L’Empire des tsars et les Russes/Tome 3/Livre 2/Chapitre 9

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Hachette (Tome 3p. 260-288).


CHAPITRE IX


Le clergé blanc ou séculier. — Comment le clergé est devenu une caste. De l’hérédité des fonctions ecclésiastiques. Églises apportées en dot. Subdivisions de la caste sacerdotale. — Éducation du clergé. Séminaires et Académies ecclésiastiques. Caractères de ces établissements. Leur personnel, leur esprit, leur enseignement. — Situation matérielle du clergé. La plupart des popes ne reçoivent pas de traitement. Tendance à les salarier. Formation et accroissement du budget du culte orthodoxe. Les biens de l’Église. Ressources du clergé. Le casuel. Difficultés auxquelles donne lieu sa perception.


À côté ou au-dessous du clergé noir vient le clergé blanc, le clergé séculier et marié. C’est lui qui, à proprement parler, forme la classe sacerdotale, longtemps érigée en corporation héréditaire, sorte de tribu vouée au service de l’autel. Ce singulier système s’était établi peu à peu : le lévitisme était la conséquence du servage et de la constitution de la société civile. Le paysan, lié à la terre, ne pouvait entrer dans l’état ecclésiastique sans frustrer son seigneur ; le noble, propriétaire de serfs, ne pouvait devenir prêtre sans renoncer à ses serfs et aux privilèges de sa classe[1]. Dans de telles conditions, le recrutement du clergé ne pouvait se faire que par le clergé. Il dut y avoir une classe attachée à l’autel, comme il y en avait une attachée à la glèbe. C’est ce qui advint ; les fils de popes furent élevés au séminaire, et les emplois ecclésiastiques furent réservés aux séminaristes. La coutume ayant rendu le mariage des prêtres obligatoire, il fallait leur assurer des femmes ; à leurs filles il fallait assurer un établissement. Les filles de popes furent destinées aux clercs, et les clercs aux filles de popes. Aux filles, comme aux fils du clergé, il fallut une autorisation spéciale pour sortir de la classe sacerdotale et se marier en dehors d’elle.

Ainsi, par le fait même des besoins de la société, le clergé russe, avec ses femmes et ses enfants, se trouva constitué en véritable caste. En dédommagement de cette sorte de servitude sacrée, il reçut certains avantages : on le compta au nombre des classes privilégiées[2]. Il fut exempt du service militaire, exempt des impôts personnels, exempt des châtiments corporels, précieuses prérogatives, si elles avaient toujours été respectées, si les supérieurs ecclésiastiques ou les fonctionnaires laïques eussent plus souvent daigné se conformer aux lois.

Cette constitution du clergé tenait à l’état de choses sorti du servage, elle devait cesser avec l’émancipation. En 1864, trois ans après l’affranchissement des serfs, l’empereur Alexandre II fit tomber les murs séculaires de la caste sacerdotale. L’accès du sanctuaire fut ouvert à toutes les classes, et toutes les carrières furent ouvertes aux enfants du clergé. Cette émancipation du corps ecclésiastique ne produira ses conséquences que dans un temps assez éloigné. Si la loi permet au clergé de se recruter en dehors de lui-même, les mœurs le lui rendent encore difficile. Tant que les autres classes de la nation, que le noble, le marchand, le paysan, seront, par leur éducation ou par des liens civils, retenus en dehors du sacerdoce, le clergé restera dans le peuple une classe à part.

La constitution lévitique du clergé l’avait amené à des habitudes qui ne peuvent disparaître en quelques années. À la faveur de l’hérédité du sacerdoce, tendait à s’établir l’hérédité des fonctions et des emplois ecclésiastiques. Le pope cherchait naturellement à transmettre sa paroisse à l’un de ses enfants ; la cure du père était l’héritage du fils, plus souvent elle était la dot de la fille. Les paroisses tendaient ainsi à devenir une sorte de fief privé, de propriété des prêtres. Il s’en fallut de peu que le clergé ne se fît reconnaître ce droit de succession : plusieurs des principaux prélats de la Russie en combattirent vainement l’exercice au dix-huitième siècle. La coutume était pour les prétentions du clergé. D’ordinaire, pour entrer en possession d’une cure, le candidat devait épouser une des filles de son prédécesseur mort ou retiré ; le plus souvent l’évêque ne le nommait qu’à cette condition. Il y avait pour cela deux raisons. En perdant son chef, la famille du pope tombait le plus souvent à la charge de l’Église et de l’État, qui s’en déchargeaient volontiers sur le nouveau curé. Ensuite, peu de presbytères appartenaient à la commune ou à l’Église ; il y avait un champ affecté aux besoins du pope, mais la maison qu’il y construisait était son bien, elle faisait partie de sa succession ; pour en prendre possession, le nouveau venu devait se mettre d’accord avec la famille de son prédécesseur, la dédommager. L’arrangement le plus simple était, en entrant dans la maison, d’entrer dans la famille. Le second mariage étant interdit aux femmes de prêtres comme aux prêtres eux-mêmes, et ceux-ci ne pouvant épouser qu’une vierge, il n’y avait point à songer à une union avec la veuve du défunt. C’était donc par un mariage avec une des filles et une pension à la veuve ou aux autres enfants que se réglait le plus souvent la transmission des cures. On évitait ainsi les querelles et les procès, et, pour y couper court, l’autorité avait encouragé ce genre de solution. Les séminaristes n’étant promus au sacerdoce qu’après leur mariage, c’était avant leur ordination qu’ils devaient s’assurer d’une fiancée, en même temps que d’une paroisse. Aussi le principal souci des aspirants à la prêtrise était-il de chercher une héritière dont la main leur valût une église. Le futur curé s’enquérait moins des charmes ou des vertus de sa fiancée que de l’aménagement du presbytère et des revenus de la paroisse qu’elle lui devait apporter en dot.

La coutume d’arriver aux cures par un mariage ou un marché était si générale qu’il a fallu une loi pour défendre d’en faire une obligation. Ce n’est qu’en 1867 qu’il a été interdit d’exiger, pour la collation d’une cure, que le candidat entrât dans la famille de son prédécesseur ou lui servît une pension. Cette loi était excellente ; elle ne pouvait changer d’un coup des habitudes séculaires. Pour que la collation des cures cesse d’être compliquée d’affaires de mariage et de succession, il faut mettre les veuves et les orphelins du clergé à l’abri du besoin, il faut assurer à chaque pope une demeure paroissiale.

L’hérédité ne s’était pas seulement introduite dans les fonctions de curé et de prêtre, elle était descendue jusqu’aux derniers emplois de l’Église. La classe sacerdotale comprenait non seulement les prêtres et les diacres ayant reçu les ordres, mais aussi les chantres ou psalmistes, les sacristains, les bedeaux, les sonneurs[3]. Le clergé russe compte environ 500 000 âmes ; sur ce nombre, en apparence considérable, les ecclésiastiques en fonctions, les prêtres en particulier, sont peu nombreux. Le clergé blanc est encore moins homogène que le clergé noir ; il se divise en deux ou trois groupes, dont chacun formait une classe dans la classe, une sorte de sous-caste séparée des autres par le genre de vie ou l’éducation, et, en général, ne se mariant que dans son propre sein. C’est, d’abord, le prêtre, vulgairement appelé « pope »[4] ; les paroisses ordinaires en ont un, les plus importantes deux. Il y en avait, en 1887, à peine 35 000, dont près de 1500 portaient le titre d’archiprêtres. C’est ensuite le diacre, qui assiste le prêtre dans les cérémonies et peut le supléer dans quelques-unes, ainsi dans les enterrements ; chez lui, la qualité la plus prisée est une belle voix de basse. Comme le diacre n’est point essentiel à la liturgie, toutes les églises n’en ont pas, et les paroisses qui en possèdent en ont moins que de prêtres. On n’en compte guère que 7000. Ils étaient près du double il y a vingt-cinq ans ; cette diminution montre moins une tendance à la simplification du culte qu’à l’économie des frais du culte. Enfin viennent le sacristain et le bedeau, le chantre et le sonneur, les assistants du culte ou serviteurs de l’église (tserkovno-sloujiteli'). Ce bas clergé correspond aux ordres mineurs de l’Église latine ; il en exerce les anciennes fonctions. La plupart des paroisses ont un ou deux de ces assistants ou acolytes. Comme celui des diacres, le nombre en a notablement diminué depuis un quart de siècle ; ils ne sont plus guère qu’une quarantaine de mille. De même qu’en Occident, on tend maintenant à les remplacer par des mercenaires laïques.

Les deux ou trois clergés entre lesquels se partageait la classe sacerdotale étaient jusqu’à présent demeurés distincts. Au lieu d’être les degrés successifs d’une même carrière tour à tour parcourue par le même homme, les emplois inférieurs, le diaconat et la prêtrise restaient d’ordinaire isolés, exercés pour la vie par des clercs spéciaux. Le lecteur ou psalmiste demeurait psalmiste, le diacre demeurait diacre, surtout quand il avait une belle voix, comme le pope demeurait pope. Grâce à l’introduction de l’hérédité, les générations étaient même souvent rivées au même degré de la hiérarchie. Entre ces familles cléricales vivant côte à côte dans la même paroisse, il y avait peu d’alliances. Chaque classe se mariait dans son propre sein : psalmiste, diacre ou pope épousait la fille d’un de ses pareils. Souvent même il ne suffisait point, pour une union entre deux familles sacerdotales, qu’elles eussent le même titre hiérarchique, il fallait qu’il y eût entre elles une certaine parité de situation.

Pour l’éducation, comme pour l’aisance, le pope des villes est d’ordinaire bien au-dessus des popes des campagnes ; aussi y a-t-il peu d’alliances de familles entre le clergé rural et le clergé citadin. L’élite du clergé blanc est formée des protopopes ou archiprêtres, premiers prêtres d’une paroisse qui en a plusieurs. Ces protopopes sont souvent chargés des fonctions de blagotchinnye (mot à mot, « hommes du bon ordre » ), sorte de doyens ou inspecteurs du clergé paroissial. Un archiprêtre marié peut monter au plus haut emploi où puisse être appelé l’évêque, à un siège dans le Saint-Synode. Entre ces sommités du clergé blanc et le pope ou le diacre des campagnes, il y a un intervalle presque égal à la distance qui, dans le clergé noir, sépare le moine revêtu de la dignité épiscopale du novice réservé aux plus humbles services du couvent.


Dans le clergé marié, comme dans le clergé célibataire, l’intelligence et le travail ne sont point étrangers à cette diversité de destinées. Aux plus mauvais jours de l’hérédité et de la routine, le mérite avait encore sa part dans la distribution des emplois ecclésiastiques. Pour la prêtrise et le diaconat, il y avait une gradation de connaissances et d’examens. On n’arrivait au sacerdoce qu’en passant par deux ou trois épreuves successives ; le candidat qui s’arrêtait à la première était relégué dans le diaconat ; celui qui n’avait pu obtenir aucun diplôme n’avait, pour conserver les privilèges du clergé et n’être point pris comme soldat, d’autre refuge qu’une place de chantre ou de sacristain[5]. Les emplois ecclésiastiques se trouvaient ainsi mis à une sorte de concours.

Les écoles du clergé sont partagées en trois catégories : écoles de paroisse et de district, séminaires et académies, correspondant à peu près à nos trois degrés d’instruction : primaire, secondaire et supérieure. Les clercs inférieurs sortent des écoles élémentaires, le plus grand nombre des popes des séminaires diocésains, et l’élite des deux clergés des quatre académies qui tiennent lieu de facultés de théologie. De ces académies, les trois plus anciennes sont près des trois métropolites de Pétersbourg, de Moscou, de Kief ; la quatrième est à Kazan, aux confins du monde musulman. À cette académie de Kazan on fait une large part aux langues orientales ; c’est, en quelque sorte, la Propagande pour les missions d’Europe et d’Asie. Dans ces académies, l’enseignement s’est, jusque vers 1840, donné en latin. Elles étaient autrefois entièrement sous la direction des moines. Aujourd’hui encore, les académies ecclésiastiques sont annexées aux grandes laures de Saint-Alexandre-Nevsky, de Troïtsa, de Petchersk ; mais elles occupent un local distinct. À l’académie, comme au séminaire, les moines ont été généralement supplantés par les prêtres séculiers, voire par les laïcs, ces derniers, il est vrai, tenant d’habitude au clergé par leur origine et leur éducation. Les trois quarts au moins des élèves de ces hautes écoles de théologie sont des boursiers de l’État, des diocèses ou des couvents. La plupart se destinent plutôt à l’enseignement qu’au sacerdoce. Les académies sont moins de grands séminaires que des écoles normales pour les professeurs de séminaires. Le professorat, qui laisse vivre dans le siècle, est une carrière recherchée des jeunes gens sortis du clergé.

Académies ou séminaires, toutes les écoles ecclésiasliques sont, comme l’Église elle-même, fortement centralisées. Elles relèvent directement du Saint-Synode et du haut procureur. Dans son séminaire, de même que dans son consistoire, l’autorité épiscopale est sous la surveillance de l’autorité synodale, et le clergé sous la tutelle de l’État. Naguère encore, c’était le Saint-Synode qui, sur la proposition de l’évêque, nommait ou confirmait les recteurs et professeurs des séminaires, aussi bien que des académies. Pour relever la situation morale du clergé, on a, sur la fin du règne d’Alexandre II, appelé le clergé local, joint aux professeurs des séminaires, à élire lui-même ses recteurs. En outre, c’est le clergé, réuni en assemblées périodiques, qui choisit les comités chargés de surveiller ses écoles.

Recteurs, professeurs, élèves, les hôtes des écoles ecclésiastiques de tout ordre se recrutent presque uniquement parmi les fils et les filles de prêtres, car il y a des établissements pour leurs filles, aussi bien que pour leurs fils. Académies de théologie ou séminaires sont moins faits pour les jeunes gens qui veulent entrer dans le clergé que pour les jeunes gens issus du clergé. En dépit des lois qui en ouvrent l’accès à toutes les classes, les fils de popes sont encore presque seuls à solliciter d’y être admis. Beaucoup, il est vrai, ne font que traverser le séminaire pour passer dans les carrières civiles. Les séminaires n’en ont pas moins gardé un caractère de caste ; à certains égards, ils sont la propriété et la forteresse de la caste. Ils l’entretiennent dans son isolement, en donnant aux enfants du clergé une éducation à part, dans des maisons pratiquement fermées aux autres familles. Aussi, pour supprimer la caste, a-t-on parfois proposé de supprimer le séminaire. Pour rapprocher le clergé des autres classes de la nation, on a conseillé de lui enlever ses écoles et d’élever ses fils et ses filles avec les enfants des autres classes. Ce serait peut-être le seul moyen d’avoir un clergé vraiment séculier. Par malheur, l’Église entend nourrir ses prêtres d’autres aliments que des sciences profanes ; la vocation sacerdotale exige un long dressage, difficile dans des collèges publics, au milieu de jeunes gens voués à de tout autres soucis. Si rien ne l’oblige à conserver des écoles primaires spéciales pour ses filles et ses fils, le clergé ne saurait guère fermer ses séminaires pour donner aux futurs prêtres un enseignement tout laïque.

Ce n’est point qu’en Russie les séminaires et les écoles ecclésiastiques de tout rang se distinguent beaucoup, par les idées ou les sentiments, des établissements laïques. L’esprit n’en est pas toujours meilleur. La religion même est loin d’y posséder toujours sur les âmes l’ascendant que semblerait lui devoir assurer l’éducation cléricale. De ces maisons ecclésiastiques sont, de tout temps, sortis nombre d’incrédules. Si le fait n’est nullement particulier à la Russie, il n’est nulle part plus fréquent. Cette anomalie apparente s’explique, en partie, par le régime longtemps suivi dans les séminaires, par les rigueurs morales et les privations matérielles infligées aux séminaristes. En dépit des lois et des privilèges officiels du clergé, on n’y a longtemps connu d’autre discipline que les verges et les châtiments corporels. Les supérieurs, dit-on, n’y ont même pas toujours renoncé aujourd’hui. Mal nourris, insuffisamment vêtus, aigris par de précoces souffrances, ne connaissant guère de la religion que de fastidieuses pratiques, les séminaristes prenaient en aversion et leurs maîtres et leur vocation, et la société et l’Église. Les académies ecclésiastiques ne valaient pas beaucoup mieux ; les étudiants en théologie ne se faisaient pas scrupule de fréquenter le traktir ou le kabak. Jusque parmi cette élite de la jeunesse sacerdotale, la débauche et les orgies de toute sorte n’étaient pas rares. Il arrivait à ces élèves en théologie d’être rapportés du cabaret ivres morts ; dans leur argot de séminaire, cela s’appelait, naguère encore, la « translation des reliques ». Un fils de prêtre, mort à vingt-neuf ans de misère et d’excès, Pomialovsky, s’était fait un nom en dépeignant, dans ses Nouvelles, la vie des « vieilles bourses » (ainsi nommait-on dans le peuple les séminaires) ; Pomialovsky y avait lui-même été élevé comme boursier. À une certaine époque, ces maisons avaient si mauvaise réputation que, pour les peupler, la police était obligée de recourir à une sorte de presse parmi les enfants du clergé[6]. Les professeurs, mal payés, mal traités par les supérieurs monastiques, étaient aussi misérables et aussi mécontents que leurs élèves. Comment, après cela, s’étonner que les séminaires russes aient longtemps été une pépinière de radicalisme ?

Aujourd’hui même, en dépit des réformes accomplies par le comte Tolstoï et par M. Pobédonostsef, l’esprit des séminaires orthodoxes n’est pas toujours beaucoup plus religieux. Le séminariste libre penseur est un type qui n’a pas encore disparu. Sous Alexandre III, les écoles du clergé se sont parfois montrées non moins indisciplinées que les gymnases civils ou les Universités. Les révoltes n’y sont pas sans exemple. On a vu, à Moscou, en 1885, le métropolite contraint de recourir aux bons offices de la police pour dompter une rébellion de son séminaire. Comme correction, les mutins furent, dit-on, fustigés jusqu’au sang, manu militari, en présence du métropolite, qui les excitait au repentir, après avoir, selon les mauvaises langues, béni de sa main les verges. Deux ou trois ans plus tôt, toujours sous Alexandre III, les séminaristes de Voronèje, mécontents de leur recteur, s’étaient approprié, contre lui, les procédés des conspirateurs politiques contre le tsar. Ils avaient tout simplement tenté de faire sauter leur supérieur au moyen de matières explosibles placées dans un calorifère donnant sur son cabinet. Et ce n’était pas, chez ces futurs ecclésiastiques, une invention nouvelle ; deux ans auparavant, en 1879, ils avaient, de la même manière, essayé de se débarrasser de leur inspecteur. Il n’y a que des séminaristes russes pour se permettre de pareils expédients. Un peu plus tard, parmi les conspirateurs qui, en mars 1887, avaient fabriqué, pour l’empereur Alexandre III, des bombes strychninées, il se rencontrait un « candidat (bachelier) en théologie » de l’académie ecclésiastique.

Jusque vers la fin du règne d’Alexandre II, les élèves diplômés des séminaires étaient admis à l’université au même titre que les élèves des collèges classiques. Cette faculté leur a été brusquement retirée, durant la crise du nihilisme. Est-ce l’appréhension de leurs tendances radicales, est-ce la défiance de leur pauvreté et des mauvais conseils de l’indigence, qui a fait fermer aux séminaristes les portes du haut enseignement ? Était-ce uniquement le désir de restreindre le nombre des étudiants et d’arrêter le recrutement des groupes révolutionnaires en diminuant le prolétariat lettré ? Était-ce simplement, comme l’affirmaient les rapports officiels, l’infériorité des séminaires vis-à-vis des gymnases classiques ? Toujours est-il qu’en coupant aux séminaristes l’entrée de l’université, en rejetant sur les académies de théologie les fils de popes sans vocation ecclésiastique, le gouvernement a renforcé l’isolement de la caste sacerdotale. L’État a dressé une barrière de plus entre les enfants du clergé et les classes instruites[7].

Si les jeunes gens issus du clergé continuent à être élevés dans des écoles spéciales, l’enseignement donné dans ces écoles se rapproche singulièrement de celui des établissements laïcs. Les séminaires russes ont à peu près les mêmes programmes que les gymnases, avec cette différence que, durant les dernières années, les études théologiques se superposent aux études classiques. Ce qu’on appelle en France le grand et le petit séminaire se trouvent ainsi réunis. L’enseignement des séminaires russes n’est point ce qu’on se figure à l’étranger. En peu de pays, les connaissances demandées au clergé sont aussi variées : c’est le slavon liturgique, puis le latin, puis un peu de grec, quoique le grec tienne peu de place pour un pays de rite grec. L’élève n’est point borné aux langues anciennes et aux lettres sacrées : une langue vivante, le français ou l’allemand, à son choix, doit lui ouvrir l’accès du monde moderne et les sources des cultes dissidents. Les programmes sont pleins de promesses ; les lettres n’y font pas tort aux sciences, ni les études théoriques aux études pratiques. À la géométrie, à l’algèbre, à la physique, s’ajoute, pour le futur curé, un peu de botanique, d’économie rurale et parfois même de médecine. Le tout est couronné par l’histoire, la philosophie, la théologie, dont chaque branche a son enseignement spécial. Il serait difficile de concevoir, pour des ecclésiastiques, un plus large système d’enseignement. L’inconvénient est, comme dans toutes nos écoles modernes, que les matières enseignées se pressent dans un temps trop limité, en sorte que l’ampleur des études prend sur leur profondeur. Un autre vice des séminaires orthodoxes c’était, tout récemment encore, l’imperfection des méthodes, la routine, l’emploi de livres ou d’auteurs surannés, l’absence d’esprit critique, d’esprit scientifique. Fondées aux derniers siècles, à l’imitation de celles de l’Occident, les écoles ecclésiastiques russes ont, en élargissant leurs programmes, gardé bien des défauts de leurs modèles. La Russie y ajoutait les siens, la rareté et le peu de science des professeurs, l’instabilité du professorat. Aujourd’hui le personnel enseignant des séminaires et des académies n’est plus inférieur à sa tâche ; il s’est relevé depuis que les prêtres séculiers y ont supplanté les moines. Pour beaucoup de ces derniers, pour les plus distingués surtout, l’enseignement était moins une profession que le premier échelon d’une autre carrière. On voyait des jeunes gens, après leur prise d’habit, passer presque subitement du banc de l’élève à la chaire du maître, puis bientôt quitter celle-ci pour les hautes dignités.

Avec tous ses défauts, l’instruction offerte dans les séminaires et les académies de théologie a l’avantage (certains diraient l’inconvénient) d’être moins spéciale, moins exclusivement ecclésiastique qu’en d’autres pays. Les programmes seraient remplis que le clergé russe serait le plus instruit et le plus éclairé du monde. S’il ne l’est point, il n’est guère inférieur à certains clergés de l’Occident ; il est supérieur à la plupart des clergés d’Orient, unis ou non à Rome. Les connaissances du plus grand nombre des prêtres les mettent encore au-dessus du milieu où ils vivent, et si la plupart en tirent peu de parti, la faute en est moins à l’enseignement du séminaire qu’au poids déprimant de la vie du pope. L’instruction des diacres et des clercs inférieurs est plus faible ; les plus vieux de ces derniers savent à peine lire le slavon et récitent leur office par cœur. Le temps est loin cependant où le patriarche Nikone se faisait taxer d’exigence en prétendant que tous les clercs sussent lire : encore aujourd’hui tous les sonneurs ou sacristains le savent-ils en Occident ?


L’ignorance n’est point la principale plaie du clergé russe, c’est la pauvreté ou plutôt le manque de moyens d’existence indépendants. Le clergé paroissial n’est point salarié ou ne l’est que d’une façon insuffisante. Un tiers seulement des popes touche une allocation de l’État, et ces privilégiés ne sauraient vivre de ce que l’État leur donne. Les provinces où les cultes étrangers ont de nombreux adhérents sont les seules où les prêtres orthodoxes reçoivent un traitement sérieux. Dans ces régions, la politique unit l’intérêt de l’orthodoxie à l’intérêt national ; elle empêche l’État de laisser le pope à la charge de son troupeau. Alors même le curé russe ne reçoit guère plus de 300 roubles : avec cela, le pope, père de famille, se trouve encore souvent dans une situation inférieure à celle des ministres des confessions rivales, qui d’ordinaire sont, eux aussi, salariés par l’État. Les défiances mêmes du gouvernement contre les cultes hétérodoxes l’engagent à en payer le clergé, pour le mieux tenir sous sa main. Il le fait, d’ordinaire, au moyen d’une taxe spéciale appliquée aux membres de chaque confession, en sorte qu’il n’est que l’intermédiaire obligé entre les différentes Églises et leurs ministres. Avec le clergé orthodoxe, il n’est pas besoin de tels moyens ; l’État le tient sous sa tutelle par assez d’autres liens.

Cet exemple montre l’erreur de ceux qui font consister la séparation de l’Église et de l’État dans la suppression du budget des cultes. C’est là une vue grossière qui ne peut être acceptée que par l’ignorance. Peu d’Églises ont été aussi étroitement unies à l’État que l’Église russe, et, jusqu’à une époque toute récente, il n’y avait pas en Russie de budget des cultes. Aucun clergé n’a été plus dépendant du gouvernement, et, aujourd’hui encore, la plus grande partie de ce clergé ne reçoit rien du Trésor.

Chez un peuple riche, où l’initiative individuelle a été mûrie par les libertés publiques, là surtout où la nation est partagée entre diverses confessions et le sentiment religieux stimulé par la rivalité des différents cultes, le clergé peut trouver plus de liberté, plus de dignité, à n’avoir d’autre soutien que la piété de ses fidèles. Il en est autrement dans un pays pauvre, habitué à se reposer de tout sur l’État. Le clergé, dont l’entretien est abandonné au zèle privé, y perd en considération et en indépendance, souvent même en moralité. En étant à la charge de ses paroissiens, le prêtre tombe à leur merci. C’est ce qui se voit en Russie, au moins dans les campagnes. A-t-il affaire aux anciens serfs, le pope a peine à leur arracher la nourriture de ses enfants. Compte-t-il sur sa paroisse quelque riche famille, il n’en est d’ordinaire qu’une, celle de l’ancien seigneur, en sorte que la générosité est sans émulation, et que la reconnaissance, n’ayant point à se partager, se change en dépendance et en servilité. Au temps du servage, le pope vivait surtout des bienfaits du seigneur local : à force d’être son obligé, il devenait son homme, sa créature ; il était comme l’aumônier ou le chapelain du propriétaire. Cet état de choses n’a pu disparaître en un jour avec l’émancipation.

Alors que d’autres pays en discutent la suppression, la Russie incline au salariat des cultes. Chez un peuple, en effet, où l’Église est liée à l’État, le salariat du clergé offre à tous deux plus d’avantages que d’inconvénients. Pour que le prêtre ait profit à se passer des subventions du gouvernement, il faut qu’il soit libre de sa tutelle. Dépendre à la fois de l’État par l’administration ecclésiastique et des fidèles par les besoins pécuniaires, c’est, pour un clergé, une trop lourde servitude. Pour qu’il n’en soit pas écrasé, il faut que l’une de ces deux dépendances l’affranchisse de l’autre. Dans un pays encore pauvre, comme la Russie, subventionner le prêtre serait le meilleur moyen de le relever aux yeux du peuple. L’obstacle est dans les finances. Chacune des réformes de l’empire vient, temporairement au moins, peser sur son budget ; cette considération ne permet pas l’application immédiate de toutes les réformes projetées. Le chapitre du culte orthodoxe est déjà un de ceux qui ont le plus grossi, dans un budget dont tous les chapitres se sont singulièrement enflés. L’allocation du Saint-Synode a plus que décuplé depuis une cinquantaine d’années : en 1833 elle n’atteignait pas 1 million de roubles ; en 1887 elle montait à près de 11 millions. Il est vrai que le clergé urbain ou rural ne touchait guère que la moitié de ces 11 millions[8]. Sur près de 35 000 paroisses, 18 000 environ avaient seules part aux libéralités de l’État. L’administration bureaucratique de l’Église est naturellement dispendieuse. Les chancelleries et leur personnel de commis absorbent une notable part des ressources ecclésiastiques. Heureusement pour l’Église, la piété privée est plus généreuse envers elle que le Trésor. Le budget que lui octroie l’État est au moins doublé par les libres dons des particuliers. Le clergé recueille, des quêtes, des troncs des églises, des offrandes de toute espèce, une douzaine de millions de roubles. En outre, le Saint-Synode possède des capitaux, une sorte de fonds de réserve amassé peu à peu et montant à une trentaine de millions (de roubles) dont le revenu s’ajoute au budget du culte orthodoxe.

En Russie de même qu’en France, le budget du culte dominant pourrait être regardé comme une dette nationale. Là aussi, la subvention accordée à l’Église n’est qu’une mince indemnité des biens qui lui ont été enlevés. Dans l’ancienne Moscovie, l’Église possédait d’énormes propriétés territoriales. La terre et les paysans étaient la monnaie du pays ; les princes et les boyars, pauvres de numéraire, payaient en terre les prières du clergé. C’est ainsi que l’Église était devenue le plus grand propriétaire de la Russie. Ses biens, déjà limités par les vieux tsars, l’Église les a, pour la plupart, perdus au dix-huitième siècle. La sécularisation, effectuée en 1764, atteignit le clergé blanc en même temps que les couvents. En s’emparant des biens ecclésiastiques, Catherine II, comme une trentaine d’années plus tard notre Assemblée constituante, prétendait n’y porter la main qu’afin d’en faire un meilleur usage « pour la gloire de Dieu et le bien du pays « . Plus heureuse ou plus habile que la Révolution française, la tsarine eut l’art de faire ratifier par le clergé la dépossession de l’Église. Un seul prélat, Arsène Matséiévitch, archevêque de Rostof, protesta au nom des canons de l’Église. Ce petit Nikone fut dépouillé de l’épiscopat. Comme plus d’un des récalcitrants aux volontés autocratiques, il fut déclaré fou ou radoteur (vral), et, à ce titre, enfermé pour la vie dans une prison de Revel. Il y mourut après vingt ans de captivité, et sa mort fut tenue secrète, de peur que les dévots n’eussent l’idée de l’honorer comme confesseur de la foi.

Le clergé séculier, de même que les couvents, a conservé ou recouvré une partie de ses terres. Dans chaque paroisse, le pope a d’ordinaire la jouissance d’un champ ; la plupart des communes lui attribuent une trentaine de désiatines[9]. Les prêtres qui reçoivent un traitement du Trésor sont parfois les mieux dotés de terres. C’est que, dans les provinces de religion mixte, là où il est en concurrence avec le curé catholique, le pasteur protestant ou le mollah musulman, le pope est soutenu par l’État comme un agent de russification. D’après les statistiques du zemstvo de Podolie, les 1350 paroisses orthodoxes de ce seul diocèse se partageaient 80 000 désiatines de champs labourés, rapportant environ 600 000 roubles, et à ces champs venaient s’ajouter des potagers, des prairies, quelques bois.

Les diocèses de la Russie centrale sont souvent moins favorisés. Dans un village du gouvernement de Voronège où j’ai séjourné, à Kourlak[10] sur le Bituk, l’église possédait douze désiatines ; la moitié, c’ést-à-dire six désiatines, revenait au prêtre ; le quart, autrement dit trois désiatines, revenait au diacre ; le reste, soit une désiatine et demie par tête, formait le lot du chantre et du sacristain. Comme point de comparaison, il est bon de dire que, dans toute cette région, la part de terre attribuée à chaque paysan par le statut d’émancipation dépassait les six désiatines du pope. Quant au pomechtchiky, à l’ancien seigneur qui me donnait l’hospitalité, son domaine n’avait pas moins de 40 000 hectares ; il lui fallait des relais pour aller d’une extrémité à l’autre de ses champs.

Prêtres et diacres ont beau jouir de tant et tant de désiatines, ce leur est souvent une mince ressource dans un pays peu peuplé, où parfois la terre n’a de valeur qu’autant qu’on la peut cultiver soi-même. Les paysans prêtent d’ordinaire au pope un travail gratuit, mais insuffisant. Souvent le prêtre est réduit à mettre lui-même la main à l’ouvrage. À Kourlak, par exemple, le pope cultivait la moitié de ses six désiatines et louait l’autre. La principale ressource du clergé n’est pas là, elle est dans les cérémonies religieuses, dans le casuel. Il y a dans chaque paroisse deux, trois, quatre familles, souvent vingt ou vingt-cinq personnes, à vivre de l’autel. Tout ce monde pourrait encore trouver là un revenu suffisant, si le produit de chaque église était abandonné à son clergé. Or il n’en est point ainsi : certaines aumônes, certaines taxes ecclésiastiques sont réservées aux caisses du diocèse ou du synode.

Dans les églises orthodoxes, chez les Grecs comme chez les Russes, une des branches de revenus les plus régulières est la vente des cierges : cette vente se peut comparer à la location des bancs ou pews en Angleterre et des chaises en France. Les orthodoxes, qui ne s’assoient point pendant les offices et prient d’ordinaire debout, n’entrent guère dans leurs temples sans acheter à la porte un petit cierge qu’ils laissent à l’église ou qu’ils brûlent devant une image. Les dévots en allument à la fois devant plusieurs saints. La pâle lueur des cierges remplace devant les icônes la prière qu’elle symbolise. L’Église tient à la pureté de la cire, dont l’odeur ambrée doit se mêler au parfum de l’encens ; on veut qu’elle soit fabriquée par les ouvrières ailées auxquelles le Seigneur en a confié le soin. Dans cette Russie où le peuple boit encore de l’hydromel, et où tant de terres n’ont jamais porté que des fleurs sauvages, les ruchers sont nombreux. En certaines régions, vers l’extrême nord, vers l’Oural ou le Caucase, on se contente souvent de recueillir les rayons des essaims en liberté. Sauvages ou domestiques, les innombrables abeilles de l’immense empire travaillent avant tout pour le Christ et pour ses saints. Des cinquante millions de kilogrammes de cire qu’elle récolte annuellement, la Russie consomme la plus grande partie dans ses églises. Autrefois la confection des cierges était abandonnée à l’industrie privée. Aujourd’hui l’Église, en bonne ménagère, s’en charge souvent elle-même. Nombre d’évêques ont leur fabrique diocésaine ; plus d’un couvent a également la sienne. De cette façon, tout le produit de cette pieuse industrie revient à Dieu et à ses ministres. Je ne sais exactement combien de millions rapportent au clergé la vente et la fabrication des cierges. Toujours est-il que c’est un de ses principaux revenus. Aussi l’une des questions les plus agitées, dans le monde de l’Église, a-tr-elle été celle de la répartition du produit de cette vente. Le plus net de ce saint trafic va encore, croyons-nous, au Saint-Synode et aux écoles ecclésiastiques.

À l’inverse du prêtre catholique, le pope ne peut guère compter parmi ses ressources les honoraires de ses messes. On dit bien la messe pour les morts, surtout aux anniversaires funèbres, mais l’usage n’est point d’en multiplier la répétition. Les dispenses de jeûne et de carême ne sont non plus d’aucun secours pécuniaire pour le diocèse ou les paroisses. L’orthodoxie orientale, pour ses quatre carêmes, ne donne pas de dispenses, chacun les observe suivant sa conscience ; au jeûne elle ne substitue point l’aumône. L’Église gréco-russe a dû chercher d’autres sources de revenus. Obligée de faire vivre de l’autel un clergé pourvu de famille, on comprend qu’elle en soit arrivée à faire argent de tout, et qu’aucune de ses cérémonies, aucun de ses sacrements ne soit gratuit. Le lecteur sait déjà que tout se paye, l’absolution des péchés comme le baptême et le mariage[11]. Les inconvénients d’une pareille pratique, pour la dignité du clergé, n’échappent pas aux autorités ecclésiastiques. Elles voudraient en affranchir au moins les deux sacrements demeurés entièrement gratuits dans l’Église latine, la confession et la communion. En 1887 le Saint-Synode a résolu d’interdire aux pénitents de remettre de l’argent dans la main du prêtre, ou de lui en laisser sur une table après la confession. Il a, de même, décidé de supprimer l’usage, pour nous assez bizarre, de déposer une offrande sur un plat en buvant du vin chaud après la communion. Pour remplacer cette branche de revenus, le Saint-Synode a ordonné de placer dans les églises des troncs spécialement destinés à recueillir les dons des fidèles qui viennent faire leurs dévotions. Cette mesure a été appliquée à Moscou, dès 1887, durant la semaine sainte. Comme il fallait s’y attendre, la recette a été en notable déficit sur les années précédentes. Il s’est rencontré des orthodoxes qui ont jeté dans les troncs des boutons et des chiffons de papier, au lieu de pièces d’argent ou de billets de banque. Si le nouveau système est plus conforme à la dignité du prêtre, il est assurément moins favorable à ses intérêts. Aussi est-il douteux qu’il puisse être maintenu ou étendu à toutes les paroisses. À plus forte raison ne saurait-on supprimer la rétribution perçue par le prêtre pour les autres sacrements.

Si le Russe du peuple recourt souvent aux services du pope, il les rémunère chichement : pour les principales cérémonies, à peine donne-t-il un ou deux roubles ; pour les plus petites et les plus fréquentes, quelques kopeks (centimes du rouble). La multiplicité de ces redevances peut seule dédommager le clergé de leur modicité ; aussi n’en néglîge-t-il aucune. Il tend à se transformer en agent financier, en collecteur de taxes. Tout se paye, et rien n’a de tarif ; depuis Pierre le Grand, on a plusieurs fois songé à tarifer le casuel ; les préventions du peuple s’y sont opposées. La misère besogneuse du pope doit le disputer à l’avare pauvreté du moujik. Pour une cérémonie, pour un mariage ou un enterrement, on négocie, on marchande parfois, comme on ne marchande plus qu’en Russie. On a vu des fiancés venir à l’église et s’en retourner, sans être mariés, pour n’avoir pu se mettre, d’accord sur le prix avec le curé. On a vu des paysans enterrer clandestinement leurs morts pour échapper aux exigences du prêtre.

De là toutes sortes d’anecdotes, de contes, de légendes. Une fois c’est un pope qui, pour se venger de la ladrerie du père, donne à l’enfant qu’il baptise un nom ridicule. Une autre fois, c’est un paysan qui demande à son curé l’autorisation de se marier dans une autre paroisse. « C’est fort bien, répond le ministre de Dieu ; mais as-tu calculé ce que me coûte ton départ ? D’abord je t’aurais marié : soit tant de roubles. Puis tu auras des enfants, mettons sept : cela me ferait sept baptêmes. Puis, plusieurs de tes enfants viendront à mourir ; mettons trois : cela me ferait trois enterrements. Puis tu auras des fils ou des filles à marier ; mettons quatre : cela me ferait quatre mariages. — Mais, batiouchka, réplique le paysan, tu es déjà vieux : tu pourrais mourir avant tout cela. — C’est vrai, mon ami, riposte le pope, nous sommes tous mortels, aussi je ne te demanderai que dix roubles. « 

La rapacité du clergé a fourni la matière de plusieurs contes populaires. Ces skazki montrent quelle opinion l’impitoyable levée du casuel a donnée du pope au moujik. Pour juger des sentiments d’un peuple à l’égard de ses prêtres, on ne saurait, il est vrai, s’en fier à ses contes ou à ses proverbes. Monastique ou séculier, le clergé a partout été en butte aux traits de la satire populaire. Ce qui distingue la raillerie russe, c’est son âpreté. En voici un exemple d’après un conte recueilli par Afanasief. Un pope, c’est là chose commune, a refusé de célébrer les funérailles d’une femme pauvre. Le mari, en creusant lui-même la tombe, découvre un trésor ; il porte une pièce d’or au prêtre. Aussitôt les prières sont dites ; le pasteur, tout changé, assiste au repas mortuaire ; il y mange et boit comme trois personnes. La richesse du festin servi par le pauvre homme étonne le curé, il l’interroge, il l’adjure de confesser son péché. « As-tu tué quelque marchand ? lui dit-il. — J’ai découvert un trésor », répond le moujik. Le pope décide de s’emparer de la trouvaille de son paroissien en lui faisant peur. D’accord avec sa popesse, il imagine de se déguiser en diable. Pour cela, il s’affuble de la peau d’une chèvre. Le stratagème réussit, le moujik livre son trésor ; mais, en le rapportant, le pope s’aperçoit que la peau de chèvre s’est attachée à ses membres[12]. Cette naïve légende pourrait servir d’allégorie. Comme la peau de chèvre, le renom de cupidité s’est attaché au prêtre ; il s’est collé à son front, il le défigure, il fait prendre le ministre de Dieu pour un suppôt du diable. « Avoir des yeux de pope » est une expression proverbiale pour désigner des regards avides.

Les évêques cherchent à modérer la cupidité de leurs prêtres ; ils savent au besoin leur donner d’édifiantes leçons. Voici à cet égard un trait que j’ai tout lieu de croire exact. Une pauvre femme était venue trouver Mgr Dmitri, alors archevêque de Toula, le suppliant de lui avancer deux roubles. Le prélat, dont la charité était légendaire, ne put les trouver sur lui. « Que voulez-vous faire de ces deux roubles ? demanda-t-il à la femme. — Mon mari est mort, répondit-elle, je voudrais faire dire pour lui les prières de l’Église, et le prêtre exige deux roubles pour l’enterrement. — Je ne puis vous les prêter aujourd’hui, répliqua Mgr Dmitri ; mais je présiderai moi-même demain aux funérailles de votre défunt. » Et il tint parole, à la consternation du pope ainsi mis en cause. Le service funèbre terminé, l’évêque, au lieu d’adresser un reproche au prêtre, lui tendit un billet de deux roubles, en disant : « Prenez, vous n’êtes pas comme moi. Vous n’avez pas d’appointements, vous n’avez que votre casuel pour vivre. » Cela, en effet, est d’ordinaire exact et explique l’apparente rapacité des malheureux popes.

Le premier souci d’un prêtre, en prenant possession d’une paroisse, est de s’enquérir de la valeur du casuel. Il y a quelques années, un jeune pope du diocèse de Volhynie avait été nommé à une cure du district de Rovno. Ayant appris que c’était une paroisse pauvre, il écrivit à l’archevêché pour en solliciter une plus lucrative. L’archevêque, Mgr Palladius, fit droit à la demande du jeune ecclésiastique, mais en même temps il écrivit en marge de la requête : « Le pétitionnaire sollicite une paroisse de rapport. Pour l’obtenir il faut travailler et s’en montrer digne. Les préoccupations matérielles cadrent mal avec la mission ecclésiastique. Le pétitionnaire ferait peut-être bien de chercher son avantage en dehors du sacerdoce, qui ne paraît pas être sa vocation[13]. » Je doute que le prêtre en question ait suivi le conseil épiscopal. Pour la plupart des popes, la prêtrise n’est qu’une carrière qu’ils ne se font pas scrupule d’exploiter de leur mieux. Quelques-uns ne craignent même point, pour en augmenter les profits, de violer les lois de l’État ou les canons de l’Église. C’est ainsi qu’il s’en rencontre pour bénir des mariages secrets et calmer, moyennant finance, la conscience des couples qui ne peuvent s’unir légalement[14]. Dans les contrées écartées, en Sibérie spécialement, certains popes, non contents de fouler leurs prosélytes indigènes, se livrent à toutes sortes de commerce[15].

Les exigences pécuniaires du clergé sont si connues que, en mainte contrée, elles constituent un obstacle au progrès de l’orthodoxie. « La foi russe est trop chère », répondent aux convertisseurs certains indigènes de Sibérie. « Le pope est trop avide, disent de leur côté les raskolniks, les sacrements sont trop dispendieux. » Cette considération toute matérielle n’a pas été étrangère au succès de quelques-unes des sectes les plus récentes, les Stundistes, par exemple. Plus d’un moujik en est venu à se persuader de l’inutilité des sacrements, à la suite d’une dispute avec le prêtre sur le prix d’une cérémonie. L’un des sectaires les plus en vue de cette fin de siècle, Soutaïef, n’avait pas débuté autrement.

De telles habitudes ont fait accuser l’Église orthodoxe de simonie. Le reproche serait plus juste en Turquie, où les hautes dignités ecclésiastiques s’achètent de la Porte ou des pachas : le clergé est obligé de rançonner les fidèles pour payer ses maîtres musulmans. En Russie, du moins, le troupeau n’est tondu que pour l’entretien du pasteur. Le clergé, qui vit des offrandes de ses paroissiens, ne leur peut faire remise des redevances qui sont le pain de ses enfants. Il ne reconnaît point aux indifférents ou aux dissidents la liberté de se soustraire aux taxes de l’Église ; ce serait frustrer ses ministres ou accroître les charges des paroissiens fidèles. Pour ne pas profiter des cérémonies orthodoxes, le raskolnik est souvent tenu d’en payer au prêtre la rançon. De là des compromis pécuniaires entre les curés et les sectaires. Le clergé levait les droits qui lui revenaient, sans tenir compte des opinions de ceux qui les lui devaient, comme ailleurs il a longtemps perçu la dîme, comme, en d’autres pays, l’État fait contribuer au budget des cultes leurs adversaires aussi bien que leurs partisans. La modicité de ses ressources défend au pope d’en rien abandonner. Il a sa femme et ses enfants qui le poussent à ne rien omettre de ses droits ; il a ses confrères du clergé, le diacre et les clercs inférieurs, qui, vivant sur les mêmes gratifications, se trouveraient victimes de son désintéressement. Pour éviter les querelles, il a fallu soumettre la répartition du casuel à des règles officielles. Le prêtre a trois fois, le diacre deux fois plus que le chantre.

Pour les mieux partagés, ces redevances seraient insuffisantes, si, en dehors des sacrements et des cérémonies habituelles de l’Église, la piété ou la superstition du peuple n’offrait au clergé d’autres sources de bénéfices. À la campagne, les diverses saisons et les diverses cultures réclament l’intervention du prêtre, dont les services sont payés tantôt en argent, tantôt en denrées. Les fléaux physiques, la sécheresse, les épidémies sont, pour le pope rural, autant d’occasions de profits. J’ai ainsi vu, dans le midi, le clergé bénir successivement les melons de chaque paysan. Parfois, quand elles n’obtiennent pas le résultat attendu, les prières de l’Église se retournent contre ses ministres. Le moujik les accuse de lui avoir fourni de mauvaises oraisons ou d’avoir mal accompli les rites. Dans une commune du gouvernement de Voronège, comme la sécheresse ne finissait point, les paysans imaginèrent d’immerger le prêtre dans la rivière. D’ordinaire, c’est pour les sorcières qu’ils réservent ce suprême argument ; mais entre le magicien et le prêtre, entre les incantations de l’un et les invocations de l’autre, l’obscure intelligence du moujik ne fait pas toujours grande différence[16], d’autant que prêtre et sorcier lui offrent à peu près le même genre de secours, à des conditions analogues. La pauvreté du clergé l’oblige à se prêter à des pratiques peu dignes de l’Église ; elle fait quelquefois de lui le complice des superstitions populaires. C’est ainsique longtemps s’est perpétué l’usage d’emporter des prières dans un bonnet pour les femmes en couches. Le paysan tendait son bonnet fourré (chapka) pour que le prêtre pût y réciter ses orémus. La prière dite, il fermait avec soin le bonnet pour ne pas la laisser échapper et la transmettre intacte à l’accouchée, sur la tête de laquelle il la répandait en agitant sa chapka. Cette coutume, condamnée par le Règlement spirituel de Pierre le Grand, a, dans certaines contrées, persisté jusqu’à nos jours. On comprend la faiblesse du pope vis-à-vis de superstitions dont il vit.

En dehors même de l’izba du moujik, la religion ou mieux le cérémonial religieux tient encore une grande place dans la vie russe, dans la famille, dans les affaires. Pour tout événement important, pour un anniversaire, pour un retour ou pour un départ, lors d’un emménagement ou lors d’un voyage, au début ou à la conclusion de toute entreprise, le Russe demande la bénédiction de l’Église et de ses ministres. On appelle le clergé dans les maisons pour chanter des Te Deum et bénir les fêtes de famille ; c’est pour lui une occasion de réjouissance et de bonne chère en même temps que de profit. Le pope n’attend pas toujours d’être invité. Il y a des époques, à Noël, à l’Epiphanie, à Pâques, où il est d’usage que le clergé aille bénir les demeures de ses paroissiens. Une coutume semblable existe encore en quelques pays catholiques. Dans les villes et les campagnes de Russie, le prêtre et le diacre, en habits sacerdotaux, s’en vont de maison en maison chanter un alléluia. À peine introduits, ils se tournent vers les saintes images, récitent rapidement leurs prières, donnent aux assistants la croix à baiser, empochent leur argent et s’en vont recommencer ailleurs. Il est des maisons où on les fait parfois recevoir dans l’antichambre par des domestiques ; il en est où, en leur remettant la gratification d’usage, on les dispense du chant des prières. Dans les campagnes, ces tournées périodiques donnent quelquefois lieu à des scènes bizarres ; on voit des paysans fermer leurs cabanes et prendre la fuite à rapproche du pope, au risque d’être poursuivis par les femmes ou les enfants du clergé. Pour mettre fin à leurs importunités, le synode a dû défendre aux popesses et à leurs enfants d’accompagner leurs maris dans ces quêtes à domicile. D’autres fois, le paysan refuse l’offrande habituelle, et alors s’engagent, entre le prêtre et lui, des discussions plus dignes de la foire que de l’Église. J’ai entendu raconter qu’un pope, las de réclamer le salaire des prières qu’il venait de réciter, imagina de retirer les bénédictions qu’on ne voulait point lui payer pour les remplacer par des imprécations. La superstition triompha de l’avarice du paysan, effrayé des malédictions du prêtre comme des sortilèges d’un magicien.

Ces tournées paroissiales, qui se répètent plusieurs fois par an, sont une des causes de la déconsidération du clergé, moins pour cette sorte de mendicité solennelle que pour les circonstances qui l’accompagnent. En de telles visites, le clergé, celui des campagnes surtout, est souvent victime d’une qualité nationale, de l’hospitalité russe, qui garde encore quelque chose de primitif. Il n’est si pauvre moujik qui n’offre, en ces jours de fête, un verre de vodka à son curé ; le moins généreux se blesse si le prêtre ne boit chez lui. Un refus est, par la plupart des paysans, considéré comme un outrage ; le prêtre est alors un orgueilleux qui méprise le pauvre monde. Les paysans se vengent en lui refusant leurs services pour la culture de son champ. Le plus prudent est de se soumettre, et l’honneur accordé à l’un ne se peut dénier à l’autre. Le clergé s’en va ainsi, d’izba en izba, en habits sacerdotaux et portant la croix, distribuant partout ses bénédictions et recevant en échange un verre d’eau-de-vie et quelques kopeks. Les suites sont aisées à deviner. À la fin de la journée, le prêtre est facilement hors de son bon sens. Les paysans s’en scandalisent peu, sur le moment du moins. Le pope a-t-il peine à se soutenir, il se trouve de bonnes âmes pour lui venir en aide et le conduire avec précaution, de porte en porte, jusqu’au bout de sa tournée. Naturellement pareil spectacle est peu fait pour ramener les dissidents. J’ai vu, dans la galerie d’un riche raskolnik de Moscou, un tableau de Pérof représentant une scène de ce genre. Le pope chancelle, la croix à la main, et le diacre ivre souille les ornements sacrés[17]. De tels accidents ne peuvent inspirer de respect au paysan qui les provoque ; avec la contradiction habituelle au peuple, il se moque, le lendemain, de ce qu’il encourageait la veille. Pour un pope, le plus avantageux est d’être en état de supporter la boisson, et, pour ne pas succomber à l’ivresse, d’être bon buveur. Les occasions de le devenir ne lui manquent point ; aux repas de noces des paysans, comme en ses tournées paroissiales, le curé doit rendre raison à tous ceux qui boivent à sa santé. Avec de telles habitudes, on s’explique sa réputation de buveur ou d’ivrogne, d’autant que, partout, le peuple attribue volontiers au clergé le goût du vin et de la bonne chère.

Il faut se garder de croire que ces faiblesses enlèvent à l’humble clergé rural tout sentiment de sa haute mission. Les fonctions du prêtre se ravalent trop souvent pour lui à l’accomplissement mécanique des rites et de la liturgie ; mais ces rites, il les célèbre avec la conscience de leur valeur religieuse et morale. Le pope est d’ordinaire fidèle à ce qu’on pourrait appeler le devoir professionnel. Cet homme aux manières vulgaires, à l’horizon borné, sait, à l’occasion, trouver des consolations pour les malades et des exhortations pour les mourants. Il a le secret du langage qu’il faut parler aux simples et aux ignorants. Plus il est près du peuple par les mœurs, par les défauts mêmes, mieux peut-être il sait s’en faire comprendre. Les prêtres de la nouvelle génération, plus instruits, plus réservés, plus sobres, ne sont pas toujours ceux qui inspirent le plus de confiance au moujik. Il préfère parfois le pope de l’ancien type avec sa bonhomie, sa grossièreté et ses vices qui sont les siens. « Je sais qu’il se soûle, disait de son curé un paysan, mais c’est un bon chrétien et il n’est gris ni le samedi soir ni le dimanche matin. » À demi paysan durant la semaine, le pauvre pope redevient prêtre en revêtant la chasuble ou l’épitrachélion. La mystérieuse vertu de la religion le porte au-dessus de ses chétives préoccupations et l’élève, pour une heure, au niveau de ses sublimes fonctions. Elles sont particulièrement rudes ces fonctions du prêtre, sous un tel ciel, avec un tel hiver et les énormes distances des paroisses russes. Pour aller, sur ces plaines sans abri, porter l’extrême-onction à un malade ou confesser un mourant, il ne faut guère moins, en certaines saisons et en certaines régions, qu’une sorte d’héroïsme. Or, si le pope veut en être payé, il est inouï qu’il refuse les sacrements. Plus d’un a été surpris par l’ouragan en portant le viatique par une nuit d’hiver. Pour se donner des forces, il avait, avant de partir, bu d’un seul coup un large verre de vodka ; et le lendemain sa femme et ses enfants ont retrouvé son cadavre sous la neige. J’ai entendu raconter plus d’un trait de ce genre. Ce qui est peut-être plus rare, c’est un prêtre en réputation de sainteté, attirant à son église la piété populaire. Il s’en rencontre cependant quelques-uns. Ainsi, dans ces dernières années, le P. Ivan Illitch Serguief, archiprêtre de Saint-André de Kronstadt. C’est, pour le peuple des environs, une sorte de curé d’Ars ou de dom Bosco. On lui attribue des guérisons miraculeuses, on a foi dans la vertu de ses prières ; aussi vient-on de tous côtés lui en demander, ou se confesser à lui, si bien que son église présente, en tout temps, l’aspect encombré des églises orthodoxes un vendredi du grand carême.



  1. Au moyen âge on rencontre parfois dans le clergé des membres des grandes familles, tels que le métropolite Alexis ; mais cela devint peu à peu de plus en plus rare. La noblesse et le clergé se trouvèrent tous deux affaiblis par leur isolement. Les kniazes, jaloux de conserver autour d’eux tous leurs droujinniks, se souciaient peu de les voir entrer dans l’Église. Dès le quatorzième siècle, Vassili Dmitriévitch concluait un arrangement avec le métropolite pour qu’aucun serviteur du grand-prince ne reçût les ordres (Solovief, Istoriia Rossii, t. XIII, p. 36). La disette d’hommes dont souffrit si longtemps la Moscovie fut ainsi l’une des causes de l’hérédité des fonctions sacerdotales.
  2. Voyez t. I, liv. V, chap. i.
  3. Nous parlons ici de la classe, de la caste, telle qu’elle s’est conservée jusqu’à nos jours. Au point de vue de l’ordination, l’Église orthodoxe reconnaît trois degrés dans la hiérarchie : le diaconat, la prêtrise, l’épiscopat.
  4. Ce mot de « pope », équivalent du papas, se prend en russe plutôt en mauvaise part. On se sert d’ordinaire du mot prêtre (sviachtchennik), qu’on emploie souvent dans le sens de « curé ».
  5. L’exemption du service militaire n’est plus accordée aujourd’hui à ces serviteurs de l’Église (tserkovno-sloujiteli)
  6. Mémoires de D. Rostislavof, Rousskaïa Starina, janv. 1880. Cf. O Doukhovnykh outchilichtchakh v Rossii, ouvrage anonyme du même auteur. Ce Rostilavof, professeur d’académie ecclésiastique, écrivit ensuite, toujours sous le voile de l’anonyme, un livre sur le clergé blanc et le clergé noir. Pour n’être pas victime des rancunes de ses supérieurs, il lui fallut de hautes protections.
  7. Par contre, les séminaristes qui n’entrent pas dans les ordres sont aujourd’hui soumis au service militaire, comme les autres jeunes gens. Comme eux, ils participent aux avantages accordés par la loi russe aux élèves de l’enseignement secondaire et supérieur.
  8. Voici, d’après le budget de 1887, comment se répartissaient les sommes allouées au Saint-Synode et au culte orthodoxe :

    Administration centrale 246 789
    Chapitres des cathédrales, consistoires, archevêchés et évêchés 1 437 413
    Monastères 402 472
    Clergé des villes et des campagnes 392 022
    Subvention aux établissements d’instruction du clergé. 1 748 060
    Établissements orthodoxes à l’étranger 188 122
    Travaux de construction 265 541
    Dépenses diverses 307 643
    ---------------
    Total 10 988 142


      Ajoutons, comme point de comparaison, que le service des cultes étrangers était inscrit au même budget de 1887 (chapitre du ministère de l’intérieur) pour la somme de 1 758 000 roubles.

  9. On se rappelle que la désiatine vaut un hectare neuf ares.
  10. Ce village était relativement pauvre de terres, les paysans n’ayant reçu, lors de l’émancipation, que « le quart de lot gratuit ». Voyez t. I, liv. VII, ch. iii, p. 443 (2e édit.).
  11. Voyez plus haut, même livre, chap. v, p. 100.
  12. Afanasief : Narodnyia Rousskiia Skaski, VIIe partie, no 45. — Ralston : Russian folk-tales, ch. i.
  13. La note de l’archevêque, publiée par le consistoire pour la gouverne du clergé diocésain, fut reproduite par les journaux, notamment par le Kievlianine (oct. 1885).
  14. Voyez Leskof : Mélotchi arkhiéreiakoï jizni.
  15. Le voyageur Maksimof cite de nombreux exemples de ces prêtres marchands.
  16. Voyez plus haut liv. 1, chap. iii.
  17. Ce n’est pas le seul lableau de ce genre de Pérof, dont le pinceau a peu ménagé le clergé noir ou blanc.