L’Encyclopédie/1re édition/AMIANTE

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AMIANTE, s. m. amiantus, (Hist. nat.) matiere minérale composée de filets délies, plus ou moins longs, posés longitudinalement les uns contre les autres en maniere de faisceau. Ces filets sont si fins qu’on les a comparés à du lin. Il y a plusieurs sortes d’amiante, qui quoique de même nature, varient par leurs couleurs, par les différentes longueurs de leurs filets, par leur adhérence plus ou moins forte. Il y a de l’amiante jaunâtre ou roussâtre ; on en voit de couleur d’argent ou grisâtre, comme le talc de Venise : il y en a de parfaitement blanc ; ils sont plus ou moins luisans : il y a des filets qui n’ont que quelques lignes de longueur ; on en trouve qui ont six pouces & plus : ceux-ci sont ordinairement les plus blancs & les plus brillans ; ce sont aussi les plus rares ; on les prendroit pour de la soie, si on ne les examinoit pas de près : chaque fil se détache aisément des autres, tandis qu’il y a d’autres amiantes où ils sont collés, & pour ainsi dire, unis les uns aux autres : quelquefois ils tiennent à des matieres d’une autre nature ; il y en a dans des morceaux de crystal de roche : enfin il y a de l’amiante qui paroît n’être pas encore dans son état de perfection ; c’est pour ainsi dire une mine ou une pierre d’amiante. La plûpart des Auteurs donnent à ce minéral le nom de pierre, lapis amiantus ; mais au moins ce n’est pas une pierre calcinable, puisqu’on a crû qu’elle étoit incombustible : la vérité est que l’amiante résiste à l’action ordinaire du feu : mais si on l’expose à un feu plus violent, on vient à bout de le vitrifier ; c’est donc une matiere vitrifiable. Il n’y a rien de merveilleux dans cette propriété ; si elle eût été seule dans l’amiante, on ne l’auroit pas tant vantée : mais elle est jointe à une autre propriété beaucoup plus singuliere ; c’est que les filets de l’amiante sont si flexibles, & qu’ils peuvent devenir si souples qu’il est possible d’en faire un tissu presque semblable à ceux que l’on fait avec les fils de chanvre, de lin ou de soie. On file l’amiante, on en fait une toile, & cette toile ne brûle pas lorsqu’on la jette au feu : voilà ce qui a toûjours paru étonnant ; & il y a encore bien des gens qui ont peine à le croire aujourd’hui. En effet, il est assez singulier d’avoir une toile que l’on blanchisse dans le feu ; c’est cependant ce que l’on fait pour la toile d’amiante : lorsquelle est sale & crasseuse, on la met dans le feu ; & lorsqu’elle en sort, elle est pure & nette, parce que le feu ordinaire est assez actif pour consumer toutes les matieres étrangeres dont elle étoit chargée : mais fût-il assez violent pour calciner les pierres, il n’auroit pas encore la force de vitrifier l’amiante : cependant chaque fois qu’on la met au feu, & qu’on l’y tient pendant quelque tems, elle perd un peu de son poids.

On a donné à la matiere dont il s’agit ici différens noms, qui ont rapport à ses propriétés. On l’a nommée amiante, asbeste, salamandre, parce qu’elle résiste au feu ordinaire ; & parce qu’elle se file comme du lin ou de la laine, on lui en a donné les noms, en ajoûtant une épithete, pour faire entendre que ce lin ou cette laine ne se consument point au feu. Voilà d’où viennent les noms de lin incombustible, linum asbestinum, linum vivum, plume ou laine de salamandre, parce qu’on a crû que la salamandre étoit à l’épreuve du feu. L’amiante a eu d’autres noms, tirés de sa couleur & de sa forme : on l’a connu sous le nom de bostrichites, de corsoides, de polia, parce qu’il ressemble à des cheveux, & même à des cheveux gris. Enfin on a ajoûté à tous ces noms ceux des pays où il se trouvoit, linum Carpasium, Carbasum, Caristium, Cyprium, Indum, &c. M. de Tournefort a fait mention de l’amiante de Caristo, dans l’île de Négrepont, & il dit que c’est de toutes les especes d’amiante la plus méprisable. Rel. d’un voyage du Levant, tome I. page 165. Il y a de l’amiante dans bien d’autres lieux, par exemple, en Siberie, à Eisfield dans la Thuringe, dans les mines de l’ancienne Baviere, à Namur dans les Pays-bas, dans l’île d’Anglesey, annexe de la principauté de Galles ; à Alberdeen en Ecosse, à Montauban en France, dans la vallée de Campan aux Pyrénées, en Italie à Pouzole, dans l’île de Corse, à Smyrne, en Tartarie, en Egypte, &c.

L’amiante est bon pour faire des meches dans les lampes ; il devoit même paroître bien plus propre à cet usage que les filets d’argent dont on fait des meches dans les réchauds à l’esprit-de-vin : ces meches métalliques ôtent toute apparence de merveilleux à celles d’amiante ; celles-ci sont préférables aux meches ordinaires, parce qu’il ne leur arrive aucun changement qui puisse offusquer la lumiere. On n’a pas de peine à croire que ceux qui ont fait des recherches sur les lampes perpétuelles, n’ont pas manqué d’y faire entrer l’amiante pour beaucoup. C’étoit déjà quelque chose que d’avoir la meche : mais on ne s’en est pas tenu là ; on a prétendu que l’amiante devoit aussi fournir l’huile, & que si on trouvoit moyen d’extraire cette huile, elle ne se consommeroit pas plus que l’amiante. Quelle absurdité ! Une matiere peut-elle jetter de la flamme, sans perdre de sa substance ? Les anciens savoient faire des toiles d’amiante : quoique Pline ait été mal instruit sur l’origine & la nature de l’amiante, qu’il prenoit pour une matiere végétale, il ne peut pas nous jetter dans l’erreur par rapport à l’usage que l’on faisoit de l’amiante de son tems : il dit, Hist. nat. lib. XIX. cap. j. avoir vû dans des festins des nappes de lin vif, c’est-à-dire, d’amiante, que l’on jettoit au feu pour les nettoyer lorsqu’elles étoient sales, & que l’on brûloit dans ces toiles les corps des rois, pour empêcher que leurs cendres ne fussent mêlées avec celles du bûcher. Ces toiles devoient être fort cheres, puisque Pline ajoûte que ce lin valoit autant que les plus belles perles : il dit aussi qu’il étoit roux, & qu’on ne le travailloit que très-difficilement, parce qu’il étoit fort court. Cela prouve que l’amiante que l’on connoissoit du tems de Pline, & qui venoit des Indes, étoit d’une très-mauvaise qualité. Cependant on avoit bien certainement le secret d’en faire des toiles. Cet art a été ensuite presqu’entierement ignoré pendant long-tems, & encore à présent on ne le connoît qu’imparfaitement. M. Ciampini a fait un traité sur la maniere de filer l’amiante ; selon cet auteur, il faut commencer par le faire tremper dans l’eau chaude pendant quelque tems, ensuite on le divise, on le frotte avec les mains, & on l’agite dans l’eau pour le bien nettoyer, & pour en séparer la partie la plus grossiere & la moins flexible, & les brins les plus courts. Après cette premiere opération, on le fait tremper de nouveau dans l’eau chaude, jusqu’à ce qu’il soit bien imbibé & qu’il paroisse ramolli ; alors on le divise & on le presse entre les doigts pour en séparer toute matiere étrangere. Après avoir répété ces lotions cinq ou six fois, on rassemble tous les fils qui sont épars, & on les fait sécher. L’amiante étant ainsi préparé, on prend deux petites cardes plus fines que celles avec lesquelles on carde la laine des chapeaux, on met entre deux de l’amiante, & on tire peu à peu avec les cardes quelques filamens ; mais ces fils sont trop courts pour être filés sans y ajoûter une filasse d’une autre nature, qui contienne les fils d’amiante, qui les réunisse, & qui les lie ensemble. On prend du coton ou de la laine, & à mesure que l’on fait ce fil mêlé d’amiante & de laine ou de coton, on doit avoir attention qu’il y entre toûjours plus d’amiante que d’autre matiere, afin que le fil puisse se soûtenir avec l’amiante seul ; car dès qu’on en a fait de la toile ou d’autres ouvrages, on les jette au feu pour faire brûler la laine ou le coton. D’autres auteurs disent qu’on fait tremper l’amiante dans de l’huile pour la rendre plus flexible ; quoi qu’il en soit, celle dont les filets sont le plus longs est la plus facile à employer, & les ouvrages qu’on en fait sont d’autant plus beaux, que l’amiante est plus blanche. On peut faire aussi une sorte de papier avec les brins d’amiante les plus fins, qui restent ordinairement après qu’on a employé les autres. Voyez le quatrieme vol. des Récréations mathém. & physiques.

On confond souvent l’alun de plume avec l’amiante ; & si cet alun étoit plus commun, on le prendroit pour l’amiante, parce que ces deux matieres se ressemblent beaucoup. Il est cependant fort aisé de les distinguer ; l’alun de plume est fort piquant au goût, & l’amiante est insipide. V. Alun de plume. (I)

Amiante (Medecine.) L’amiante entre dans les medicamens qui servent à enlever les poils. Myrepse l’employe dans la composition de son onguent de citron pour les taches de la peau : il passe pour être très-efficace contre toutes sortes de sortiléges, sur-tout contre ceux des femmes, selon Pline & Schroder. On prétend aussi que l’amiante résiste au poison, & qu’il guérit la gale. (N)