L’Encyclopédie/1re édition/AREOPAGITE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 634-635).
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AREOPAGITE, juge de l’aréopage. Voici le portrait qu’Isocrate nous a tracé de ces hommes merveilleux, & du bon ordre qu’ils établirent dans Athènes. « Les juges de l’aréopage, dit cet auteur, n’étoient point occupés de la maniere dont ils puniroient les crimes, mais uniquement d’en inspirer une telle horreur, que personne ne pût se résoudre à en commettre aucun : les ennemis, selon leur façon de penser, étoient faits pour punir les crimes ; mais eux pour corriger les mœurs. Ils donnoient à tous les citoyens des soins généreux, mais ils avoient une attention spéciale aux jeunes gens. Ils n’ignoroient pas que la fougue des passions naissantes donne à cet âge tendre les plus violentes secousses, qu’il faut à ces jeunes cœurs une éducation dont l’âpreté soit adoucie par certaine mesure de plaisir ; & qu’au fonds il n’y a que les exercices où se trouve cet heureux mêlange de travail & d’agrément, dont la pratique constante puisse plaire à ceux qui ont été bien élevés. Les fortunes étoient trop inégales pour qu’ils pussent prescrire à tous indifféremment les mêmes choses & au même degré ; ils en proportionnoient la qualité & l’usage aux facultés de chaque famille. Les moins riches étoient appliqués à l’agriculture & au négoce, sur ce principe que la paresse produit l’indigence, & l’indigence les plus grands crimes : ayant ainsi arraché les racines des plus grands maux, ils croyoient n’en avoir plus rien à craindre. Les exercices du corps, le cheval, la chasse, l’étude de la philosophie, étoient le partage de ceux à qui une meilleure fortune donnoit de plus grands secours : dans une distribution si sage, leur but étoit de sauver les grands crimes aux pauvres, & de faciliter aux riches l’acquisition des vertus. Peu contens d’avoir établi des lois si utiles, ils étoient d’une extrème attention à les faire observer : dans cet esprit, ils avoient distribué la ville en quartiers, & la campagne en cantons différens. Tout se passoit ainsi comme sous leurs yeux. Rien ne leur échappoit des conduites particulieres. Ceux qui s’écartoient de la regle étoient cités devant les magistrats, qui assortissoient les avis ou les peines à la qualité des fautes dont les coupables étoient convaincus. Les mêmes aréopagites engageoient les riches à soulager les pauvres ; ils réprimoient l’intempérance de la jeunesse par une discipline austere. L’avarice des magistrats effrayée par des supplices toûjours prêts à la punir, n’osoit paroître ; & les vieillards à la vûe des emplois & des respects des jeunes gens, se tiroient de la léthargie, dans laquelle ce grand âge a coûtume de les plonger ». Aussi ces juges si respectables n’avoient-ils en vûe que de rendre leurs citoyens meilleurs, & la république plus florissante. Ils étoient si desintéressés, qu’ils ne recevoient rien, ou presque rien, pour leur droit de présence aux jugemens qu’ils prononçoient ; & si integres, qu’ils rendoient compte de l’exercice de leur pouvoir à des censeurs publics, qui placés entre eux & le peuple, empêchoient que l’aristocratie ne devînt trop puissante. Quelque courbés qu’ils fussent sous le poids des années, ils se rendoient sur la colline où se tenoient leurs assemblées, exposés à l’injure de l’air. Leurs décisions étoient marquées au coin de la plus exacte justice : les plus intéressantes par leur objet, sont celles qu’ils rendirent en faveur de Mars, d’Oreste qui y fut absous du meurtre de sa mere par la protection de Minerve qui le sauva, ajoûtant son suffrage à ceux qui lui étoient favorables, & qui se trouvoient en parfaite égalité avec les suffrages qui le condamnoient. Cephale pour le meurtre de sa femme Procris, & Dedale pour avoir assassiné le fils de sa sœur, furent condamnés par ce tribunal. Quelques anciens auteurs prétendent que S. Denys premier évêque d’Athènes avoit été aréopagite, & qu’il fut converti par la prédication que fit S. Paul devant ces juges. Un plus grand nombre ont confondu ce Denys l’aréopagite avec S. Denys premier évêque de Paris. Voyez dans le Recueil de l’Acad. des Belles-Lettres, tom. VII. deux excellens mémoires sur l’aréopage, par M. l’abbé de Canaye, qui sait allier à un degré fort rare l’esprit & la Philosophie à l’érudition. (G)