L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème du corbeau d'Odin

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anonyme
Traduction par Mlle  Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 223-227).


XI

LE POÈME DU CORBEAU D’ODIN

CHANT D’INTRODUCTION




1. Le Père de tous est puissant, les Alfes ont du discernement, les Vanes sont savants, les Nornes indiquent sur leurs boucliers la marche du temps, les géantes enfantent, les hommes souffrent, les Thursars soupirent, les Valkyries aspirent après les batailles.

2. Les Ases ont de tristes pressentiments ; des démons artificieux les troublent par des runes magiques. Urd est chargée de la garde d’Odreyer, et de le défendre énergiquement contre la plus grande multitude.

3. C’est pourquoi Hugen hâte ses recherches dans le ciel ; les dieux appréhendent des chagrins s’il tarde longtemps. Thrain rêve des malheurs, et Dains redoute des infortunes encore cachées.

4. Les forces des nains deviennent languissantes, les mondes s’affaissent sur les enfants de Ginung. Souvent Allsvider répand sur eux la rosée d’en haut, et reprend ce qui ést tombé.

5. Jamais la terre ou le soleil ne s’arrêtent ; la ruse ne peut entraver le courant de l’air. La sagesse des hommes est cachée dans le puits limpide de Mimer. Me comprenez-vous ?

6. Descendue du frêne Yggdrasel.la déesse séjourne avec curiosité dans les vallées. Ces vallées donnent le nom d’Idun à la plus jeune des enfants d’Ivald de la race des Alfes.

7. La déesse s’affligeait de ne plus résider dans le frêne ; elle s’affligeait encore davantage de se trouver parmi les descendants de Nœrve, habituée qu’elle était à de plus belles demeures.

8. Les héros, ayant vu que Nanna éprouvait du chagrin dans les cours de la terre, lui donnèrent une forme de loup ; elle s’en laissa revêtir, changea d’humeur, de couleur, et badina avec ruse.

9. Vidrer[1] chargea la sentinelle de Bœfrœst de demander à la fille de l’or ce qu’elle savait sur tous les mondes. Brage et Lopter servirent de témoins.

10. Ils montèrent sur des loups dans la cour de Hejmer, et chantèrent l’évocation. Odin l’écouta de Hlidskjalf, et invita les hommes à s’éloigner du chemin.

11. Le sage demanda à Idun, qui verse l’hydromel aux descendants des dieux et à leur compagnie, si elle connaissait l’origine, l’âge et la fin du ciel, de la terre et de l’abîme.

12. Elle ne parla point, ne put répondre une parole à ceux qui l’écoutaient, ni articuler un son. Les larmes tombèrent des boucliers de sa tête[2] et mouillèrent ses joues.

13. Comme Elivôger qui vient de l’Orient, elle arrive avec force cette baguette du géant qui frappe à minuit tous les peuples du magnifique Midgôrd.

14. Alors les bruits cessent, les mains tombent, le dieu blanc s’assoupit, l’enivrement du sommeil interrompt la joie des géantes, les méditations de l’esprit et la haine vigilante.

15. Les dieux crurent que la jeune fille était endormie, lorsque, oppressée par la douleur, elle ne put leur répondre ; ils craignirent un refus ; mais sa réponse les satisfit encore moins.

16. Le général des dieux partit pour interroger le gardien de la trompe de Gjallar, dans les salles du Père des armées. Il emmena avec lui le fils de Nala[3] ; le poëte de Grimer[4] resta pour garder la place.

17. Les hommes de Vidarr arrivèrent à Vingolf ; ils avaient été conduits par les enfants de Fornjot[5], entrèrent et saluèrent les Ases assis au banquet joyeux.

18. Ils souhaitèrent à Odin d’être le plus heureux des Ases, et de régner du haut de son trône ; ils souhaitèrent à ses conseillers divins, assis au banquet, de jouir avec le Père de tous d’une joie éternelle.

19. Sur un ordre d’Odin, toute la compagnie céleste s’assit sur les bancs, et l’on mangea Sæhrimner. Skœgul puisait avec convenance dans la cuve de Hnikar[6], et versait l’hydromel dans les coupes de la mémoire.

20. À table, les dieux adressèrent beaucoup de questions à Heimdall, et les Asesses à Loke, afin de savoir si la jeune fille avait fait des prédictions ou proféré de sages sentences. Ainsi se passa le temps jusqu’à l’arrivée des ténèbres.

21. Les messagers dirent qu’ils n’avaient point réussi dans leur commission, et qu’il serait sans doute difficile de trouver un moyen pour obtenir une réponse de la jeune fille.

22. Ome prit la parole, et tous l’écoutèrent : « Prenons cette nuit pour nous livrer à de nouvelles méditations, afin de pouvoir donner demain matin un avis aux Ases cléments. »

23. La mère de la terre[7] courut dans le sentier de Rinda à travers des contrées appartenant au père des loups[8]. Odin et Frigg se retirèrent du festin, et saluèrent les dieux, quand Hrimfaxe partit.

24. Le parent de Delling[9] fit avancer son cheval couvert de pierres précieuses, et dont la crinière éclaira tout Manhem ; il traînait le jouet de Dvalinn[10].

25. Les géantes, les Thursars, les morts, les Nains et les Alfes allèrent se livrer au repos sur la limite septentrionale de la terre, et en dessous de la dernière racine du monde.

26. Les dieux s’éveillèrent, la pourpre des Alfes sortit des ténèbres, la nuit s’enfuit au nord vers Niflhem. Le fils d’Ulfrun[11], gardien de la troupe de Himmingborg, passa le Bæfrœst.


  1. Odin. (Tr.)
  2. Les yeux. (Tr.)
  3. Loke. (Tr.)
  4. Brage. (Tr.)
  5. Le vent et l'eau. (Tr.)
  6. Odin. (Tr.)
  7. La nuit. (Tr.)
  8. Les montages. (Tr.)
  9. Le jour. (Tr.)
  10. Le soleil. (Tr.)
  11. Heimdall. (Tr.)