L’Astrée/troisième partie/Le Deuxiesme Livre

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François Pomeray (Troisième partiep. 57-123).


TROISIESME PARTIE
LIVRE DEUXIESME


Le temple de la bonne Déesse, où presidoit la venerable Chrisante, estoit au pied d’une agreable colline, qu’un bras de la belle riviere de Lignon lavoit d’un costé de ses claires ondes, et de l’autre s’eslevoit un boccage sacré au grand Tautates. Dans ce temple somptueux que les Romains avoient dedié à Vesta, et à la bonne Déesse, servoient les vierges vestales, selon les coustumes des Romains ; la premiere d’entr’elles se nommoit Maxime. Et les vierges druides faisoient leurs sacrifices selon la religion des Gaulois dans le boccage sacré. La venerable Chrisante leur commandoit à toutes, quoy qu’elle fust Gauloise et de l’ordre des druides. D’autant que, quand les Romains, sous pretexte de vouloir secourir les Heduoys, qu’ils nommoient leurs amis et confederez, se saisirent des Gaules, et la les soubsmirent à leur Republique, l’une des principales marques de leur victoire fut de faire adorer leurs dieux par tous les endroits de leur usurpation ; ne leur semblant pas d’en estre entierement possesseurs, s’il n’y rendoient leurs dieux interessez, et obligez de la leur conserver. Et toutesfois, pour ne se monstrer au commencement trop insupportables, ils permirent aux Gaulois, qui n’adoroient qu’un Dieu, sous les noms de Tautates, Hesus, Tharamis, et Belenus, de conserver leurs anciennes coustumes, et de vivre en leur premiere religion, pourveu qu’ils souffrissent aussi la leur, sçachant bien qu’il n’y a rien qui soit plus difficile aux hommes que d’estre tyrannisez en leur croyance. Et pour cette cause quand ils entrerent dans les estats des Segusiens (outre la consideration de la déesse Diane, à qui ils pensoient que cette contrée appartenoit) ils ne voulurent y changer aucunes des coustumes, ny pour la police de mœurs, ny du gouvernement, ny de la religion.

Mais quand ils trouverent en ce bocage sacré un autel dedié à la Vierge qui enfanteroit, à l’imitation de celuy des sages Carnutes, et dessus la figure d’une Vierge qui tenoit un enfant entre ses bras, et que la divinité qui y estoit adorée estoit servie par des filles druides, ils y eurent beaucoup plus de respect, estimant que ce lieu estoit consacré sous autre nom, ou à la bonne Déesse (au service de laquelle les hommes ne pouvoient asssiter) ou à la déesse Vesta, sur le temple de laquelle ils avoient accoustumé de mettre la statue d’une Vierge avec un enfant entre ses bras. En cette opinion, pour ne diminuer en rien l’honneur et le service qui estoit rendu à l’une de ces deux déesses, qu’ils avoient en tresgrande reverence, ils y bastirent un temple à toutes deux avec deux autels égaux ; et en l’honneur de la bonne Déesse l’appellerent Bon lieu, et en celuy de Vesta y mirent des vestales. Et parce qu’ils estoient infiniment religieux envers les dieux qu’ils adoroient, ne sçachant si ces déesses vouloient estre servies à la façon des Romains ou des Gaulois, et aussi pour contenter les habitans de la contrée, ils y laisserent les vierges druides en leurs anciennes coustumes et ceremonies, ausquelles comme à celles qui estoient les premieres, ils donnerent toute authorité en ce qui estoit des mœurs et de la conduite de l’œconomie ; et par ainsi la venerable Chrisante estoit maistresse absolue et des vierges druides et des vestales.

Ce temple estoit grand, et plus spacieux encores qu’on n’eust jugé en le voyant, parce qu’il estoit de forme ronde, ayant sa couverture de plomb, sur le milieu et plus haut de laquelle s’elevoit la statue d’une Vierge tenant un enfant entre ses bras. Dans le milieu du temple estoient posez les deux autres autels avec une si juste distance, que l’un n’estoit point plus eloigné du milieu que l’autre. Aux costez de chacun, il y avoit un petit arc de marbre blanc, soustenu de trois colonnes, sur lesquelles on mettait les premices et les fruicts avant que de les offrir. A la porte il y avait un vaze où ils tenoient l’eau qu’ils nommoient lustrale, en laquelle la torche qui servoit à l’autel quand ils avoient celebre les choses divines, avoit esté premierement esteinte.

Lorsque cette troupe fut rencontrée par la venerable Chrisante, il estoit si matin, que les sacrifices journaliers n’estoient pas commencez ; ce qui faut cause qu’apres les premieres salutations, elle y convia ces belles bergeres, disant aux bergers, qu’elle estoit bien marrie de leur oster cette aggreable compagnie, mais qu’elle y estoit contrainte par l’ordonnance de la déesse, qui vouloit que les hommes fussent bannis de ses autels.

Paris, Calidon et Silvandre qui y avoient le plus d’interest, respondirent qu’ils estoient bien en colere contre le peu de merite des hommes, puis qu’il estoit cause que leurs déesses ne les avoient pas jugez dignes d’assister à leurs sacrifices, qu’ils ne laisseroient cependant de les supplier de se contenter de leur faire ce mal, et qu’elles ne missent de mesme dans les cœurs de leurs bergeres une semblable haine contre les hommes. A quoy la venerable Chrisante respondit, que ces sages déesses n’avoient pas banny par hayne les hommes de leurs autels, mais pour quelques bons respects, et peut-estre pour rendre leurs vestales plus attentives à leurs mysteres, n’en estant point distraictes par la veue des personnes de qui les perfections les pourroient faire penser ailleurs.

Hylas qui n’avoit guere de devotion aux dieux de son pays, et par consequent beaucoup moins à ceux qui luy estoient estrangers, prenant la parole pour Paris, et pour Silvandre, luy respondit : Si ces déesses ne nous veulent point de mal, je m’en remets à ce que vous en, dites ; mais si m’advouerez-vous, madame, que nous avons occasion de nous plaindre d’elles, et qu’il nous est bien permis de desirer que s’il ne leur plaist de changer d’advis, on ne leur fasse plus de sacrifice en ces contrées, ou pour le moins qu’il soit deffendu aux belles, qui se treuveront en la compagnie d’Hylas, d’y aller pour quelque occasion que ce soit. – Berger, dit la venerable Chrisante, Dieu n’exauce que les souhaits qui sont justes, et qui sont faits avec une bonne intention.

A ce mot, elle se retira dans le temple, parce qu’une vestale estoit venue sur le sueil de la porte crier, selon leur coustume pour la troisiesme foi.

Loing d’icy, loing profanes.

Cela fut cause qu’Hylas ne peut luy respondre comme il eust bien desiré : car aussi tost qu’elle fut entrée, les portes furent fermées de sorte que Paris et tous ces bergers furent contraints de les aller attendre dans le boccage sacré, où le druide devoit faire le sacrifice, quand celuy de Vesta seroit achevé.

Ces vierges vestales estoient vestues de robbes blanches, presque carrées, et si longues par le derriere, qu’elles les pouvoient jetter sur leurs testes, pour se voiler, quand elles entroient dans le temple pour sacrifier. Ce jour estoit dedié à Vesta, car pour n’estre surchargées de trop de sacrifices, les jours estoient separez, où l’on sacrifioit à Vesta, ou à la bonne déesse.

Or celuy-cy estant pour Vesta, aussi tost que le temple fut fermé, et que toutes les vierges vestales et druides, et les bergeres eurent pris leurs places, elles se prosternerent en terre au premier coup que la vestale Maxime donna d’un livre sur un banc, qui se levant et prenant un rameau de laurier qu’une jeune vestale lui presenta et qui estoit mouillé dans l’eau qu’ils appelloient lustrale, qu’elle luy portoit apres dans un vaze d’argent, elle s’en jetta un peu dessus, et puis en fit de mesme sur toute la compagnie, qui prosternée recevoit cette eau avec grande devotion. Apres, s’estant toutes relevées, et elle retournée en son siege, une autre jeune vierge luy presenta une corbeille pleine de chappeaux de fleurs ; elle en mit un sur sa teste, et en fit de mesme à six autres qui se vindrent mettre à genoux à ses pieds, et qui estoient celles qui devoient servir au sacrifice : l’une incontinent alla prendre le Simpulle, petit vase, avec lequel elles souloient sacrifier ; l’autre prit le coffre des parfums qui se nommoit Acerta ; la troisiesme porta le gasteau de froment nommé Mole-salée, qui estoit couronnée de fleurs ; l’autre portoit l’eau qui devoit servir au sacrifice, car en ceux de Vesta on n’y usoit point de vin, et en celuy-là mesme de la bonne déesse on ne le nommoit pas vin, mais laict. La cinquiesme portoit le faisseau de verveine, et la derniere, un panier de fleurs et de fruicts. Estans toutes devant elle, elle s’achemina jusqu’aupres de l’autel de Vesta, au devant duquel elle se prosterna, et ayant quelque temps demeuré à genoux, elle commença un hymne en la louange de la déesse, que toutes les vestales qui estoient dans le temple continuerent. Et ayant chanté le premier couplet, elles se leverent toutes, ayant chacune un flambeau en la main, et marchant deux à deux. Les plus jeunes passerent les premieres, et les anciennes apres, et puis les six qui portoient les chappeaux de fleurs, et en fin la maxime avec son baston pastoral, et allerent trois tours à l’entour de l’autel, commençant à main gauche, à la fin desquels chacune se remit en sa place, horsmis la maxime et celles qui estoient chargées des choses necessaires pour le sacrifice ; car celle qui portoit le faisseau de verveine le posa à main gauche sur l’autel, où le feu estoit tousjours allumé et gardé nuict et jour par deux vestales, parce que quand il s’esteignoit, elles croyoient qu’il leur devoit arriver quelque grand desastre, et la vestale qui estoit en garde estoit rudement chastiée par le pontife, et puis on le r’allumoit, non à d’autres feux materiels, mais aux rayons du soleil, qui ramassez en des vases de verre, faisoient prendre ce feu qu’ils nommoient sacré. L’autre vestale qui portoit les fleurs et les fruicts, les posa sur l’arc de marbre, dont nous avons parlé, et les autres quatre demeurerent debout devant la maxime, qui alors se prosternant devant l’autel s’accusa à haute voix de ses fautes, puis advoua qu’elle n’oseroit approcher le sainct autel de la déesse, se sentant souillée de trop de vices, et trop indigne de luy offrir chose qui luy fust agreable, si ce n’estoit par son commandement. Et puis s’en approchant encor d’avantage, elle baisa et encensa l’autel de tous costez, et en fin laissant l’encensoir au pied, y mit quantité d’encens et de parfums, dont l’odeur remplissoit tout le temple. Et lors, prenant la Mole-salée et couronnée de fleurs, et la tenant d’une main fort eslevée, de l’autre elle prit le coing de l’autel, et puis se tournant du costé de l’Orient, elle profera à haute voix, et lentement les paroles qu’une vestale luy disoit mot à mot, qu’elle lisoit dans un livre, de peur d’y faillir, ou de les mal prononcer ; car lors que cela arrivoit, elles croyoient que les sacrifices n’estoient pas aggreables à la déesse, et les faisoit recommencer. Les paroles estoient telles :

O redoutable déesse, fille de la grande Rhée, et du puissant Saturne, qui nourris et eslevas Jupiter en ton giron, lors que sa mere le tenoit caché ! Vesta que les Thirreniens appellent Labith Horchia, et qui es la premiere et la derniere engendrée de toy, reçoy cette devote immolation que nous faisons pour le peuple et Senat Romain, pour la conservation des Gaulois, et pour la grandeur et prosperité d’Amasis nostre Dame souveraine. Et nous fay la grace que ton feu qui est en nostre garde, ne s’esteigne jamais, et que la requeste qu’apres la victoire obtenue sur les Titans tu fis au grand Jupiter d’estre tousjours vierge, ait aussi bien esté obtenue pour nous que pour toy, puis qu’estans toutes à toy, nous pouvons aussi avec raison estre estimées une partie de toy mesme.

Aux dernieres paroles de cette supplication, tout le chœur des vierges respondit : Qu’il soit ainsi. Et lors elle posa la Mole-sacrée sur l’autel, puis le panier de fleurs, et de fruicts que la vestale qui en avoit la charge luy presenta, et de tout ensemble en mit un peu dedans le feu qui estoit allumé pour le sacrifice, avec force encens et drogues aromatiques ; et puis, prenant de l’eau dans le vase dit Simpulle, en tasta un peu, et en arrosa la Mole-sacrée, les fleurs, les fruicts et le feu. Toutes ces choses achevées, se reculant un peu de l’autel, elle commença un hymne à la louange de la déesse, que toutes les vestales continuerent, à la fin duquel y en eut une qui estoit vis à vis de la maxime, qui se tournant vers les autres, dit à haute voix : II est permis de s’en aller. Qui estoit signe que le sacrifice estoit achevé.

Lors la venerable Chrisante, qui sans se mesler en ces sacrifices, ny les vierges druydes aussi, y avoit seulement assisté pour le respect qu’elle portoit à l’authorité Romaine, sortit du temple ; et avec toute sa suitte, hormis les vestales, qui se retirerent en leurs demeures, s’en alla au boccage sacré, où les vacies et bergers l’attendoient, les uns pour le sacrifice, mais les autres, autant pour la devotion qu’ils portoient à leurs bergeres, qu’à leur grand Tautates.

Hylas impatient en apparence plus que tous les autres, pour le desir qui le pressoit de voir bien tost sa tant àimee Alexis, fut contraint pour ne perdre point cette bonne compagnie, d’assister au sacrifice du vacie. Mais sa plus ardente oraison fut, que Tautates se contentast des plus courtes ceremonies pour cette fois, afin que tant plustost on prist le chemin qu’il desiroit. Et de fait, à peine le dernier mot du sacrifice fut prononcé, qu’il se leva, et contraignit toute la trouppe d’en faire de mesme. Mais sa haste ne fut pas moindre lors que le disner fut achevé ; car voyant que la venerable Chrisante se remettoit sur le discours : Madame, luy dit-il, en l’interrompant, si vous ne donnez ordre à nostre depart, une partie de cette trouppe a fait dessein de vous aller attendre aupres de la belle Alexis. Phillis prenant la parole pour la venerable Chrisante : Et quelle mauvaise humeur, dit-elle, est la vostre, Hylas, de vous fascher en ce lieu, et où esperez-vous de trouver une meilleure compagnie ? – Ma feue maistresse, respondit-il, si je vous aymois comme j’ayme Alexis, et que vous ne fussiez point icy, je dirois pour respondre à vostre demande, que la meilleure compagnie pour moy seroit où vous seriez. Mais parce que cela n’est pas, je vous diray, pour la mesme raison, que la meilleure compagnie pour moy est aupres d’Alexis ; et pour vous rendre preuve que je dis vray, si vous ne partez à ceste heure mesme, il n’y a plus d’Hylas pour vous aujourd’huy.

A ce mot, faisant une grande reverence il se preparoit de s’en aller, lors que toute la trouppe accourant autour de luy, essaya de l’arrester à moitié par force. Et cependant qu’il se debattoit pour s’eschapper de leurs mains, ils virent entrer un homme que la venerable Chrisante recogneut incontinent pour estre de la maison d’Amasis, qui la vint advertir de sa part, que sa maistresse venoit coucher chez elle, pour faire le lendemain un sacrifice aux dieux infemaux, à cause de quelque fascheux songe qu’elle avoit fait. Ce message fut cause qu’Hylas pressa encore d’avantage, voyant que la venerable Chrysante ne pouvoit estre de la partie, et son importunité fut telle que ces belles bergeres furent forcées de partir plustost qu’elles n’eussent fait, quoy que le desir d’Astrée fut assez grand pour la convier de se haster ; mais sa discretion luy faisoit dissimuler ce que la franchise d’Hylas ne luy permettoit pas de pouvoir faire. Ayant donc pris congé, elles se mirent en chemin, accompagnées de ces gentils bergers ; et parce que quelquefois les sentiers estoient estroits, chacun prit à conduire celle qui luy estoit la plus agreable, horsmis Silvandre, qui par respect avoit esté contraint de quitter Diane à Paris. Et d’autant que Phillis avoit esté priée de Diane, de ne la point laisser seule aupres de luy, de crainte qu’il ne revinst aux mesmes discours de son affection, que quelques jours auparavant il luy avoit tenus, toutes les fois que le chemin le pouvoit permettre, Phillis prenoit Diane de l’autre bras, et mesloit le plus qu’elle pouvoit ses discours parmy les leurs, feignant de le faire sans dessein.

II advint qu’estans sortis du bois, et ayans passé Lignon sur le pont de la Bouteresse, le chemin s’eslargit de sorte qu’ils pouvoient aller plusieurs de front, ce qui donna commodité à Phillis d’appeller encore Lycidas aupres d’elle. Et voyant que Silvandre estoit pour lors contraint d’entretenir Hylas : Et bien ! Silvandre, (luy dit-elle fort haut, afin d’interrompre plus honnestement Paris) à vostre advis, qui a rencontré meilleure place de nous deux ? – Je croy, respondit le berger, que celle que j’ay dés long-temps est la meilleure. – Vous auriez, dit Phillis, des fortes raisons, si vous me faisiez advouer ce que vous dites, et vous auriez fort peu d’affection si vous le croyiez ainsi. – La verité, respondit froidement Silvandre, ne laisse d’estre vraye, encore qu’on ne la croye pas, si bien que quelque jugement que vous fassiez, ou de la place que je tiens, ou de l’affection que je porte à Diane, il ne peut les changer ny rendre autres qu’elles sont ; car il n’est pas plus vray que Phillis est Phillis, que la place que je tiens est meilleure que la vostre. – J’ay tousjours ouy dire, adjousta Phillis, que plus on est prez de la personne aymée, et plus l’amant se contente. – Vous avez, repliqua le berger, ouy dire la verité. – Toutesfois, continua Phillis, me voicy prez de Diane, et il me semble que vous en estes fort esloigné. – J’en suis encore plus pres que vous, responditil, car si vous estes à son costé, je suis en son cœur. – Je ne te plains donc plus, interrompit Hylas, de la peine que je pensois que tu eusses de marcher ; car, à ce conte, il ne tiendra qu’à Diane que tu ne fasses de longs voyages sans guere travailler tes jambes.

Silvandre sousrit de cette response, et puis respondit froidement : Je sçay bien, Hylas, que tu n’entens pas ce que je dis ; aussi n’estoit-ce pas à toy à qui je parlois, mais à Phillis, qui à la verité est bien autant ignorante des misteres d’amour, mais qui toutesfois a si bonne volonté de les apprendre, qu’elle merite mieux que toy de les ouyr, – Voicy, dit Hylas, une louange qui n’est pas à desdaigner pour Phillis, disant qu’elle desire d’apprendre les mysteres d’amour ; que s’il est ainsi, et qu’elle vueille estudier en mon escole, je les luy apprendray à bon marché.

Tous les bergers se mirent à rire des paroles d’Hylas, et parce que Silvandre prit garde qu’Astrée et Diane baissoient les yeux, il voulut changer de discours, et pource, il luy dit : Je voy bien, Hylas, que tu enseignes ta doctrine fort librement ; mais pour revenir à ce que j’ay dit à Phillis, je te repliqueray encores que je suis plus prez de Diane, qu’elle n’est pas, encore qu’elle soit à ses costez, parce que Diane est en mon cœur. – Vous avez dit, reprit incontinent Phillis, que vous estiez en son cœur. – Et je l’advoue encores, respondit Silvandre. – Si est-ce, adjousta Phillis, qu’il y a bien de la difference, et mesme selon ce que je vous en ay ouy dire autresfois ; car j’entendois que vous aimiez Diane, si on me disoit qu’elle fust en vostre cœur, et qu’elle vous ayme, si l’on disoit que vous fussiez dans le sien. – A parier, dit Silvandre, avec le commun, on l’entend comme vous le dites, mais quand on discourt avec les personnes un peu mieux entendues, l’un signifie l’autre. Et en voicy la raison. Estre en quelque lieu s’entend de deux sortes : l’une, quand le corps occupe une place, et lors la surface de la chose contenue est le lieu ; l’autre, c’est quand l’ame, qui est toute spirituelle, agit en quelque lieu. Car rien ne pouvant agir immediatement en quelque lieu qu’il n’y soit, il s’ensuit que, si mon ame agit de cette sorte dans le cœur de Diane, qu’elle y est. Or si, comme nous avons dit autresfois, l’ame vit mieux où elle ayme, que où elle anime, puis que le vivre est une action immediate de l’ame, il s’ensuit que si j’ayme Diane, je suis veritablement en elle.– Cela, respondit Phillis, est un peu bien obscur pour moy, toutesfois encor ne preuveriez-vous par là, sinon que vostre ame y est, et non pas Silvandre. Et par ainsi ma place est encore la meilleure, puis que pour le moins une partie de moy, et celle que j’ay ouy dire estre la plus fertile en passions, qui est le corps, est plus prés que vous n’estes pas. – J’avoue, respondit-il, que du corps vous en estes plus prés que moy ; mais il ne faut pas conclure pour cela que vostre place soit la meilleure, parce que l’ame est de telle sorte superieure au corps, qu’au prix d’elle il n’est de nulle consideration, tant s’en faut qu’il puisse tenir quelque rang aupres d’elle. – Pleust à Dieu, berger, dit Hylas, que nous fussions tous deux amoureux d’une mesme bergere ; car puis que tu mesprises si fort le corps, je le prendrois fort librement pour moy, et je te laisserois volontiers l’esprit, quand mesme ce seroit celuy du plus sçavant de nos druides. Et pour te monstrer que je te dy vray, laisse-moy le corps d’Alexis, et je te laisse l’esprit d’Adamas, qui est un si sçavant homme.

Chacun se mit à rire du party que l’inconstant presentoit à. Silvandre, et cela l’empescha de luy respondre si tost, mais peu apres, il prit la parole de ceste sorte : Si chaque chose estoit prisée selon son merite, il est certain que le choix que tu fais n’est pas le meilleur, parce que le corps que tu veux seulement aymer, n’est pas un objet digne d’estre aymé de l’ame, d’autant que l’amour doit tousjours adjouster quelque perfection à l’amant, comme chacun avoue, quand on dit, que l’amour est desir d’un bien qui defaut. Et par cette ordonnance, l’amant seroit obligé d’aymer tousjours quelque chose de plus qu’il ne seroit pas. Mais concedons à ces esprits qui sont tant abaissez qu’ils ne font que trainer par terre, sans se pouvoir relever à ce qui est par dessus eux, qu’ils puissent aimer ce qui leur est égal ; je m’asseure qu’il n’y a personne qui pour le moins ne confesse, qu’il est honteux de s’abbaisser à l’amitié de ce qui est moins que nous ne sommes. Que si cela est vray ; comment pourrait-on estimer le corps digne d’estre aimé de l’ame, puis qu’il est si vil et abbaissé par dessous elle ? Mais outre que cette amour est honteuse, je tiens qu’elle est impossible, ou pour le moins insensée, si nous voulons y adjouster les conditions que la vraye amour doit avoir. Car celuy qui aime, n’a point de plus violent desir que d’estre aimé de la chose aimée ; mais n’est-il pas impossible que celuy qui n’ayme que le corps, en soit aimé, d’autant que l’amour peut estre seulement en l’ame ? Et par là ne vois-tu pas, Hylas, que ceux qui aiment le corps, sont imitateurs de la folie de Pigmalion, qui devint amoureux d’un marbre ? Aussi pour monstrer que cela ne se doit point, la nature y repugne, et je m’asseure que tu l’avoueras si l’on te le demande ; car confesse la verité, Hylas, si Alexis estoit morte, en aimerois-tu le corps ? Et parce qu’il ne respondoit point : Tu es muet, continua Silvandre, est-ce la verité qui te confond, ou la honte d’avoir eu une si mauvaise opinion ? – Ny l’un ny l’autre, dit Hylas, mais que veux-tu que je te responde ? Penses-tu que je sois un devineur ? Ne sçais-tu que quand les yeux voyent ce qu’ils n’ont point veu, le cœur pense ce qu’il n’a point pensé ? Je parle fort asseurement des choses passées quand il m’en souvient, et des presentes quand je les sçay : mais des futures ? Eh ! mon amy, pour qui me prends-tu ? Penses-tu que ce soit moy qui aye instruict les Sybilles, ou que j’aye esté en leur escole pour apprendre à predire ? Sylvandre mon amy, si tu veux discourir avec moy, parlons des choses dont les hommes peuvent parler, sans entrer dans les secrets des dieux : laissons leur les choses futures, puis qu’ils ont retenu cela en leur partage. Et si tu me demandes, si j’ayme le corps d’Alexis, je te respondray qu’ouy, et de telle sorte (quoy que tu sçaches dire de tes resveries, et de ton amour de l’ame) que si elle n’avoit point de corps, je ne l’aimerois point ; mais quand tu me demanderas ce que je ferois quand ce corps n’aura point d’ame, je te renvoyeray vers ceux qui sçavent predire l’advenir, et si tu veux, tu pourras aller avec eux visiter les destinées, et nous rapporter des nouvelles de leurs conseils. Et moy, cependant que tu feras ce long voyage, je continueray d’aimer le beau corps d’Alexis, non tel qu’il sera d’icy à cent ans, mais tel qu’il est, c’est à dire l’ouvrage des dieux le plus beau, et le plus parfait.

Ainsi disoit Hylas, et Silvandre luy voulut respondre, lorsque suivant le chemin il fallut passer une petite planche, où chacun des bergers s’amusa à aider à sa bergere mieux aimée. Et lors qu’elles furent toutes de l’autre costé, et que Silvandre voulut reprendre la parole, il en fut empesché par Diane, qui oyant une bergere, et un berger qui chantoient, le pria de les escouter. Toute la trouppe tourna les yeux vers le lieu d’où la voix venoit, et s’approchant peu à peu, ils virent une bergere assise à l’ombre d’une touffe d’arbres, et un berger à genoux devant elle, et peu apres us commencerent d’ouyr leurs paroles un peu plus distinctement. Elles estoient telles.

Alcidon, Daphnide[modifier]


Dialogue.

ALC.

Vous verra-t’on jamais changer,
Puisque vous estes si legere ?

DAPH.

Alcidon n’est pas mon berger,
Ny Daphnide vostre bergere.
Le destin qui commande à tous
Ne nous fit pas naistre pour nous.

ALC.

Jamais le destin n’accusez
D’une chose si volontaire.

DAPHN.

Vous aussi ne vous abusez
De rien obtenir au contraire :
Car soit destin, soit volonté,
En fin le sort en est jetté.

ALC.


Vueillez ou ne me vueillez point,
Me donnant à vous, je suis vostre.

DAPHN.

Si nostre vouloir ne s’y joint,
Ce qu’on nous donne n’est pas nostre :
Et je refuse franchement
De vous recevoir pour amant.

ALC.

Recevez-moy pour serviteur,
Si vostre amant je ne puis estre.

DAPHN.

Non, non, je ne vous veux, Pasteur,
Ny pour serviteur, ny pour maistre :
Et si vous voulez vostre bien,
De moy n’esperez jamais rien.

ALC.

Quoy que fasse vostre rigueur,
Mon feu sera tousjours extreme.

DAPHN.

C’est bien avoir faute de cœur
D’aymer si fort qui ne vous ayme,
Car un bon cœur devroit chasser
Par le mepris un tel penser .

ALC.

Mais pourquoy ne se changera.
En fin ce farouche courage ?

DAPHN.

S’il’ peut changer, ce ne sera
Que pour vostre desavantage,
Mais que je vous ayme, berger,
Vous n’y devez jamais songer.

Chapitre 2[modifier]

A peine la bergere eut finy ces dernieres paroles, que cessant de chanter, et voyant que le berger vouloit continuer, elle luy dit : C’est assez, Alcidon. Si vous voulez que je m’arreste ici plus longtemps, je vous prie, cessez ou changez de discours, et croyez que ceux-cy ne vous acquerront jamais rien de plus advantageux envers moy qu’un accroissement de mauvaise volonté. – II y a long-temps, respondit le berger, que si je n’avois non plus d’esperance en la justice d’amour qu’en la vostre, je n’aurois pas seulement cesse de parler à vous, mais aussi de vivre. – Et quelle esperance est la vostre, dit Daphnide, puis que s’il estoit juste, ce dieu de qui vous parlez, il y a long-temps que vous serviriez d’exemple à tous ceux qui ont la hardiesse de l’outrager ? – N’offensez point, dit Alcidon, celuy de qui la puissance ne se mesure qu’à sa volonté et de qui le pouvoir ne vous a point tousjours esté tant incogneu, que vous le deviez maintenant mespriser comme vous faites. La bergere eust repliqué, n’eust été qu’elle vid approcher cette troupe qui luy donna sujet de se taire.

Astrée et le reste de la compagnie qui avoient ouy ce que ces estrangers avoient chanté, et entr’ouy une partie de ce qu’ils avoient dit plus bas, conviez de la beauté de la bergere et de la bonne mine et gentille disposition du berger, tant pour satisfaire a leur curiosité, qu’au devoir, auquel les loix de l’hospitalité religieusement observées en cette contrée les obligeoient, s’addresserent à la bergere, et apres l’avoir saluée, luy offrirent et à toute sa trouppe toute sorte d’assistance ; car en mesme temps s’approcherent d’elle deux autres bergeres et un berger, qui s’estoient escartez entre quelques arbres, attendant que la chaleur fust un peu abbatue. Daphnide voyant cette belle trouppe s’offrir à elle avec des paroles si pleines de courtoisie, luy, respondit avec toute la civilité qui luy fut possible, et puis leur dit en general à toutes : Je ne m’estonne plus si le Ciel favorise de ses graces cette contrée plus avantageusement que les autres, puis qu’elle est habitée par des personnes si accomplies de toute sorte de merite .

Astrée, prenant la parole, luy respondit : Il n’y a personne icy qui ne soit fort disposeé à vous faire service, tant pour satisfaire à nos ordonnances, qui nous commandent de rendre toute assistance aux estrangers, que pour avoir la gloire de servir des personnes qui le meritent comme vous, et vostre compagnie. – Je commence, respondit l’Estrangere, à bien esperer de la fin de mon voyage, puis que ma premiere rencontre a esté si bonne. Et puis que les offres que vous me faites me doivent donner la hardiesse de m’enquerir de ce qui m’est necessaire de sçavoir, je vous supplie donc, belle bergere, de me dire s’il y a une fontaine en cette contrée qui s’appelle, De la verité d’Amour, et où elle est ? Astrée tournant l’œil sur Paris, et sur Silvandre, comme leur en demandant des nouvelles, demeura sans parler. Qui fut cause que Silvandre prit la parole, et luy dit : Belle bergere, la fontaine que vous demandez est veritablement en cette contrée ; mais amour est cause qu’il vaudroit autant qu’elle n’y fust point, estant remise en la garde de quelques animaux enchantez, qui en defendent l’accez. – Et où est-elle ? reprit Astrée. – Comment, dit l’Estrangere, vous estes de ce pays et vous ignorez où est une chose si rare ? Cela est presque incroyable, et mesme à ceux qui verront vostre visage, qui estant si beau, ne peut pas avoir esté veu sans amour, ny vous, par consequent, sans curiosité de sçavoir la verité de l’affection de ceux qui vous ayment, qui, à ce que j’ay ouy dire, se void en cette fontaine. – Je sçay bien, dit Astrée, en rougissant un peu, que vostre courtoisie vous fait parler de mon visage si avantageusement, vous semblant d’estre obligée pour les offres que je viens de vous faire, de me gratifier de cette sorte ; et c’est pourquoy je ne vous respondray point à cela. Mais quant à la curiosité que vous croyez qui doive estre en moy, outre que l’occasion n’y est point, parce que je n’ay jamais eu assez de bonheur pour estre aymée de cette façon, encores avons-nous une coustume parmy nous, que jamais nous ne recourons à la fontaine dont vous parlez, pour cognoistre la volonté de ceux qui nous servent, ayant un moyen beaucoup meilleur et plus asseuré. – Et quel est-il, dit incontinent l’Estrangere, afin que l’un me defaillant, je puisse recourre à l’autre ?– C’est, respondit Astrée, le temps et les effets. – Encore, dit Daphnide, que chacun le die comme vous ; si tiens-je cette cognoissance bien incertaine et certes je le puis dire, comme y ayant esté trompée. – Si cela nous estoit avenu, reprit Diane, nous y userions d’un autre remede. – Et quel est-il ? dit l’Estrangere. – C’est de ne plus rien aymer du tout, respondit Diane. – Voilà, dit Alcidon, un remede bien injuste, puis qu'il punit l’innocent, et ne chastie point le coulpable ; car celuy qui a trompé une bergere en feignant de l’aymer, ne se soucie pas de n’estre point aymé d’elle, et par ainsi il ne reçoit point de chastiment de sa faute, et si de fortune elle vient à estre bien aymée de quelqu’autre, luy qui n’aura point offensé en portera toute la peine. – Voilà, gentil berger, interrompit Hylas, comme nos bergeres sont aussi injustes, que vous les voyez estre belles, et si pour tout cela, nous ne pouvons nous empescher de les aymer ; jugez ce que nous ferions si elles avoient l’esprit aussi doux que le visage.

L’une de ces bergeres oyant parler Hylas de cette sorte, commença à tenir les yeux arrestez sur luy, luy semblant de le cognoistre ; et sans doute, sans l’habit qui le déguisoit un peu, elle n’eust pas demeuré si long temps en cette peine. Mais en fin pour ne se point méprendre, elle s’addressa à Thamire, et luy demanda assez bas, si ce berger qui parloit n’estoit pas Hylas, et luy ayant respondu qu’ouy, elle revint vers Daphnide, et s’approchant à son oreille, luy dit : Madame, vous parlez à Hylas sans le cognoistre. L’Estrangere changeant de couleur, et se mettant une main sur le visage, comme de honte d’estre veue de luy, revestue de ces habits, se recula un pas ou deux, s’écriant : Mon Dieu ! Hylas, que l’habit que vous portez vous change ! Je ne sçay si le mien m’en fait autant ? Lors Hylas s’approchant d’elle, il la considera attentivement, si bien que quoy qu’il y eut long temps qu’il ne l’eust veue, et que l’habit de bergere la changeast beaucoup, si la recogneut-il pour Daphnide, estimée la plus belle dame qui fust en Arles, ou dans la Province des Romains, de quoy il demeura si estonné, qu’il ne sçavoit s’il songeoit, ou s’il veilloit.

En fin, apres estre demeuré fort long temps à la considerer, il se retira d’un pas, et plus ravy en admiration qu’il ne se peut dire, se mit à la regarder, et à la considerer, sans pouvoir proferer une seule parole. Dequoy l’autre estrangere s’appercevant : C’est sans doute,dit-elle,que voicy la contrée des merveilles, puis que j’y vois des bergeres qui surpassent les personnes plus civilisées, des beautez sans curiosité, et ce qui est de plus merveilleux, des Hylas sans parole. Hylas à ce mot tournant les yeux sur celle qui parloit, il la recogneut pour estre Carlis, et l’autre Stiliane, et Hermante avec eux. Cette veue le rendit si confus, que sans pouvoir parler, il courut embrasser Hermante son cher amy, et apres l’avoir tenu quelque temps en ses bras, se separa de luy pour le reprendre par deux ou trois fois ; en fin reprenant la parole : Est-ce bien, dit-il, mon cher Hermante que je vois, et que je tiens entre mes bras ? Celles que-je vois icy, est-il possible que ce soient les plus belles de la Province des Romains ? Et je dirois de l’univers, si la contrée où nous sommes en estoit dehors. Quoy ! je vois donc la belle et tant admirée Daphnide, la glorieuse Stiliane et cette Carlis, qui la premiere m’apprit à aimer ?

Les dieux m’ont fait trop de grace de vous avoir conduite icy, madame,dit-il, s’addressant à Daphnide, avec vostre compagnie, croyant quant à moy, que c’est pour vous faire estre tesmoing de ma gloire et de ma felicité. – Hylas, respondit incontinent l’Éstrangere, vous n’aurez jamais contentement, où, comme vostre amie, je ne participe ; mais si vous estes estonné de me voir en cet equipage, je ne le suis pas moins de vous avoir rencontré, et deguisé comme vous estes, et en un lieu où je n’avois aucune esperance de vous trouver. Mais comme que ce soit, je tiendray cette rencontre pour tres-heureuse, si elle me fait participer à la gloire et à la felicité que vous possedez. – Madame, interrompit Carlis, il n’a garde de se resjouyr si fort de ma venue, ny de celle de Stiliane. – Et pourquoy, ma premiere maistresse, entrez-vous en cette opinion ? dit-il. Ne sçavez-vous pas que l’on tient que les premieres amours ne s’effacent jamais ? –Toutesfois, dit-elle, vous monstrez le contraire, puis que l’amour ne peut pas estre quand l’oubly oste la memoire de la chose aymée ; et vous ne pouvez nier que vous ne nous ayez mescogneues et oubliées. – Je suis fait, dit Hylas, tout d’une autre façon que le reste de ceux qui se meslent d’aimer ; car jamais je ne perds la memoire de celles que j’ay aimées, ny jamais mon affection ne s’efface. Il est bien vray que quelque fois ma memoire se couvre d’oubly, comme le brasier de cendre, et que mon affection se lasse, comme l’arc qui a demeuré trop long-temps tendu ; mais comme le brasier, pour peu qu’il soit soufflé, se descouvre vif et ardent, et l’arc, quand on le retend, est aussi fort qu’auparavant, de mesme est-il de ma memoire et de mon affection, lors que cette cendre de l’oubly est ostée par la veue, et par la presence, ou bien que mon amour par quelque nouvelle faveur se renforce de desir et d’esperance. – Je voy bien, dit Stiliane, qu’en fin Hylas est tousjours Hylas. – Mais, adjousta Daphnide, nous sçaurons à loisir un peu plus de vos nouvelles. Cependant, afin que nous ne fassions quelque erreur envers ces belles et honnestes bergeres, dites-nous, Hylas, qui elles sont, et si Astrée ou Diane ne sont point en cette compagnie. – Madame, respondit Hylas, si vous estes venue en cette contrée pour ce seul subject, vous pourrez vous en retourner quand vous voudrez, car les voilà toutes deux devant vous, dit-il, les luy monstrant.

Lors Daphnide s’avançant les salua encores une fois, et apres les avoir quelque temps considerées : II est vray, dit-elle, qu’en cecy la renommée est moindre que la verité, et qu’il est certain que vostre beaute surpasse ce que l’on en dit. – Madame, respondit Astrée en rougissant, les personnes qui vivent comme nous faisons, peuvent dire qu’elles sont au monde sans y estre ; car ne voyant que nos bois et nos pasturages, à peine peut la renommée se charger seulement de nos noms, tant s’en faut qu’elle en doive raconter quelque chose, et en son silence nous pensons luy estre infiniment favorisées, car ce nous est beaucoup de bon-heur, que ne pouvant rien dire de nous à nostre advantage, elle n’en die rien du tout. – Vous direz ce qu’il vous plaira, reprit Daphnide, mais puis que j’ay cognoissance de vos noms, si faut-il que la renommée me l’ait donnée, estant de sorte esloignée de vos demeures, que n’ayant jamais esté icy, je ne sçauroys les avoir appris que par elle. Et je voy maintenant qu’encores qu’elle parle fort avantageusement de vous, elle est toutesfois infiniment inferieure à la verité, et qu’en cela elle vous fait tort. – Madame, dit Diane, vostre courtoisie est celle qui nous donne cet advantage, et quoy que nous soyons presque hors du monde, comme vous disoit ma compagne, si voudrions-nous bien estre telles qu’il vous plaist de nous figurer, parce que la perfection est toujouis desirable en qui que ce soit. – Vous ne devez point, repliqua l’Estrangere, en desirer plus que vous en avez, car vostre desir outrepasseroit la puissance de la nature, ne croyant point qu’elle puisse faire deux différentes beautez plus parfaites. – Et que diriez-vous, madame, interrompit Hylas, qu’encores qu’elles soient telles, je n’en ay jamais esté amoureux, ou c’est si peu que ce n’est rien ? – Je diray respondit Daphnide, qu’il n’appartient pas à tous les oyseaux de se plaire en la pure lumiere du soleil, ny par consequent à vostre mauvaise veue en ces trop grandes beautez. – Tout au contraire, madame, repliqua Hylas, c’est parce qu’il y en a de plus belles en ceste contrée qu’elles ne sont et vous sçavez qu’Hylas ayme sur tout la beauté. – Je croiray difficilement ce que vous dites, respondit l’Estrangere. – Je vous le feray advouer, dit-il, si vous voulez venir où toute ceste trouppe s’en va. – Et afin, discretes bergeres, continua-t’il se tournant vers Astrée, et Diane, que vous ne vous mescontiez, scachez que vous voyez devant vous, sous ces habits de berger et de bergere, la plus belle dame, et le plus gentil chevalier de la Province des Galloligures, et que peut-estre vostre contrée n’eut jamais une plus grande faveur du Ciel, que de les recevoir. C’est pourquoy, gentil Paris, vous ne devez pas souffrir qu’ils se separent de ceste compagnie, qu’Adamas ne les ait receus en sa maison.

Paris et les bergeres s’addressant à Daphnide, s’excuserent de ne luy avoir rendu l’honneur qu’ils luy devoient, et la supplierent de sorte de vouloir faire ceste faveur au grand druide, qu’en fin elle y consentit, tant pour satisfaire à la priere que Paris, et ces belles bergeres luy faisoient, que pour le desir qu’elle avoit de parler au sage Adamas, sur les affaires qui la conduisoient en ce lieu, ayant desja fort ouy parler de sa prud’hommie.

Le contentement d’Hylas ne fut pas petit quand il vit ceste resolution. Et parce que Daphnide ayoit fort bonne cognoissance de son humeur, et qu’elle l’avoit cogneu en l’isle de Camargues et en Arles, elle luy fit par les chemins plusieurs demandes, ausquelles les bergeres respondoient quelquefois pour luy, et quelquefois Silvandre. Et quoy qu’il voulust se contraindre un peu devant Daphnide, Stiliane, et Carlis, si est-ce qu’il ne pouvoit s’empescher d’eschapper bien souvent en ses responses, et mesme quand Silvandre prenoit la parole ; de quoy ces estrangeres rioient, de sorte qu’enfin s’addressant à Daphnide : Je croy, luy dit-il, madame, que prenant l’habit de ces bergeres, vous en avez aussi pris l’humeur, puis que les discours de ce berger vous plaisent si fort ; car il ne sçauroit ouvrir la bouche pour me contredire, qu’elles n’en rient à haut de teste. Mais, Silvandre mon amy, continua-t’il, se tournant vers le berger, sois certain que c’est de toy que ceste belle dame se mocque, et non pas de moy, parce que n’ayant esté nourry qu’aux villages, tu ne sçais guere bien comme il faut parler à celles qui luy ressemblent. Et pource, si tu m’en crois, tu ne continueras plus ce qui est tant à ton desavantage. – Gentil berger, dit incontinent Daphnide, ne croyez point Hylas ; vous sçavez assez quel il est, et j’aurois trop de desplaisir que vous eussiez cette opinion de moy. – Madame, respondit Silvandre, nous nous faisons souvent de semblables reproches, Hylas et moy, et toutesfois nous ne nous croyons guere l’un l’autre. Mais Hylas, dit-il, se tournant vers luy, tu te trompes fort, si tu crois que je n’aye point de cognoissance de ceste belle dame ; j’aurois en vain esté si longuement parmy les Massiliens, et il faudroit bien que j’eusse eu les oreilles bouchées, et les yeux clos, si je n’eusse ouy parler de son merite, ny veu sa beauté. Je sçay, Hylas, peut-estre mieux que toy, qui est la belle Daphnide, qui Alcidon, et qui le grand et redoutable roy Euric ; peut-estre te raconterois-je plus particulierement la prise qu’il fit et de la ville des Massiliens, et de celle d’Arles, qu’autre qui le voulust faire, et pour ce ne pense, encor que je sois berger, m’estonner par tes discours, n’ayant pas, non plus que toy porté tousjours la houlette et la pannetiere que tu me vois.

Daphnide alors prenant la parole : A la verité, dit-elle, Hylas, ce berger monstre qu’il ne me cognoist pas mal, et je crois aux paroles qu’il tient, qu’il en sçait plus que vous ne pensiez. Mais, gentil berger, dit-elle, si ce ne vous est importunité, dites-nous où vous avez appris ce que vous racontez ? – Madame, respondit Silvandre, j’ay esté longuement dans les escoles des Massiliens, où vostre nom a este tant chantdé des bardes, qu’il n’y a personne qui ne l’aye ouy. – Et comment estes-vous maintenant, dit-elle, en ceste contrée avec cet habit de berger, et qui vous y retient ? – La fortune, dit-il, m’y a conduit, et l’amour m’y arreste. – Et moy, dit Hylas, l’amour m’y a conduit, et Alexis m’y fait demeurer. – Et qui est, dit-elle en sousriant, ceste bien-heureuse Alexis ? – C’est celle-là, continua Hylas, qui vous fera rougir de honte, et paslir d’envie, la voyant si belle qu’il n’y a beauté qui puisse egaler la sienne. – Vous en dites beaucoup, Hylas, respondit-elle, pour n’estre pas creu, et trop pour estre creu du tout. – Que diriez-vous, repliqua-t’il, si je vous en disois autant qu’il y en a, puisque, n’ayant seulement que commencé d’en parler, vostre croyance est si foible ? Si vos yeux ne me servoyent bien tost de tesmoins contre vous-mesmes, je m’efforcerois de le vous tesmoigner par mes paroles ; mais je me rermets à eux, et au jugement qu’ils en feront, mesme que j’espere que ce sera si tost que vous souvenant encores de mes paroles, vous advouerez en vostre ame qu’elles sont veritables, si ce n’est que vous m’accusiez de n’en avoir pas dit assez .

Alcidon lors prenant la parole : Pour l’amour de vous, Hylas, dit-il, on vous advouera que vostre maistresse est belle, mais qu’elle surpasse Daphnide, si les paroles me deffailloient pour soustenir le contraire, j’y mettrois le sang et la vie. – Et moy, dit Hylas, d’un visage fort serieux, tant qu’il ne faudra que des paroles pour soustenir ce que j’ay dit, je le maintiendray contre qui que ce soit ; mais soudain qu’il faudra y employer du sang, je ne le quitteray pas seulement à vous, mais à tous autres qui voudront soustenir le contraire, car je fay profession de parler, et non pas de tuer. Chacun se mit à rire et de telle sorte qu’Alcidon ne peut luy respondre de long temps.

Sans doute leurs discours eussent continué plus longuement, s’ils ne se fussent trouvez si prés de la maison d’Adamas, qu’ils furent contraincts de se taire pour la considerer. Cependant Alexis, pour advancer d’autant le contentement qu’elle se promettoit de la veue d’Astrée, s’estoit accoudée sur une fenestre, qui regardoit du costé de la plaine, et discouroit avec Leonide du prochain contentement qu’elle attendoit. Mais lors qu’elle apperceut cette belle et grande trouppe, s’asseurant qu’Astrée en estoit, elle tressaillit toute, et à mesure qu’elle se venoit approchant, elle alloit aussi discernant tantost une bergere, et tantost un berger de sa cognoissance. Mais lorsqu’elle recogneut Astrée, ô Dieu ! que devint-elle ! Elle demeura longuement la veue sur elle sans dire mot, comme ne pouvant saouler ses yeux de cest agreable object ; en fin avec un grand souspir, et la monstrant du doigt à Leonide : La voilà, dit-elle, la plus belle, et la plus aimable bergere de l’univers, imitant presque en ce transport Adraste en sa folie. Et apres s’estre teue pour quelque temps, elle se recula un pas de la fenestre, et pliant le bras l’un en l’autre sur l’estomac. Mais, ô Dieu, dit-elle, comment m’oseray-je presenter devant ses yeux, puis qu’elle m’a commandé le contraire ? – Vous voicy encore, respondit Leonide, en vostre vieille erreur : n’avez-vous pas assez debattu avant que venir icy, ces mesmes considerations contre Adamas ? Et avez-vous desja oublié les raisons que si prudemment il vous a rapportées ? – Ne croyez pas, repliqua Alexis, que je les ay oubliées, mais je sçay bien aussi que comme que ce soit, Astrée me verra et je la verray, qu’elle parlera à moy, et que je parleray à elle ; et n’est-ce pas cela contrevenir à ce qu’elle m’a deffendu ? Va-t’en, me dit-elle (je me souviendray toute ma vie de ces cruelles paroles). Va-t’en déloyal, et garde-toy bien de te faire jamais voir à moy, que je ne te le commande.

La nymphe, qui vid bien que si ce discours passoit plus outre, il ne pouvoit que donner beaucoup d’inquietude au berger, pour ne le continuer davantage, elle luy respondit : II ne faut plus, Alexis, vous remettre devant les yeux ces considerations ; la pierre en est jettée, il n’est plus temps de demander conseil. Si vous devez voir Astrée, les choses sont en tel estat, que de necessité il faut passer plus outre ; mais voicy bien l’heure que vous devez monstrer que vous estes homme, et que vous venez de cet Alcipe, de qui le courage a tant esté estimé de chacun. Il faut, dis-je, que changeant de visage et de façon, vous receviez Astrée sans vous estonner, et qu’à son abord vous ayez tant de puissance sur vous-mesme, que personne ne s’apercoive de ce que vous voulez tenir caché. Car il faut que vous sçachiez que les premieres impressions sont celles qui durent le plus long-temps, et sur lesquelles on fait un plus seur jugement ; et pour ce resolvez-vous à vous déguiser de sorte, que ceux que vostre habit abusera, ne puissent estre détrompez par vos actions : – Ha ! madame, dit Alexis, que ceux qui sont sains donnent aisément conseil aux malades ! – Ne voilà pas desja une faute ? reprit Leonide, pourquoy ne m’appelez vous vostre sœur, et non pas madame ? Puis que vous sçavez bien que, comme Adamas veut que j’appelle Paris mon frere, de mesme, il m’a ordonné que je vous nommasse ma sœur, et si vous faictes autrement, quel soupçon ne donnerez-vous point de vous-mesme ? Voyez-vous, Alexis, vostre visage ressemble si fort à celuy de Celadon, que si vous voulez qu’il ne soit point recogneu, il vous faut user d’un grand artifice pour le déguiser. – Ma sœur, respondit Alexis, puis qu’il vous plaist que je vous nomme de cette sorte, je m’estudieray de n’y plus faillir, mais souvenez-vous que jamais personne ne fut plus empeschée que vostre miserable scœur en cette occasion, et que si personne ne luy ayde, je ne sçay comment elle pourra tromper les yeux d’Astrée envers laquelle elle n’a jamais usé de feinte ny de déguisement. – C’est aux occasions, dit la nymphe, qu’il faut faire paroistre ce que nous valons ; efforcez-vous un peu, et faites, comme on dit, de necessité vertu, et vous asseurez que l’authorité d’Adamas est si grande, et sa preud’homie telle en l’opinion de chacun, que pour peu que vous vous y aydiez, il n’y a pas apparence que l’on entre en doute, que vous ne soyez sa fille.

Elle parloit de cette sorte, quand Adamas ayant esté adverty de la venue d’Astrée, entra dans la salle pour rasseurer un peu Alexis, qui ne fut pas une petite prudence : car elle estoit tant hors d’elle-mesme, qu’il estoit bien necessaire de la preparer à cette rencontre, de peur qu’estant surprise, elle ne donnast trop de cognoissance de ce qu’elle estoit. Et lors qu’ils estoient plus avant en discours, on les vint advertir que toute cette trouppe estoit desja dans la basse cour du chasteau. Alexis changea toute de couleur, et les jambes luy tremblerent de sorte qu’elle fut contrainte de s’asseoir. Leonide qui s’en prit garde, afin de mieux couvrir leur dessein, dit à Adamas, qu’il seroit à propos de fermer les vanteaux des fenestres, et ne laisser que fort peu de clarté dans la sale, afin que l’on s’apperceust moins des changemens du visage d’Alexis, et que cet artifice seroit encore à propos pour empescher que la grande chaleur n’entrast si fort dans le logis. Le druide qui trouva cet advis fort bon, le commanda à ceux qui l’estoient venu advertir de l’arrivée des bergeres.

Mais s’ils estoient bien empeschez de leur costé, Astrée ne l’estoit gueres moins du sien, à qui le cœur battoit de sorte qu’elle en estoit elle-mesme toute estonnée. Ce qui la contraignit, s’approchant de Phillis, de luy dire à l’oreille : Je vous prie, ma sœur, trouvez quelque excuse pour nous faire un peu arrester icy, car j’advoue que l’esperance que j’ay de voir en Alexis le visage de Celadon, me met si fort hors de moy que je crains, si je n’ay le loisir de me rasseurer un peu, de donner trop de cognoissance de ce que je desire de cacher à chacun, mais particulierement à ces estrangers. Phillis qui estoit advisée, s’approchant de Daphnide : Madame, luy dit-elle, n’estes-vous point lasse de cette aspre montée ? Si vous le trouviez à propos, je m’asseure que toute cette compagnie seroit bien aise de reprendre un peu d’haleine avant que de monter à la sale. – Quant à moy, dit-elle, je suis bien de cet avis et je n’osois le proposer, de peur de vous desplaire à toutes.

Hylas qui ne pouvoit souffrir qu’on luy retardast le contentement de voir sa chere Alexis : Madame, dit-il, si vous n’estiez en si bonne compagnie, je n’oserois vous laisser seule, mais puis que cela est, vous ne trouverez pas mauvais que j’aille dire que vous venez, car j’aime mieux reprendre haleine aupres d’Alexis, et contenter mes yeux des beautez que j’ay laissées dans la maison, que d’estre icy, et ne contempler que les statues, qui sont dans les niches de ces murailles. A ce mot, sans attendre personne, ny mesme la response de Daphnide, il monta l’escalier, au haut duquel, à l’entrée de la salle, il rencontra Adamas, Leonide, et Alexis. Et parce qu’ils avoient jugé tous trois que l’amour de Hylas serviroit beaucoup à couvrir ce qu’ils vouloient tenir caché, ils luy firent la meilleure chere qu’ils peurent, et mesme le druide, apres l’avoir embrassé en sousriant, luy dit : II est aisé à cognoistre que de toute cette troupe il est le plus de nos amis. – Si la haste, dit Hylas, que j’ay eue de venir le premier vous en a donné quelque cognoissance, le retardement que je mettray à m’en aller le dernier ne vous en rendra pas moins de tesmoignage. Mais je voudrois bien que ma venue fust aussi aggreable à vostre compagnie comme elle a este desirée de moy. – II n’en faut nullement douter, dit Leonide, n’est-il pas vray ? ma sœur. – J’avoue, respondit Alexis, que quant à moy j’en reçois beaucoup de contentement. Hylas alors s’approchant d’elle : Vous voyez, belle Alexis, dit-il assez bas, comme je ne suis guere fascheux à contenter. Pourveu que de vous trois, vous seule l’ayez aggreable, ce m’est assez. – Et quoy ? reprit Leonide, feignant fort à propos d’en estre faschée, estimez-vous, glorieux berger, si peu le reste de la compagnie ? Je vous asseure que je m’en vengeray, et qu’avant que la journée se passe, vous vous repentirez du mespris que vous avez fait de moy. Elle profera ces paroles avec un visage severe, et representant fort bien ce feint mécontentement. Mais Hylas, qui de son naturel ne se soucioit de femme du monde, que de celle qu’il aymoit : Je m’en repentiray, dit-il, lors que la belle Alexis se repentira de ce qu’elle a dit, et avant que cela soit, si vous ne voulez perdre vos peines, ne cherchez point de vous venger de moy. Et lors qu’elle s’en repentira, ne prenez non plus la peine de faire cette vengeance ; car le desplaisir que j’en auray sera si grand, que vous n’y sçauriez rien adjouster. – Mon serviteur, respondit Alexis, tant que vous m’aymerez, cette vengeance ne se fera donc point, car vostre bonne volonté m’est trop chere.

II vouloit respondre lors qu’Adamas l’interrompit, luy demandant qui estoient les bergers et bergeres qui venoient : Je suis bien aise, mon pere, luy respondit-il, que vous m’ayez fait souvenir de le vous dire ; car en partie, j’ay devancé cette troupe pour vous en advertir, et je l’avois oublié, tant la veue d’Alexis m’empesche de penser ailleurs. Sçachez donc qu’Astrée, Diane et Phillis y sont, et plusieurs autres des hameaux voisins, ensemble quelques estrangers, comme Florice, Circene et leur compagnie.

Mais cela ne m’eut pas convié de vous en venir donner advis, n’eust esté la rencontre que nous avons faicte en chemin de la belle Daphnide et du gentil Alcidon, qui desguisez avec des habits de berger, viennent en cette contrée chercher la fontaine de la Vérité d’amour ; car Daphnide est la plus estimée dame de la province des Romains, et Alcidon le plus aymé chevalier de Thierry, et du grand Euric ; et par ainsi vous voyez que je ne suis pas le seul estranger, qui changeant mon habit me desguise de celuy de berger, pour vivre heureusement en vostre contrée. Adamas luy respondit : Est-il possible que ce soit cette belle Daphnide, de qui le grand Euric roy des Visigots a esté tant amoureux ? Et Hylas luy ayant respondu, que c’estoit celle-là mesme, il continua : Encore que je ne l’aye jamais veue, je ne laisseray pas de la cognoistre, parce que j’en ay un pourtraict, qu’on m’a asseuré luy estre fort ressemblant, si ce n’est que l’habit qu’elle porte m’en puisse peut-estre empescher. Je feray toutesfois semblant de n’en rien sçavoir, pour pouvoir rendre à nos bergeres l’accueil que je leur dois.

Leurs discours eussent bien continué davantage, s’ils n’eussent esté interrompus par la venue de toute la troupe ; car Astrée, encore que ce fust elle, qui fust cause du retardement, ne pouvant toutesfois se priver plus long temps de la veue de ce visage tant aimé, en fit signe à Phillis, qui pour complaire à sa compagne, s’addressant à Daphnide et à Paris, leur dit tout haut : Hylas par son impatience nous empesche de reprendre nostre haleine à nostre aise, nous contraignant de le suivre ; car que dira Adamas, quand il sçaura par luy que nous sommes icy ?– Vous avez raison dit Daphnide. Et prenant Astrée et Diane par la main, elles s’acheminerent toutes de compagnie. Et parce que l’escalier estoit large, elles marchoient toutes trois ensemble, et le reste de la troupe venoit confusément apres.

Adamas les attendoit à l’entrée de la salle, où il les receut avec le meilleur visage qui luy fut possible, et feignant de ne point cognoistre Daphnide ny Alcidon, il addressa sa parole aux bergers de sa cognoissance, et leur dit en sousriant. Et quoy, glorieuses bergeres, vous mesprisez de sorte vos voisins, que si je ne m’en fusse plaint, ma fille eust esté long temps icy sans que vous eussiez daigné la venir voir ? Astrée qui prit garde qu’encores qu’il parlast à toutes, toutesfois il adressoit sa parole particulierement à elle, luy respondit aussi pour toutes : C’est ainsi, mon pere, que les choses qui dependent de plusieurs sont bien souvent retardées, encores qu’elles soient jugées devoir estre faites promptement. – Cette excuse, dit Adamas, n’est guere bonne, et me semble que chacune de vous en particulier me devoit cette cognoissance d’amitié pour celle que je vous porte à toutes. Lors Diane prenant la parole : Mon pere, dit-elle en sousriant, vous sçavez bien que plusieurs ayment mieux donner ce qu’ils ne doivent pas, que de s’acquitter de leurs dettes, Mais si nous avons fait cette faute, nous n’en sommes pas demeurées sans chastiment, nous privant si long-temps de la chose du monde qui merite le plus d’estre veue. Et à ce mot, parce que Daphnide s’estoit reculée expressément, apres avoir salué Leonide, Astrée s’avança pour en faire de mesme à la deguisée Alexis ; mais quelle devint-elle, quand elle jetta les yeux sur son visage ? Et quelle devint Alexis, quand elle vid venir Astrée vers elle pour la baiser ? Mais en fin, ô Amour ! en quel estat les mis-tu toutes deux quand elles se baiserent ? La bergere devint rouge comme si elle eust eu du feu au visage, et Alexis, transportée de contentement, se mit à trembler comme si un grand accez de fievre l’eust saisie. Hylas qui avoit remarqué de quel courage sa maistresse avoit salué cette bergere, en devint si jaloux, qu’il ne peut souffrir qu’elle la tint plus long-temps en ses bras, et cette jalousie fut cause qu’il les separa, et que Diane eut le loisir d’entrer en la place d’Astrée, et apres elle Phillis, et puis le reste de la troupe.

Mais Adamas qui desiroit de couvrir le plus qu’il luy estoit possible les changemens de visage, et les troubles de l’esprit de sa fille, apres que les premieres salutations furent faites, et que confusément toute la trouppe fut entrée dans la salle, il mit Alexis au lieu le plus obscur, et lorsqu’il voulut les faire asseoir, il fit semblant de prendre garde à Daphnide, et à toute sa suite, et pource s’adressant à Thamire, il luy demanda fort haut, qui estoient ces belles estrangeres. Hylas, luy dit-il, mon pere, vous en dira plus de nouvelles que moy, s’il vous plaist de prendre la peine de luy en demander, car je ne puis vous en dire autre chose, sinon que les ayant rencontrées en venant icy, il nous a dit qu’elles estoient principales dames de la province des Galloligures. Lors Pâris s’approchant d’Adamas, luy dit que c’estoit la belle Daphnide, et le renommé Alcidon, si cogneus et pour la beauté, et pour le merite dans la Cour du grand Euric. Le druide feignant de n’en avoir rien sceu encore, fist semblant de se courroucer à Paris, de ce qu’il ne l’en avoit point adverty, et lors s’addressant à elle : Madame, luy dit-il, pardonnez à mon ignorance, et accusez vostre habit si je ne vous ay pas rendu l’honneur qui vous est deu. – Mon pere, respondit Daphnide, quand je me suis deguisée de cette sorte, ce n’a jamais esté en intention d’estre recogneue en cette contrée, où je ne suis pas venue pour y tenir le rang de Daphnide, mais seulement pour y trouver le repos que les dieux m’y ont promis, et je crois bien que sans Hylas, j’eusse peu achever mon voyage aussi incogneue que je le desirois. Mais puis que sa rencontre m’en empesche, je vous supplie, mon pere, que la cognoissance que vous avez de moy ne vous porte pas à ces devoirs de respect, et d’honneur desquels vous parlez, mais à m’ayder à trouver les salutaires remedes que les dieux m’ont faict esperer de recevoir en cette contrée. Adamas avec beaucoup d’honneur, et de soubmission luy respondit : qu’il essayeroit de la servir en tout ce qu’il seroit capable, et que toutesfois il ne pretendoit pas le dispenser pour cela de l’honneur qu’il luy devoit. Et lors luy presentant une chaire, et de mesme à Alcidon, et à tout le reste de la compagnie, chacun ayant pris sa place, Astrée se trouva aupres d’Alexis, et Leonide de l’autre costé, qui empescha qu’Hylas ne se peut mettre aupres de sa nouvelle maistresse ; et parce qu’il luy sembloit qu’elle s’amusoit trop avec Astrée, et qu’il ne pouvoit souffrir de se veoir privé si long-temps de son entretien, il l’alloit interrompant, et la contraignoit bien souvent de luy respondre.

Phillis prit garde au visage d’Astrée, qu’il l’ennuyoit, et qu’elle eust bien voulu en estre dechargée pour entretenir plus commodément cette druide, si ressemblante à son berger tant aymé, et pour descharger sa compagne d’une telle importunité, elle dit à Hylas : Mon feu serviteur, encore n’y a-t’il que les anciennes amitiez ; ceste maistresse que vous estimez si fort, est si belle, qu’elle ne faict pas grand cas de vous, revenez vers moy, qui vous ayme, et qui vous estime comme vous meritez. Hylas qui estoit passionnénent amoureux d’Alexis : Ma feue maistresse, dit-il à .Phillis, vous ne prenez pas garde à qui vous parlez, quand vous mettez en avant ces anciennes amitiez, car il suffit de les nommer telles pour me les faire hayr ; et pour vous monstrer que ce n’est pas d’aujourd’huy que j’ay ceste opinion, oyez des vers que j’ay faits il y a long temps sur ce sujet lors que venu de Camargue, j’estois encore sur les rives de l’Arar, et que selon la coustume, aux Bacchanales, nous nous déguisions pour dancer. Et lors s’approchant de Phillis, il dit tels vers.


AMOUR AUX DAMES,

Conduisant les vents pour dancer

Je suis Amour, cet enfant
Qui commande à toute chose,
Et qui de tous triomphant,
De tous à mon gré dispose :
La jeunesse, les appas,
Et les ames sans malices,
Le ris, le jeu, les esbas,
Sont mes plus cheres delices.

Enfant, j’ayme les enfans,
Chacun ayme ses semblables,
Et des vieux je me deffens,
Comme d’amour incapables :
Où sont aiguisez mes dards,
Où sont mes flammes esprises,
Qu’entre les enfans mignards,
Et leurs jeunes mignardises ?


Aussi j’ayme la beauté
Qui comme nouvelle rose,
Sous les rayons de l’Esté,
N’est encore bien esclose :
Et tiens pour un grand mal-heur
D’aymer long-temps une belle ;
Car plus que la vieille fleur,
J’ayme l’espine nouvelle.

Qui veut donc suivre l’Amour,
Ayme une tendre jeunesse,
Qu’il change de jour en jour,
Pour tousjours d’une maistresse
Ne r’alumer le tison,
Que mes loix veulent qui meure :
Amour est vieux et grison
Quand il dure plus d’une heure.

Mais je ne sais toutesfois
Quelle est l’erreur estrangere,
Qui meslant parmy mes loix
Sa doctrine mensongere,
Vient enseigner à l’amant
Une nouvelle science,
Que quelques-uns vont nommant
Du faux titre de constance.

Elle dit qu’il faut aymer
Jusques dans la sepulture,
Et qu’on doit mesestimer
Qui cherche une autre advanture,
Voire comme si son

mieux
Chacun ne devoit pas suivre.
A quoy serviroient les yeux,
Et pourquoy faudroit-il vivre ?

Or pour deffendre les miens
D’une si grande folie,
A ceste heure je m’en viens
Des cavernes d’Eolie,
Où dans de profonds cachots,
Pres du centre de la terre,
Les vents qu’on y tient enclos,
Sans cesse se font la guerre.

Je les ameine avec moy,
Ces vents legers, ô mes dames,
Pour vous inspirer ma loy,
Et pour chasser de vos ames,
Avec la legereté
Qu’ils ont eue en leur naissance,
Ceste opiniastreté
Que vous appellez constance.

Venez donc, troupeau leger,
Venez, je vous en supplie,
Dedans ces cœurs vous loger
Pour chasser ceste folie :
Faites que d’oresnavant
A bien aymer on s’appreste,
Mais qu’Amour comme le vent
Meure soudain qu’il s’arreste.

Esloignez, esloignez-vous,
O vous ames

trop austeres,
De mes autels et de nous,
Et de mes sacrez mysteres,
Non, vous ne meritez pas
D’avoir part à nostre gloire
Contentez-vous du trespas
Dont nous aurons la victoire.

Si vous voulez donc, continua Hylas, que je revienne vers vous, ne me parlez plus de ces anciennes amitiez, car je tiens pour ma devise

Une heure aymer, c’est longuement, C’est assez d’aymer un moment.

Et ne pensez que l’estime que vous dites faire de moy me puisse attirer, car on ne se soucie guere d’estre estimé des personnes de qui on a quitté l’amitié et qui nous sont indifferentes.

Silvandre, prenant la parole pour Philis : La reputation, dit-il, que chacun desire si fort, qu’est-ce autre chose que ceste estime que tu mesprises tant ? Et si elle est mesme estimable parmy les ennemis, pourquoy ne le sera-t’elle, Hylas, parmy les personnes que tu as tant aymées ? – Je voy bien, respondit froidement Hylas, que Silvandre n’a-pas la place qu’il desire non plus que moy, et que pour décharger sa colere sur quelqu’un, il me vient faire des contes, dont les nourrisses endorment leurs enfants. Mais, Silvandre mon amy, contre la mauvaise fortune il faut avoir bon cœur, et cependant nous contenter de dire que ce siecle est fort depravé, que les faveurs ne suivent jamais les merites, et que quelque jour la Fortune cessera de nous persecuter.

Hylas parloit de ceste sorte à Silvandre, parce que Leonide, pour favoriser Paris, avoit mis Diane au milieu, de sorte que Silvandre ne pouvant s’en approcher, avoit esté contraint de se mettre entre Celidée et Florice, ce qui estant recogneu de chacun, fust cause qu’ils se mirent tous à rire de cette responce, et Phillis particulierement qui dit : II faut advouer, Silvandre, qu’à ce coup il vous est advenu comme à celuy qui veut separer deux personnes qui ont l’espée en la main, et qui se mettant au milieu en demeure blessé, encore qu’il n’ayt point de querelle. – Si vous n’aviez point, respondit Silvandre, esprouvé bien souvent que les armes d’Hylas n’ont ny pointe, ny tranchant, je ne m’estonnerois pas tant que je fais de ce que vous dites ; mais, bergere, l’ayant cessé tant de fois, je ne sçay comment vous pouvez avoir ceste opinion. – Ne vous en estonnez, dict la bergere, car il a changé d’armes, maintenant il ne combat pas sous les siennes, et celles dont il vous a blessé, sont empruntées d’une personne qui a accoustumé de vaincre. – De ceste sorte, respondit-il, je vous advoueray une partie de ce que vous dictes. – Et moy, interrompit Hylas ; je diray avec plus de verité, que vous ne sçauriez, ny l’un, ny l’autre, me blesser, ny de vos armes, ny de quelque autre que vous puissiez emprunter ; car entre vos mains, pour bonnes qu’elles soient, elles demeureront sans force contre moy.

– Et entre les miennes, dit Florice, qu’en diriez-vous ? – Que je ne me souviens plus, respondit-il, si vous en avez jamais eu. – Vous ne direz pas ainsi de moy, adjousta Circene. – J’advoueray, dit-il, que quand je ne vous vy qu’un peu, je vous aimay beaucoup, et quand je vous vy beaucoup, je ne vous aimay que fort peu. – Sa veue, dit Palinice, a faict en cela comme le scorpion qui guerit la blesseure qu’il a faicte ; mais je m’asseure que vous ne direz pas cela de moy. – De vous, dit-il, comme s’il eust esté estonné ? eh ! par Hercule, dictes-moy comment vous appellez-vous à fin que je sçache, si vostre nom ne me blessera point mieux que vostre visage ? – Je voy bien, reprit Stiliane, qu’il n’y a que moy qui l’ayt peu vaincre. – Le peu, respondit Hylas, que je demeuray dans vostre prison, monstra assez quelle fut vostre victoire. – A la verité, continua-t’elle, vous en sortistes, mais ce ne fust pas sans payer vostre rançon. – Si je vous ay payée, repliqua-t’il, je ne vous doy plus rien, et si vous pensiez de me pouvoir surmonter aussi aisément que vous fistes, vous vous tromperiez fort ; je suis bien devenu plus grand guerrier que je n’estois pas, et je vous conseille de ne vous y point hazarder, car vos armes ne sont pas d’assez bonne trempe pour fausser les miennes. – Croyez, Stiliane, adjousta Carlis, qu’Hylas n’est que pour moy, et que comme j’ay esté la premiere qu’il a aymée, je dois estre aussi la derniere. N’est-il pas vray, Hylas ? – Souvenez-vous, luy dit-il, Carlis, qu’il est certain que tout revient à son commencement, et que tout ainsi qu’au commencement que je vous vy, je ne vous aimois point, de mesme aussi la derniere fois que je vous revoy, je n’ay point d’amour pour vous.

II n’y eut personne qui se pust empescher de rire, oyant les gracieuses responses d’Hylas, qui continuerent fort long-temps, cependant qu’Alexis et Astrée parloient ensemble. Mais encores qu’il semblast qu’Alexis deust bien employer ce temps, que la fortune luy concedoit, si est-ce qu’elle demeura long-temps, sans sçavoir par où commencer, estant empeschée par tant de considerations, que peut-estre ceste commodité se fust escoulée injustement ; si Astrée n’eust commencé la premiere à parler. Car cette deguisée druide, voyant devant elle celle qui luy avoit faict le commandement de ne se laisser jamais voir à elle, craignant d’estre recogneue, ou à la voix, ou à la parole, ou en quelqu’une de ses actions, estoit de sorte interdite, qu’elle n’osoit ouvrir la bouche ; ce qu’Astrée attribuoit au peu de privauté qui estoit entr’elles, ou bien qu’ayant tousjours esté nourrie parmy les vierges druides, et ne sçachant guere des affaires de cette contrée, elle estoit en peine dequoy luy parler. Mais la bergere estoit bien deceue, puis que ce qui l’en empeschoit, c’estoit tout le contraire, et pour en sçavoir trop. Et parce que ce visage qui luy representoit celuy de Celadon, aussi bien à la memoire que devant les yeux, luy donnoit un extreme desir de gaigner les bonnes graces d’Alexis, qui ne luy estoit desja que trop acquises, elle fut la premiere à rompre le silence de cette sorte : Quand je considere la beauté de vostre visage, et les graces dont le Ciel vous a advantagée par dessus les plus belles de nostre aage, je l’appelle presque injuste d’avoir voulu priver si long-temps cette contrée de ce qu’elle a jamais produit de plus rare, en vous cachant parmy les vierges druides, si loing de nous. Mais quand je me remets devant les yeux, que de tout ce qui est en l’univers, il n’y a rien d’assez digne pour servir la grandeur de Dieu, je dis qu’il est tres-juste d’avoir fait choix de vous, comme de la chose du monde la plus parfaicte. – Pleust à Dieu, dit froidement Alexis, que les perfections que la civilité vous fait dire estre en moy, y fussent aussi veritablement que tous ceux qui vous voyent les recognoissent en vous, afin que je fusse en quelque sorte aussi digne de servir nostre grand Tautates, que d’affection je dedie le reste de mes jours à son Service ! Je ne rougirois pas, belle bergere, de vous ouyr tenir ce langage, qui me reproche plustost ce qui me deffaut, qu’il me represente ce que je suis. – Je serois marrie reprit Astrée, que vous eussiez si mauvaise opinion de moy, qu de croire que je ne sçache recognoistre en quelque sorte les perfections qui sont en vous ; car encore que le Ciel m’ait faict naistre bergere, et ne m’ait donné guere plus d’esprit qu’il en faut pour vivre parmy les bois, si est-ce que, comme la clarté du Soleil est veue par tous les yeux ausquels elle esclaire, quoy que plus ou moins, selon qu’ils en sont capables, de mesme m’est-il permis de voir vos perfections et en recognoistre assez pour les admirer, quoi que j’advoue que plusieurs autres à qui Tautates aura donné plus de jugement les remarqueront mieux, mais ne les sçauroient estimer d’avantage que je fais. – Je ne contrediray jamais, repliqua Alexis, à un si favorable jugement ; mais je prieray seulement Dieu que quand vous m’aurez mieux cogneue, vous ne le revoquiez point ; car encores que mon dessein, ny ma profession ne me doive pas laisser en ce lieu fort longuement, si est-ce qu ce me sera tousjours un extréme contentement d’estre aux bonne graces de toutes celles qui vous ressemblent, et particulieremer de vous, de qui j’ay desiré il y a long-temps la cognoissance, et vous asseure que ce desir me fit laisser mes compagnes avec moins de desplaisir, quand je sceus que je verrois Astrée. – Madame, respondit la bergere, cette faveur en toute façon est extréme ; car si vous en avez eu la volonté, si esloignée de nous, ce bon-heur ne peut estre mesuré, et si c’est seulement pour nous obliger que vous le dites, ne sommes-nous pas bien-heureuses que cette pensée ait esté en vous ? Mais je diray bien avec verité que la nouvelle de vostre venue remplit toute cette contrée, et de tristesse et de joye : de tristesse, oyant dire vostre maladie et de joye, nous asseurant de recevoir cest honneur de vous veoir. – Et toutesfois, dit Alexis, belle bergere, vous avez tant retardé de venir icy, que si autre que vous me le disoit, je ne le croyrois pas. Mais pour changer de discours, dites-moy, je vous supplie à quoi passez-vous ordinairement le temps ? car on m’a faict entendre que la plus heureuse vie du monde, est celle des bergers et bergeres de Forests. – Elle est, dit Astrée, veritablement heureuse pour ceux qui n’ont point esté plus aymez de la fortune, car vous sçavez, Madame, que ceux qui ont esté heureux, quand ils perdent une partie du bien qu’ils ont possedé, ressentent plus de desplaisir, que s’ils avoient esté tousjours mal-heureux. – Il est vray, dit Alexis, mais en vostre vie champestre et retirée, je ne croy pas que vous soyez gueres subjetes à ces coups de fortune. – Nous ne le sommes pas tant, dit Astrée, que celles qui vivent dans les Cours, et dans le maniment du monde ; mais tout ainsi que les lacs, encor qu’ils soient moins spacieux que la mer, ne laissent d’avoir leurs orages, et leurs tempestes, de mesme est-il de nous, car nous avons aussi nos infortunes et nos mal-heurs. Et je sçaurois bien qu’en dire, ayant depuis peu perdu presque en mesme jour, et mon pere et ma mere, perte qui m’a de sorte affligée que je ne pense pas de long-temps m’en pouvoir remettre. – Et y a-t-il long-temps, respondit Alexis, car il me semble d’en avoir ouy parler ? – Il y a environ quatre ou cinq lunes, dict la bergere, jour qui me sera à jamais deplorable. Et à ce mot, elle fit un grand souspir. – II est bien ennuyeux, dit Alexis, de perdre ceux à qui on est obligé de porter tant d’affection ; si n’y a-t-il rien de si naturel que de voir mourir le pere avant les enfans. Encor vous doit-ce estre une grande consolation qu’ils vous ayent laissée en aage de vous sçavoir conduire. – Une des choses, dit Astrée, qui m’a aussi vivement touchée, en leur mort, c’est que presque j’en suis la cause. –Il est certain, dit Alexis, que vous me remettez en memoire d’en avoir ouy dire quelque chose, et me semble qu’on me raconta qu’ils s’estoient noyez en voulant vous retirer d’une riviere où vous estiez tombée. – Pardonnez-moy, madame, dit Astrée. Il est vray que je tombay dans la malheureuse et diffamée riviere de Lignon, voulant ayder un berger qui s’y noya. Et parce que les mauvaises nouvelles sont incontinent portées, ma mere Hyppolite le sceut, et comme on augmente tousjours au conte, on luy dit, que je m’y estois noyée : elle fut surprinse d’une si grande frayeur, que jamais depuis elle ne se peut remettre, et mourut incontinent apres, et mon pere du regret de sa perte la suivit bien-tost, et ainsi je fus privée en mesme temps, et de pere et de mere.

Astrée ne peut raconter ces choses sans estre fort esmeue, et Alexis de mesme, mais feignant que c’estoit pour la compassion, elle luy dit : Et qui estoit le pauvre berger qui se noya ? – Je ne croy pas, dit froidement Astrée, que son nom soit cogneu de vous : il se nommoit Celadon, et estoit frere de Lycidas, que vous voyez icy. – Est-ce, continua Alexis, Celadon fils d’Alcippe et d’Amarillis ? – C’est celuy-là mesme, dit Astrée. – Je cognois son nom, respondit Alexis, et je me souviens d’en avoir ouy fort souvent parler ; Ce fut à la verité un mal-heureux accident. – Je vous asseure, madame, reprit Astrée, que depuis ce temps-là, il semble que toute sorte de plaisir se soit banny de nostre rivage, car autrefois on ne voyait que jeux et resjouyssances parmy nous. A cette heure chacun est saisi d’un tel assoupissement, qu’on ne jugeroit jamais que nous fussions celles que nous soulions estre. Et quant à mon particulier, j’en ay bien eu du sujet, ayant perdu un pere et une mere, qui me tenoient si chere, que maintenant me voyant traiter autrement par mon oncle, entre les mains de qui je suis tombée, je le ressens doublement. Mais madame, je vous entretiens d’ennuyeux discours, pardonnez-moy, s’il vous plaist. – Tant s’en faut, repliqua Alexis, que vous m’obligez infiniment, et me faites un extréme plaisir de me raconter ces particularitez qui vous touchent ; car outre que vostre merite, et vostre vertu obligent chacun à vous estimer, il faut que vous croyez que particulierement je desire que vous m’aymiez, et pource continuez, si vous me voulez faire plaisir. – Madame, dit Astrée, si Dieu m’a fait cette grace de vous donner cette bonne volonté à mon avantage, je la reçois pour tres-grande, et vous jureray, si toutesfois vous me le permettez, et que vous ne pensiez pas que ce soit outrecuidance, que des le moment que j’ay eu l’honneur de vous voir, il y a eu quelque chose qui m’a tellement donnée à vous, que rien ne m’en retirera que la mort.

Alexis vouloit respondre, et peut-estre fussent-elles entrées bien avant en discours, si la jalousie de Hylas ne les en eust empeschées ; mais, tout effrontément, ne pouvant plus supporter cette longue conference entre ces deux amans, il se vint mettre à genoux devant Alexis, et luy prenant une main, la luy baisa avant qu’elle s’en fut pris garde, tant elle estoit attentive à son discours. S’en estant en fin apperceue, elle retira sa main, et luy dit : Et quoy, mon serviteur, ces belles bergeres de Lignon, ont-elles accoustumé de vous permettre ces familiaritez ? Les vierges druides, d’où je viens, trouveroient cela fort estrange. – Ma maistresse, dit Hylas, tout ainsi que je ne me conduits pas selon les incivilitez de ces bergeres dont vous parlez, aussi ne devez-vous suivre les austeritez de ces druides, autrement ny vous, ny moy n’en recevrons pas beaucoup de contentement. – Je ne sçay, dit Alexis, ce que vous voulez dire, si sçay bien qu’il vous faudra avoir de fortes raisons, pour m’empescher de suivre les exemples des sainctes vierges, parmy lesquelles j’ay esté si longuement nourrie. – Je croy bien, dit froidement Hylas, ce que vous dites, mais vous devez aussi penser qu’il ne vous faut pas de moindres persuasions pour me faire changer de naturel. – Je serois bien marrie, respondit Alexis, de vous contraindre d’en changer, car je vous veux bien tel que vous estes ; mais permettez que la loy soit esgale entre nous, c’est le moins que, comme à vostre mistresse, vous me deviez accorder. – II est vray, dit Hylas, mais comment l’entendez-vous ? – Je l’entends, continua Alexis, que comme je vous veux bien tel que vous estes, que vous me vueilliez bien aussi telle que je suis, et qu’ainsi, sans que vous changiez ny moy d’humeur ny vous de complexions, nous nous entr'aymions tousjours comme nous avons commencé. – Je veux bien, dit Hylas, une partie de ce que vous dites, mais l’autre n’est pas selon mon intention ; et je crains que vous n’ayez trop appris parmy ces clergesses des Carnutes.

Chacun se mit à rire du discours de Hylas.

Et cependant Adamas entretenoit Daphnide et Alcidon de cette sorte : Madame, luy disoit-il, je ne doute point que ce ne soit pour un bon sujet que vous soyés venue en cette contrée, car autrement vous n’eussiez pas pris une si grande peine, vous qui estes nourrie et eslevée dans les douceurs et delicatesses de la Cour, et qui luy avez si longuement servy de lustre et de loy. Et je n’aurois garde de vous en demander la cause, si ce n’estoit ce que vous m’en avez desja dit, car cognoissant par là que vous attendez quelque service de moy, le desir que j’ay de vous en faire, me rendra plus hardy à vous supplier de me le dire, à fin que je vous y serve, et selon vostre merite et selon mon devoir. – Mon pere, respondit Daphnide, et l’asseurance que j’ay en vostre preud’hommie, et la necessité que j’ay de vostre assistance, me feront tousjours remettre entre vos mains, et ce secret, et un plus grand encores, si j’en pouvois avoir. Et je dis, si j’en pouvois avoir, car je ne croy pas que jamais il s’en presente un qui soit plus important pour moy que celuy-cy. – J’estimeray, dit le druide, ma condition plus heureuse, lors que j’auray plus de moyen de m’employer pour vostre service. Et pour vous faire paroistre combien j’ay fait estime de vostre merite avant que d’avoir eu l’honneur de vous voir, si vous voulez prendre la peine de voir une galerie qui est en cette maison, vous trouverez que vostre pourtraict y est au rang qu’il merite. – Je n’eusse jamais creu, dict Daphnide, que chose si peu digne d’estre ny veue, ny conservée, eust esté si soigneusement recherchée par le grand Adamas. Toutesfois, puis que cela est, je veux croire que les dieux qui sont bons, vous ont donné cette curiosité, afin de m’ayder en cette occasion, dont tout mon repos, et contentement peut proceder. Et pour vous dire ce que c’est, je le feray avant que de partir d’aupres de vous, aussi a-ce esté la principale occasion qui m’a conduite icy. Cependant, mon pere, dites-moy, je vous supplie, en quel lieu de cette contrée est la fontaine de la Verité d’Amour, et par quel moyen pourray-je y aller ? – II est fort aisé, dit le druide, de vous dire en quel lieu est cette fontaine, car elle n’est pas loing d’icy. Mais je croy impossible maintenant que vous y puissiez aller, pour les dangereux enchantements qui y ont esté faits, à cause de Clidaman, et de Guyemants, il y a quelques lunes, par lesquels certains lyons, et quelques autres animaux sauvages y ont esté mis pour la garder, lesquels ont tant de force et d’agilité, qu’il n’y a point d’apparence que par force on y puisse rien faire. – S’il ne faut, dit Alcidon, que mettre la vie pour le Service de madame, elle aura bien tost le contentement qu’elle desire. – Je croy bien, dit froidement le druide, que si la valeur et le courage pouvoient quelque chose contre les enchantemens, la belle Daphnide auroit ce qu’elle desire, par le vaillant et courageux Alcidon. Mais il faut que vous sçachiez que toute la force de tous les hommes ensemble ne sçauroient rompre le moindre sort qui se fasse ; d’autant que les esprits qui sont d’un genre superieur aux hommes, sont tellement puissants, qu’un seul pourroit par sa propre puissance ruiner tout l’univers, si le grand Tautates pour la conservation des hommes ne les en empeschoit. Or ces esprits, par les conventions qu’ils font avec ces hommes qui se nomment magiciens (quoy que ce nom soit trop honorable pour eux), s’obligent si estroitement à executer ce qu’ils promettent, qu’il n’y a force humaine qui les en puisse empescher ; de sorte que pour en veoir la fin, ou il faut recourre aux vœux et aux supplications, afin que Hesus, le Dieu fort, flechy par nos sacrifices, les rompe, ou bien il faut attendre que le temps prefix et les conditions ordonnées par ceux qui ont fait l’enchantement aviennent. – Et quelles sont les conditions ? dit Alcidon. – Elles sont, adjousta Adamas, veritablement estranges : car l’enchantement ne peut finir qu’avec le sang, et la mort du plus fidelle amant, et de la plus fidelle amante, qui fust onques en cette contrée. – Voilà, dit Daphnide, un estrange sort, et qui ne peut estre que malheureux. – Pourveu, reprit Alcidon, que l’amante se peust trouver, je fournirois bien de ce fidelle amant. – Ouy, respondit Daphnide en sousriant, pourveu qu’aymer en divers lieux fust fidelité. – Puissiez-vous seulement, repliqua-t’il, produire aussi bien les tesmoignages de la vostre, qu’Alcidon iroit librement mettre sa vie en ce hazard. – Je vous asseure, dit Daphnide, que je ne suis point si desesperée, que de me vouloir faire mourir pour finir cet enchantement, et s’il ne doit jamais prendre fin que par ce moyen, ce ne sera pas moy qui esprouveray l’advanture. – Si est-ce, madame, adjousta Alcidon, qu’il semble que les dieux ayent cette volonté, puis qu’ils nous ont commandé d’y venir. – J’obeiray, dit Daphnide, tant qu’il me sera possible, à la volonte des dieux, mais pour me faire faire cette preuve, il faudra bien qu’ils me le commandent plus clairement et plus absolument. – Voilà que c’est, repliqua Alcidon, que d’une foible amitié. – J’advoue, dit-elle, que si cela tesmoigne la foiblesse de la mienne, vous aurez tousjours plus d’occasion de la croire telle ; car je ne sçaurois me resoudre à estre sacrifiée pour le public. Outre, que n’y ayant rien que j’ayme maintenant, pourquoy serois-je tant hors de moy, que de me vouloir priver de vie pour quelqu’un, puis qu’encor que j’aymasse plus que je ne sçaurois dire, je ne le voudrois pas faire ? Et que j’estimerois celuy hors du sens qui seroit de contraire opinion, n’y ayant pas grande apparence que celuy qui aime bien, vueille se priver de la veue, de la presence, voire de la jouyssance de ce qu’il aime, pour mettre fin à un enchantement.

Mais, mon pere, dit-elle, se tournant vers Adamas, je vois bien qu’Alcidon me contraint de vous descouvrir le subject qui nous ameine icy. S’il vous plaist, nous nous retirerons à part ; je le feray tres-volontiers, à condition que vous nous donnerez le conseil que vous jugerez le meilleur. – Madame, dit le druide, je voudrois vous pouvoir aussi bien conseiller, que d’affection je m’offre à vous rendre toute sorte de Service. Et s’il vous plaist, nous laisserons icy toute cette bonne compagnie, et vous prendrez la peine de venir en une galerie qui est prés d’icy, où vous ne serez accompagnée que de ceux que vous y appellerez.

A ce mot se levant, Adamas s’addressant à Leonide, à Paris et à Alexis, leur commanda de demeurer avec ces belles bergeres et gentils bergers, cependant qu’il conduiroit Daphnide dans la galerie. Et vous, Hylas, dit-il, mettant une main sur l’espaule, je vous supplie d’entretenir ceste bonne compagnie, et comme l’un de nos meilleurs amis, faire l’honneur de ma maison. – Encores, dit froidement Hylas, que j’aye plus accoustumé de faire le deshonneur que l’honneur des maisons où je me trouve, si est-ce que pour vous obeir, je le feray ; pourveu que ma maistresse me promette de faire ce que je luy diray.

Chacun sousrit de ceste responce d’Hylas, et Alexis mesme qui, mettant la main sur les yeux comme si elle eust eu honte, luy dit d’une fort bonne grace : Vous voudriez peut-estre, mon serviteur, vendre vos paroles trop cherement. – Non, non, dit incontinent Hylas, je ne veux que parole pour parole. – Si cela est, dit Alexis, et qu’Adamas me le permette, je le veux bien. – Priez donc ma belle maistresse, dit-il, toute cette trouppe, et Hylas avant tous les autres, de vous tenir compagnie pour tout aujourd’huy, et un peu plus longtemps encores si vous le voulez ; car il n’y auroit pas apparence que tant de bons amis se separassent si tost.

Adamas qui fut fort aise de ceste requeste, prenant la parole avant qu’Alexis pût respondre : Je vous asseure, Hylas, dit-il, que je vous en prie tous de bon cœur, et que celuy qui ne m’accordera ceste demande, me desobligera grandement. – Et moy, respondit incontinent Hylas, je vous dis pour tous, que nous vous obeyrons, et d’aussi bon cœur que vous nous en priez, et de plus, qu’encores que tous les autres s’en voulussent aller, j’y demeurerois plustost seul, pour vous rendre preuve de la puissance que vous avez sur moy. – Je vous asseure, Hylas, interrompit Daphnide, que vous avez merveilleusement bien profité en ceste contrée, et que vous y avez de sorte appris la civilité, que quand vous serez en Camargue vous en pourrez tenir escole. – Madame, dit Hylas, si tous mes escoliers devoient estre semblables à ma maistresse, je ne dis pas que je n’en prisse la peine ; mais autrement, croyez que je ne voudrois pas leur enseigner ce que j’en sçay si ce n’est qu’il y en eust quelqu’une comme vous. – Vous m’obligez de me mettre à l’esgal de cette belle dame, dit-elle, monstrant Alexis. – Pardonnez-moy, madame, reprit incontinent Hylas, je n’ay jamais pensé à faire cette faute ; aussi faudroit-il bien un plus sain jugement que le mien, qui est desja tellement prevenu par l’affection que je porte à celle que vous dites, que je ne puis ny voir, ny juger chose quelconque, qui ne soit à son advantage. Daphnide eust respondu elle eust ouy ces paroles, mais elle s’estoit desja fort esloignée, sans s’amuser à luy, et avoit emmené avec elle Alcidon, Stiliane, Carlis et Hermante. Le reste demeura dans la sale, où la collation leur fut apportée, attendant l’heure du soupper.