L’Encyclopédie/1re édition/CERF

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CERF, cervulus, (Hist. anc. & mod.) espece de jeu usité parmi les payens, & dont l’usage s’étoit autrefois introduit parmi les Chrétiens : il consistoit à se travestir au nouvel an sous la forme de divers animaux. Les ecclésiastiques se déchaînerent avec raison contre un abus si indigne du Christianisme ; & ce ne fut point sans peine qu’ils parvinrent à le déraciner. Voyez le Gloss. de Ducange.

* Cerf, s. m. (Hist. nat. & Ven.) cervus, animal quadrupede, ruminant, qui a le pié fourchu, les cornes branchues, non creuses, & tombant chaque année : voilà les caracteres généraux sur lesquels on a établi le genre d’animaux qui portent le nom de cerf, cervinum genus : ce genre comprend le cerf, le dain, l’élan, le renne, le chevreuil, la giraffe, &c. Voyez ces derniers à leurs articles.

Le cerf proprement dit est de la grandeur d’un petit cheval ; son poil est de couleur fauve rougeâtre ; ses cornes sont longues, & d’une consistance très-dure ; le devant de la tête est plat ; les yeux sont grands ; les jambes longues & menues, & la queue courte.

On prétend que les cerfs vivent très-long-tems ; on a dit que la durée de leur vie s’étendoit à plusieurs siecles : on a même avancé jadis qu’ils vivoient quatre fois aussi long-tems que les corneilles, à qui l’on donnoit neuf fois la durée de la vie de l’homme. On peut juger de cette fable par le résultat, qui assigneroit aux cerfs trois mille six cens ans de vie.

Pline a assûré qu’on en avoit pris un plus de cent ans après la mort d’Alexandre, avec un collier d’or chargé d’une inscription, qui marquoit que ce collier lui avoit été donné par ce prince. On en raconte autant de César. On dit aussi que l’on trouva la biche d’Auguste plus de deux siecles après sa mort. On sait l’histoire du cerf chassé par Charles VI.

On connoît la vieillesse, mais non l’âge des cerfs, aux piés & à la tête, ainsi qu’aux allures. Ils ont à sept ans leur entiere hauteur de corps & de tête. On raconte de leurs courses, de leurs reposées, de leur pâture, ressui, diete, jeûnes, purgations, circonspection, maniere de vivre, sur-tout lorsqu’ils ont atteint l’âge de raison, une infinité de choses merveilleuses, qu’on trouvera dans Fouilloux, Salnove, &c. qui ont écrit de la chasse du cerf en enthousiastes, &c.

Age & distinction des cerfs. Depuis qu’un cerf est né jusqu’à un an passé, il ne porte point de bois, & s’appelle faon. En entrant dans la seconde année, il pousse deux petites perches qui excedent un peu les oreilles ; on appelle ces perches dagues, & ces jeunes cerfs, daguets. La troisieme année les perches qu’ils poussent se sement de petits andouillers, au nombre de deux à chaque perche. Les quatrieme & cinquieme année, la tête prend 8, 10, 12 pouces de long. La sixieme, dans laquelle le cerf s’appelle cerf dix cors jeunement, la tête prend 12 à 14 pouces. La septieme, dans laquelle il s’appelle cerf de dix cors, elle prend 16, 18, 20, & 24 pouces. La huitieme année, il prend le nom de grand cerf ; & la neuvieme, celui de grand vieux cerf.

Du rut des cerfs. Les vieux cerfs, les cerfs de dix cors, & ceux de dix cors jeunement, entrent en chaleur au commencement du mois de Septembre, quelquefois plûtôt ou plûtard de sept à huit jours : il leur prend alors une mélancholie qui dérange considérablement la sagesse de leur conduite. Ils ont la tête basse ; ils marchent jour & nuit, ce qui s’appelle muser ; ils deviennent furieux ; ils attaquent l’homme, &c. cet état dure cinq ou six jours, au bout desquels ils entrent dans la forte chaleur du rut, beuglent, ce qui s’appelle raire, ou réer, cherchent les biches, les poursuivent, & les tourmentent. Après le rut de ces cerfs, commence celui des jeunes, qui s’emparent des biches en l’absence des vieux, & se contentent de leurs restes.

Le fort du rut est depuis quatre heures du soir jusqu’à neuf heures du matin : Ils ont alors entr’eux des combats où il y en a de blessés, & même de tués : leurs cornes s’entrelacent ; ils restent pris tête contre tête, & sont dévorés des loups. Ceux qui voudront lire des merveilles de leurs combats amoureux, pourront consulter les auteurs que nous avons cités plus haut.

Le rut des grands cerfs dure trois semaines, dans lesquelles ils ont quinze à seize jours de forte chaleur ; le rut des jeunes cerfs dure douze à quinze jours : ainsi le tems du rut en général est d’environ cinq semaines. Alors la chasse en est dangereuse, & pour les chasseurs & pour les chiens : le cerf répand, dit-on, dans le rut une odeur si forte & si puante, que les chiens refusent quelquefois de le chasser.

Le rut de la biche est plus tardif que celui des cerfs ; un cerf en saillit jusqu’à quinze ou seize.

La biche est plus petite que le cerf ; elle n’a point de cornes ; ses mamelles sont au nombre de quatre, comme celles de la vache ; elle porte pendant huit mois & n’a qu’un faon, qu’elle garde jusqu’au tems du rut.

Charles I. roi d’Angleterre, dont Harvey étoit Medecin, lui abandonna toutes les biches de ses parcs : ce fut au-dedans de ces animaux qu’il chercha à découvrir le mystere de la génération. Harvey, dit M. de Maupertuis, dans sa Venus physique, opuscule où l’esprit & les connoissances se sont remarquer également, immolant tous les jours quelque biche dans le tems où elles reçoivent le mâle, & disséquant leurs matrices, n’y trouva jamais de liqueur séminale du mâle, jamais d’œuf dans les trompes, jamais d’altération à l’ovaire prétendu, qu’il appelle comme d’autres Anatomistes, le testicule de la femelle. Les premiers changemens qu’il apperçût dans les organes de la génération furent à la matrice ; il trouva cette partie enflée & plus molle qu’à l’ordinaire. Dans les quadrupedes elle paroît double, quoiqu’elle n’ait qu’une seule cavité ; son fond forme comme deux réduits qu’on appelle cernes, dans lesquelles se trouve le fœtus. Ce furent ces endroits qui lui parurent les plus altérés ; Harvey y observa plusieurs excroissances spongieuses, qu’il compare au bout des tétons des femmes. Il en coupa quelques-unes qu’il trouva parsemées de petits points blancs enduits d’une matiere visqueuse ; le fond de la matrice qui formoit leurs parois, étoit gonflé & tuméfié comme les levres des enfans, lorsqu’elles ont été piquées par des abeilles, & tellement mollasse, qu’il paroissoit d’une consistance semblable à celle du cerveau.

Pendant les mois de Septembre & d’Octobre, tems auquel les biches reçoivent le cerf tous les jours, & par des expériences de plusieurs années, Harvey ne parvint jamais à découvrir dans toutes les matrices des biches, une seule goutte de liqueur séminale.

Au mois de Novembre, la tumeur de la matrice étoit diminuée, & les caroncules fongueuses devenues flasques : mais ce qui fut un nouveau spectacle pour l’observateur, des filets déliés, étendus d’une corne à l’autre de la matrice, formoient une espece de réseau semblable aux toiles d’araignée, & s’insinuant entre les rides de la membrane intérieure de la matrice, ils s’entrelaçoient autour des caroncules, à peu près comme on voit la pie-mere suivre & embrasser les contours du cerveau.

Ce réseau forma bientôt une poche dont les dehors étoient enduits d’une matiere fétide, le dedans lisse & poli contenant une liqueur semblable au blanc d’œuf, dans laquelle nageoit une autre enveloppe sphérique, remplie d’une liqueur plus claire & crystalline ; ce fut dans cette liqueur qu’il apperçut un nouveau prodige. Ce ne fut point un animal tout organisé, comme on le devoit attendre ; ce fut le principe d’un animal, un point vivant, punctum saliens. On le vit dans la liqueur crystalline sauter & battre, tirant son accroissement d’une veine qui se perd dans la liqueur où il nage.

Les parties du corps viennent bientôt s’y joindre, mais en différent ordre & en différent tems ; ce n’est d’abord qu’un mucilage divisé en deux petites masses, dont l’une forme la tête, l’autre le tronc. Vers la fin de Novembre le fœtus est formé ; & tout cet admirable ouvrage, lorsqu’il paroît une fois commencé, s’acheve promptement : huit jours après la premiere apparence du point vivant, l’animal est tellement avancé, qu’on peut distinguer son sexe. Mais cet ouvrage ne se fait que par parties ; celles du dedans sont formées avant celles du dehors ; les visceres & les intestins, avant que d’être couverts du thorax & de l’abdomen ; & ces dernieres parties destinées à mettre les autres à couvert, ne paroissent ajoûtées que comme un toît à l’édifice. Voy. la Venus Physique de M. de Maupertuis.

Nous avons rapporté ici toutes ces particularités sur la formation du faon ; parce que la génération pourroit bien s’exécuter autrement dans un autre animal, quoique Harvey ait voulu généraliser ses expériences sur les biches, & les étendre à tous les autres quadrupedes.

Retraite. Après le rut, le cerf maigre, décharné, &c. se retire au fond des forêts où il vit de gland, de feuilles, de ronces, de la pointe des bruyeres, de cresson, &c.

Attroupement. Au mois de Décembre les cerfs s’attroupent ; les vieux cerfs, ceux de dix cors, quelques-uns de dix cors jeunement, se mettent ensemble. Ceux qui sont un peu au-dessous de cet âge, forment une autre troupe ; les daguets & ceux du second bois, restent avec les biches. Il n’est pas donné à tout le monde d’appercevoir l’exactitude de ces distributions : mais quoi qu’il en soit, il est constant que plus l’hyver est rude, plus les troupes sont grandes. Ces animaux se placent fort près les uns des autres à la reposée afin de s’échauffer.

Changement de pays & de viandis. Les cerfs changent plusieurs fois l’an de pays & de viandis ; ils gardent le fond des bois en hyver, & y vivent, comme on a dit plus haut ; au printems ils vont aux buissons, bois coupé d’un an, seigle, blé, pois, seves, &c. Ils gardent les buissons tout l’été, & viandent aux mêmes endroits : en automne, ils se rapprochent des grands bois, & vivent du regain, des chaumes, des avoines, des prés.

Séparation, mue, & chûte des têtes. Vers la mi-Fevrier, ou au commencement de Mars, les cerfs se séparent ; ils ne restent que deux ou trois ensemble pour aller aux buissons mettre bas leur tête. Il ne s’agit ici que des cerfs de dix cors, de dix cors jeunement, & vieux cerfs ; les autres se contentent de s’éloigner seulement du milieu de la forêt.

Au printems ils muent ; & il s’engendre sur eux entre cuir & chair des pustules ou ulceres, dans lesquels il se forme des vers qui leur sortent par le gosier, la gueule, les narines ; quelquefois ils en meurent : on dit que leur sang se purifie par cette voie.

C’est encore à des vers qu’on attribue la chûte de leur tête ; on dit que cette vermine se glissant le long du cou entre cuir & chair, se place entre le massacre & la tête, cernent tout cet endroit, chagrinent le cerf, & lui font agiter les cornes si violemment, qu’elles se détachent : les deux cornes ne tombent point toûjours en même tems ; ce qui fait qu’on n’en trouve assez souvent qu’une dans un même endroit.

Il y en a qui prétendent que lorsqu’un cerf a perdu son bois, il s’enfonce dans la forêt, s’y cache, & n’ose paroître. Quoi qu’il en soit, peu de tems après cette chûte, il se forme sur le massacre, ou l’endroit que les cornes ou la tête couvroient, une peau déliée garnie de poils gris de souris, sous laquelle les meules croissent & se gonflent. On entend par meules, la tige des cornes. L’accroissement & le gonflement des meules se font en cinq ou six jours. Les vieux cerfs, cerfs de dix cors, & cerfs de dix cors jeunement, mettent bas les premiers, & presque tous en même tems. Quand la peau a couvert les meules, la tête pousse ; & quinze jours après elle a un demi-pié, & les premiers andouillers ont quatre doigts : au bout de quinze autres jours, elle croît d’un autre demi-pié & davantage, & les seconds andouillers ont trois doigts ; les premiers sont augmentés d’autant ; l’accroissement continue : à la mi-Mai, les cerfs de dix cors, & de dix cors jeunement, ont poussé leur tête à demi, & toutes entieres à la fin du mois de Juillet. Les jeunes au huitieme & dixieme d’Août seulement, quoiqu’ils ne mettent bas que trois semaines après les cerfs de dix cors : quand les cerfs ont poussé leur tête, & qu’elle est dure, ils en ôtent la peau velue qui la couvre en se frottant au bois ; on nomme cette peau mousse, & frayoir la trace qu’ils font au bois : elle sert aux chasseurs à reconnoître non-seulement la présence du cerf, mais encore son âge. On dit que le cerf mange avidement toutes ces particules de peau, dont il débarrasse sa tête nouvelle.

Connoissance de la tête. Les meules sont adhérentes au massacre : cette fraise en forme de petit rocher, qui est plus haut & qui les entoure, s’appelle pierrure : ce qui s’éleve du rocher, perche ou mairin ; ce qui part des perches, andouillers. Les andouillers les plus près des meules se nomment maîtres andouillers, les suivans s’appellent seconds, troisiemes, & quatriemes andouillers & sur-andouillers. Les sur-andouillers partent de l’empaumûre. On entend par une empaumûre, une largeur placée à l’extrémité de la tête aux cerfs de dix cors, car les jeunes n’en ont point. Cette largeur a la forme de la paume de la main, & les sur-andouillers en partent comme des doigts ; le grain du bois s’appelle perlure, & les deux maîtresses rainures, dont le fond est lisse, & qu’on voit pratiquées entre la perlure, s’appellent gouttieres.

Connoissance de l’âge du cerf par le pié & l’allure. Il est aisé de confondre les grosses biches brehaines & les biches pleines avec les cerfs, sur-tout jeunes ; cependant les pinces de la biche sont plus oblongues & moins rondes. Plus un cerf est jeune, plus il a l’ongle petit & coupant. Quant aux allures, le jeune cerf met son pié de derriere dans celui de devant, n’en rompant que la moitié ; celui de dix cors jeunement, met le pié de derriere sur le bord du talon du pié de devant ; celui de dix cors, à un doigt près de celui de devant ; & le vieux cerf, à quatre doigts. Il n’y a point de regles pour les biches. Cet article est beaucoup plus étendu dans les traités de Chasse. Voyez Salnove, Fouillou, & les dons de Latone.

Des fientes ou fumées. Les fumées peuvent aussi servir à distinguer le cerf d’avec la biche, & le jeune cerf du vieux cerf ; elles changent selon les saisons : en hyver elles sont dures, seches, & en crottes de chevre ; en Mai elles deviennent molles, en bouzes, plattes, rondes & liées : en Juin, rondes, en masses, mais commençant à se détacher : sur la fin de Juin ou au commencement de Juillet, en torches, ou demi formées & séparées : sur la fin de Juillet, longues, dures, aiguillonées ou martelées. Quand les cerfs les ont en bouses, les biches bréhaines les ont massives, aiguillonées, martelées, ridées, ce qui leur dure tout l’été.

Des portées. On entend par portées, l’effet que le cerf produit contre les branches des arbres, par le frottement de son corps & le choc de son bois. Les cerf, de dix cors commencent à faire des portées à la mi-Mai, & les jeunes cerfs en Juin, leur tête étant alors à demi poussée & assez haute. Il faut que les portées soient à la hauteur de 6 piés, pour être d’un cerf de dix cors. La largeur y fait peu de chose.

De la chasse du cerf. Cette partie de notre article seroit immense, si nous voulions l’épuiser. Nous allons seulement en parcourir succinctement les points principaux : tels sont la quête, le rendez-vous, le choix du cerf, la meute, les relais, le laissé-courre, le lancer, la chasse proprement dite, les ruses, le forcer, la mort, la curée, & la retraite.

Des quêtes. Après ce que nous avons dit des changemens de pays & de viandis, on sait en quel lieu les quêtes doivent être faites, selon les différentes saisons. Lorsque l’on se propose de courre un cerf, on va au bois les uns à cheval sans limiers, les autres à pié avec les limiers. On sépare les cantons, on distribue les quêtes ou les lieux dans lesquels chacun doit s’assûrer s’il y a un cerf ou s’il n’y en a point, ce qui se fait à l’aide d’un limier qu’on conduit au trait. Lorsque le limier rencontre, on l’arrête par le trait, on examine si c’est un cerf, sans l’effrayer ni le lancer, ce qui le feroit passer d’une quête dans une autre. Quand on s’est bien assûré de sa présence, on fait des brisées. On en distingue de deux sortes ; les hautes & les basses. Faire des brisées hautes, c’est rompre des branches & les laisser pendantes : faire des brisées basses, c’est les répandre sur sa route, la pointe tournée vers l’endroit d’où le cerf vient, & le gros bout tourné où le cerf va. Alors le cerf est ce qu’on appelle détourné, & les brisées basses servent à conduire le chasseur à la réposée du cerf le jour destiné pour le courre.

Du rendez-vous. C’est ainsi qu’on appelle un lieu indiqué dans la forêt, où tous les chasseurs se rassemblent & d’où ils se séparent pour la chasse. Il faut le choisir le plus commode qu’il est possible.

Du choix du cerf. Lorsqu’il se trouve du cerf dans plusieurs quêtes, il faut préférer celle qui n’a qu’une refuite à celle qui en a deux (on entend par refuite, le lieu par lequel le cerf a coûtume de sortir) ; celle où il n’y a qu’un seul cerf, à celle où il y en a plusieurs ; attaquer au buisson plûtôt qu’au grand bois, & préférer le cerf de dix cors au jeune cerf.

Il y en a qui distinguent trois especes de cerfs, les bruns, les fauves, & les rougeâtres. Les bruns passent pour les plus forts & les plus vîtes ; les fauves pour avoir la tête haute & le bois foible ; les rougeâtres pour jeunes & vigoureux. On estime sur-tout ceux qui ont sur le dos une raie d’un brun noir. La regle est de n’attaquer que les cerfs de dix cors.

De la meute. Une meute est au moins de cent chiens ; alors on la divise en cinq parties. Les vingt qui donneront les premiers, s’appellent chiens de meute ; les vingt du premier relais, vieille meute ; les vingt du second relais, seconde vieille meute ; le dernier relais, relais de six chiens ; le nombre en est cependant beaucoup plus grand, & il est à propos de réserver les meilleurs. On a encore quelquefois un relais volant. Ce relais se transporte & suit la chasse, au lieu que les autres l’attendent.

Des relais. C’est un proverbe parmi les chasseurs, qu’un cerf bien donné aux chiens est à demi-pris. Il est donc à propos que ceux qui ont la conduite des relais connoissent les lieux & soient entendus dans la chasse, soit pour les placer convenablement, soit pour les donner à tems. Il faut aussi des relais de chevaux ; il faut placer les meilleurs coureurs au premier relais.

Du laissé-courre. On donne ce nom au moment & au lieu où on lâche les chiens, quand on est arrivé à l’endroit où le cerf a été détourné. Lorsque les relais sont placés, on suit les brisées & l’on s’avance jusqu’aux environs de cet endroit ; ensuite on lâche quelques-uns des meilleurs chiens. Ceux qui doivent faire chasser les chiens se nomment piqueurs ; il est essentiel de les avoir excellens. Leur talent principal est de savoir animer les chiens du cor & de la voix, & avertir exactement les chasseurs des mouvemens du cerf.

Du lancer. On lançoit jadis avec les limiers, aujourd’hui on découple dans l’enceinte ; & le lancer est proprement le premier bond du cerf hors de sa reposée. Le piqueur l’annonce en criant gare ; il crie vauceletz s’il voit la réposée, & tayau s’il voit l’animal.

De la chasse proprement dite : elle commence à ce moment, & consiste à suivre le même cerf sans relâche, malgré ses ruses, & à le forcer.

Des ruses : on en raconte une infinité ; tantôt le cerf chassé en substitue un autre à sa place, tantôt il se jette dans la harde ou troupe des biches, se mêle à des bestiaux, revient sur ses pas, tâche à dérouter les chiens par des bonds, suit un courant, &c. mais il y a des chiens auxquels il ne donne jamais le change. Le piqueur doit les connoître, & s’en tenir à ce qu’ils indiquent.

On a remarqué qu’un cerf blessé aux parties génitales ou châtré dans sa jeunesse, ne porte point de bois, reste comme une biche, & devient seulement plus fort de corps ; que si l’accident lui est arrivé après avoir déjà porté son bois, il continue de pousser mais avec peine, & ne parvient jamais à sa perfection ; & que si son bois étoit à sa perfection il ne le perd plus.

Mort du cerf. Lorsque le cerf est forcé, le piqueur crie halali, lui coupe le jarret & sonne la mort. Cependant un autre lui enleve le pié droit de devant, & va le présenter au grand veneur. On met le reste sur un chariot, & on le porte au lieu destiné pour la curée.

De la curée. Les valets de chien mettent le cerf sur le dos & le dépecent. Ils commencent par couper les daintiers, puis ils ouvrent la nappe ou peau, la fendant sous la gorge jusqu’où étoient les daintiers. Ils prennent le pié droit, dont ils coupent la peau à l’entour de la jambe, & l’ouvrent jusqu’au milieu de la poitrine ; ils en font autant aux autres piés, & ils achevent la dépouille. Cela fait, ils ouvrent le ventre, & l’on distribue l’animal par morceaux. On enlevera la panse, qui sera vuidée & lavée ; le membre génital ; l’os ou cartilage du cœur ; une partie du cœur, du foie, & de la ratte, que les valets de limiers distribueront à leurs chiens ; les épaules, les petits filets, le cimier, les grands filets, les feuillets, & les nombres. On a conservé le sang ; on a deux ou trois seaux de lait ; on coupe la panse & les boyaux nettoyés avec le reste de la ratte & du foie ; on mêle le tout avec le sang, le lait, & du pain : en hyver qu’on a peu de lait, on y substitue du sain-doux. On verse la moüée sur la nappe, on la remue, alors la curée est prête. Reste le coffre du cerf & les petits boyaux qu’on appelle le forhu. On met le coffre sur une place herbue à quelque distance de la moüée, & le forhu sur une fourche de bois émoussée. Enfin on abandonne les chiens à la moüée, & ensuite au coffre, puis au forhu, non sans avoir sonné toutes ces manœuvres. On sonne en dernier lieu la retraite. Nos ayeux exécutoient toutes les parties, tant de la chasse que de la curée, avec autant & plus de cérémonies qu’on n’en fait dans aucune occasion importante. Ils chassoient un cerf à peu près comme ils attaquoient une femme, & il étoit presqu’aussi humiliant pour eux d’échoüer dans l’une de ces entreprises que dans l’autre. Le goût de la chasse du cerf s’est augmenté parmi nous ; quant au cérémonial qui l’accompagnoit, il a presqu’entierement disparu, & la chasse ne s’en fait pas plus mal.

La partie la meilleure à manger du cerf, est le cou avec les trois côtes qui en sont les plus proches ; le reste est dur & indigeste. Les petits cerfs, lactantes, sont les meilleurs ; puis ceux d’un an, adolescentes ; ensuite ceux de deux ans, juvenes ; passé ce tems ils sont durs & mal-sains. On dit aussi que leur chair est un mauvais aliment pendant l’été, parce qu’ils se nourrissent de serpens & de reptiles, ce que peu de gens croyent.

Propriétés médicinales. Le cerf contient dans toutes ses parties beaucoup de sel volatil & d’huile : les meules & cornes nouvelles prises en gelée facilitent l’accouchement : ses grandes cornes se rapent ; cette rapure entre dans les tisannes, les gelées, les bouillons & plusieurs poudres & électuaires ; elle est bonne pour arrêter le cours de ventre & le flux hémorrhoïdal ; elle fortifie & restaure : on la distille & on en tire un sel & une huile volatile. On la prépare philosophiquement.

L’os ou cartilage du cœur a passé pour un cordial aléxitere & bon dans les crachemens de sang. On employe la moelle de cerf en liniment dans les rhumatismes, la goutte sciatique, & les fractures. Sa graisse est émolliente, nervale, & résolutive : son sang est sudorifique : on le donne desséché & en poudre à la dose d’un demi-scrupule. Le priape excite, dit-on, la semence & soulage dans la dissenterie ; on l’ordonne dans l’un & l’autre cas depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme. La vessie appliquée guérit la teigne. Au reste, si ces remedes ont quelque efficacité, elle dépend uniquement du sel volatil & de l’huile.

L’huile volatile de corne de cerf est fétide : on la rectifie par plusieurs cohobations ; & lorsqu’elle est claire & sans mauvaise odeur, on l’employe dans les affections nerveuses, les foulures, les paralysies, en liniment sur l’épine & l’origine des nerfs. On fait entrer le sel volatil dans les potions cordiales, sudorifiques, & anti-épileptiques, à la dose d’un scrupule. Il passe pour antispasmodique, & on l’applique sous le nez dans la catalepsie, le carus, & autres maladies, tant soporeuses que convulsives.

Ettmuller & Ludovic vantent l’esprit volatil de corne de cerf comme un grand alexipharmaque, & le recommandent dans les affections malignes.

Usages de quelques parties du cerf dans les Arts. On travaille sa peau ; & au sortir des mains du Chamoiseur & du Mégissier, après qu’elle a été passée en huile, on en fait des gants, des ceinturons, &c. Les Fourreurs en font aussi des manchons. Les Selliers se servent de sa bourre ou du poil que les Mégissiers & Chamoiseurs ont fait tomber de sa peau, pour en rembourrer en partie des selles & des bâts. Les Couteliers refendent sa corne à la scie, & en tirent des manches de couteau. On fait beaucoup plus de cas du bois de cerf enlevé de dessus la tête de cet animal tué, que de celui qu’il met bas quand il est vivant, & qu’on ramasse sur la terre.

On trouve dans les forêts de Bohème des cerfs qui ont au cou de longues touffes ou floccons noirs : ils passent pour plus vigoureux que les autres.

On dit qu’il ne se trouve point de fiel à son foie ; & l’on présume à la couleur & à l’amertume de sa queue, que c’est-là qu’il le porte.

Il y a un si grand nombre de cerfs au royaume de Siam, qu’on en tue plus de cent cinquante mille par an, dont on envoye les peaux au Japon.

Il y a aux Indes occidentales des troupeaux de cerfs privés, que des bergers menent paître dans les champs comme des moutons. Les habitans de ces contrées font des fromages de lait de biche.

Il y a plusieurs especes de cerf. Celle qui mérite le plus d’être remarquée à cause de sa petitesse, est désignée chez les Naturalistes par ces mots, cervus perpusillus, juvencus, Guineensis, & se trouve en Guinée ainsi que la phrase l’indique. Voyez Seba, tom. I. pag. 70. & nos Planches d’Histoire Naturelle, Planc. VII. fig. 3. Voyez aussi sa corne en A, même Planch. Il n’a pas plus d’un demi-pié de hauteur, prise depuis l’extrémité de son pié de devant jusqu’au-dessus de sa tête. Cette hauteur prise du pié de derriere jusqu’au-dessus de la croupe, n’a guere plus de quatre pouces ; & il n’en a pas cinq de la queue au poitrail. Il a la tête fort grosse & les oreilles fort larges, relativement au reste de son corps ; ses jambes sont très-menues. Sa corne a plus de deux pouces de long sur un demi-pouce de large à la base : elle va toûjours en diminuant & se recourbant un peu. Elle paroît creuse, & porter cinq à six rainures circulaires placées les unes au-dessus des autres, qu’une longue gouttiere qui part presque du bout de la corne vient traverser. Il a l’œil grand, & à en juger par la figure de Seba, le poil un peu hérissé. Il a deux moustaches, & quelques poils de barbe sous la mâchoire inférieure. Voilà tout ce que sa figure indique, & l’histoire ne nous en apprend pas davantage. On voit dans Seba, la patte d’un cerf, plus petit encore que celui que nous venons de décrire.

Cerf de Canada, (Hist. nat. Zoolog.) celui qui a été décrit dans les Mém. de l’Acad. royale des Sc. étoit fort grand : il avoit quatre piés depuis le haut du dos jusqu’à terre. La longueur de son bois étoit de trois piés : les premieres branches que l’on appelle andouillers avoient un pié ; les secondes branches dix pouces, & les autres à proportion. Ces branches étoient au nombre de six à chaque bois, c’est-à-dire à chaque corne. Les cornes étoient recouvertes d’une peau fort dure & garnie d’un poil épais & court de couleur fauve un peu obscure, comme le poil du corps. Celui des cornes étoit détourné en forme d’épi en plusieurs endroits, & la peau avoit une grande quantité de veines & d’arteres remplies de beaucoup de sang ; & la corne étoit creusée en sillons, dans lesquels ces vaisseaux rampoient. On n’observa dans ce cerf de Canada rien de différent de nos cerfs ordinaires.

On a joint à cette description celle de deux biches de Sardaigne. Leur hauteur étoit de deux piés huit pouces depuis le haut du dos jusqu’à terre. Le cou avoit un pié de longueur ; la jambe de derriere depuis le genou jusqu’à l’extrémité du pié, deux piés de longueur, & un pié jusqu’au talon. Le poil étoit de quatre couleurs, fauve, blanc, noir, & gris : blanc sous le ventre & au-dedans des cuisses & des jambes ; fauve-brun sur le dos ; fauve-isabelle sur les flancs ; l’un & l’autre fauve au tronc du corps, étoit marqué de taches blanches de différentes figures. Il y avoit le long du dos deux rangs de ces taches en ligne droite ; les autres étoient parsemées sans ordre. On voyoit de chaque côté une ligne blanche sur les flancs. Le cou & la tête étoient gris. La queue étoit blanche par-dessous & noire par-dessus, le poil ayant six pouces de longueur. Tome III. Part. II. Voyez Quadrupede.

Cerf-volant, lucanus, (Hist. nat.) insecte du genre des scarabées. On lui a donné le nom de cerf-volant, parce qu’il a deux grosses cornes longues, branchues, & faites en quelque façon comme celles du cerf. On l’appelle aussi taureau volant, parce qu’il est très-gros en comparaison des autres insectes de son genre. Il est noir, ou d’un noir rougeâtre, principalement sur les fausses ailes & sur la poitrine. Ses deux cornes sont quelquefois aussi longues que le petit doigt ; elles sont égales, semblables l’une à l’autre, & mobiles ; leur extrémité est divisée en deux branches ; elles ont un rameau & des dentelures sur leur côté intérieur. Les yeux sont durs, prééminens, blanchâtres, & placés à côté des cornes : il y a entre-elles deux autres petites cornes ou antennes faites en forme de massue, & placées au milieu du front, & deux autres plus longues entre les grandes cornes & les yeux. Il a six pattes, dont les deux premieres sont les plus longues & les plus grosses. La tête est plus large que la poitrine. Ces insectes serrent assez fortement ce qu’ils ont saisi avec leurs grosses cornes. Ils vivent encore long-tems après qu’on a séparé la tête du reste du corps. Il y a d’autres cerfs-volans semblables aux précédens, quoique plus petits. Leonicerus a crû que les plus grands étoient les mâles ; & Mouffet assûre au contraire que ce sont les femelles. Theat. insect. Aldrovande, de Insectis. Voyez Scarabée, Insecte. (I)

Cerf-volant, c’est un nom que les Tanneurs & autres artisans qui travaillent aux gros cuirs donnent aux cuirs tannés à fort-fait, & dont ils ont ôté le ventre. Voyez Cuir.

Cerf, mal de cerf, en termes de Maréchal, est un rhûmatisme qui tombe sur les mâchoires & les parties du train du devant d’un cheval : ce mal l’empêche de manger, & se jette quelquefois sur les parties du train de derriere. Jambes de cerf. V. Jambe. (V)