L’Encyclopédie/1re édition/ARÉOPAGE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 634).
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ARÉOPAGE, s. m. (Hist. anc.) sénat d’Athenes ainsi nommé d’une colline voisine de la citadelle de cette ville consacrée à Mars ; des deux mots Grecs πάγος, bourg, place, & Ἄρης, le dieu Mars ; parce que, selon la fable, Mars accusé du meurtre d’un fils de Neptune, en fut absous dans ce lieu par les juges d’Athenes. La Grece n’a point eu de tribunal plus renommé. Ses membres étoient pris entre les citoyens distingués par le mérite & l’intégrité, la naissance & la fortune ; & leur équité étoit si généralement reconnue, que tous les états de la Grece en appelloient à l’aréopage dans leurs démêlés, & s’en tenoient à ses décisions. Cette cour est la premiere qui ait eu droit de vie & de mort. Il paroît que dans sa premiere institution, elle ne connoissoit que des assassinats : sa jurisdiction s’étendit dans la suite aux incendiaires, aux conspirateurs, aux transfuges ; enfin à tous les crimes capitaux. Ce corps acquit une autorité sans bornes, sur la bonne opinion qu’on avoit dans l’Etat, de la gravité & de l’intégrité de ses membres. Solon leur confia le maniement des deniers publics, & l’inspection sur l’éducation de la jeunesse ; soin qui entraîna celui de punir la débauche & la fainéantise, & de récompenser l’industrie & la sobriété. Les aréopagites connoissoient encore des matieres de religion : c’étoit à eux à arrêter le cours de l’impiété, & à venger les dieux du blasphème, & la religion du mépris. Ils délibéroient sur la consécration des nouvelles divinités, sur l’érection des temples & des autels, & sur toute innovation dans le culte divin ; c’étoit même leur fonction principale. Ils n’entroient dans l’administration des autres affaires, que quand l’état allarmé de la grandeur des dangers qui le menaçoient, appelloit à son secours la sagesse de l’aréopage, comme son dernier refuge. Ils conserverent cette autorité jusqu’à Periclès, qui ne pouvant être aréopagite, parce qu’il n’avoit point été archonte, employa toute sa puissance & toute son adresse à l’avilissement de ce corps. Les vices & les excès qui corrompoient alors Athènes, s’étant glissés dans cette cour ; elle perdit par degrés l’estime dont elle avoit joüi, & le pouvoir dont elle avoit été revêtue. Les auteurs ne s’accordent pas sur le nombre des juges qui composoient l’aréopage. Quelques-uns le fixent à trente-un ; d’autres à cinquante-un, & quelques autres le font monter jusqu’à cinq cens. Cette derniere opinion ne peut avoir lieu que pour les tems où ce tribunal tombé en discrédit, admettoit indifféremment les Grecs & les étrangers ; car, au rapport de Ciceron, les Romains s’y faisoient recevoir : ou bien elle confond les aréopagites avec les prytanes.

Il est prouvé par les marbres d’Arondel, que l’aréopage subsistoit 941 ans avant Solon : mais comme ce tribunal avoit été humilié par Dracon, & que Solon lui rendit sa premiere splendeur ; cela a donné lieu à la méprise de quelques auteurs, qui ont regardé Solon comme l’instituteur de l’aréopage.

Les aréopagites tenoient leur audience en plein air, & ne jugeoient que la nuit ; dans la vûe, dit Lucien, de n’être occupés que des raisons, & point du tout de la figure de ceux qui parloient.

L’éloquence des avocats passoit auprès d’eux pour un talent dangereux. Cependant leur sévérité sur ce point se relâcha dans la suite : mais ils furent constans à bannir des plaidoyers, tout ce qui tendoit à émouvoir les passions, ou ce qui s’écartoit du fond de la question. Dans ces deux cas, un héraut imposoit silence aux avocats. Ils donnoient leur suffrage en silence, en jettant un espece de petit caillou noir ou blanc dans des urnes, dont l’une étoit d’airain, & se nommoit l’urne de la mort, θάνατου ; l’autre étoit de bois, & s’appelloit l’urne de la miséricorde, ἔλεου. On comptoit ensuite les suffrages ; & selon que le nombre des jettons nous prévaloit ou étoit inférieur à celui des blancs, les juges traçoient avec l’ongle une ligne plus ou moins courte sur une espece de tablette enduite de cire. La plus courte signifioit que l’accusé étoit renvoyé absous ; la plus longue exprimoit sa condamnation.