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L’Encyclopédie/1re édition/AUTORITÉ

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 898-901).
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* AUTORITÉ, pouvoir, puissance, empire, (Gram.) L’autorité, dit M. l’abbé Girard dans ses Synonymes, laisse plus de liberté dans le choix ; le pouvoir a plus de force ; l’empire est plus absolu. On tient l’autorité de la supériorité du rang & de la raison ; le pouvoir, de l’attachement que les personnes ont pour nous ; l’empire, de l’art qu’on a de saisir le foible. L’autorité persuade ; le pouvoir entraîne ; l’empire subjugue. L’autorité suppose du mérite dans celui qui l’a ; le pouvoir, des liaisons ; l’empire, de l’ascendant. Il faut se soûmettre à l’autorité d’un homme sage ; on doit accorder sur soi du pouvoir à ses amis ; il ne faut laisser prendre de l’empire à personne. L’autorité est communiquée par les lois ; le pouvoir par ceux qui en sont dépositaires ; la puissance par le consentement des hommes ou la force des armes. On est heureux de vivre sous l’autorité d’un prince qui aime la justice ; dont les ministres ne s’arrogent pas un pouvoir au-delà de celui qu’il leur donne, & qui regarde le zele & l’amour de ses sujets comme les fondemens de sa puissance. Il n’y a point d’autorité sans loi ; il n’y a point de loi qui donne une autorité sans bornes. Tout pouvoir a ses limites. Il n’y a point de puissance qui ne doive être soûmise à celle de Dieu. L’autorité foible attire le mépris ; le pouvoir aveugle choque l’équité ; la puissance jalouse est formidable. L’autorité est relative au droit ; la puissance aux moyens d’en user ; le pouvoir à l’usage. L’autorité réveille une idée de respect ; la puissance une idée de grandeur ; le pouvoir une idée de crainte. L’autorité de Dieu est sans bornes ; sa puissance éternelle ; & son pouvoir absolu. Les peres ont de l’autorité sur leurs enfans ; les rois sont puissans entre leurs semblables ; les hommes riches & titrés sont puissans dans la société ; les magistrats y ont du pouvoir.

Autorité politique. Aucun homme n’a reçû de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, & chaque individu de la même espece a le droit d’en joüir aussi-tôt qu’il joüit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; & dans l’état de nature elle finiroit aussi-tôt que les enfans seroient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que de la nature. Qu’on examine bien, & on la fera toûjours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force & la violence de celui qui s’en est emparé ; ou le consentement de ceux qui s’y sont soûmis par un contrat fait ou supposé entr’eux, & celui à qui ils ont déféré l’autorité.

La puissance qui s’acquiert par la violence, n’est qu’une usurpation, & ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; ensorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, & qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit & de justice que l’autre qui le leur avoit imposé. La même loi qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort.

Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature ; c’est lorsqu’elle continue & se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soûmis : mais elle rentre par là dans la seconde espece dont je vais parler ; & celui qui se l’étoit arrogée devenant alors prince, cesse d’être tyran.

La puissance qui vient du consentement des peuples, suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, & qui la fixent & la restraignent entre des limites : car l’homme ne doit ni ne peut se donner entierement & sans reserve à un autre homme ; parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, dont le pouvoir est toûjours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits, & ne les communique point. Il permet pour le bien commun & pour le maintien de la société, que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux : mais il veut que ce soit par raison & avec mesure, & non pas aveuglément & sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du créateur. Toute autre soûmission est le véritable crime d’idolatrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image, n’est qu’une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le cœur & l’esprit, ne se soucie guere, & qu’il abandonne à l’institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d’un culte civil & politique, ou d’un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l’esprit de leur établissement, qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglois n’a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémonial ne signifie que ce qu’on a voulu qu’il signifiât : mais livrer son cœur, son esprit & sa conduite sans aucune réserve à la volonté & au caprice d’une pure créature, en faire l’unique & le dernier motif de ses actions, c’est assûrément un crime de lese-majesté divine au premier chef : autrement ce pouvoir de Dieu, dont on parle tant, ne seroit qu’un vain bruit dont la politique humaine useroit à sa fantaisie, & dont l’esprit d’irreligion pourroit se joüer à son tour ; de sorte que toutes les idées de puissance & de subordination venant à se confondre, le prince se joueroit de Dieu, & le sujet du prince.

La vraie & légitime puissance a donc nécessairement des bornes. Aussi l’Ecriture nous dit-elle : « que votre soûmission soit raisonnable » ; sit rationabile obsequium vestrum. « Toute puissance qui vient de Dieu est une puissance reglée » ; omnis potestas à Deo ordinata est. Car c’est ainsi qu’il faut entendre ces paroles, conformément à la droite raison & au sens littéral, & non conformément à l’interprétation de la bassesse & de la flatterie qui prétendent que toute puissance quelle qu’elle soit, vient de Dieu. Quoi donc ; n’y a-t-il point de puissances injustes ? n’y a-t-il pas des autorités qui, loin de venir de Dieu, s’établissent contre ses ordres & contre sa volonté ? les usurpateurs ont-ils Dieu pour eux ? faut-il obéir en tout aux persécuteurs de la vraie religion ? & pour fermer la bouche à l’imbécillité, la puissance de l’antechrist sera-t-elle légitime ? Ce sera pourtant une grande puissance. Enoch & Elie qui lui résisteront, seront-ils des rebelles & des séditieux qui auront oublié que toute puissance vient de Dieu ; ou des hommes raisonnables, fermes & pieux, qui sauront que toute puissance cesse de l’être, dès qu’elle sort des bornes que la raison lui a prescrites, & qu’elle s’écarte des regles que le souverain des princes & des sujets a établies ; des hommes enfin qui penseront, comme S. Paul, que toute puissance n’est de Dieu qu’autant qu’elle est juste & reglée ?

Le prince tient de ses sujets mêmes l’autorité qu’il a sur eux ; & cette autorité est bornée par les lois de la nature & de l’état. Les lois de la nature & de l’état sont les conditions sous lesquelles ils se sont soûmis, ou sont censés s’être soûmis à son gouvernement. L’une de ces conditions est que n’ayant de pouvoir & d’autorité sur eux que par leur choix & de leur consentement, il ne peut jamais employer cette autorité pour casser l’acte ou le contrat par lequel elle lui a été déférée : il agiroit dès-lors contre lui-même, puisque son autorité ne peut subsister que par le titre qui l’a établie. Qui annulle l’un détruit l’autre. Le prince ne peut donc pas disposer de son pouvoir & de ses sujets sans le consentement de la nation, & indépendamment du choix marqué dans le contrat de soûmission. S’il en usoit autrement, tout seroit nul, & les lois le releveroient des promesses & des sermens qu’il auroit pû faire, comme un mineur qui auroit agi sans connoissance de cause, puisqu’il auroit prétendu disposer de ce qu’il n’avoit qu’en dépôt & avec clause de substitution, de la même maniere que s’il l’avoit eu en toute propriété & sans aucune condition.

D’ailleurs le gouvernement, quoique héréditaire dans une famille, & mis entre les mains d’un seul, n’est pas un bien particulier, mais un bien public, qui par conséquent ne peut jamais être enlevé au peuple, à qui seul il appartient essentiellement & en pleine propriété. Aussi est-ce toûjours lui qui en fait le bail : il intervient toûjours dans le contrat qui en adjuge l’exercice. Ce n’est pas l’état qui appartient au prince, c’est le prince qui appartient à l’état : mais il appartient au prince de gouverner dans l’état, parce que l’état l’a choisi pour cela ; qu’il s’est engagé envers les peuples à l’administration des affaires, & que ceux-ci de leur côté se sont engagés à lui obéir conformément aux lois. Celui qui porte la couronne peut bien s’en décharger absolument s’il le veut : mais il ne peut la remettre sur la tête d’un autre sans le consentement de la nation qui l’a mise sur la sienne. En un mot, la couronne, le gouvernement, & l’autorité publique, sont des biens dont le corps de la nation est propriétaire, & dont les princes sont les usufruitiers, les ministres & les dépositaires. Quoique chefs de l’état, ils n’en sont pas moins membres, à la vérité les premiers, les plus vénérables & les plus puissans, pouvant tout pour gouverner, mais ne pouvant rien légitimement pour changer le gouvernement établi, ni pour mettre un autre chef à leur place. Le sceptre de Louis XV. passe nécessairement à son fils aîné, & il n’y a aucune puissance qui puisse s’y opposer : ni celle de la nation, parce que c’est la condition du contrat ; ni celle de son pere par la même raison.

Le dépôt de l’autorité n’est quelquefois que pour un tems limité, comme dans la république Romaine. Il est quelquefois pour la vie d’un seul homme, comme en Pologne ; quelquefois pour tout le tems que subsistera une famille, comme en Angleterre ; quelquefois pour le tems que subsistera une famille par les mâles seulement, comme en France.

Ce dépôt est quelquefois confié à un certain ordre dans la société ; quelquefois à plusieurs choisis de tous les ordres, & quelquefois à un seul.

Les conditions de ce pacte sont différentes dans les différens états. Mais par-tout, la nation est en droit de maintenir envers & contre tous le contract qu’elle a fait ; aucune puissance ne peut le changer ; & quand il n’a plus lieu, elle rentre dans le droit & dans la pleine liberté, d’en passer un nouveau avec qui, & comme il lui plaît. C’est ce qui arriveroit en France, si par le plus grand des malheurs la famille entiere régnante venoit à s’éteindre jusque dans ses moindres rejettons ; alors le sceptre & la couronne retourneroient à la nation.

Il semble qu’il n’y ait que des esclaves dont l’esprit seroit aussi borné que le cœur seroit bas, qui pussent penser autrement. Ces sortes de gens ne sont nés ni pour la gloire du prince, ni pour l’avantage de la société : ils n’ont ni vertu, ni grandeur d’ame. La crainte & l’intérêt sont les ressorts de leur conduite. La nature ne les produit que pour servir de lustre aux hommes vertueux ; & la Providence s’en sert pour former les puissances tyranniques, dont elle châtie pour l’ordinaire les peuples & les souverains qui offensent Dieu ; ceux-ci en usurpant, ceux-là en accordant trop à l’homme de ce pouvoir suprème, que le Créateur s’est reservé sur la créature.

L’observation des lois, la conservation de la liberté & l’amour de la patrie, sont les sources fécondes de toutes grandes choses & de toutes belles actions. Là se trouvent le bonheur des peuples, & la véritable illustration des princes qui les gouvernent. Là l’obéissance est glorieuse, & le commandement auguste. Au contraire, la flatterie, l’intérêt particulier, & l’esprit de servitude sont l’origine de tous les maux qui accablent un état, & de toutes les lâchetés qui le deshonorent. Là les sujets sont misérables, & les princes haïs ; là le monarque ne s’est jamais entendu proclamer le bien-aimé ; la soûmission y est honteuse, & la domination cruelle. Si je rassemble sous un même point de vûe la France & la Turquie, j’apperçois d’un côté une société d’hommes que la raison unit, que la vertu fait agir, & qu’un chef également sage & glorieux gouverne selon les lois de la justice ; de l’autre, un troupeau d’animaux que l’habitude assemble, que la loi de la verge fait marcher, & qu’un maître absolu mene selon son caprice.

Mais pour donner aux principes répandus dans cet article, toute l’autorité qu’ils peuvent recevoir, appuyons-les du témoignage d’un de nos plus grands rois. Le discours qu’il tint à l’ouverture de l’assemblée des notables de 1596, plein d’une sincérité que les souverains ne connoissent guere, étoit bien digne des sentimens qu’il y porta. « Persuadé, dit M. de Sully, pag. 467. in-4o. tom. I. que les rois ont deux souverains, Dieu & la loi ; que la justice doit présider sur le throne, & que la douceur doit être assise à côté d’elle ; que Dieu étant le vrai propriétaire de tous les royaumes, & les rois n’en étant que les administrateurs, ils doivent représenter aux peuples celui dont ils tiennent la place ; qu’ils ne régneront comme lui, qu’autant qu’ils régneront en peres ; que dans les états monarchiques héréditaires, il y a une erreur qu’on peut appeller aussi héréditaire, c’est que le souverain est maître de la vie & des biens de tous ses sujets ; que moyennant ces quatre mots, tel est nôtre plaisir, il est dispensé de manifester les raisons de sa conduite, ou même d’en avoir ; que, quand cela seroit, il n’y a point d’imprudence pareille à celle de se faire haïr de ceux auxquels on est obligé de confier à chaque instant sa vie, & que c’est tomber dans ce malheur que d’emporter tout de vive force. Ce grand homme persuadé, dis-je, de ces principes que tout l’artifice du courtisan ne bannira jamais du cœur de ceux qui lui ressembleront, déclara que pour éviter tout air de violence & de contrainte, il n’avoit pas voulu que l’assemblée se fît par des députés nommés par le souverain, & toûjours aveuglément asservis à toutes ses volontés ; mais que son intention étoit qu’on y admît librement toutes sortes de personnes, de quelqu’état & condition qu’elles pussent être ; afin que les gens de savoir & de mérite eussent le moyen d’y proposer sans crainte, ce qu’ils croiroient nécessaire pour le bien public ; qu’il ne prétendoit encore en ce moment leur prescrire aucunes bornes ; qu’il leur enjoignoit seulement de ne pas abuser de cette permission, pour l’abaissement de l’autorité royale, qui est le principal nerf de l’état ; de rétablir l’union entre ses membres ; de soulager les peuples ; de décharger le thrésor royal de quantité de dettes, auxquelles il se voyoit sujet, sans les avoir contractées ; de modérer avec la même justice, les pensions excessives, sans faire tort aux nécessaires, afin d’établir pour l’avenir un fonds suffisant & clair pour l’entretien des gens de guerre. Il ajoûta qu’il n’auroit aucune peine à se soûmettre à des moyens qu’il n’auroit point imaginés lui-même, d’abord qu’il sentiroit qu’ils avoient été dictés par un esprit d’équité & de desintéressement ; qu’on ne le verroit point chercher dans son âge, dans son expérience & dans ses qualités personnelles, un prétexte bien moins frivole, que celui dont les princes ont coûtume de se servir, pour éluder les reglemens ; qu’il montreroit au contraire par son exemple, qu’ils ne regardent pas moins les rois pour les faire observer, que les sujets, pour s’y soûmettre. Si je faisois gloire, continua-t-il, de passer pour un excellent orateur, j’aurois apporté ici plus de belles paroles que de bonne volonté : mais mon ambition a quelque chose de plus haut que de bien parler. J’aspire au glorieux titre de libérateur & de restaurateur de la France. Je ne vous ai donc point appellés, comme faisoient mes prédécesseurs, pour vous obliger d’approuver aveuglément mes volontés : je vous ai fait assembler pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre ; en un mot, pour me mettre en tutele entre vos mains. C’est une envie qui ne prend guere aux rois, aux barbes grises & aux victorieux, comme moi : mais l’amour que je porte à mes sujets, & l’extrème desir que j’ai de conserver mon état, me font trouver tout facile & tout honorable.

» Ce discours achevé, Henri se leva & sortit, ne laissant que M. de Sully dans l’assemblée, pour y communiquer les états, les mémoires & les papiers dont on pouvoit avoir besoin. »

On n’ose proposer cette conduite pour modele, parce qu’il y a des occasions où les princes peuvent avoir moins de déférence, sans toutefois s’écarter des sentimens qui font que le souverain dans la société se regarde comme le pere de famille, & ses sujets comme ses enfans. Le grand Monarque que nous venons de citer, nous fournira encore l’exemple de cette sorte de douceur mêlée de fermeté, si requise dans les occasions, où la raison est si visiblement du côté du souverain, qu’il a droit d’ôter à ses sujets la liberté du choix, & de ne leur laisser que le parti de l’obéissance. L’Edit de Nantes ayant été vérifié, après bien des difficultés du Parlement, du Clergé & de l’Université, Henri IV. dit aux évêques : Vous m’avez exhorté de mon devoir ; je vous exhorte du vôtre. Faisons bien à l’envi les uns des autres. Mes prédécesseurs vous ont donné de belles paroles ; mais moi avec ma jaquette, je vous donnerai de bons effets : je verrai vos cahiers, & j’y répondrai le plus favorablement qu’il me sera possible. Et il répondit au Parlement qui étoit venu lui faire des remontrances : Vous me voyez en mon cabinet où je viens vous parler, non pas en habit royal, ni avec l’épée & la cappe, comme mes prédécesseurs ; mais vêtu comme un pere de famille, en pourpoint, pour parler familierement à ses enfans. Ce que j’ai à vous dire, est que je vous prie de vérifier l’édit que j’ai accordé à ceux de la religion. Ce que j’en ai fait, est pour le bien de la paix. Je l’ai faite au-dehors ; je la veux faire au-dedans de mon royaume. Après leur avoir exposé les raisons qu’il avoit eues de faire l’édit, il ajoûta : Ceux qui empêchent que mon édit ne passe, veulent la guerre ; je la déclarerai demain à ceux de la religion ; mais je ne la ferai pas ; je les y enverrai. J’ai fait l’édit ; je veux qu’il s’observe. Ma volonté devroit servir de raison ; on ne la demande jamais au prince, dans un état obéissant. Je suis roi. Je vous parle en roi. Je veux être obéi. Mém. de Sully, in-4o. p. 594. tom. I.

Voilà comment il convient à un Monarque de parler à ses sujets, quand il a évidemment la justice de son côté ; & pourquoi ne pourroit-il pas ce que peut tout homme qui a l’équité de son côté ? Quant aux sujets, la premiere loi que la religion, la raison & la nature leur imposent, est de respecter eux-mêmes les conditions du contrat qu’ils ont fait, de ne jamais perdre de vûe la nature de leur gouvernement ; en France de ne point oublier que tant que la famille régnante subsistera par les mâles, rien ne les dispensera jamais de l’obéissance, d’honorer & de craindre leur maître, comme celui par lequel ils ont voulu que l’image de Dieu leur fût présente & visible sur la terre ; d’être encore attachés à ces sentimens par un motif de reconnoissance de la tranquillité & des biens dont ils joüissent à l’abri du nom royal ; si jamais il leur arrivoit d’avoir un roi injuste, ambitieux & violent, de n’opposer au malheur qu’un seul remede, celui de l’appaiser par leur soûmission, & de fléchir Dieu par leurs prieres ; parce que ce remede est le seul qui soit légitime, en conséquence du contrat de soûmission juré au prince régnant anciennement, & à ses descendans par les mâles, quels qu’ils puissent être ; & de considérer que tous ces motifs qu’on croit avoir de résister, ne sont à les bien examiner, qu’autant de prétextes d’infidélités subtilement colorées ; qu’avec cette conduite, on n’a jamais corrigé les princes, ni aboli les impôts ; & qu’on a seulement ajoûté aux malheurs dont on se plaignoit déja, un nouveau degré de misere. Voilà les fondemens sur lesquels les peuples & ceux qui les gouvernent pourroient établir leur bonheur réciproque.

Autorité dans les discours & dans les écrits. J’entens par autorité dans le discours, le droit qu’on a d’être crû dans ce qu’on dit : ainsi plus on a de droit d’être crû sur sa parole, plus on a d’autorité. Ce droit est fondé sur le degré de science & de bonne foi, qu’on reconnoît dans la personne qui parle. La science empêche qu’on ne se trompe soi-même, & écarte l’erreur qui pourroit naître de l’ignorance. La bonne-foi empêche qu’on ne trompe les autres, & réprime le mensonge que la malignité chercheroit à accréditer. C’est donc les lumieres & la sincérité qui sont la vraie mesure de l’autorité dans le discours. Ces deux qualités sont essentiellement nécessaires. Le plus savant & le plus éclairé des hommes ne mérite plus d’être crû, dès qu’il est fourbe ; non plus que l’homme le plus pieux & le plus saint, dès qu’il parle de ce qu’il ne sait pas ; de sorte que S. Augustin avoit raison de dire que ce n’étoit pas le nombre, mais le mérite des auteurs qui devoit emporter la balance. Au reste il ne faut pas juger du mérite, par la réputation, surtout à l’égard des gens qui sont membres d’un corps, ou portés par une cabale. La vraie pierre de touche, quand on est capable & à portée de s’en servir, c’est une comparaison judicieuse du discours avec la matiere qui en est le sujet, considérée en elle-même : ce n’est pas le nom de l’auteur qui doit faire estimer l’ouvrage, c’est l’ouvrage qui doit obliger à rendre justice à l’auteur.

L’autorité n’a de force & n’est de mise, à mon sens, que dans les faits, dans les matieres de religion, & dans l’histoire. Ailleurs elle est inutile & hors d’œuvre. Qu’importe que d’autres ayent pensé de même, ou autrement que nous, pourvû que nous pensions juste, selon les regles du bon sens, & conformément à la vérité ? Il est assez indifférent que votre opinion soit celle d’Aristote, pourvû qu’elle soit selon les lois du syllogisme. A quoi bon ces fréquentes citations, lorsqu’il s’agit de choses qui dépendent uniquement du témoignage de la raison & des sens ? A quoi bon m’assûrer qu’il est jour, quand j’ai les yeux ouverts, & que le soleil luit ? Les grands noms ne sont bons qu’à ébloüir le peuple, à tromper les petits esprits, & à fournir du babil aux demi-savans. Le peuple qui admire tout ce qu’il n’entend pas, croit toûjours que celui qui parle le plus & le moins naturellement est le plus habile. Ceux à qui il manque assez d’étendue dans l’esprit pour penser eux-mêmes, se contentent des pensées d’autrui, & comptent les suffrages. Les demi-savans qui ne sauroient se taire, & qui prennent le silence & la modestie pour des symptomes d’ignorance, ou d’imbécillité, se font des magasins inépuisables de citations.

Je ne prétens pas néanmoins que l’autorité ne soit absolument d’aucun usage dans les sciences. Je veux seulement faire entendre qu’elle doit servir à nous appuyer & non pas à nous conduire ; & qu’autrement, elle entreprendroit sur les droits de la raison : celle-ci est un flambeau allumé par la nature, & destiné à nous éclairer ; l’autre n’est tout au plus qu’un bâton fait de la main des hommes, & bon pour nous soûtenir en cas de foiblesse, dans le chemin que la raison nous montre.

Ceux qui se conduisent dans leurs études par l’autorité seule, ressemblent assez à des aveugles qui marchent sous la conduite d’autrui. Si leur guide est mauvais, il les jette dans des routes égarées, où il les laisse las & fatigués, avant que d’avoir fait un pas dans le vrai chemin du savoir. S’il est habile, il leur fait à la vérité parcourir un grand espace en peu de tems ; mais ils n’ont point eu le plaisir de remarquer ni le but où ils alloient, ni les objets qui ornoient le rivage, & le rendoient agréable.

Je me représente ces esprits qui ne veulent rien devoir à leurs propres réflexions, & qui se guident sans cesse d’après les idées des autres, comme des enfans dont les jambes ne s’affermissent point, ou des malades qui ne sortent point de l’état de convalescence, & ne feront jamais un pas sans un bras étranger.

Autorité, s. f. se dit des regles, des lois, des canons, des decrets, des décisions, &c. que l’on cite en disputant ou en écrivant.

Les passages tirés d’Aristote sont d’une grande autorité dans les écoles ; les textes de l’Ecriture ont une autorité décisive. Les autorités sont une espece d’argument que les rhétoriciens appellent naturels & sans art ou extrinseques. Voyez Argument.

Quant à l’usage & à l’effet des autorités, voy. Préjugé, Raison, Preuve, Probabilité, Foi, Révélation, &c.

En Droit, les autorités sont les lois, les ordonnances, coûtumes, édits, déclarations, arrêts, sentimens des jurisconsultes favorables à l’espece dans laquelle on les cite.

Autorité, s’employe aussi quelquefois comme synonyme à autorisation. Voyez ci-dessus. Voyez aussi Puissance maritale. (H)[1]

  1. Voir erratum, tome III, p. xv.