L’Encyclopédie/1re édition/ALUN

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 307-312).
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* ALUN, s. m. alumen, sel fossile & minéral d’un goût acide, qui laisse dans la bouche une saveur douce, accompagnée d’une astriction considérable. Ce mot vient du Grec ἅλς, sel, ou peut-être du Latin lumen ; parce qu’il donne de l’éclat aux couleurs. On distingue deux sortes d’alun, le naturel ou natif, & le factice, quoique celui-ci soit aussi naturel que l’autre. On a voulu faire entendre par cette épithete, qu’il faut faire plusieurs opérations pour le tirer de la mine, & que ce n’est qu’après avoir été travaillé que nous l’obtenons en crystaux, ou en masses salines. A peine connoissons-nous aujourd’hui l’alun naturel. Les Anciens au contraire en faisoient un très grand usage : ils en distinguerent de deux sortes, le liquide & le sec. L’alun naturel liquide, n’étoit pas absolument en liqueur. Il paroît par les descriptions, que cet alun étoit seulement humide & mouillé, & qu’il attiroit l’humidité de l’air. Ainsi on ne le disoit liquide, que pour le distinguer de l’alun sec : l’alun liquide étoit plus ou moins pur. Le plus pur étoit lisse & uni, quelquefois transparent, mais ordinairement nuageux. La surface de l’autre alun liquide étoit inégale, & il se trouvoit mêlé avec des matieres étrangeres, suivant la description des mêmes Auteurs.

Les Anciens distinguoient aussi deux sortes d’alun naturel sec ; ils le reconnoissoient aux différences de la figure & de la texture : ou il étoit fendu & comme la fleur de celui qui est en masse, car il étoit formé en mottes ou en lattes ; ou il se fendoit & se partageoit en cheveux blancs ; ou il étoit rond & se distribuoit encore en trois especes ; en alun moins serré & comme formé de bulles ; en alun percé de trous fistuleux, & presque semblable à l’éponge ; en alun presque rond & comme l’astragale : ou il ressembloit à de la brique ; ou il étoit composé de croûtes. Et tous ces aluns avoient leurs noms.

M. de Tournefort trouva dans l’isle de Milo de l’alun naturel liquide. Voici en peu de mots ce qu’il rapporte sur les mines de ce sel. Rélation d’un voyage du Levant, tom. I. p. 163. « Les principales mines sont à une demi-lieue de la ville de Milo, du côté de Saint-Venerande : on n’y travaille plus aujourd’hui. Les habitans du pays ont renoncé à ce commerce, dans la crainte que les Turcs ne les inquiétassent par de nouveaux impôts. On entre d’abord dans une caverne, d’où l’on passe dans d’autres cavités qui ont été creusées autrefois à mesure que l’on en tiroit l’alun. Ces cavités sont en forme de voûtes, hautes seulement de quatre ou cinq piés sur neuf ou dix de largeur. L’alun est incrusté presque partout sur les parois de ces soûterrains. Il se détache en pierres plates de l’épaisseur de huit ou neuf lignes, & même d’un pouce. A mesure qu’on tire ces pierres, il s’en trouve de nouvelles par-dessous. La solution de cet alun naturel est aigrelette & styptique : elle fermente avec l’huile de tartre, & elle la coagule. Ce mêlange ne donne aucune odeur urineuse. On trouve aussi dans ces cavernes de l’alun de plume ; il vient par gros paquets, composés de filets déliés comme la soie la plus fine, argentés, luisans, longs d’un pouce & demi ou deux. Ces faisceaux de fibres s’échappent à-travers des pierres qui sont très-légeres & friables. Cet alun a le même goût que l’alun en pierre dont on vient de parler, & il produit le même effet quand on le mêle avec l’huile de tartre ».

Le nom d’alun de plume vient de ce que ces filets déliés sont quelquefois disposés de façon qu’ils ressemblent aux barbes d’une plume. On confond souvent cette sorte d’alun avec l’amiante ou pierre incombustible ; parce que cette pierre est composée de petits filets déliés comme ceux de l’alun. M. de Tournefort rapporte que dans tous les endroits où il avoit demandé de l’alun de plume en France, en Italie, en Hollande, en Angleterre, &c. on lui avoit toûjours présenté une mauvaise espece d’amiante, qui vient des environs de Carysto dans l’isle de Négrepont.

On fait encore à présent la même équivoque ; parce que l’alun de plume est si rare, que l’on n’en trouve presque plus que dans les cabinets des curieux. Il est cependant fort aisé de le distinguer de l’amiante : cette pierre est insipide. L’alun de plume au contraire a le même goût que l’alun ordinaire. « On rencontre, continue M. de Tournefort, à quatre milles de la ville de Milo vers le sud, sur le bord de la mer, dans un lieu fort escarpé, une grotte d’environ quinze pas de profondeur, dans laquelle les eaux de la mer pénetrent quand elles sont agitées. Cette grotte, après quinze ou vingt piés de hauteur, a ses parois revêtues d’alun sublimé, aussi blanc que la neige dans quelques endroits, & roussâtres ou dorées dans d’autres. Parmi ces concrétions on distingue deux sortes de fleurs très-blanches & déliées comme des brins de soie ; les unes sont alumineuses & d’un goût aigrelet, les autres sont pierreuses & insipides. Les filets alumineux n’ont que trois ou quatre lignes de longueur, & ils sont attachés à des concrétions d’alun : ainsi ils ne different pas de l’alun de plume. Les filets pierreux sont plus longs, un peu plus flexibles, & ils sortent des rochers ». M. de Tournefort croit qu’il y a beaucoup d’apparence que c’est la pierre que Dioscoride a comparée à l’alun de plume, quoiqu’elle soit sans goût & sans astriction, comme le dit ce dernier Auteur, qui la distingue de l’amiante.

Les incrustations de la grotte dont on vient de parler, ne brûlent point dans le feu : il reste une espece de rouille après qu’elles sont consumées. On trouve de semblables concrétions sur tous les rochers qui sont autour de cette grotte : mais il y en a qui sont de sel marin sublimé, aussi doux au toucher que la fleur de la farine. On voit des trous dans lesquels l’alun paroît pur & comme friable ; si on le touche on le trouve d’une chaleur excessive. Ces concrétions fermentent à froid avec l’huile de tartre.

A quelques pas de distance de cette grotte, M. de Tournefort en trouva une autre dont le fond étoit rempli de soufre enflammé qui empêchoit d’y entrer. La terre des environs fumoit continuellement, & jettoit souvent des flammes. On voyoit dans quelques endroits du soufre pur & comme sublimé qui s’enflammoit à tout instant : dans d’autres endroits, il distilloit goutte à goutte une solution d’alun d’une stypticité presque corrosive. Si on la mêloit avec l’huile de tartre, elle fermentoit vivement.

On seroit porté à croire que cette liqueur seroit l’alun liquide dont Pline a parlé, & qu’il dit être dans l’isle de Melos. Mais on peut voir dans Dioscoride que cette espece d’alun n’étoit pas liquide ; & que, comme nous l’avons déja dit, les descriptions que les Anciens nous ont laissées de l’alun liquide, prouvent qu’il n’étoit point en liqueur.

On suit différens procédés pour faire l’alun factice ; & suivant les différentes matieres dont on se sert, on a ou l’alun rouge, ou le romain, ou le citronné, auxquels il faut ajoûter l’alun de plume, dont nous avons déjà fait mention, l’alun sucré, & l’alun brûlé.

Les mines d’alun les plus ordinaires sont 1°. les rocs un peu résineux : 2°. le charbon de terre : 3°. toutes les terres combustibles, brunes & feuilletées comme l’ardoise. La mine de charbon de terre de Laval au Maine, a donné de l’alun en assez grande quantité, dans les essais qu’en a fait M. Hellot de l’Académie Royale des Sciences de Paris, & de la Société Royale de Londres. 4°. Plusieurs autres terres tirant sur le gris-brun. Il y en a une veine courante sur terre dans la viguerie de Prades en Roussillon, qui a depuis une toise jusqu’à quatre de largeur dans une longueur de près de 4 lieues, & qui est abondante. En général, lorsque le minéral qui contient l’alun a été mis en tas & long-tems exposé à l’air, on voit fleurir l’alun à la surface du tas. Pour essayer ces matieres on en fait une lessive, comme on fait celle des pyrites calcinées par le vitriol. Cependant on ne calcine pas les mines d’alun qui ne sont pas sulphureuses. On réduit la lessive par ébullition dans la petite chaudiere de plomb, & on pese l’alun qui s’y trouve, après l’avoir fait secher. Voyez de la fonte des mines, des fonderies, &c. traduit de l’Allemand de Shlutter, publié par M. Hellot, tom. I. pag. 260.

L’Angleterre, l’Italie, la Flandre & la France, sont les principaux endroits où l’on fait l’alun. Les mines où se trouve l’alun de Rome sont aux environs de Civita-Vecchia ; on les appelle l’aluminiere della Tolfa. On y trouve une sorte de pierre fort dure qui contient l’alun. Pour en séparer ce sel, on commence par tirer la pierre de la mine, de même que nous tirons ici la pierre à bâtir, ou le marbre de nos carrieres. Après avoir brisé ces pierres, on les jette dans un fourneau semblable à nos fourneaux à chaux, & on les y fait calciner pendant douze à quatorze heures au plus. On retire du fourneau les pierres calcinées, & on en fait plusieurs tas dans une grande place. Les monceaux ne sont point élevés ; on les sépare les uns des autres par un fossé rempli d’eau. Cette eau sert à arroser les monceaux trois ou quatre fois par jour pendant l’espace de quarante jours, jusqu’à ce que la pierre calcinée semble fermenter & se couvre d’une efflorescence de couleur rouge. Alors on met cette chaux dans des chaudieres pleines d’eau que l’on fait bouillir pendant quelque tems pour faire fondre le sel. Ensuite on transvase l’eau imprégnée de sel, & on la fait bouillir pour la réduire jusqu’à un certain degré d’épaississement, & sur le champ on la fait couler toute chaude dans des vaisseaux de bois de chêne. L’alun se crystallise en huit jours dans ces vaisseaux ; il se forme contre leurs parois une croûte de quatre à cinq doigts d’épaisseur, composée de crystaux transparens, & d’un rouge pâle, c’est ce qu’on appelle alun de roche, ou parce qu’il est tiré d’une espece de roche, ou parce qu’il est presque aussi dur que la roche.

Il y a en Italie une autre mine d’alun à une demi-lieue de Pouzzol du côté de Naples. C’est une montagne appellée le mont d’Alun, ou les soufrieres, ou la solfatre ; en Latin sulphureus mons, forum Vulcani, campi phlegrœi, la demeure de Vulcain, les campagnes ardentes ; parce qu’on voit dans cet endroit de la fumée pendant le jour, des flammes pendant la nuit. Ces exhalaisons sortent d’une fosse longue de quinze cens piés & large de mille. On en tire beaucoup de soufre & d’alun. L’alun paroît sur la terre en efflorescence. On ramasse tous les jours cette fleur avec des balais, & on la jette dans des fossés remplis d’eau, jusqu’à ce que l’eau soit suffisamment chargée de ce sel. Alors on la filtre, & ensuite on la verse dans des bassins de plomb qui sont enfoncés dans la terre. Après que la chaleur soûterraine, qui est considérable dans ce lieu, a fait évaporer une partie de l’eau, on filtre de nouveau le résidu, & on le verse dans des vaisseaux de bois. Sa liqueur s’y refroidit, & l’alun s’y crystallise. Les crystaux de ce sel sont blancs transparens.

On trouve aussi dans le solfatre des pierres dures qui contiennent de l’alun. On les travaille de la même façon que celles de l’aluminiere della Tolfa.

Les mines d’alun d’Angleterre qui se trouvent dans les Provinces d’York & de Lancastre, sont en pierres bleuâtres assez semblables à l’ardoise. Ces pierres contiennent beaucoup de soufre : c’est une espece de pyrite qui s’enflamme au feu, & qui fleurit à l’air : on pourroit tirer du vitriol de son efflorescence. On fait des monceaux de cette pierre, & on y met le feu pour faire évaporer le soufre qu’elle contient. Le feu s’éteint de lui-même après cette évaporation. Alors on met en digestion dans l’eau pendant vingt-quatre heures la pierre calcinée : ensuite on verse dans des chaudieres de plomb l’eau chargée d’alun. On fait bouillir cette eau avec une lessive d’algue marine, jusqu’à ce qu’elle soit réduite à un certain degré d’épaississement. Alors on y verse une assez grande quantité d’urine pour précipiter au fond du vaisseau le soufré, le vitriol & les autres matieres étrangeres. Ensuite on transvase la liqueur dans des baquets de sapin. Peu à peu l’alun se crystallise & s’attache aux parois des vaisseaux. On l’en retire en crystaux blancs & transparens, que l’on fait fondre sur le feu dans des chaudieres de fer. Lorsque l’alun est en fusion, on le verse dans des tonneaux ; il s’y refroidit, & on a des masses d’alun de la même forme que les tonneaux qui ont servi de moules. On a aussi appellé cet alun, alun de roche, peut-être parce qu’il est en grandes masses, ou parce qu’il est tiré d’une pierre comme l’alun de l’aluminiere della Tolfa. Dans ces mines d’alun d’Angleterre, on voit couler sur les pierres alumineuses une eau claire d’un goût styptique. On tire de l’alun de cette eau en la faisant évaporer.

On trouve en Suede une sorte de pierre dont on peut tirer de l’alun, du vitriol & du soufre. C’est une belle pyrite fort pesante & fort dure, d’une couleur d’or, brillante ; avec des taches de couleur d’argent. On fait chauffer cette pierre, & on l’arrose avec de l’eau froide pour la faire fendre & éclater. Ensuite on la casse aisément ; on met les morceaux de cette pierre dans des vaisseaux convenables sur un fourneau de réverbere ; le soufre que contient la pierre se fond, & coule dans des récipiens pleins d’eau. Lorsqu’il ne tombe plus rien, on retire la matiere qui reste dans les vaisseaux, & on l’expose à l’air pendant deux ans. Cette matiere s’échauffe beaucoup, jette de la fumée & même une petite flamme que l’on apperçoit à peine pendant le jour ; enfin elle se réduit en cendres bleuâtres dont on peut tirer du vitriol par les lotions, les évaporations & les crystallisations. Lorsque le vitriol est crystallisé ; il reste une eau crasse & épaisse que l’on fait bouillir avec une huitieme partie d’urine & de lessive de cendres de bois ; il se précipite au fond du vaisseau beaucoup de sédiment rouge & grossier. On filtre la liqueur, & on la fait évaporer jusqu’à un certain degré d’épaississement ; ensuite il s’y forme des crystaux d’alun bien transparens, que l’on appelle alun de Suede.

A Cypsele en Thrace, on prépare l’alun, en faisant calciner lentement les marcassites, & les laissant ensuite dissoudre à l’air par la rosée & la pluie ; après quoi on fait bouillir dans l’eau, & on laisse crystalliser le sel. Bellon. M. Rays. trav. tom. 2. p. 351.

Nous n’avons point été à portée de mettre en planches tous ces travaux, & quand nous l’aurions pû, nous n’eussions pas été assez tentés de nous écarter de notre plan pour l’entreprendre. Nous nous contenterons de donner ici la maniere de faire l’alun qu’on suit à Dange, à trois lieues de Liége, & deux lieues d’Hui, l’appliquant à des planches que nous avons dessinées sur des plans exécutés en relief par les ordres de M. le Comte d’Herouville, Lieutenant Général, qui a eu la bonté de nous les communiquer. Ces plans ont été pris sur les lieux. Mais avant que d’entrer dans la Manufacture de l’alun, le lecteur ne sera pas fâché sans doute de descendre dans la mine & de suivre les préparations que l’on donne à la matiere qu’on en tire sur le chemin de la mine à la manufacture ; c’est ce que nous allons expliquer, & appliquer en même tems à des planches sur l’exactitude desquelles on peut compter.

Les montagnes des environs de la mine de Dange sont couvertes de bois de plusieurs sortes : mais on n’y trouve que des plantes ordinaires, des geniévres, des fougeres, & autres. Les terres rapportent des grains de plusieurs especes & donnent des vins. L’eau des fontaines est légere, la pierre des rochers est d’un gris bleu céleste, elle a le grain dur & fin ; on en fait de la chaux. C’est derriere ces rochers qu’on trouve les bures pour le soufre, l’alun, le vitriol, le plomb & le cuivre. Plus on s’enfonce dans les profondeurs de la terre, plus les matieres sont belles. On y descend quelquefois de 80 toises ; on suit les veines de rochers en rochers ; on rencontre de tres-beaux minéraux, quelquefois du crystal ; il sort de ces mines une vapeur qui produit des effets surprenans. Une fille qui se trouva à l’entrée de la mine fut frappée d’une de ces vapeurs, & elle changea de couleur d’un côté seulement. On trouve dans les bois sous les hauteurs à dix piés de profondeur, plusieurs sortes de sable dont on fait du verre, du crystal & de la fayance. Trois hommes commencent une bure ; ils tirent les terres, les autres les étançonnent avec des perches coupées en deux. Quand le percement est poussé à une certaine profondeur, on place à son entrée un tour avec lequel on tire les terres dans un panier qui a trois piés de diametre sur un pié & demi de profondeur. Six femmes sont occupées à tirer le panier, trois d’un côté du tour, trois de l’autre. Un broüetteur reçoit les terres au sortir du panier & les emmene. On conçoit que plus la bure avance, plus il faut de monde. Il y a quelquefois sept personnes dedans & sept au-dehors. De ceux du dedans les uns minent, les autres chargent le panier, quelques-uns étançonnent. Les hommes ont 20 sols du pays par jour, ou 28 sols de France ; les femmes dix sols de France. Quand on est parvenu à 50 piés de profondeur, les femmes du tour tirent jusqu’à 200 paniers par huit heures. A dix piés on commence à rencontrer de la mine qu’on néglige. On ne commence à recueillir qu’à 20 à 25 piés. Quand on la trouve bonne, on la suit par des chemins soûterrains qu’on se fraye en la tirant ; on étançonne tous ces chemins avec des morceaux de bois qui ont six pouces d’équarrissage sur six piés de haut ; on place ces étais à deux piés les uns des autres sur les côtés ; on garnit le haut de petits morceaux de bois & de fascines ; quand les ouvriers craignent de rencontrer d’eau, ils remontent leur chemin.

Mais s’il arrive qu’on ne puisse éviter l’eau, on pratique un petit canal soûterrain qui conduise les eaux dans une bure qui a 90 piés de profondeur, & qui est au niveau des eaux : là il y a dix pompes sur quatre bassins, quatre au niveau de l’eau, trois au second étage, & trois au troisieme. Des canaux de ces pompes, les uns ont deux piés de hauteur, les autres quatre ou même cinq. Ces pompes vont par le moyen de deux grandes roues qui ont 46 piés de diametre, & qui sont mises en mouvement par des eaux qui se trouvent plus hautes qu’elles & qui sont dans les environs. Cette machine qui meut les pompes s’appelle engin. La premiere pompe a 10 toises, la seconde 10, & celle du fond 10. Les trois verges de fer qui tiennent le piston ont 50 piés, & le reste est d’aspiration. La largeur de la bure a huit piés en quarré. L’engin & les pompes font le même effet que la machine de Marly, mais ils sont plus simples.

On jette le minéral qui contient l’alun dans de gros tas qui ont vingt piés de haut, sur soixante en quarré. V. Minéral. Plan. 2. A, A, A, sont ces tas. On le laisse dans cet état pendant deux ans, pour qu’il jette son feu, disent les ouvriers. Au bout de deux ans, on en fait, pour le brûler, de nouveaux amas, qu’on voit même Planche en B, B, B, B. Ces amas sont par lits de fagots & lits de minéral, les uns élevés au-dessus des autres, au nombre de vingt, en forme de banquettes, comme on les voit. On a soin de donner de l’air à ces amas dans les endroits où l’on s’apperçoit qu’ils ne brûlent pas également ; c’est ce que fait avec son pic la fig. 1. Pour donner de l’air, l’ouvrier travaille ou pioche, comme s’il vouloit faire un trou d’un pié quarré : mais ce trou fait, il le rebouche tout de suite. On laisse brûler le minéral pendant huit à neuf jours, veillant à ce qu’il ne soit ni trop cuit ni pas assez cuit ; dans l’un & l’autre cas on n’en tireroit rien. Quand on s’apperçoit que la matiere est rougeâtre, & qu’elle sonne ; on s’en sert d’un côté (celui où l’on a commencé de mettre le feu) tandis que de l’autre côté on continue d’ajoûter à peu près la même quantité ; en sorte que l’amas se réforme à mesure qu’il se détruit : c’est ce que font les deux fig. 2. & 3. l’une, 2. emporte la matiere brûlée avec sa brouette ; l’autre, 3. continue un lit avec sa hotte. Les Fêtes & les Dimanches n’interrompent point ce travail, qu’on pousse pendant 8 heures par jour. Deux hommes prennent la matiere brûlée pour la jetter dans les baquets d’eau ; & une douzaine de petits garçons & de petites filles refont le tas à l’autre extrémité. C, C, C, C, &c. D, D, D, D, &c. sont ces baquets. Les hommes ont trente sols de France par jour, & les enfans cinq sols.

On remarque que les arbres qui sont aux environs des tas du minéral en feu meurent, & que la fumée qui les tue ne fait point de mal aux hommes. Les baquets sont au nombre de douze, comme on les voit sur deux rangées C, C, C, C, C, C ; D, D, D, D, D, D ; six d’un côté, six d’un autre : ils ont chacun seize piés en quarré, sur un pié de profondeur. Ces douze baquets sont séparés par un espace, dans lequel on en a distribué trois petits E, E, E, qui ont chacun, sur trois piés de long, un pié & demi de large, & deux piés de profondeur. Il y a un petit baquet pour quatre grands ; quatre des grands, deux d’un côté C, C, & deux de l’autre D, D, communiquent avec un petit E. L’ouverture par laquelle les grands baquets communiquent avec les petits, est fermée d’un tampon, qu’on peut ôter quand on veut. Les broüetteurs portent sans cesse de la matiere du tas dans les grands baquets : ces grands baquets sont pleins d’eau ; ils reçoivent l’eau par le canal F ; le canal F prolongé en G, G, G, &c. fait le tour des douze grands baquets : ces grands baquets ont des ouvertures en H, H, H, &c. par lesquelles ils peuvent recevoir l’eau qui coule dans le canal G, G, G, qui les environne. Quand la matiere a trempé pendant 24. heures dans un grand baquet C 1. on laisse couler l’eau chargée de particules alumineuses dissoutes dans le petit baquet E, & on la jette de ce petit baquet E, dans le grand D1. où elle reste encore à s’éclaircir : on continue ainsi à remplir les baquets C1. C2. C3. &c. & les baquets D1. D2. D3. &c. d’eau chargée de parties alumineuses, par le moyen des petits baquets E, E, E. Ces baquets sont tous faits de bois, de madriers & de planches, & le fond en est plancheyé. Quand on présume que l’eau est assez éclaircie dans les grands baquets C1. C2. C3. &c. D1. D2. D3. &c. on en ôte les bouchons, & on la laisse couler par le long canal E, E, E, &c. dans un réservoir F, qui est à 50 toises de-là : elle demeure deux à trois heures dans ce réservoir, puis on la laisse aller dans un autre réservoir I, qui est à deux cens toises du réservoir F ; mais de sa même grandeur : ce dernier réservoir I (Voyez Minéral. Plan. 3.) est derriere les chaudieres. Quand l’eau du réservoir I est claire, on s’en sert ; si elle ne l’est pas, on la laisse reposer. Quand elle est suffisamment reposée, on la laisse couler dans les deux chaudieres G, G ; ces chaudieres sont de plomb, & sont assises sur les fourneaux H, H, H. K, K, escaliers qui conduisent sur les fourneaux vers les chaudieres. L, L, cendriers. M, M, portes des fourneaux par lesquelles on jette la houille. L’eau qu’on a introduite dans les chaudieres G, G, y reste 24. heures ; on les remplit à mesure que l’eau y diminue, non de l’eau du réservoir I, qui est derriere elles, mais d’une autre dont nous parlerons tout à l’heure. Quand on s’apperçoit que la matiere contenue dans les chaudieres G, G, est cuite, ce que l’on reconnoît à sa transparence & à son écume blanche, on la renvoye, soit par un canal, soit autrement, des chaudieres G, G, dans huit cuves M, M, M, M, &c. où elle reste pendant trois jours : au bout de trois jours on prend avec des écopes l’eau qui lui surnage dans les cuves M, M, M, M, &c. on la jette sur les canaux r, r, r, r, qui la conduisent dans les cuves p, p, où il ne reste plus qu’un sédiment qu’on prend avec des seaux, & qu’on remet dans les deux chaudieres du milieu ou d’affinage n, n. A mesure que la matiere diminue dans les chaudieres n, n, on les remplit avec d’autre eau claire. Quand la matiere tirée des chaudieres M, M, M, en une espece de pâte, & portée dans les chaudieres d’affinage n, n, est entierement fondue ou dissoute, on la décharge par un petit canal dans les tonneaux o, o, o, o, où elle crystallise. Les chaudieres G, G, ont cinq piés de largeur, deux & demi de hauteur du côté du bouchon ; de l’autre côté deux piés, & neuf piés de longueur. Les tonneaux, o, o, o, ont trois piés de diametre sur six de hauteur. On laisse la matiere dans les tonneaux pendant neuf jours en automne, & pendant douze jours en hyver, sans y toucher, crainte de tout gâter. Le tonneau tient 2500. Quant aux chaudieres G, G, qu’on appelle chaudieres à éclaircir, on les remplit à mesure que l’eau y diminue avec de l’eau mere : on entend par eau mere, celle qui s’éleve à la surface des cuves, M, M, M, &c. pendant que l’eau y séjourne ; on prend cette eau dans les cuves p, p, avec des seaux, & on la renvoye, selon le besoin, des cuves p, p, dans les chaudieres à éclaircir G, G. C’est ce que font les deux fig. 1. 2. dont l’une prend dans la cuve p, & l’autre jette sur les canaux de renvoi q, q, qui se rendent aux deux chaudieres à éclaircir G, G, qu’on entretient toûjours avec moitié de l’eau des cuves p, p, & moitié de l’eau du réservoir I. Les fours sont de la longueur de la chaudiere ; leur hauteur est coupée en deux par un grillage dont les barres ont trois pouces d’équarrissage, & cinq piés de longueur ; il y en a cinq en longueur, & trois en travers. Ce grillage ne s’étend qu’à la moitié de la capacité du four ; c’est sur lui qu’on met la houille ; il faut toutes les 24 heures deux tombereaux de houille pour les quatre fourneaux. Ces tombereaux ont six piés de long, sur trois de large & trois de haut.

Il est bon d’observer que les chaudieres étant de plomb, il faut qu’elles soient garanties de l’action du feu par quelque rempart ; ce rempart, c’est une grande plaque de fonte d’un pouce d’épaisseur H, H, H, qui couvre le dessus des fourneaux. Voyez la Planche 3. de Minéralogie. On voit, Planche de la couperose, une coupe du fourneau ; A, porte du fourneau ; B, B, porte du cendrier ; C, C, la grille ; D, D, D, D, coupe de la chaudiere ; H, H, la cheminée ; I, K, L, hotte & tuyau de la cheminée.

On fait aussi de l’alun en France, proche les montagnes des Pyrénées.

L’alun est composé d’un acide qui est de la nature de l’acide vitriolique, puisque quand il est joint avec l’alkali du tartre, il donne un tartre vitriolé, comme feroit l’acide tiré du vitriol même. Cet acide, pour former l’alun, est uni à une terre qui est une espece de craie ; cette terre est particuliere, & semble tenir de la nature des matieres animales calcinées. L’alun donne par la décomposition quelque chose d’urineux, qui vient le plus souvent de l’urine dont on se sert pour le clarifier quand on le fabrique. D’ailleurs, l’alun pourroit donner un alkali volatil urineux, indépendamment de cette urine, parce qu’il contient un peu de bitume, qui combiné avec la terre de l’alun, peut donner un alkali volatil ; ce qu’on doit inférer des expériences que M. Malouin a rapportées à l’Académie en 1746. en donnant l’analyse des eaux minérales de Plombieres. C’est de lui que nous tenons le reste de cet article.

L’alun est un remede qui, étant mis en œuvre avec les précautions & la prudence nécessaires, appaise & guérit toutes les hémorrhagies en général, tant internes qu’externes. On peut donc s’en servir dans l’écoulement du sang, causé par l’ouverture de quelques vaisseaux dans les premieres voies ; dans le saignement de nez ; dans les crachemens & vomissemens de sang ; dans le flux des urines ensanglantées, & des hémorrhoïdes ; dans toutes les pertes de sang qui arrivent aux femmes, en quelque tems qu’elles leur surviennent, pendant leur grossesse, & après l’accouchement.

Enfin l’alun n’est pas moins efficace dans les hémorrhagies qui auroient été causées par un coup de feu, ou par quelque instrument tranchant, par quelque chûte, ou quelque coup de tête violent ; & dans celles même qui seroient la suite de quelques ulceres rongeans & invétérés.

La maniere dont agit l’alun est très-douce : on n’éprouve lorsqu’on en prend, d’autre changement dans le corps, que quelques maux de cœur légers : mais ils durent très-peu, & ne vont jamais jusqu’à faire vomir avec effort.

Quelques-uns prétendent qu’il est dangereux d’arrêter le sang par l’usage des astringens ; préjugé d’autant plus mal fondé à l’égard de l’alun, qu’il est détruit par l’expérience. Ce remede n’entraîne jamais de suite fâcheuse, pourvû néanmoins que les vaisseaux aient été suffisamment desemplis, ou par les pertes, ou par les saignées ; c’est au Medecin à en décider. Le Medecin ne l’employera jamais dans les hémorrhagies critiques, ni dans les fievres violentes : c’est pourquoi il est toûjours nécessaire de consulter le Medecin sur son usage.

Au reste, la maniere d’en user doit être variée, ainsi que le régime, selon les différens tempéramens, & les différentes hémorrhagies.

La dose est depuis trois grains, jusqu’à un demi-gros, incorporé avec un peu de miel rosat. M. Malouin a trouvé que le cinabre joint à l’alun, faisoit réussir mieux ce remede, surtout lorsqu’il s’agit de calmer les nausées, &c. Ce Medecin fait entrer un grain de cinabre naturel dans chaque prise d’alun. Voyez sa Chimie Médicinale. On donne l’alun dans les grandes hémorrhagies pressantes, de deux heures en deux heures, & nuit & jour. Lorsque les hémorrhagies seront moins vives, on le donnera de trois ou de quatre heures en quatre heures, & le jour seulement, si la chose n’est pas pressante.

Lorsque la perte de sang sera arrêtée, ce qui arrive ordinairement après la huitieme ou dixieme prise, on diminuera insensiblement pendant un mois l’usage de l’alun.

Les femmes ont quelquefois des pertes de sang extraordinaires, ou sont sujettes à en évacuer tous les mois en telle abondance, qu’elles s’en trouvent considérablement affoiblies.

Dans la vûe de modérer ces pertes sans les arrêter, on leur fera prendre le matin à jeun un demi-gros d’alun sept ou huit jours de suite avant le tems de l’évacuation ; elles continueront cette pratique pendant cinq ou six mois, sans quoi elles courent risque de devenir sujettes aux pertes blanches, qui peuvent devenir d’autant plus dangereuses, qu’elles sont quelquefois suivies de skirrhes ou d’ulceres.

Deux observations générales doivent être rapportées à toutes les especes de pertes de sang dont nous venons de parler ; la premiere, c’est que lorsqu’il y a des insomnies pendant la perte, on doit joindre à l’usage de l’alun, celui des narcotiques, ou du moins des calmans : la seconde, c’est que les grandes hémorrhagies sont presque toûjours suivies de degoûts, d’altération, de lassitudes, d’inquiétudes & de douleurs de tête violentes, & de battemens des grosses arteres ; il faut aussi employer dans ces cas les calmans, & même les narcotiques, surtout lorsqu’il y a de l’insomnie. Voyez Helvetius, Traité des maladies.

On se sert extérieurement de l’alun dans les lotions astringentes ; & il entre dans différens cosmétiques, & dans plusieurs compositions pour nettoyer les dents.

C’est un des principaux ingrédiens des teintures & des couleurs, qui pour être comme il le faut, ne peuvent s’en passer. Il sert à affermir la couleur sur l’étoffe, & il a en cette occasion le même usage que l’eau gommée & les huiles visqueuses ; il dispose aussi les étoffes à prendre la couleur, & il lui donne plus de vivacité & de délicatesse, comme on voit clairement dans la cochenille & la graine d’écarlate.

Cet effet de l’alun semble être dû à sa qualité astringente, par le moyen de laquelle il bride les particules les plus fines des couleurs, les retient ensemble, & les empêche de s’évaporer. C’est par-là aussi qu’il empêche le papier, qui a été long-tems dans l’eau alumineuse, de boire lorsqu’on écrit dessus. Voyez Couleur, Teinture.

L’alun sucré ressemble beaucoup au sucre ; c’est une composition d’alun ordinaire, d’eau-rose, & de blancs d’œufs cuits ensemble en consistance de pâte, à laquelle on donne ensuite la forme que l’on veut ; étant refroidie, elle devient dure comme une pierre, on l’employe en qualité de cosmétique.

L’alun brûlé, alumen ustum ; c’est un alun calciné sur le feu, & qui par ce moyen devient plus blanc, plus léger, plus facile à pulvériser & caustique.

L’alun de plume, alumen plumosum, est une sorte de pierre minérale saline de différentes couleurs, ordinairement d’un blanc verdâtre, ressemblant au talc de Venise, excepté qu’au lieu d’écailles, elle a des filets ou fibres qui ressemblent à celles d’une plume, d’où lui vient son nom.

L’alun clarifie les liqueurs ; un peu d’alun jetté dans de l’eau divine, la clarifie de façon, qu’on n’est pas obligé de la filtrer. L’alun clarifie aussi l’encre ; on employe l’alun dans les fabriques de sucre, pour la propriété qu’il a de clarifier : ceux qui font profession de dessaler de la morue, se servent aussi d’alun.

Les Anatomistes & les Naturalistes mettent un peu d’alun dans l’eau-de-vie blanche, dans laquelle ils conservent des animaux, &c. pour conserver les couleurs.

Il y en a qui s’imaginent que l’alun a la secrete propriété d’appaiser les douleurs de rhûmatismes, lorsqu’on le porte sur soi : quelques personnes sujettes aux rhûmatismes, croyent s’en garantir, en portant dans leur poche, ou dans leur gousset, un morceau d’alun.

Alun purifié : on purifie l’alun comme la plûpart des autres sels, par la dissolution, la filtration, & la crystallisation. On prend de l’alun de Rome, on le fait fondre dans de l’eau bouillante, après l’avoir concassé ; on filtre la dissolution ; on en fait évaporer une partie, & on le porte dans un lieu frais, où l’alun se forme en crystaux, qu’on retire de l’eau, & qu’on fait sécher ; c’est l’alun purifié.

Alun teint de Mynsicht. Il y a eu dans le siecle passé une préparation d’alun en grande réputation : Mynsicht, qui étoit un grand Medecin d’Allemagne, en fut l’auteur. Pour purifier l’alun, il en faisoit fondre deux onces dans de l’eau de chardon-bénit ; il y ajoûtoit une once de sang de dragon en poudre tamisée ; le tout ayant bouilli ensemble jusqu’à ce que l’alun fût dissous, il filtroit la dissolution, & la mettoit à crystalliser : il avoit par ce moyen un alun teint en rouge.

M. Helvetius qui a remis en France, comme il est encore en Allemagne, l’usage de l’alun pris en grande dose, faisoit par le feu ce que Mynsicht faisoit par l’eau ; c’est-à-dire, pour parler le langage de Chimie, Mynsicht employoit, pour purifier l’alun, la voie humide, & M. Helvétius se servoit de la voie seche. M. Helvetius faisoit fondre l’alun dans une cuilliere de fer sur le feu avec le sang de dragon en poudre ; il les mêloit bien ensemble, & après avoir retiré du feu la masse molle, il en formoit des pilule de la grosseur des pois ronds : il faut que plusieurs personnes se mettent à faire promptement ces pilules, parce que la masse se durcit en refroidissant.