L’Encyclopédie/1re édition/BARBARES

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 68-69).
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BARBARES, (Philosophie.) adj. c’est le nom que les Grecs donnoient par mépris à toutes les nations, qui ne parloient pas leur langue, ou du moins qui ne la parloient pas aussi-bien qu’eux. Ils n’en exceptoient pas même les Egyptiens, chez lesquels ils confessoient pourtant que tous leurs philosophes & tous leurs législateurs avoient voyagé pour s’instruire. Sans entrer ici avec Brucker, dans les différentes étymologies de ce terme, ni sans examiner s’il est composé du bar des Arabes, qui signifie desert, ou s’il est derivé du terme par lequel les Chaldéens rendent le foris ou l’extra des Latins ; je remarquerai seulement que dans la suite des tems, les Grecs ne s’en servirent que pour marquer l’extrème opposition qui se trouvoit entr’eux & les autres nations, qui ne s’étoient point encore dépouillées de la rudesse des premiers siecles, tandis qu’eux-mêmes, plus modernes que la plûpart d’entr’elles, avoient perfectionné leur goût, & contribué beaucoup aux progrès de l’esprit humain. Ainsi toutes les nations étoient réputées barbares, parce qu’elles n’avoient ni la politesse des Grecs, ni une langue aussi pure, aussi féconde, aussi harmonieuse que celle de ces peuples. En cela ils furent imités par les Romains, qui appelloient aussi barbares tous les autres peuples, à l’exception des Grecs, qu’ils reconnoissoient pour une nation savante & policée. C’est à peu-près comme nous autres François, qui regardons comme grossier tout ce qui s’éloigne de nos usages. Les Grecs & les Romains étoient jaloux de dominer plus encore par l’esprit, que par la force des armes, ainsi que nous voulons le faire par nos modes.

Lorsque la religion Chrétienne parut, ils n’eurent pas pour elle plus de ménagement qu’ils en avoient eu pour la philosophie des autres nations. Ils la traiterent elle-même de barbare ; & sur ce pié ils oserent la mépriser. C’est ce qui engagea les premiers Chrétiens à prendre contre les Grecs & les Romains, la défense de la Philosophie barbare. C’étoit un détour adroit dont ils se servoient pour les accoûtumer peu-à-peu à respecter la religion Chrétienne, sous cette enveloppe grossiere qui leur en deroboit toute la beauté, & à lui soûmettre leur science & leur orgueil. Tatien de Syrie, & disciple de S. Justin, leur a prouvé qu’ils n’avoient rien inventé d’eux-mêmes, & qu’ils étoient redevables à ces mêmes hommes, qu’ils traitoient de barbares, de toutes les connoissances dont ils étoient si fort enorgueillis. « Quelle est, leur réprochoit-il malignement, la science parmi vous, qui ne tire son origine de quelqu’étranger ? Vous n’ignorez pas que l’art d’expliquer les songes, vient de l’Italie ; que les Cariens se sont les premiers avisés de prédire l’avenir par la diverse situation des astres ; que les Phrygiens & les Isauriens se sont servis pour cela du vol des oiseaux, & les Cypriotes, des entrailles encore fumantes des animaux égorgés. Vous n’ignorez pas que les Chaldéens ont inventé l’Astronomie ; les Perses la Magie ; les Egyptiens la Géométrie, & les Phéniciens l’art des Lettres. Cessez donc, ô Grecs, de donner pour vos decouvertes particulieres, ce que vous n’avez fait que suivre & qu’imiter ». Quoi qu’il en soit de ces reproches, il est certain qu’ils sont les premiers inventeurs de cette Philosophie systématique, qui bravant toute autorité, ne veut se laisser conduire qu’à la lueur de l’évidence dans la recherche de la vérité. La Philosophie des autres peuples, & même des Egyptiens, n’étoit, ainsi que nous l’avons remarqué à l’article de l’ame, qu’un amas de maximes, qui se transmettoient par tradition, & qui prenoient sur les esprits le même ascendant que les oracles de leurs dieux. Ce n’est qu’en Grece qu’on osoit raisonner ; & c’est aussi là le seul pays où l’esprit subtil & rafiné enfantoit des systèmes. La Philosophie des autres peuples n’étoit, à proprement parler, qu’une Théologie mystérieuse. Ainsi l’on peut dire que les Grecs ont été les premiers philosophes, dans le sens rigoureux que l’usage attache à ce terme. (X)

Barbares (Lois) Jurisprudence ; ce sont celles qui furent faites lots de la décadence de l’empire Romain, par les differens peuples qui le démembrerent, tels que les Goths, les Visigoths, les Ripuariens, les Francs-Allemands, Anglo-Saxons, &c. Voyez au mot Code.

On voit par ces lois la forme qui s’observoit dans les jugemens. Ils se rendoient dans de grandes assemblées, où toutes les personnes de distinction se trouvoient. Pour les preuves, on se servoit plus de témoins que de titres, par la raison qu’on ne faisoit presqu’aucun usage de l’écriture, sur-tout dans les commencemens. Faute de preuves on employoit le combat, ou l’on faisoit des épreuves par les élemens. Voyez Combat & Epreuve.

La principale matiere de ces lois étoient les crimes, & sur-tout ceux qui étoient les plus fréquens parmi ces peuples brutaux, tels que le vol, le meurtre, les injures, en un mot tout ce qui se commet par violence : ce qui regarde les successions & les contracts y étoit traité très-succinctement.

La qualité des peines qu’elles prononçoient est remarquable. Pour la plûpart des crimes elles n’ordonnoient que des amendes pécuniaires, ou pour ceux qui n’avoient pas de quoi payer, des coups de foüet. On ne punissoit point alors de mort les criminels, à moins qu’il ne fût question de crimes d’état. Aussi ces peines étoient-elles nommées compositions, comme n’étant qu’une taxe de dommages & intérêts, faite avec une exactitude surprenante : on y distinguoit la partie blessée ou mutilée, la profondeur, la largeur de la plaie, ou le nombre des plaies.

Ces lois sont écrites d’un style si simple & si court, qu’il seroit fort clair si tous les termes étoient latins : mais elles sont remplies de mots barbares, soit faute de mots latins qui fussent propres, soit pour leur servir de glose. (H)