. L’indice des Italiens établis en Algérie est d’environ 78, la moyenne de l’Italie est 82.6. Lajard a obtenu sur 50 crânes de créoles espagnols des îles Canaries un indice de 74.5, Oloriz donne pour indice moyen des Espagnols 76.4, sur le vivant 78.1. Lajard a obtenu sur 20 crânes créoles portugais des Açores un indice de 73.5, Ferraz de Macedo donne une moyenne de 75, obtenue de 494 crânes portugais. Dans le Caucase, les Cosaques du Kouban ont un indice de 82.1, les habitants de la Petite Russie, dont ils sont tirés, ont pour indice 82.9. L’indice des Cosaques du Terek tombe à 81.1.

En Amérique Ripley, en mesurant les étudiants du Massachusetts Institute of Technology, a obtenu les résultats suivants : élèves de première année 78.6, de seconde 77.7, de troisième 77.7, de quatrième 77.2. Ces indices sont un peu inférieurs à la moyenne trouvée par Muffang à l’University Collège de Liverpool, soit 79.6 à 18 ans, 77.8 à 23 ans et plus, en moyenne 78 pour 86 étudiants. Or les étudiants de Liverpool sont anglais, et ceux de Boston comprennent des originaires de pays plus brachycéphales, Allemands par exemple (Muffang, Écoliers et étudiants de Liverpool, Anthropologie, 1899, 21-41).

Il serait à désirer que l’on puisse opérer sur des quantités considérables d’émigrants, en Amérique par exemple. Les émigrants anglais ou irlandais n’ont qu’une importance secondaire, en raison de la nature homogène de la population des îles Britanniques, mais on arriverait à d’intéressants résultats en mesurant les Français, les Allemands, etc. Closson a commencé à mesurer d’importantes séries d’Italiens à Chicago, mais les résultats sont encore inédits. J’emprunte aux notes qu’il a bien voulu me communiquer les chiffres suivants, relatifs à des émigrés européens, mâles et adultes, mesurés en Californie. Vingt sujets des Hautes-Alpes ont donné 83.68, onze des Basses-Pyrénées 81.12, neuf autres de divers départements français dont la moyenne est 84.04 ont donné 82.9, quinze Allemands du Nord 78.28, vingt-quatre Allemands du Sud 81.33, neuf Allemands d’origine complexe 80.44, ensemble 46 Allemands 80.18. Ces moyennes sont très inférieures à celles des catégories correspondantes en Europe. Cinq Badois en particulier donnent 81.04 au lieu de 83.67, et les dimensions absolues 190, 154 au lieu de 182, 153. Dix-neuf Wurtembergeois ont donné 83.2, mais cette moyenne est exagérée par un sujet anormal, longueur 192, largeur 187, indice 96.87. Sept paysans suisses du Tessin ont donné 86.75, cinq Tessinois d’une situation plus relevée 85.0, ensemble 86. Ces moyennes sont élevées, mais le Tessin est très brachycéphale. Douze autres Suisses ont donné 83.2, un peu moins que la moyenne probable de la Suisse, 84 ou 85. Closson a constaté en même temps que les Californiens originaires de la Nouvelle-Angleterre sont plus dolichocéphales que les étudiants de Ripley.

J’ai publié dans les Sélections diverses séries de migrateurs à l’intérieur, mesurées dans le midi, et d’autres mesurées à Rennes[8]. On trouvera dans l’édition américaine des Lois fondamentales ces diverses séries augmentées. J’ai pu augmenter de nouveau celles de Rennes, qui me donnent actuellement les résultats suivants :

Départements
d’origine
Nombres  Indice des
sujets immigrés
en Ille-et-Vilaine 
Indice des
départements
d’origine
Côtes-du-Nord 93 82.4 83.6
Finistère 64 81.6 82.0
Morbihan 67 83.4 82.1
Loire-Inférieure  25 84.0 83.8
Manche 16 83.6 83.1
Mayenne 24 83.9 84.1
Sarthe   8 83.5 83.8
------ ------ ------
Moyennes 297 82.8 83.4

Les écarts indiqués par cette statistique sont moindres que ceux des Sélection sociales. Dans les cas du Morbihan, de la Loire-Inférieure et de la Manche, il y a même renversement. Pour le Morbihan, il est certain que l’indice indiqué par Collignon, 82.1, est très inférieur à la réalité. Ce département est pour la plus grande partie brachycéphale à 83 et 84. Dans les 67 sujets il n’y en a pas un seul de la côte, qui est relativement dolichocéphale à 81 et 82. De même pour les deux autres départements, les sujets, tous ruraux, viennent des régions les plus brachycéphales, en contact direct avec l’Ille-et-Vilaine. Ce sont des ouvriers ruraux, il n’y a pas un seul Nantais, un seul sujet du littoral ou du Val de Loire, ni de la presqu’île du Cotentin. Nous avons affaire à des migrateurs de dernière catégorie, les autres vont à Nantes, à Saint-Nazaire ou à Paris. Ce n’est pas cependant la raison principale de la faiblesse des écarts. Il y en a une autre, dont l’importance générale exige une étude complète.

La dissociation par déplacement ne comporte une sélection que si elle est volontaire, et si le déplacement suppose une certaine dose de hardiesse et d’esprit d’aventure. Il faut donc distinguer deux catégories de migrateurs : ceux qui se déplacent en vertu d’un caractère entreprenant et ceux qui le font par imitation, ou par contrainte. Pour émigrer même au loin, il faut moins d’esprit d’aventure qu’au temps des diligences et des bateaux à voiles. Il ne faut pas la même somme d’énergie à un soldat libéré pour se fixer dans une ville après avoir goûté du cabaret et des filles qu’autrefois à un paysan qui abordait la vie urbaine pour la première fois. Les masses énormes de servantes qui restent dans les villes n’y sont pas venues davantage dans l’intention de s’y fixer, c’est l’occasion qui les retient. La crise agricole, de son côté, a chassé des campagnes une quantité de vaincus, esprits obtus qui n’ont pu s’adapter aux conditions nouvelles de la lutte pour la vie, et qui viennent dans les villes, ne sachant où aller. Les armées de manœuvres ruraux sans travail qui encombrent les villes et alimentent les hôpitaux, les fainéants à la recherche d’une vie plus facile, les servantes tombées dans la prostitution ne constituent pas des éléments d’élites tant s’en faut.

Leur masse sans cesse croissante tend de plus en plus à submerger les migrateurs de la première catégorie. C’est ainsi que l’on peut expliquer ce fait très curieux, et général, que l’indice des catégories diverses de migrateurs tend à se relever sans cesse. Que j’opère sur des séries d’une région ou d’une autre, et mes registres contiennent des dizaines de mille observations, je constate d’une manière générale une moindre brachycéphalie des éléments plus âgés. Même en tenant compte de l’abaissement de l’indice entre 20 et 30 ans, les sujets de 40 ou 50 ans, dont les parents étaient en mouvement dès la première moitié du siècle, sont moins brachycéphales que ceux de vingt ans, dont les parents ne se sont mis en mouvement que depuis la guerre, dans la période du déclassement général. D’année en année, depuis les conscrits de 1892 jusqu’à ceux de 1898, on assiste à un relèvement général et régulier des indices des migrateurs mesurés au conseil de révision.

Cette transformation dans la composition des classes mobiles pourra aboutir à relever leur indice même au-dessus de la moyenne, dans les cas où la prédominance des détritus sociaux sera très marquée. C’est dans les villes et parmi les déracinés que l’on trouvera désormais en presque totalité les impropres à la vie sociale, les inadaptables par insuffisance psychique. C’est ce que marque d’une manière très nette la diminution des dimensions absolues. En même temps que l’indice s’élève, ces dimensions, d’ordinaire plus élevées dans les catégories sélectionnées, tendent à décroître. Ce fait prouve d’une manière très nette que l’on se trouve avoir parmi les migrateurs deux éléments opposés qui se neutralisent, des sélectionnés en bien et d’autres en mal, les meilleurs et les pires.

Il y a donc une opposition certaine entre les résultats du brassage confus, par émigration forcée, tendant plutôt vers la péréquation, et ceux des dissociations normales, qui créent les véritables élites. Il importe d’attirer sur ce fait l’attention des statisticiens pour leur éviter des erreurs très graves. Peut-être, dans certaines régions, certaines recherches deviendront-elles aussi inutiles qu’en Angleterre, où le brassage est maintenant parfait[9]. C’est une raison de plus pour regretter que l’État, — seul qualifié de par notre organisation administrative, — n’ait point fait procéder en temps utile au cadastre de la population. Il aurait été temps encore il y a dix ans, dans dix ans il sera trop tard. Il restera d’ailleurs toujours l’anthropologie de classe proprement dite, les intervalles sociaux ne pouvant être franchis aussi aisément que les distances. L’élévation de l’indice dans les classes supérieures ne se fera que lentement, par l’usure définitive de nos dernières réserves. Ce ne sera peut-être plus très long, mais notre génération ne verra pas ce nivellement s’accomplir, et les classes supérieures pourront même maintenir leur différence d’indice si le développement de l’aristocratie juive supplée à la destruction de nos éléments supérieurs.

Loi des formariages.Les indices céphaliques des sujets issus de parents originaires de régions différentes sont moins élevés que la moyenne des indices de ces régions. En d’autres termes les éléments moins brachycéphales sont plus portés à se formarier, c’est-à-dire à se marier hors de leur pays.

J’ai découvert cette curieuse loi en étudiant les populations de l’Hérault. On trouvera dans la monographie de ce département des détails complets, et dans les Sélections un résumé de la question. L’ensemble du département a donné pour 776 cantonaux, c’est-à-dire sujets dont les parents étaient d’un même canton : longueur 187, largeur 152, indice 81.5, et pour 70 intercantonaux 189, 150, 79.8. Les dimensions absolues sont différentes en sens inverse, les longueurs plus grandes et les largeurs plus petites dans la seconde catégorie. On trouvera dans les Lois fondamentales divers chiffres relatifs à d’autres séries d’intercantonaux et d’interdépartementaux.

Dans la monographie de l’Aveyron, il y a peu d’indications nouvelles, parce que les mensurations ayant été prises à un moment où on ne prévoyait pas la possibilité de tirer parti des sujets d’origine mixte, on avait négligé d’en mesurer des séries. Cette omission ne s’est pas répétée depuis, et à Rennes notamment, où j’ai mesuré environ 3.500 conscrits, j’ai obtenu d’importantes séries. Dès à présent, pour 75 cantonaux d’Ille-et-Vilaine, je trouve les résultats suivants : 185, 158, 85.3, et pour 75 intercantonaux 187, 155, 82.9. À part les dimensions absolues, moindres dans l’Ille-et-Vilaine, les résultats sont les mêmes que dans l’Hérault.

Les mensurations de conscrits faites dans l’Ille-et-Vilaine il m’ont donné quelques séries d’interdépartementaux, la plupart insuffisantes comme nombre de sujets. On trouvera dans le tableau ci-joint l’indice de ces séries, et la moyenne des indices des départements d’origine des parents[10].

DÉPARTEMENTS D’ORIGINE  SUJETS INDICE Moyenne des
ind. des
dep. d’origine
Ille-et-Vilaine — Morbihan 28 82.5 82.8
Ille-et-Vilaine — Côtes-du-Nord 66 82.9 83.6
Ille-et-Vilaine — Loire-Inférieure   9 84.5 83.7
Ille-et-Vilaine — Mayenne 13 83.7 83.9
Ille-et-Vilaine — Finistère 14 81.7 82.6
Ille-et-Vilaine — Manche   9 83.4 83.4
Finistère — Côtes-du-Nord   5 81.3 82.8
Mayenne — Côtes-du-Nord   5 82.6 83.3
Morbihan — Côtes-du-Nord   7 82.5 82.7
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 ENSEMBLE 159 82.7 83.2

Les résultats fournis par les intercantonaux et les interdépartementaux sont plus nets que ceux des séries de migrateurs, parce que ces derniers représentent la migration actuelle, facile et en partie contrainte, tandis que les premiers représentent des éléments plus anciennement mobilisés. Parmi les migrateurs mesurés dans l’Ille-et-Vilaine beaucoup étaient fraîchement arrivés des campagnes du Morbihan ou d’ailleurs pour se placer comme domestiques dans les fermes des environs de Rennes. Les produits d’unions mixtes supposent au contraire que l’un de leurs parents au moins avait déjà quitté son pays dès la période 1872-1876. Je n’ai jamais recherché les sujets provenant d’unions entre originaires de départements très éloignés : il est très difficile, quand on opère dans l’Ouest, d’arriver à une série suffisante de sujets Calvados-Vaucluse, ou Ardennes-Ariège. Mes registres contiennent cependant une assez grande quantité de ces interdépartementaux d’origines très lointaines, mesurés au conseil de révision, où l’on prend tout le monde. La plupart sont de véritables déracinés, dont les parents représentaient eux-mêmes des croisements régionaux fort divers, La plupart aussi appartiennent à la classe nomade des fonctionnaires, aux professions libérales, commerciales ou industrielles. Je trouve pour 30 sujets de cette catégorie, mesurés à Rennes ou dans les cantons voisins, les données suivantes : 194, 156, 81.0. Les dimensions absolues sont énormes, la longueur surtout, et l’indice plus bas que celui de toute autre catégorie, inférieur de deux unités à la moyenne nationale. Cet indice de 81 est à peu près le même dans quelque région de la France que l’on mesure des séries de semblables déracinés. Je crois que l’indice des éléments complexes, qui ne se rattachent plus à aucune région, varie entre 80.5 et 82, suivant les catégories sociales. La classe qui devrait tendre le plus à se rapprocher de la moyenne, si la tendance à la péréquation n’était combattue par les aptitudes de race, est donc précisément celle qui s’abaisse le plus au-dessous de cette moyenne.

Loi de concentration des dolichoïdes.Les éléments migrateurs sont attirés par les centres de dolichocéphalie, qui s’enrichissent d’autant en dolichoïdes.

Cela ne veut pas dire que le dolichoïde attire le dolichoïde, mais que le second dolichoïde est attiré par la même cause que le premier. Je renvoie à Fundamental laws, p. 82 et suiv., et aux Sélections, ch. XIII. Je n’ai pas de matériaux nouveaux à ajouter.

Je rappelle que la loi d’Ammon est un cas particulier de la loi de concentration. Elle peut être ainsi formulée : Dans les régions où le type brachycéphale existe, il tend à se localiser dans les campagnes, et les types dolichoïdes dans les villes.

Loi d’élimination urbaine.La vie urbaine opère une sélection en faveur des éléments dolichoïdes et détruit ou élimine les éléments les plus brachycéphales.

De ceux qui immigrent dans les villes la plus grande partie périt sans descendants ou est remportée par ce qu’on appelle le courant de retour. Ainsi parmi les conscrits de Karlsruhe, Ammon a trouvé que les nombres des immigrés, des fils d’immigrés et des fils d’urbains étaient respectivement 615, 119 et 48. De même à Fribourg 403, 80 et 48. Les éléments dolichoïdes sont ceux qui parviennent le mieux à prendre pied. Ainsi à Karlsruhe le pourcentage des indices au-dessous de 85 s’élève de 66.6 parmi les immigrants à 81.6 parmi les fils d’immigrants et à 87.6 parmi les fils d’urbains. À Fribourg, même progression : 68.7, 72.3, 85.2. Réciproquement le pourcentage des indices de 83 et au-dessus décroît de 32.3 à 18.4 et 12.4 ; à Fribourg les proportions sont 31.3, 17.7, 14.8.

Les calculs ne sont pas terminés pour Rennes, mais les résultats sont identiques comme sens général.

Cette question de l’adaptation à la vie urbaine est distincte de celle de l’aptitude des populations urbaines à se maintenir par reproduction directe, mais elle lui est connexe. De nombreuses discussions ont eu lieu récemment, dans lesquelles on a confondu les deux questions. Je ne veux pas insister sur ces controverses, mais je crois utile de remarquer que les conditions de la natalité et de la mortalité urbaines se modifient en ce moment d’une manière qui rend difficile la comparaison du passé et du présent. Une véritable révolution a été opérée par les progrès de l’artillerie d’un côté, ceux de l’industrie de la traction électrique de l’autre. Les villes ont brisé leurs ceintures de fortifications, devenues inutiles, et se diffusent dans la banlieue, sans qu’il soit possible de délimiter la région urbaine et la région rurale. Les tramways de pénétration permettent d’autre part aux personnes de profession urbaine de se loger au dehors, le long des routes parcourues par les lignes de tramways. Il résulte de ce double fait une amélioration considérable des conditions de la vie matérielle des urbains et un mélange sans cesse plus complexe des habitations des urbains par profession et des ruraux. Les statistiques ne peuvent plus prendre pour base des circonscriptions déterminées, et les chances de mort, sinon de naissance, se trouvent profondément modifiées. Il faudra donc désormais attacher de plus en plus d’importance à la condition sociale de l’individu, et de moins en moins d’importance à son domicile. En d’autres termes, les recherches devront être dirigées surtout du côté de l’anthropologie de classe.

Loi de stratification.L’indice céphalique va en diminuant et la proportion des dolichocéphales en augmentant des classes inférieures aux supérieures dans la même localité. La taille moyenne et la proportion des hautes tailles augmentent des classes inférieures aux supérieures.

J’ai publié dans les Sélections quelques documents relatifs à l’anthropologie de classe. Depuis cette époque il a été publié de nombreux documents de même nature. Ils ne donnent que des résultats partiels, sauf les statistiques de Livi, mais leur nature est trop précieuse pour que je me borne à les mentionner.

Je reproduis d’abord une section des Matériaux pour l’anthropologie de l’Aveyron, qui complète les données relatives à ce département contenues dans les Sélections.

Les statistiques publiées en 1869 par Durand de Gros avaient donné une première indication concernant la différence d’indice des classes. Elles attribuaient aux urbains lettrés de Rodez l’indice 82.78, aux illettrés 83.96. En combinant les données de 1869 avec celles des Matériaux, on arrive pour le canton de Rodez à la hiérarchie suivante : classe lettrée 82.7, ouvriers 84 environ, paysans, différence d’âge prise en compte, à peu près 86 ou 86.5, ce dernier chiffre correspondant aux communes éloignées. Le crâne de la classe lettrée est plus volumineux, 187, 155.

Nous disposons d’un document plus curieux. Ce sont les mensurations de 112 élèves des établissements d’enseignement secondaire de Rodez, 23 du lycée, 89 des deux établissements ecclésiastiques. L’indice des lycéens est fort élevé, 87.31. En déduisant une unité pour la différence d’âge avec les adultes qui servent de terme de comparaison, il reste un indice égal à la moyenne du département ou à peine plus faible. Les élèves des deux établissements dirigés par des religieux donnent 85.46. Ensemble nos 112 collégiens donnent 85.84.

Les sériations sont curieuses, et confirment les moyennes.

Les élèves congréganistes donnent une forte proportion de faibles indices, qui détermine l’abaissement de la moyenne. On sent qu’à l’élément analogue à celui qui fréquente le Lycée se joint un élément de conformation crânienne plus relevée.

Le crâne de nos lycéens n’a pas acquis ses dimensions adultes. Dans la série se trouvent réunis des âges divers, depuis 13 jusqu’à 20 ans. Cependant les dimensions absolues sont déjà très supérieures à la moyenne du département, 184.3 et 161 au lieu de 182 et 157. Le volume crânien, au sujet duquel je faisais encore naguère des réserves (Sélections, p. 113 et s.), est bien décidément un critérium de premier ordre pour distinguer les éléments supérieurs des autres, surtout dans une population homogène. C’est ce qui résulte d’une foule de documents récents, et on en verra plus loin des exemples.

Nous pouvons comparer à nos lycéens une série de 33 élèves de l’École normale de Rodez, aveyronnais d’origine. L’indice céphalique est très élevé, 87.60, ce qui est beaucoup pour une catégorie de jeunes gens dont l’âge moyen n’est pas beaucoup au-dessous de celui des conscrits. Les normaliens, plus âgés en moyenne que les lycéens, ont un tiers d’unité de plus. Ils représentent, en somme, une catégorie un peu au-dessous comme origine sociale, mais ils sont très nettement séparés par leurs dimensions céphaliques absolues de la classe dont ils sortent. La longueur est 185.4, la largeur 162.4. Bien qu’immatures, les futurs instituteurs ont déjà un excédent de 5 millimètres sur la longueur, et de plus de 5 millimètres sur la largeur. Il est probable qu’à l’âge adulte l’indice ne différerait guère de celui de la population générale, et serait d’environ 86 ou 86.2, mais l’excédent des dimensions absolues ne pourrait que croître et atteindre à peu près un centimètre pour chaque dimension.

Il ne faudrait pas croire cependant que nos normaliens aient la tête plus volumineuse que les élèves de l’enseignement secondaire. Si l’on exclut, en effet, les plus jeunes de ceux-ci, on trouve pour dimensions absolues des lycéens : 20 ans 187.6, 161 ; 19 ans 186, 161 ; 18 ans 187.6, 160.

Au point de vue de la taille, la différence des classes est très marquée.

11 lycéens de 20 ans 1.660
16  19 — 1.643
22  18 — 1.641
20  17 — 1.640
20  16 — 1.622
10  15 — 1.551
Conscrits 20 1.638

Les lycéens atteignent donc entre 16 et 17 ans la taille moyenne des conscrits, et à 20 ans ils ont 22 millimètres de plus. Cette différence est due en partie au régime, déterminant un développement plus précoce, mais on peut supposer qu’elle est aussi due en partie à des causes héréditaires.

La sériation des tailles est bien aléatoire, étant donné le faible nombre des sujets. Elle est cependant suggestive.

 20 ans 19 ans 18 ans Conscrits
180 et +   0.65
175 – 179   9.09   9.00   4.56
170 – 174 18.18 12.50 27.27 12.70
165 – 169 45.45 43.75   9.09 28.99
160 – 164   9.19 25.00 27.27 27.67
155 – 159   9.00 12.50 13.63 19.54
154 et –   9.00   6.25 13.74   5.86

On reconnaît la présence, chez les collégiens, d’un élément de haute taille, et, chose curieuse, il semble que les plus grands à 18 ans sortent alors du lycée. Cet élément correspondrait aux élèves les plus avancés dans leurs études. Le même phénomène a été observé dans de nombreux établissements d’Europe et d’Amérique.

Les normaliens donnent les résultats suivants :

14 sujets de 20 ans et + 1.609
  8  19 — 1.642
  8  18 — 1.646
  3  17 — 1.623

Les normaliens sont donc, dès avant vingt ans, plus grands, mais de fort peu, que les conscrits. Ceux de 20 ans et plus sont au contraire très au-dessous de la moyenne, comme si les plus petits étaient en même temps arriérés dans leurs études. Les normaliens sont plus petits, pour chaque âge, que les lycéens.

Le mémoire de Muffang, Écoliers et paysans de Saint-Brieuc, contient une foule de documents et de tableaux relatifs à l’anthropologie de classe. J’y prends seulement quelques données.

J’ai déjà signalé la différence d’indice des lycéens et des écoliers, également issus de parents briochins : 82.34 pour les premiers, 84.33 pour les seconds, les conscrits ruraux ayant 85.4 en moyenne. Une série de 81 lycéens internes a pour indice 83.01, une de 47 externes 82.17.

À Saint-Brieuc comme à Rodez, les élèves de l’établissement ecclésiastique ont plus de tendance à la dolichocéphalie que ceux du lycée, et chose curieuse, les lycéens de l’enseignement moderne tendent plus à la dolichocéphalie que les élèves de latin. Les normaliens ont également des indices plutôt supérieurs à ceux des conscrits, dont ils diffèrent d’ailleurs par leur crâne volumineux. C’est ce qui résulte du tableau de pourcentage suivant :

L’École ecclésiastique Saint-Chartes reçoit des élèves appartenant en général à des milieux sociaux plus élevés. L’élévation relative de l’indice des lycéens, section classique, est due en partie à la présence de fils d’instituteurs, très brachycéphales et à crâne volumineux.

Le tableau suivant, basé sur 10 sujets de chaque catégorie, n’est pas moins suggestif :

Il est évident que le médecin représente un niveau supérieur à celui du notaire, simple praticien d’ordinaire. Quant à l’instituteur, recruté par une sélection basée surtout sur la mémoire, il représente assez exactement l’aristocratie intellectuelle de la classe rurale.

Muffang a trouvé qu’en classique les meilleurs élèves sont plus brachycéphales, 83.8 contre 82.7. À Saint-Charles, au cours préparatoire pour la marine, et au Lycée, enseignement moderne, ce sont au contraire les dolichocéphales qui réussissent le mieux. Il semble que le psittacisme soit une condition de succès dans l’enseignement classique, — on s’en était toujours douté ! — et que les esprits grégaires recherchent de préférence cet enseignement, parce qu’il a le prestige de l’ancienneté. Il n’y a pas dans les résultats obtenus à Saint-Brieuc qu’un simple hasard. À Liverpool, dans le grand-duché de Bade, aux États-Unis on a trouvé des résultats identiques. Les esprits actifs fuient le latin, les passifs le recherchent, et partout l’élément fort en thème est plus brachycéphale.

L’élaboration des matériaux considérables que j’ai recueillis en Bretagne apportera un sérieux contingent à l’anthropologie de classe. Elle n’est pas encore très avancée, mais quelques résultats partiels suffiront à montrer la direction générale de la sélection.

Les quatre catégories du tableau suivant correspondent chacune à 100 conscrits de Rennes : 1° étudiants, séminaristes, instituteurs ; 2° employés d’administrations, de commerce, comptables, typographes, entrepreneurs, musiciens, armuriers, etc. ; 3° boulangers, brossiers, charrons, tailleurs, jardiniers, serruriers, garçons de café, valets de chambre, maçons, etc. ; 4° cultivateurs.

À mesure que le niveau social s’élève, la longueur du crâne augmente, la largeur restant à peu près la même. L’indice s’abaisse par suite, en même temps que le volume absolu augmente.

Pour la Suisse, Chalumeau, opérant sur l’ensemble des recrues de 1884 à 1891, est arrivé à des résultats analogues (Influence de la taille humaine sur les fonctions des classes sociales, dans Pages d’histoire publiées à l’occasion du jubilaire du Prof. Vaucher, et tirage à part, Genève, Kündig, 1896), La statistique ne porte, et c’est regrettable, que sur la taille. Les individus de haute stature (la haute stature commence pour lui à 71, et non à 70), font plus de 30 % des médecins, ecclésiastiques, étudiants, avocats, vétérinaires, architectes, ingénieurs, pharmaciens, brasseurs, instituteurs, marchands. La proportion descend graduellement de 47 % chez les médecins à 31 chez les marchands. Les professions correspondant à notre deuxième catégorie ont presque toutes de 30 à 20 %, et celles de la troisième sont comprises entre 20 et 7 %, à l’exception des bouchers et tanneurs 24 %, des asphaltiers, charpentiers, parqueteurs et charretiers 23 %, toutes ces professions exigeant de la taille et de la force[11].

Ammon a comparé les conscrits et les lycéens badois, de la division des grands, catégorie par catégorie, les originaires des grandes villes aux originaires des grandes villes, les immigrés aux immigrés, etc. Je résume son chapitre XX.

Les conscrits ruraux ont une taille de 165.2, les urbains, tant immigrés que natifs des grandes villes n’atteignent que 165.4. Les lycéens des trois classes supérieures, originaires de la campagne, ont 2.6 de plus que les conscrits de catégorie correspondante, les fils d’immigrés et les fils d’urbains atteignent 4.9 et 4.3 de plus que les conscrits des catégories correspondantes. Or les lycéens ont à peu près deux ans de moins que les conscrits.

Pour l’indice, Ammon a trouvé chez les lycéens, division des grands : fils d’urbains 80.97, au lieu de 82.38 chez les conscrits fils d’urbains ; fils d’immigrés 80.85 au lieu de 82.43 ; ruraux d’origine 83.83 au lieu de 83.3.

Malgré la différence d’âge, les dimensions absolues sont plutôt en faveur des lycéens, la longueur en tout cas est bien plus forte, et la largeur moindre indique qu’il s’agit bien d’une différence de race.

En Pologne, Olechnowitz a trouvé, dans la commune de Grabowo, l’indice céphalique de la petite noblesse supérieur à celui des paysans, 82.6 chez les hommes contre 81.3, 82.8 chez les femmes contre 80.7. La série de la petite noblesse comprend 100 hommes et 45 femmes, celle des paysans 38 hommes et 9 femmes. Je ne sais pas exactement dans quelle catégorie sociale classer une noblesse qui a au moins 145 représentants dans une seule commune, mais je note le renseignement (v. Anthr., 1896, vii, 351).

En Angleterre, la différence de classe s’accuse plutôt par celle des dimensions absolues. Muffang a obtenu les moyennes des élèves de l’école primaire, du collège d’enseignement secondaire et de l’Université de Liverpool.

L’indice de 86 étudiants est 78.0, celui de 485 élèves de l’enseignement secondaire 79.01, celui des 148 garçons de l’école primaire 77.9. La taille et les dimensions absolues sont notablement plus fortes, à âge égal, chez les premiers que chez les seconds, et chez les seconds que chez les troisièmes. Pour plus de détails, et surtout pour l’étude de l’inégalité des dimensions chez les élèves forts et faibles, voyez le mémoire de Muffang, Écoliers et étudiants de Liverpool, Anthrop., 1899.

Les immenses statistiques de Livi n’ont qu’un intérêt relatif pour notre sujet. Europæus est rare en Italie, Alpinus est peut-être moins commun que les dérivés du Dinaricus, et meridionalis constitue l’élément dolichocéphale de beaucoup prédominant. Je reproduis donc seulement à titre de comparaison le tableau suivant, extrait des statistiques de Livi et emprunté à Fundamental laws.

Livi a publié récemment un travail consacré à l’étude des rapports de la taille et du périmètre thoracique avec les professions (Dello sviluppo del corpo, in rapporto colla professione e colla condizione sociale, Roma, Voghera, 1897). Ce travail contient des données très détaillées.

Loi des intellectuels.Le crâne des intellectuels est plus développé dans toutes ses dimensions, et surtout en largeur.

Les dimensions absolues du crâne sont toujours supérieures dans les catégories sélectionnées, mais chez les éléments les mieux doués au point de vue de l’intelligence il y a fréquemment une exagération de largeur.

Broca distinguait parmi les sujets à indice élevé les eurycéphales, à crâne exceptionnellement élargi, et les brachycéphales, à crâne normalement large. Le premier caractère est individuel ou familial, le second est caractéristique de race. On reconnaît aisément l’eurycéphale à la longueur absolue, qui est au moins égale à celle des dolichocéphales de sa race.

On comprend que le développement du cerveau antérieur, surtout chez les dolichocéphales à suture métopique persistante, aboutisse à un élargissement de la partie antérieure de la boîte crânienne et à une augmentation de l’indice. En général cette hypertrophie se produit pendant la période utérine ou pendant la première enfance, mais quelquefois elle se continue toute la vie. Gladstone et de Candolle sont des exemples bien connus de ce phénomène, que j’ai pu observer sur moi-même et suivre d’année en année. Quand le même phénomène se produit chez un brachycéphale, il exagère sa brachycéphalie, mais la longueur maxima reste toujours courte.

Cette modification nous explique pourquoi les plus laborieux travailleurs intellectuels ont souvent un indice plus élevé qu’on ne serait porté à le supposer. En Angleterre, la classe intellectuelle a un indice légèrement plus élevé que la moyenne. De même les instituteurs qui chez nous se recrutent surtout dans la classe la plus brachycéphale exagèrent la brachycéphalie de leur race, et les fils d’instituteurs qui constituent en tous pays une forte proportion des boursiers présentent la même anomalie. Ce ne sont d’ailleurs pas toujours ces gros cerveaux, aptes à emmagasiner un amas de connaissances, et à fournir une somme anormale de travail, qui brillent par les qualités les plus remarquables. Leurs possesseurs sont d’excellents élèves, parfois de bons professeurs, mais ils manquent presque toujours des qualités maîtresses qui font un homme, et ils sont peu portés aux idées nouvelles. On peut les ranger hardiment parmi les esprits de la seconde catégorie.

Je n’insisterai pas, ayant dans les statistiques précédentes souligné avec soin les cas d’exagération du volume cérébral ou d’excès de largeur chez les catégories sélectionnées.

Loi de l’accroissement de l’indice.Depuis les temps préhistoriques, l’indice céphalique tend constamment et partout à s’élever.

J’ai signalé de nombreux exemples de cette loi, une des mieux constatées de l’anthroposociologie. Le phénomène paraît dû à l’accroissement constant de la proportion des brachycéphales, plus dociles et présentant par suite plus de chances d’être bien vus et protégés par le pouvoir, dans une civilisation où la subordination de l’individu va sans cesse croissant. Il peut y avoir cependant autre chose dans ce phénomène si général. J’ai montré dans ma Phylogénie des Carabus que dans toutes les branches de la généalogie l’évolution se fait d’après une même pente, vers des formes à élytres lisses et à pores sétigères oblitérés. Une force interne, parfaitement indépendante de toute sélection, détermine ainsi une évolution parallèle et plus ou moins convergente. Il est possible que chez l’homme il existe quelque chose d’analogue, et que des raisons mécaniques ou chimiques tendent à donner au crâne une forme plus large.

Nécessité d’un recensement anthropologique. — Je terminerai par quelques considérations générales. Si merveilleuses que soient ces lois, nous ne sommes qu’au début des découvertes. Il en reste beaucoup qui ne sont même pas soupçonnées. La nécessité d’un cadastre anthropologique complet de chaque état s’impose, et s’il est bien fait, il donnera des résultats politiques dont l’importance peut à peine être prévue. En Italie, où l’on rédige à l’arrivée de la recrue à son corps un bulletin spécial qui est envoyé au Ministère de la guerre, on pourrait dès à présent faire de bon travail, si l’Italie n’était pas, en raison de la composition de sa population, un pays d’exception. Les recherches faites au conseil de revision dans le Grand Duché de Bade sont condensées dans l’Anthropologie der Badener d’Ammon, qui est le chef-d’œuvre du genre. On procède dans d’autres États à des statistiques de même nature, mais je constate avec regret qu’en France, à part Collignon et moi, personne ne parait désireux d’imiter cet exemple. Les personnages officiels se soucient peu de recherches qui n’ont point d’intérêt électoral, et je doute que de longtemps ministres et préfets se donnent la peine de comprendre la nécessité et la portée de ces recherches.

Je dois même le dire, et cela pour établir certaines responsabilités, si les recherches d’initiative individuelle ont donné jusqu’ici des résultats imparfaits et incomplets, c’est parce que les opérateurs ont rencontré rarement la bienveillance nécessaire. Il faut rendre aux Français cette justice qu’ils mettent la plus grande bonne volonté à se laisser mesurer. J’ai mesuré plus de dix mille conscrits, et je n’ai pas rencontré plus de cinquante cas de mauvaise volonté. J’ai mesuré des ouvriers dans les mines, des paysans dans les champs et des passants sur les routes. Partout j’ai rencontré la même condescendance narquoise, et souvent un concours très empressé, très actif, quand j’avais le temps de montrer l’intérêt des mesures. Ce sont des conditions très favorables, que l’on ne rencontre pas dans tous les pays. Chaque fois, au contraire, qu’il m’a fallu une autorisation quelconque d’un personnage officiel, chef d’institution ou préfet, cette bonne volonté s’est montrée chancelante ou timorée, quand je ne me heurtais pas à un refus formel. De nombreuses recherches ont été empêchées, soit par caprice, par besoin d’affirmer son pouvoir en refusant quelque chose, soit par crainte de déplaire à des personnages plus influents. D’autres ont été arrêtées après avoir été poussées presque jusqu’au bout, et un travail énorme est devenu stérile. Il était d’ailleurs évident que tous ces personnages se trouvaient désorientés par le seul énoncé de recherches dont ils n’avaient point entendu parler, et dont les résultats possibles leur semblaient hérétiques.

Dans le monde intellectuel et surtout chez ceux qui se croient avancés parce qu’ils ne retardent guère de plus d’un siècle, l’anthroposociologie rencontre une infinité d’adversaires, d’une bonne foi souvent suspecte. Il serait difficile d’exiger que des gens imbus de préjugés surannés, mais reçus d’une manière officielle, prêtent la main à la destruction des erreurs qui leur sont chères. Il serait peut-être honnête de leur part de ne pas mettre des entraves aux recherches de leurs adversaires, pour leur objecter en même temps la valeur seulement locale ou partielle des résultats obtenus. Cette manœuvre est équivalente à celle qui consiste à favoriser en sous-main l’œuvre des phosphatiers pour arriver à diminuer le nombre des gisements pléistocènes utilisables en préhistoire, mais tandis que la seconde est familière surtout aux catholiques, et part d’une idée élevée en soi, qu’il faut empêcher le développement des notions contraires à l’enseignement de l’Église, et par suite nécessairement erronées, ce sont au contraire les rationalistes de toute catégorie qui se mettent en travers des applications du darwinisme à la science sociale. J’en suis même arrivé à constater que le darwinisme social trouve moins d’hostilité chez les cléricaux eux-mêmes que chez les prétendus libres-penseurs. Ces derniers sont bien mal appelés, car ils n’admettent point que les darwiniens et les monistes en général aient le droit de penser autrement qu’eux, et de faire la preuve de ce qu’ils affirment. On a trouvé, que j’avais été, dans la préface du Monisme, un peu dur pour cette catégorie de sectaires. Il serait impossible de l’être plus qu’ils ne le méritent.

Cette mesquine résistance est bien inutile. Les efforts des églises chrétiennes n’ont pas empêché le darwinisme de triompher dans les sciences naturelles, tous ceux de l’église de la Révolution ne l’empêcheront pas d’envahir les sciences sociales, et probablement de dicter les lois d’une conduite rationnelle des peuples. Ces efforts d’ailleurs, ne peuvent avoir de résultats efficaces que dans notre pays, car l’influence des doctrines de l’autre siècle est bien médiocre au dehors. Dès lors, leur inutilité est évidente et complète. La science est universelle, et la découverte que l’on aura pu empêcher sur un point se fera sur un autre. Si les tentatives faites pour arrêter mes premiers débuts avaient réussi, et si je n’avais pas écrit une ligne, l’anthroposociologie aurait été fondée a Karlsruhe en 1810 par Ammon, au lieu de l’être en 1886 à Montpellier, mais cette science n’en serait pas moins exactement au même point au moment où s’impriment ces lignes. Et quand, à l’heure actuelle où les sélectionnistes sont à l’œuvre sur le globe entier, où le sélectionnisme est introduit dans la législation américaine sous ses formes les plus difficiles à accepter, j’assiste à ces vaines tentatives, j’ai plutôt pitié des pauvres arriérés qui dans leur ignorance essaient d’arrêter la mer montante avec de petits pâtés de sable !

La Genèse des grands hommes d’Odin. — Parmi les livres publiés depuis les Sélections sociales, et qui se rapportent à l’anthroposociologie, il en est un qui me parait mériter les honneurs d’une étude spéciale, c’est la Genèse des grands hommes d’Odin (Paris, Welter, 1897). L’auteur, professeur à l’Université de Sofia, est mort aussitôt après l’impression de son travail, qui malgré sa valeur, est passé presque inaperçu.

Il faut louer Odin d’avoir compris que les événements historiques sont soumis à des lois d’une complexité extrême mais n’échappent pas à la nécessité d’un déterminisme absolu, ou qui paraît absolu, thèse nécessaire si l’on rejette l’intervention du surnaturel dans les actes de l’homme. Il n’y a pas d’exception, mais seulement des cas qui ne sont point identiques. Dans ces conditions, et dans ces conditions seulement l’histoire peut faire l’objet d’une science véritable. Marxiste, Odin fut trop dominé par la conception économique de l’histoire, chère à Marx et à Engels. Il tomba par suite dans les excès de simplisme de ses devanciers de l’école historique matérialiste, que je préférerais appeler moniste s’il ne convenait de respecter l’usage adopté, et de réserver ce dernier nom à une école déterministe plus large, reconnaissant en dehors des causes économiques d’autres causes en nombre infini, parmi lesquelles celles qui résultent de la nature même de l’homme, de la race et de l’hérédité, jouent un rôle plus considérable encore. Pour que le gland devienne un chêne, il faut un sol favorable, l’intervention de la chaleur et celle de l’eau, mais il faut d’abord qu’il porte en lui la force de l’hérédité.

Dans sa Genèse, Odin recherche les causes qui ont déterminé la production des hommes de lettres, et surtout des écrivains de génie. Il étudie les différentes conditions d’hérédité et de milieu. Il attribue au milieu éducateur la plus grande influence, et une influence secondaire aux milieux sociaux et économiques. Pour lui, l’énorme inégalité des classes au point de vue de la production des hommes de lettres, déjà constatée pour les savants par de Candolle, provient surtout de ce que certaines classes sont plus à portée, par leurs habitudes urbaines, leur aisance, leur éducation habituelle, de donner à leurs enfants la culture sans laquelle le plus grand génie ne peut devenir ni un savant ni un lettré. Certaines choses l’embarrassent, par exemple le peu de fécondité de la classe bourgeoise en hommes de lettres, et il s’en tire par des explications sans valeur.

Ce n’est pas qu’Odin méconnaisse l’influence de la race anthropologique. Il n’est pas loin d’admettre que cette influence est très grande dans la formation des classes, et agit ainsi d’une manière indirecte sur la production des hommes de lettres, mais il n’a aucune notion des travaux postérieurs à ceux de Galton et de Candolle, sauf peut-être quelques généralités rencontrées dans des mémoires récents de Fouillée. Cette indépendance absolue des recherches d’Odin donne un bien plus grand prix aux résultats de ses statistiques, exposées avec une belle netteté dans tout un second volume de tableaux, de diagrammes et de cartes, qui constituent un modèle à ce genre de recherches.

Odin arrive à constater que l’immense majorité des hommes de lettres est née dans les centres urbains, ou dans les châteaux, que les villes universitaires sont d’une fécondité remarquable, et que les classes les plus fécondes sont la noblesse et la robe, puis les professions libérales, la bourgeoisie ne produisant guère plus de lettrés que la main d’œuvre. En somme, les hommes de lettres sortent surtout, pour ne pas dire d’une manière presque exclusive, des milieux où nous avons vu l’indice plus faible et le crâne plus volumineux.

Je vais analyser les principaux documents contenus dans le second volume de la Genèse, celui qui survivra, je ne dis pas seulement au premier, dont la doctrine est parfois faible, mais à tous les travaux de même nature exécutés jusqu’ici.

La carte de la fécondité des départements en gens de lettres (pl. VIII), nous montre la région féconde limitée au sud par une ligne allant de Coutances à Genève. C’est la partie la plus aryenne de la France. Il n’y a que deux exceptions correspondant l’une au massif vosgien, l’autre à ce que l’on a nommé la Suisse normande, deux contrées où l’indice varie entre 85 et 88. Au sud de la ligne, nous ne trouvons de contrées fécondes que sur le littoral de la Méditerranée, de Narbonne à Marseille, autour de Toulouse, de Lyon et de Bordeaux, centres urbains de grande importance qui ont toujours concentré une proportion anormale d’éléments sélectionnés. Genève forme un centre artificiel très important, dû à la présence des réfugiés protestants. La carte correspond, d’une manière générale, à la carte anthropologique de la France, telle qu’elle a été dans les siècles passés, plutôt qu’à celle de nos jours. Les données actuelles de l’anthropogéographie permettent aussi de résoudre certaines difficultés insolubles pour l’auteur. Odin se demande ainsi pourquoi la partie féconde des Côtes-du-Nord est la partie française, et pourquoi dans le Morbihan c’est l’inverse. C’est que dans le premier département, c’est la partie française de langue qui est dolicho-blonde (Dinan), et inversement dans l’autre. Odin a donc tort d’en conclure, t. I, p. 469, que la race n’y est pour rien : encore une fois la langue ne fait pas la race.

Le tableau XX et le diagramme XIV nous montrent que les gens de lettres de talent protestants font, à l’origine, un tiers de l’ensemble, et encore 8 ou 9 % à la fin du xviiie siècle, à un moment où il ne restait presque plus de protestants en France. L’auteur a d’ailleurs su remarquer que cette supériorité était due en partie à ce que les protestants étaient en proportion infiniment plus forte dans les classes élevées, comme ils le sont encore, et aussi les Juifs.

Le tableau XXVI, le diagramme XVII et la carte XVIII illustrent d’une manière remarquable le fait que l’immense majorité des hommes de lettres sont nés dans les chefs-lieux.

Les tableaux XXX à XXXIII, et les graphiques XXII à XXIV sont consacrés à l’exposition de la fécondité relative des classes sociales en hommes de lettres. Ils méritent une étude détaillée.

Le graphique XXIV nous montre la proportion de gens de lettres de talent relativement à la population totale de chaque classe, pour la France, la Suisse romande et la Belgique. Si la qualité d’homme de lettres en général peut être due à l’action du milieu, à l’imitation, il n’en est pas de même du talent. On l’apporte en naissant. La noblesse a fourni en chiffres absolus 159 noms, la magistrature 187, les professions libérales 143, la bourgeoisie 72, la main d’œuvre 6l, en tout 623. Ces chiffres ne prennent leur valeur qu’en les rapportant au nombre absolu des individus composant chaque classe sociale. C’est là le côté délicat du calcul. Odin arrive ainsi aux chiffres suivants : noblesse 159, magistrature 62, professions libérales 24, bourgeoisie 7, main d’œuvre 0.8. Ces coefficients représentent d’une manière assez légitime la valeur littéraire des trois premières, et même de la quatrième classe, qui n’était non plus ni illettrée ni besoigneuse. Il est évident que pour la dernière il y a à tenir compte d’une forte proportion inconnue d’hommes de talent qui ont péri dans l’ignorance et la misère. C’est à peu près ainsi que de Candolle est arrivé à trouver (v. Sélections, p. 38-39), que la valeur scientifique de la classe supérieure est 20 fois celle de la moyenne, et celle-ci 10 fois celle de la classe inférieure. II est très suggestif de voir la courbe tomber presque à pic de la noblesse à la magistrature, qui comprend cependant elle-même la noblesse de robe, et s’abaisser ensuite de plus en plus doucement jusqu’à la main d’œuvre.

Ces résultats nous déroutent un peu. Exacts pour les temps passés, jusqu’aux hommes nés vers 1825, ils le seraient moins aujourd’hui. La magistrature et les professions assimilées (notariat, barreau) sont loin de briller aujourd’hui par leur valeur intellectuelle. C’est un axiome très reçu que si un bachelier n’est ni intelligent ni travailleur, sa place est à l’école de droit, et quand il est licencié, ce qui n’use ni ne meuble beaucoup son cerveau, s’il n’est pas assez disert pour faire un avocat, pas assez madré pour faire un avoué, pas assez flexible pour faire un sous-préfet, mais trop honnête pour faire un politicien, la magistrature est ce qui lui convient. Les magistrats d’autrefois ne valaient pas, sur certains points, beaucoup mieux que les nôtres. Ils étaient aussi rogues, amis de la table comme eux, et comme eux décemment paillards, ils n’étaient pas plus incorruptibles, et les épices pouvaient être fortement relevées, mais ils avaient l’avantage incontestable de constituer une classe plus intelligente. Les hommes bien doués n’avaient pas comme aujourd’hui le choix entre une infinité de professions intellectuelles. Les fonctions de robe étaient à peu près la seule issue possible. La fécondité très faible de la bourgeoisie en hommes de valeur s’est relevée peu à peu. Il ne faut pas oublier qu’autrefois toute famille bourgeoise un peu dégrossie ne tardait pas à être anoblie. De notre temps il n’en est plus ainsi, et la bourgeoisie comprend des éléments qui seraient depuis longtemps passés dans la noblesse si le recrutement de celle-ci n’était pas arrêté. Quant à la noblesse, sa valeur intrinsèque parait bien avoir baissé d’une manière constante, depuis la Renaissance jusqu’à nos jours.

Le graphique XXIII nous renseigne d’ailleurs sur ce mouvement de transformation. Pour la noblesse la courbe baisse lentement de 1300 à 1575. À partir de ce moment les naissances d’hommes de talent sont plus rares jusqu’après 1700, il y a un creux très marqué correspondant à la perte des familles qui ont fait l’illustration de Genève et des autres lieux de refuge. La baisse reprend et continue jusque vers 1740. Elle s’accuse fortement, et la courbe ne se relève un peu que pendant la Restauration. Ce second minimum correspond aux talents fauchés par la Révolution avant d’avoir acquis leur complète maturité, et à la diminution absolue des naissances. La magistrature, robins nobles ou roturiers, présente au contraire un maximum triomphant pendant les règnes de Louis XIII et de Louis XIV ; elle s’est substituée à la partie rebelle et fugitive de la noblesse antérieure. À partir de la Révolution la courbe plonge rapidement, c’est le commencement de la période de l’abandon de la profession par les hommes intelligents. Les professions libérales, dont les commencements sont modestes, montent d’une manière presque régulière jusqu’à la Révolution. Elles prennent alors le dessus par un mouvement rapide. La bourgeoisie, dont le mouvement ascensionnel est très faible, ne monte avec un peu de vigueur que depuis 1740 jusqu’à 1800, et redescend ensuite. La main-d’œuvre a une courbe presque horizontale ; malgré le changement des conditions elle ne donne pas plus de naissances d’hommes de valeur en 1825 qu’en 1700.

L’ordre des classes est à l’origine, au Moyen Age : noblesse, robins, professions libérales, bourgeoisie, main-d’œuvre, avec les cotes 50, 31, 10, 6, 4. Il est en 1825 : professions libérales, noblesse et magistrature, bourgeoisie, main-d’œuvre, avec les cotes 35, 18, 18, 15, 13. Cette génération née vers 1825 est celle qui s’est éteinte de nos jours, et qui a été assez peu remplacée, car ce crépuscule de siècle est aussi un crépuscule du talent.

Importance croissante des nations aryennes. — À mesure que la civilisation devient plus intensive, l’aptitude remarquable des Aryens à l’effort continu et calculé leur assure une supériorité plus écrasante sur les autres races. Si l’on pouvait dresser, époque par époque et nature par nature, des statistiques de toutes sortes depuis le xive siècle, on verrait que le rang des nations aryennes tend sans cesse à s’élever, tandis que celui des autres s’abaisse. Il est très curieux de constater ce mouvement même sur des catégories de faits d’une importance secondaire. Il est malheureux que ce mouvement ne puisse être étudié d’une manière continue, même pour les catégories de faits très simples, en raison de la variation incessante du domaine européen des diverses nations. La France n’a guère modifié ses limites depuis Louis XIV, sauf un instant sous Napoléon, les Îles Britanniques n’ont pas varié, la Russie ne s’est guère agrandie en ce siècle que du côté de l’Asie, mais l’Allemagne a subi des vicissitudes extrêmes. L’ancien Empire comprenait l’Autriche et seulement une partie de la Prusse, l’Empire actuel comprend toute la Prusse et ne comprend plus l’Autriche. Quand en 1806 l’hégémonie est passée des Habsbourg aux Hollenzollern, l’Autriche s’est rejointe à la Hongrie et à la Bohème, et depuis la Bosnie s’est incorporée à l’Austro-Hongrie. Une grande partie de l’Italie, d’ailleurs variable, a fait partie jusqu’à nos jours de l’Autriche.

Sous le bénéfice de ces observations, je donne le tableau suivant de l’accroissement de la population depuis 1700 dans les divers états, en ajoutant les prévisions pour 1900 et 1950. Je crois inutile de faire des prévisions à plus longue portée, le rythme de l’accroissement de population étant variable, et l’état de l’Europe trop instable pour que les frontières actuelles puissent durer au delà d’un demi-siècle. Avant ce terme, il est probable que la tendance à l’annexion des états faibles aux plus forts aura fait disparaître une partie des états actuels les chiffres sont empruntés surtout à M. Levasseur.

Ce tableau nous montre, à l’origine, la France au premier rang ; l’Allemagne, plus grande qu’aujourd’hui et comprenant l’Autriche propre, l’égale à quelques centaines de mille âmes près. La Russie ne compte encore que 10 millions d’habitants, et l’Angleterre 9. Sur 100 habitants des grands États, la France en compte 40. Ces chiffres font comprendre la situation prépondérante de notre pays sous le règne de Louis XIV.

À l’heure présente, la France est passée au sixième rang, serrée de près par l’Italie. La Russie est devenue colossale, près de 140 millions. Les États-Unis, qui n’existaient pas il y a deux siècles, viennent ensuite avec 75 millions environ. Dans cinquante ans, la France ne fera plus que 3 % de la population des grandes puissances, aura été dépassée par l’Italie ; elle sera serrée de près par l’Espagne, qui est passée de 10 millions en 1800 à près de 20, et plusieurs états secondaires d’Amérique, le Brésil, le Mexique, marcheront à peu près de pair avec elle. Il est même possible que, malgré l’appel causé par le vide, la population de la France diminue réellement d’ici peu. Nous ne faisons figure que par la réduction de la mortalité, et, si vieux que deviennent nos vieillards, ils ne pourront indéfiniment compenser nos économies d’alcôve.

L’expansion territoriale a été immense. L’Angleterre a dans ce siècle acquis et colonisé l’Australie et d’autres parties de l’Océanie, elle a fait de l’Afrique de nouvelles Indes, et son domaine couvre 31 millions de kilomètres carrés, habités par un quart de l’humanité, environ 410 millions d’habitants. Les États-Unis sont arrivés à posséder plus de 9 millions de kilomètres carrés. La Russie en possède 23 millions, mais dont la moitié ne sont pas utilisables. Ce sont les trois états qui peuvent viser à l’holocratie, et entre lesquels se décidera le sort de l’humanité. Les vastes possessions coloniales de l’Allemagne et de la France sont en grande partie stériles, et à la discrétion de l’Angleterre, maîtresse des mers. On ne peut guère faire état que de l’Algérie. Encore faut-il considérer que la population européenne de ce pays est une très faible minorité, où les éléments non français ou de sang mélangé prédominent, et que tôt ou tard il s’y produira un mouvement séparatiste si l’on continue à vouloir administrer comme un département français ce pays en tous points si différent de la France.

Fig. 29. — Type Europæus.

La richesse immobilière est dans une certaine mesure en rapport avec l’étendue du territoire. Dans les régions étendues il s’établit une certaine compensation entre les terrains fertiles et incultes, riches et pauvres. Les États-Unis ont certainement droit au premier rang. La surface emblavée atteint près de 40 millions d’acres, et tout le sud de l’Union est un centre de production de coton et d’autres denrées sans analogues en Europe. Le sol est en outre d’une prodigieuse richesse en pétrole, en charbon, en fer, en argent. La Russie vient ensuite, avec ses immenses territoires cultivables de Sibérie. La France est plus riche, à surface égale, en raison de l’accumulation des capitaux employés à l’aménagement des terres par les générations précédentes, mais sa superficie utilisable est infiniment moindre. L’Angleterre et l’Allemagne se placent sur le même rang, la première avec une richesse minière incomparablement plus grande, mais avec un sol déprécié pour longtemps par la crise du blé. Dans ces trois pays, la moyenne de la valeur de l’hectare est plus grande, mais la différence d’étendue crée au bénéfice des États-Unis et de la Russie un écart qui ira en s’augmentant à mesure que la terre deviendra plus chère dans ces pays encore neufs.

M. Neymarck a donné au Congrès international de statistique de Pétersbourg l’évaluation des valeurs mobilières dans les principaux pays d’Europe. L’Angleterre tient la tête avec 182 milliards, l’Allemagne n’atteint que 92 milliards, la France, à peu près immobile tandis que l’Allemagne a doublé ses capitaux en trente ans, reste à 80 milliards. La Russie n’arrive qu’à 25 milliards, l’Autriche est à peu près au même niveau à 24.3 ; l’Italie atteint 17 milliards, et la petite Hollande l’égale presque avec 13.6 milliards. Les États-Unis, dont la fortune mobilière est évaluée à 120 milliards, s’intercalent entre l’Angleterre et l’Allemagne et progressent avec une rapidité qui les placera bientôt au premier rang.

Le tableau ci-dessous donne les principaux éléments de la situation financière des grands états en 1897, évalués en millions de francs.

Le développement du budget et de la dette n’est pas toujours en rapport avec la prospérité du pays. La France en est un exemple. Depuis 1880 l’accroissement des valeurs sur lesquelles sont perçus les droits de succession est nul, et comme celui de la population, tend à passer au dessous de zéro. La richesse n’augmente done pas, et cependant le budget et la dette s’accroissent sans discontinuer. Le mouvement du commerce a une signification plus précise. Pour bien apprécier la valeur des chiffres du tableau ci-dessus, que je tire du Statesman’s Yearbook pour 1899, il convient de les interpréter à l’aide de cet autre tableau, emprunté au Journal of Commerce de New-York, 16 mars 1898.



  1. Je n’ai donné dans Les lois fondamentales qu’un résumé très court des corrélations économiques de l’indice céphalique, et je suis encore plus bref ici. J’engage le lecteur à se reporter au mémoire spécial que j’ai consacré à cette question. Il contient une quantité de faits suggestifs et des tableaux considérables (Corrélations financières de l’indice céphalique, R. d’Éc. politique, 1897, XI, 257-279).
  2. Voyez sur ce point Matériaux pour l’Anthropologie de l’Aveyron, Bull., XXI, 1898, p. 30, tir. à part 47-48. On suit très bien au-delà, des limites du département, sur les cartes de la Lozère et de la Haute-Loire et sur celle de l’Ardèche, dressées à l’aide de mes matériaux et de ceux de M. Bourdin.
    J’ai aussi montré, dans Mat. pour l’Anthr. de l’Hérault, une disposition analogue. Pour l’Europe, on peut suivre à l’aide des cartes de Ripley mais l’échelle en est insuffisante.
  3. J’ai repris depuis l’étude de l’Aveyron, en collaboration avec Durand de Gros, dans Mat. pour l’Anthr. de l’Aveyron. Dans le canton de Rodez, les conscrits, presque tous paysans, de la commune chef-lieu, ont pour indice 86.73, ceux des communes suburbaines ont exactement le même indice, à deux centièmes près, 86.71, mais les communes éloignées sont bien plus brachycéphales, 87.71. Dans le canton de Villefranche, le chef-lieu, conscrits presque tous paysans, donne 85.96, les communes purement rurales 86.98.
  4. Études d’Anthroposociologie, Écoliers et paysans de Saint-Brieuc, Rev. int. de Soc., 1897. Muffang a trouvé pour indice de 10 lycéens briochins de père et mère 82.3, de 100 écoliers de l’école laïque 84.3, et de séries de paysans des communes rurales de canton, ensemble cent sujets, 83.0 à 80.2. Le canton nord de Saint-Brieuc, en partie urbain, est moins brachycéphale que le canton sud, qui est rural : Collignon 85.10, 86 05, Muffang 84.74, 83.49. Les premiers calculs pour Rennes me donnent les résultats suivants : 140 fils d’urbains 187, 156, 82.9 ; 50 conscrits issus parents originaires l’un de la commune de Rennes, l’autre d’une commune rurale du canton 187, 154, 82.6 ; 100 conscrits ruraux du canton, parents d’une même commune 84.0.
  5. Je résume les résultats définitifs publiés par Ammon dans le ch. XIII de l’Anthropologie der Badener. Il a été mesuré 865 urbains d’origine et 324 immigrés de la campagne dans les 91 petites villes, 366 urbains et 546 immigrés dans les 9 grandes villes. La proportion de sujets grands (70 et au-dessus) a été de 23.5% chez les ruraux, 23.1 et 23.4 chez les immigrés des petites et des grandes villes, 23.0 et 26.7 chez les urbains des petites et des grandes villes. La proportion croit des ruraux aux urbains des grandes villes. La proportion des dolichocéphales a été : ruraux 10.8 ; immigrés, petites villes 14.2, grandes villes 12.2 ; urbains, petites villes 14.5, grandes villes 23.3. Celle des brachycéphales a été, dans les mêmes catégories 40.3, 41.7, 34.5, 33.5, 22.7. La proportion des dolichocéphales va donc en croissant des ruraux aux urbains des grandes villes, et celle des brachycéphales en décroissant. L’indice a été pour les ruraux 84,l, les immigrés des petites villes 83.0, des grandes villes 83.3, les urbains des petites villes 83.3, des grandes villes 82.3. Les dimensions absolues ont été, longueur, ruraux 182, immigrés, petites villes 183, grandes villes 183, urbains, petites villes 183, grandes villes 185, les largeurs 153, 153, 153, 153, 152. Les longueurs vont donc en augmentant, et les largeurs en diminuant, des ruraux aux urbains des grandes villes, et le volume augmente avec la longueur, la réduction des largeurs étant très faible.
    Les proportions d’yeux bleus, dans le même ordre, sont 41.3, 37.0, 39.0, 40.2, 42.1, celles d’yeux bruns 12.6, 14.8, 13.6, 14.8, 14.5. Les proportions des cheveux blonds et noirs sont 41.6, 38.0, 34.8, 43.9, 33.6, et 18.0, 16.6, 25.1, 15.8, 28.1. Je renvoie pour les détails à l’œuvre monumentale d’Ammon. La distinction entre urbains fils d’immigrés et urbains fils d’urbains est traitée au chapitre XIV. Le livre d’Ammon est le modèle auquel on devra se conformer désormais dans les recherches de ce genre, et dépasse de beaucoup les grandes statistiques du ministère de la guerre italien dirigées et publiées par Livi. Ces dernières ont été faites avant que les recherches d’anthroposociologie fussent assez avancées, et par suite ne comportent pas toutes les distinctions nécessaires.
  6. Je renvoie, pour ce qui concerne l’Italie, aux éditions américaine et italienne des Lois fondamentales. On y trouvera des tableaux très complets, que je ne juge pas à propos de reproduire. Le présent ouvrage ayant pour objet Europæus, je n’ai pas à insister sur ce qui concerne les régions où il ne joue qu’un rôle très accessoire.
  7. Ainsi le travail de Elkind, Die Weichsel-Polen, Moskau, 1896. L’auteur a mesuré 375 ouvriers de fabrique à Varsovie, l’indice est pour 226 hommes 80.85, pour 149 femmes 81.35. À cette population urbaine d’habitat, sinon d’origine, vivante et contemporaine, il compare 42 crânes polonais d’anciens cimetières ruraux, et une autre série de 27 crânes des xvie et xviie siècles. Les indices sont 80.5 et 81.3, c’est-à-dire l’équivalent de 82 environ sur le vivant. Il s’agit de savoir si la différence est due à la loi des populations urbaines, ou si l’indice a baissé. La dernière hypothèse est contraire à une loi générale, mais qui comporte des exceptions, ainsi pour l’Alsace, où l’indice semble diminuer depuis deux ou trois siècles.
  8. Il n’a pas été publié, à ma connaissance, d’autres séries de migrateurs que les miennes, du moins pour la France, mais j’ai reçu de M. Bertillon un document très important. C’est la photographie d’une carte de l’indice céphalique dressée par lui, à l’aide d’individus de toutes provenances mesurés à Paris, c’est-à-dire tous migrateurs, sauf les Parisiens. On ne peut exactement comparer cette carte à celle de Collignon, en les considérant comme types l’une de la population déracinée des départements, l’autre de la population normale. La carte de M. Bertillon est dressée exclusivement d’après les fiches des malfaiteurs ou supposés tels mesurés dans son service à la Préfecture de police, et les longueurs sont, suivant la méthode du service anthropométrique, mesurées de la racine du nez, au lieu de l’être de la glabelle. Les sujets sont donc d’une catégorie très spéciale et ne représentent pas la moyenne des émigrants de chaque département à Paris, et d’autre part l’indice est constamment relevé, d’une quantité inconnue, par l’emploi d’une longueur qui n’est pas maxima.
    La moyenne trouvée par M. Bertillon est 83.8, supérieure de 0,2 à celle admise par Collignon. Il attribue à la Suisse celle de 84.6. Les différences sont très faibles pour les départements. Cependant pour quelques-uns l’écart s’élève jusqu’à deux unités. D’une manière générale tous les départements de la moitié nord sont un peu plus brachycéphales.
  9. Il faut bien s’entendre. Les départements très brachycéphales reçoivent peu d’immigrants et ne voient pas baisser leur indice. J’ai montré pour l’Aveyron qu’il s’élève au contraire. Ce sont les départements dolichocéphales qui deviennent rapidement brachycéphales par immigration. Cela s’est produit d’une manière définitive pour la région à basse natalité du bassin gascon. Dans l’Hérault, le Gard, la Normandie, la marche de l’indice est incroyablement rapide. La moyenne nationale ira sans cesse en s’élevant au dessus de 83, et les départements les moins brachycéphales dépasseront tour à tour cette moyenne, en marche vers celle des départements actuellement les plus brachycéphales. Il n’y aura donc pas dans l’avenir de péréquation réelle, mais un relèvement général et continu, plus fort dans les régions moins brachycéphales, et qui entraînera une moindre inégalité. Tout cela, bien entendu, sous la réserve qu’il n’y aura pas immigration et développement d’éléments étrangers, dolicho-blonds ou juifs.
  10. Les 61 interdépartementaux du Midi dont il est question dans Sélections sociales, p. 380, et Fundamental laws, p. 82, ont pour indice 81.0 au lieu de 82.9, moyenne des moyennes départementales.
    Le tableau relatif aux paysans de Hédé, cantonaux et intercantonaux, p. 379 des Sélections, est inexact. Le typographe a affecté les chiffres des cantonaux aux intercantonaux et réciproquement. J’ai fait la correction dans les Lois fondamentales.
  11. M. Verneau, dans son compte-rendu (Anthropologie, 1890, 592), met en doute l’existence affirmée par Chalumeau de la loi que « plus une classe sociale est élevée, plus elle compte de hautes tailles ». Le critique parait regarder les résultats de Chalumeau comme accidentels et isolés. Il oublie les travaux de Beddoe, de Quételet, d’Ammon, de Livi et de tant d’autres, à moins qu’il ne préfère ne pas en tenir compte. C’est ainsi que dans ses Races humaines de la collection Brehm, il a fait le silence sur les résultats obtenus par l’anthropologie depuis quarante ans, c’est-à-dire depuis que Broca l’a fait entrer dans la phase scientifique. Quatrefages est mort avec la pieuse illusion d’avoir anéanti le darwinisme, auquel il avait simplement rendu le service de le débarrasser d’un certain nombre de propositions douteuses. Contre les progrès d’une science hérétique, son disciple préfère-t-il employer l’éteignoir ? C’est reprendre un procédé traditionnel de l’Église, qui n’a jamais réussi.