L’Assassin (About)/8

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P. Ollendorff (p. 42-44).


Scène VIII


MADAME PÉRARD, LECOINCHEUX.
LECOINCHEUX, dans la coulisse.

Ouvrez, au nom de la loi !

MADAME PÉRARD, lui ouvrant.

J’ouvre au nom de l’amitié ; mais en vérité, monsieur, votre jalousie a des allures un peu trop solennelles.

Elle descend s’asseoir sur le canapé et prend le journal qu’Alfred y avait jeté.

LECOINCHEUX, entre, suivi du brigadier qui reste sur la porte.

Brigadier ! vous resterez en bas, et vous garderez la porte Deux hommes de renfort, et ne vous éloignez sous aucun prétexte ! (Le brigadier sort ; à part, regardant la porte de gauche, premier plan.) Il est là !

MADAME PÉRARD.

Asseyez-vous.

LECOINCHEUX, premier plan, milieu.

Vous lisiez, madame ?

MADAME PÉRARD.

Vous voyez.

LECOINCHEUX.

Quelque chose de bien intéressant ?

MADAME PÉRARD.

Mais oui, un compte rendu de l’Académie des sciences.

LECOINCHEUX.

Il faut que la science vous préoccupe violemment. On a tiré un coup de fusil sous vos fenêtres. Je l’ai entendu d’un quart de lieue, moi qui ne lisais pas de journal, et vous ne vous êtes aperçue de rien.

MADAME PÉRARD, négligemment.

Est-ce que la chasse est déjà ouverte ?

LECOINCHEUX.

Les battues sont permises en tout temps contre les animaux nuisibles.

MADAME PÉRARD.

En tout temps et en tout lieu ?

LECOINCHEUX.

Oui, madame, et même dans votre boudoir.

MADAME PÉRARD, émue.

Chez moi ?

LECOINCHEUX., indiquant la porte de gauche.

Là !

MADAME PÉRARD, se lève et passe derrière le canapé.

Vous oubliez, monsieur, que vous n’êtes pas encore mon mari.

LECOINCHEUX.

Il s’agit bien de mariage ! Ce n’est pas le mari, c’est le magistrat qui vous demande cette clé.

MADAME PÉRARD.

Raison de plus pour que je vous la refuse ! On pourrait avoir des complaisances pour la jalousie, même absurde, d’un amant ; mais lorsqu’on n’est coupable de rien, on serait bien sotte d’obéir aux fantaisies de la justice.

LECOINCHEUX.

Prenez garde, madame ! vous vous placez sous le coup de l’article 641 du Code pénal.

MADAME PÉRARD.

Prenez garde, monsieur ! vous encourez les peines portées par l’article premier du code amoureux.

LECOINCHEUX.

En un mot, comme en deux, madame, un homme est caché là !

MADAME PÉRARD.

Vous n’en savez rien, monsieur. Et quand il m’aurait plu d’y enfermer quelqu’un, vous n’auriez pas le droit d’ouvrir la porte.

LECOINCHEUX.

C’est trop fort !

Il va à la cheminée et tire le cordon de sonnette.
MADAME PÉRARD.

Que faites-vous ?

LECOINCHEUX, descend à l’avant-scène droite.

Vous pensez bien, madame, que je n’enfoncerai pas cette porte moi-même.