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L’Encyclopédie/1re édition/CANADIENS

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 581-582).
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CANADIENS (Philosophie des). Nous devons la connoissance des sauvages du Canada au baron de la Hontan, qui a vécu parmi eux environ l’espace de dix ans. Il rapporte dans sa relation quelques entretiens qu’il a eus sur la religion avec un de ces sauvages ; & il paroît que le baron n’avoit pas toûjours l’avantage dans la dispute. Ce qu’il y a de surprenant, c’est de voir un huron abuser assez subtilement des armes de notre dialectique pour combattre la religion Chrétienne ; les abstractions & les termes de l’école lui sont presque aussi familiers qu’à un Européen qui auroit médité sur les livres de Scot. Cela a donné lieu de soupçonner le baron de la Hontan d’avoir voulu jetter un ridicule sur la religion dans laquelle il avoit été élevé, & d’avoir mis dans la bouche d’un sauvage les raisons dont il n’auroit osé se servir lui-même.

La plûpart de ceux qui n’ont point vû ni entendu parler des sauvages, se sont imaginés que c’étoient des hommes couverts de poil, vivant dans les bois sans société comme des bêtes, & n’ayant de l’homme qu’une figure imparfaite : il ne paroît pas même que bien des gens soient revenus de cette idée. Les sauvages, à l’exception des cheveux & des sourcils que plusieurs même ont soin d’arracher, n’ont aucun poil sur le corps : car s’il arrivoit par hasard qu’il leur en vînt quelqu’un, ils se l’ôteroient d’abord jusqu’à la racine. Ils naissent blancs comme nous ; leur nudité, les huiles dont ils se graissent, & les différentes couleurs dont ils se fardent, que le soleil à la longue imprime dans leur peau, leur hâlent le teint. Ils sont grands, d’une taille supérieure à la nôtre, ont les traits du visage fort réguliers, le nez aquilin ; ils sont bien faits en général, étant rare de voir parmi eux aucun boiteux, borgne, bossu, aveugle, &c.

A voir les Sauvages du premier coup d’œil, il est impossible d’en juger à leur avantage, parce qu’ils ont le regard farouche, le port rustique, & l’abord si simple & si taciturne, qu’il seroit très-difficile à un Européen qui ne les connoîtroit pas, de croire que cette maniere d’agir est une espece de civilité à leur mode, dont ils gardent entre-eux toutes les bienséances, comme nous gardons chez nous les nôtres, dont ils se moquent beaucoup. Ils sont donc peu caressans, & font peu de démonstrations : mais nonobstant cela ils sont bons, affables, & exercent envers les étrangers & les malheureux une charitable hospitalité, qui a dequoi confondre toutes les nations de l’Europe. Ils ont l’imagination assez vive : ils pensent juste sur leurs affaires : ils vont à leur fin par des voies sûres : ils agissent de sang froid & avec un phlegme qui lasseroit notre patience. Par raison d’honneur & par grandeur d’ame, ils ne se fâchent presque jamais. Ils ont le cœur haut & fier, un courage à l’épreuve, une valeur intrépide, une constance dans les tourmens qui semble surpasser l’héroïsme, & une égalité d’ame que ni l’adversité ni la prospérité n’alterent jamais.

Toutes ces belles qualités seroient trop dignes d’admiration, si elles ne se trouvoient malheureusement accompagnées de quantité de défauts : car ils sont légers & volages, fainéans au-delà de toute expression, ingrats avec excès, soupçonneux, traitres, vindicatifs, & d’autant plus dangereux, qu’ils savent mieux couvrir & qu’ils couvrent plus longtems leurs ressentimens. Ils exercent envers leurs ennemis des cruautés si inoüies, qu’ils surpassent dans l’invention de leurs tourmens tout ce que l’histoire des anciens tyrans peut nous représenter de plus cruel. Ils sont brutaux dans leurs plaisirs, vicieux par ignorance & par malice : mais leur rusticité & la disette où ils sont de toutes choses, leur donne sur nous un avantage, qui est d’ignorer tous les raffinemens du vice qu’ont introduit le luxe & l’abondance. Voici maintenant à quoi se réduit leur philosophie & leur religion.

1o. Tous les Sauvages soûtiennent qu’il y a un Dieu : ils prouvent son existence par la composition de l’univers qui fait éclater la toute-puissance de son auteur ; d’où il s’ensuit, disent-ils, que l’homme n’a pas été fait par hasard, & qu’il est l’ouvrage d’un principe supérieur en sagesse & en connoissance, qu’ils appellent le grand Esprit. Ce grand Esprit contient tout, il paroît en tout, il agit en tout, & il donne le mouvement à toutes choses ; enfin tout ce qu’on voit & tout ce qu’on conçoit, est ce Dieu qui subsistant sans bornes, sans limites, & sans corps, ne doit point être représenté sous la figure d’un vieillard, ni de quelque autre chose que ce puisse être, quelque belle, vaste, & étendue qu’elle soit : ce qui fait qu’ils l’adorent en tout ce qui paroît au monde. Cela est si vrai, que lorsqu’ils voient quelque chose de beau, de curieux, & de surprenant, sur-tout le soleil & les autres astres, ils s’écrient : O grand Esprit, nous te voyons par-tout !

2o. Ils disent que l’ame est immortelle ; parce que si elle ne l’étoit pas, tous les hommes seroient également heureux en cette vie, puisque Dieu étant infiniment parfait & infiniment sage, n’auroit pû créer les uns pour les rendre heureux, & les autres pour les rendre malheureux. Ils prétendent donc que Dieu veut par une conduite qui ne s’accorde pas avec nos lumieres, qu’un certain nombre de créatures souffrent en ce monde pour les en dédommager en l’autre : ce qui fait qu’ils ne peuvent souffrir que les Chrétiens disent que tel a été bien malheureux d’être tué, brûlé, &c. prétendant que ce que nous croyons malheur, n’est malheur que dans nos idées ; puisque rien ne se fait que par la volonté de cet Être infiniment parfait, dont la conduite n’est ni bisarre, ni capricieuse. Tout cela n’est point si sauvage.

3o. Le grand Esprit a donné aux hommes la raison, pour les mettre en état de discerner le bien & le mal, & de suivre les regles de la justice & de la sagesse.

4o. La tranquillité de l’ame plaît infiniment à ce grand Esprit. Il déteste au contraire le tumulte des passions, lequel rend les hommes méchans.

5o. La vie est un sommeil, & la mort un réveil qui nous donne l’intelligence des choses visibles & invisibles.

6o. La raison de l’homme ne pouvant s’élever à la connoissance des choses qui sont au-dessus de la terre, il est inutile & même nuisible de chercher à pénétrer les choses invisibles.

7o. Après notre mort, nos ames vont dans un certain lieu, dans lequel on ne peut dire si les bons sont bien, & si les méchans sont mal ; parce que nous ignorons si ce que nous appellons bien ou mal, est regardé comme tel par le grand Esprit. (C)