L’Encyclopédie/1re édition/CARÊME

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 682-683).
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CARÊME, s. m. (Hist. ecclésiast.) quadragesima, tems de pénitence, pendant lequel on jeûne quarante jours, pour se préparer à célébrer la fête de Pâque. Voyez Jeûne.

Anciennement dans l’Eglise Latine, le carême n’étoit que de trente-six jours. Dans le cinquieme siecle, pour imiter plus précisément le jeûne de quarante jours, que Jesus-Christ souffrit au desert ; quelques-uns ajoûterent quatre jours, & cet usage a été suivi dans l’Occident, si l’on en excepte l’église de Milan, qui a conservé l’ancien usage, de ne faire le carême que de trente-six jours.

Suivant S. Jérôme, S. Léon, St. Augustin, & plusieurs autres, le carême a été institué par les Apôtres. Voici comment ils raisonnent : tout ce que l’on trouve établi généralement dans toute l’Eglise, sans en voir l’institution dans aucun concile, doit passer pour un établissement fait par les Apôtres ; or tel est le jeûne du carême. On n’en trouve l’institution dans aucun concile ; au contraire, le premier concile de Nicée, celui de Laodicée, aussi bien que les peres Grecs & Latins, sur-tout Tertullien, parlent du carême comme d’une chose générale & très-ancienne.

Calvin, Chemnitius, & les Protestans prétendent que le jeûne du carême a été d’abord institué par une espece de superstition, & par des gens simples qui voulurent imiter le jeûne de Jesus-Christ ; ils prétendent prouver ce fait par un mot de S. Irénée, cité par Eusebe. Preuve très-foible, ou pour mieux dire de nulle valeur, quand on a contre elle le témoignage constant de tous les autres peres, & la pratique de l’Eglise universelle.

D’autres disent que ce fut le pape Telesphore, qui l’institua vers le milieu du second siecle ; d’autres conviennent que l’on observoit à la vérité le carême dans l’église, c’est-à-dire, un jeûne de quarante jours avant Pâques, du tems des Apôtres ; mais que c’étoit volontairement ; & qu’il n’y eut de loi que vers le milieu du troisieme siecle. Le précepte ecclésiastique quand il seroit seul, formeroit une autorité que les réformateurs auroient dû respecter, s’ils avoient moins pensé à introduire le relâchement dans les mœurs que la réforme.

Les Grecs different des Latins par rapport à l’abstinence du carême ; ils le commencent une semaine plûtôt, mais ils ne jeûnent point les samedis comme les Latins, excepté le samedi de la semaine-sainte.

Les anciens moines Latins faisoient trois carêmes ; le grand, avant Pâque ; l’autre, avant Noël, qu’on appelloit de la S. Martin ; & l’autre, de S. Jean-Baptiste, après la Pentecôte ; tous trois de quarante jours.

Outre celui de Pâques, les Grecs en observoient quatre autres qu’ils nommoient les carêmes des Apôtres, de l’Assomption, de Noël, & de la Transfiguration : mais ils les réduisoient à sept jours chacun ; les Jacobites en font un cinquieme, qu’ils appellent de la pénitence de Ninive ; & les Maronites six, y ajoûtant celui de l’exaltation de la Sainte-croix.

Le huitieme canon du concile de Tolede ordonne que ceux qui, sans une nécessité évidente, auront mangé de la chair pendant le carême, n’en mangeront point pendant toute l’année, & ne communieront point à Pâque.

Quelques-uns prétendent que l’on jeûne les quarante jours que dure le carême, en mémoire du déluge, qui dura autant de tems ; d’autre, des quarante années pendant lesquelles les Juifs errerent dans le desert ; d’autres veulent que ce soit en mémoire des quarante jours qui furent accordés aux Ninivites pour faire pénitence ; les uns, des quarante coups de fouets que l’on donnoit aux malfaiteurs pour les corriger ; les autres, des quarante jours de jeûne que Moyse observa en recevant la loi, ou des quarante jours que jeuna Elie, ou enfin des quarante jours de jeûne qu’observa Jesus-Christ.

La discipline de l’église s’est insensiblement relâchée sur la rigueur & la pratique du jeûne pendant le carême. Dans les premiers tems, le jeûne dans l’église d’Occident consistoit à s’abstenir de viandes, d’œufs, de laitage, de vin, & à ne faire qu’un repas vers le soir : quelques-uns seulement prétendant que la volaille ne devoit pas être un mets défendu ; parce qu’il est dit dans la Genese, que les oiseaux avoient été créés de l’eau aussi bien que les poissons, se permirent d’en manger ; mais on réprima cet abus. Dans l’église d’Orient, le jeûne a toûjours été fort rigoureux ; la plûpart ne vivoient alors que de pain & d’eau avec des légumes. Avant l’an 800, on s’étoit déjà beaucoup relâché, par l’usage du vin, des œufs, & des laitages. D’abord le jeûne consistoit à ne faire qu’un repas le jour, vers le soir après les vêpres ; ce qui s’est pratiqué jusqu’à l’an 1200 dans l’église Latine. Les Grecs dînoient à midi, & faisoient collation d’herbes & de fruits vers le soir dès le sixieme siecle. Les Latins commencerent dans le treizieme à prendre quelques conserves pour soûtenir l’estomac, puis à faire collation le soir : ce nom a été emprunté des religieux, qui après soûper alloient à la collation, c’est-à-dire à la lecture des conférences des saints peres, appellées en Latins collationes ; après quoi on leur permettoit de boire aux jours de jeûne de l’eau ou un peu de vin, & ce léger rafraîchissement se nommoit aussi collation. Le dîner des jours de carême ne se fit cependant pas tout d’un coup à midi. Le premier degré de changement fut d’avancer le soûper à l’heure de none, c’est-à-dire, à trois heures après midi ; alors on disoit none ensuite la messe, puis les vêpres, après quoi l’on alloit manger. Vers l’an 1500, on avança les vêpres à l’heure de midi ; & l’on crut observer l’abstinence prescrite en s’abstenant de viandes pendant la quarantaine, & se réduisant à deux repas, l’un plus fort, & l’autre très-léger sur le soir. On joignoit aussi au jeûne du carême la continence, l’abstinence des jeux, des divertissemens, & des procès. Il n’est pas permis de marier sans dispense pendant le carême. Thomassin, Traité historique & dogmatique des Jeûnes. (G)