L’Encyclopédie/1re édition/ARBALESTRILLE
ARBALESTRILLE, s. f. est un instrument qui sert à prendre en mer les hauteurs du soleil & des astres.
Cet instrument forme une espece de croix ; il est composé de deux parties, la fleche & le marteau, voyez Planch. Navig. fig. 12 ; la fleche AB est un bâton quarré, uni, de même grosseur dans toute sa longueur, d’un bois dur, comme d’ébene, ou autre, ayant environ trois piés de long & six à sept lignes de grosseur. Le marteau CD est un morceau de bois bien uni, applani d’un côté, & percé parfaitement au centre d’un trou quarré de la grosseur de la fleche ; au moyen de ce trou, il s’ajuste sur la fleche où il peut glisser en avant ou en arriere ; il est beaucoup plus épais vers le trou, afin qu’il soit ferme sur la fleche, & qu’il lui soit toûjours perpendiculaire. On pourroit en cas de nécessité, se contenter d’un seul marteau : mais, comme on verra plus bas, il est bon d’en avoir plusieurs ; ils sont au nombre de quatre. Voici la maniere d’observer. On fait entrer le marteau sur la fleche, de façon que le côté uni regarde sa partie A, où l’on pose l’œil ; l’œil étant au point A, on regarde ensuite l’astre par l’extrémité supérieure du marteau ; & par l’extrémité inférieure D, l’horison : si l’on ne peut les voir tous les deux à la fois, on fait avancer ou reculer le marteau jusqu’à ce qu’on en vienne à bout. Ceci une fois fait, l’observation sera achevée, & les deux rayons visuels qui vont de l’œil à l’astre & à l’horison, formeront un angle égal à la hauteur de l’astre. On observe de la même maniere l’angle que font deux astres entre eux, en pointant à l’un par l’extrémité du marteau C, & à l’autre par l’extrémité D ; en conséquence de cette façon d’observer, on divise la fleche de la maniere suivante. On la place sur un plan, fig. 13 ; & par l’extrémité A, qui est celle où on applique l’œil, on éleve une perpendiculaire AP égale à la moitié du marteau : du point P, comme centre, & du rayon AP, on décrit un quart de cercle, que l’on divise en demi-degrés, & on tire depuis le 45d jusqu’au 90d, par tous les points de division, des rayons, du centre P à la fleche AF ; les points où ces rayons la couperont, seront autant de degrés. On marquera les 90d à une distance du point A égale à la moitié CE du marteau, les autres angles se trouveront successivement, en marquant sur la fleche le nombre de degrés d’un angle double du complément de l’angle EPA ; alors le marteau se trouvant sur un de ces degrés indiquera la hauteur de l’astre : car si on le suppose en E, & que du point A, & par les points C & D, on tire des rayons visuels qu’on suppose dirigés vers l’astre & à l’horison, il est clair que l’angle CAD sera double de l’angle CAE : mais ect angle CAE est égal à l’angle PEA ; puisque les triangles PAE, ACE sont égaux & semblables, les angles PAE, AEC étant droits, le côté AE commun, & les côtés AP, CE égaux ; ainsi l’angle CAD sera double de l’angle PEA : mais cet angle PEA est le complément de l’angle APE ; par conséquent l’angle marqué sur la fleche sera toûjours égal à l’angle formé par les rayons visuels. De plus, on voit qu’il falloit diviser le demi-cercle en demi-degrés, puisque chaque angle formé par les rayons visuels est double du complément de l’angle EPA ; il est clair par cette façon de diviser la fleche, qu’en approchant des 90d, les degrés deviennent plus petits ; & qu’au contraire, en s’en éloignant ils deviennent plus grands, conséquemment qu’il faut donner au marteau une certaine longueur, pour que les degrés vers E soient distincts : mais si le marteau est grand, cela donnera une trop grande longueur à la fleche ; c’est pourquoi au lieu d’un seul marteau, on en a quatre, comme on a dit plus haut, autant que de faces : & ces marteaux étant plus grands les uns que les autres, servent à observer les différens angles. Par exemple, le plus grand sert pour les angles au-dessus de 40d ; celui d’ensuite pour ceux au-dessus de 20 : le troisieme pour ceux au-dessus de 10 ; & enfin le quatrieme, pour les plus petits angles. Il est inutile de dire que chaque marteau à sa face particuliere, & qu’elle est divisée comme nous venons de l’expliquer. Il y a encore une autre façon d’observer avec cet instrument, qui est plus sûre & plus exacte ; parce que l’on n’est obligé que de regarder un seul objet à la fois ; cela se fait de la maniere suivante. On ajuste le plat du grand marteau dans le bout de la fleche A, (fig. 14.) desorte que le tout soit à l’uni ; ensuite on passe dans la fleche le plus petit des marteaux qui a une petite traverse M d’ivoire, son côté plat étant tourné aussi vers le bout A ; & l’on ajoûte une visiere au bout d’en-bas D du marteau C, c’est-à-dire une petite piece de cuivre, ou autre métal, qui ait une petite fente.
L’arbalestrille ainsi préparée comme le montre la figure, on tourne le dos à l’astre, & on regarde l’horison sensible par la visiere D, & par-dessous la traverse M du petit marteau : en regardant ainsi par le rayon visuel DM, on approchera ou on reculera le petit marteau jusqu’à ce que l’ombre du bout C du grand se termine sur la traverse M, à l’endroit qui répond au milieu de la grosseur de la fleche. Alors le petit marteau marquera sur la fleche les degrés de hauteur du soleil, ce qui est sensible ; puisque l’angle formé par l’ombre qui tombe sur le petit marteau, & par le rayon visuel DM, est égal à l’angle que l’on auroit si observant par devant, l’œil étant en A, le grand marteau se trouvoit au point M.
Tel est l’instrument dont on s’est servi long-tems en mer malgré tous ses défauts. Car, 1°. sans les détailler tous, il est sûr que quelque attention que l’on apporte dans la division de l’instrument, elle est toûjours fort imparfaite. 2°. Etant de bois & d’une certaine longueur, il est toûjours à craindre qu’il ne travaille & ne se déjette ; & enfin il est fort difficile de s’en servir avec précision : on compte même généralement qu’il ne vaut rien pour les angles au-dessus de 60d. Ainsi on doit absolument l’abandonner, surtout depuis l’instrument de M. Hadley, si supérieur à tous ceux qui l’ont précédé. Voyez Instrument de M. Hadley.
L’arbalestrille a eu différens noms, comme radiometre, rayon astronomique, bâton de Jacob, & verge d’or : mais arbalestrille est aujourd’hui le plus en usage.
Comme les observations qui se font sur un vaisseau donnent la hauteur du Soleil tantôt trop grande, tantôt trop petite, selon qu’elles se font par-devant ou par-derriere, & cela à cause de l’élévation de l’observateur au-dessus de l’horison, on est obligé de retrancher plusieurs minutes de l’angle trouvé par l’observation, ou au contraire d’en ajoûter à cet angle. Voyez là-dessus l’article Quartier Anglois à la fin. (T)