L’Encyclopédie/1re édition/CESSION

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 868-869).
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CESSION, s. f. (en Droit.) se dit en général de tout acte par lequel quelqu’un, propriétaire d’un effet ou d’un droit, le transporte à un autre. Dans l’usage ordinaire il signifie la même chose que transport. Voyez Transport.

Pour les autres manieres de transporter à quelqu’un la propriété d’un bien, d’un effet, ou d’un droit, voyez Vente, Echange, Donation, Legs, Subrogation , &c.

Cession, dans un sens plus particulier, est un abandonnement qu’on fait de tous ses biens en justice à ses créanciers pour éviter la contrainte par corps.

Le débiteur ne peut être admis au bénéfice de cession, qu’en vertu de lettres du Prince, entérinées en justice contradictoirement avec les créanciers ; & pour l’obtenir, il faut qu’il ne lui reste aucune ressource pour payer, & qu’on ne puisse pas lui reprocher de friponnerie ou de fraude.

La cession emporte note d’infamie, & obligeoit à porter un bonnet verd en tout tems ; faute de quoi, le débiteur pris sans son bonnet, pouvoit être constitué prisonnier. Ce bonnet étoit un emblème qui signifioit que celui qui avoit fait cession de biens étoit devenu pauvre par sa folie : cet usage ne s’observe plus. Voyez Bonnet.

Il faut seulement afin que la cession soit notoire, si c’est un marchand qui est cessionnaire, qu’elle soit publiée à la jurisdiction consulaire, ou à l’hôtel-de-ville s’il n’y a pas de juges-consuls dans le lieu de son domicile, & insérée dans un tableau public. Quelques coûtumes même veulent qu’elle soit publiée dans la paroisse du cessionnaire.

A Lucque, c’est un bonnet jaune qu’on porte après avoir fait cession, au lieu d’un verd.

Les Jurisconsultes Italiens nous ont conservé une maniere de faire cession, instituée par César, qui consistoit à se frapper trois fois le derriere à cul nud en présence du juge sur une pierre qu’on appelloit lapis vituperii ; parce qu’après cette cérémonie, le cessionnaire étoit intestable & incapable de rendre témoignage.

Autrefois on faisoit quitter en justice la ceinture & les clés à ceux qui faisoient cession ; les anciens ayant coûtume de porter à leur ceinture les principaux instrumens avec lesquels ils gagnoient leur vie : comme un homme de plume, son écritoire ; un marchand, son escarcelle, &c. Voyez Banqueroutier & Ceinture.

Voici encore une maniere dont se faisoit la cession chez les Romains & les anciens Gaulois : celui qui faisoit cession, ramassoit dans sa main gauche de la poussiere des quatre coins de sa maison ; après quoi, se plantant sur le seuil de la porte, dont il tenoit le poteau de la main droite, il jettoit la poussiere qu’il avoit ramassée par-dessus ses épaules ; puis se dépouillant nud en chemise, & ayant quitté sa ceinture & ses houseaux, il sautoit avec un bâton par-dessus une haie ; donnant à entendre par-là à tous les assistans, qu’il n’avoit plus rien au monde, & que quand il sautoit, tout son bien étoit en l’air. Voilà comment se faisoit la cession en matiere criminelle : mais en matiere civile, celui qui faisoit cession, mettoit seulement une houssine d’aune, ou bien un fétu, ou une paille rompue sur le seuil de la porte, pour marque qu’il abandonnoit ses biens. Cette cession s’appelloit chrenecruda per durpillum & festucam, cession par le seuil & par le fétu. Voyez Investiture.

Il y a plusieurs dettes pour lesquelles on ne peut pas être reçû à faire cession de biens ; telles sont celles qui ont pour cause un dépôt de deniers, soit publics ou particuliers, & généralement toutes celles qui sont accompagnées de dol & de perfidie de la part du débiteur. On exclut aussi du bénéfice de cession celui qui est condamné en une amende, ou des dommages & intérêts pour crime de délit ; les marchands qui achettent en gros pour vendre en détail ; les étrangers, les maîtres pour les salaires de leurs serviteurs, les proxenetes, les stellionataires, les débiteurs de fermages ou de deniers royaux, & plusieurs autres ; ensorte que le bénéfice de cession est devenu presque inutile depuis l’ordonnance qui a déchargé des contraintes par corps.

La cession de biens ne libere pas le débiteur ; desorte que s’il acquiert de nouveaux biens, ses créanciers les peuvent faire saisir pour être payés ; seulement ils sont obligés de lui laisser de quoi vivre. (H)

Cession, (en Droit canon.) est la vacance d’un bénéfice provenant d’une sorte de résignation tacite, & qui se présume lorsque le bénéficier fait quelque action ou entreprend quelque charge incompatible avec le bénéfice dont il étoit pourvû, & cela sans dispense.

La vacance d’un bénéfice par l’élévation du bénéficier à l’épiscopat, au lieu de s’appeller cession, s’appelle création : ainsi dans ce cas, on dit que tel bénéfice est vacant par création. Voyez Creation. (H)

Cession, terme de Librairie : Quand un Libraire ou tout autre particulier a obtenu le privilége du Roi pour l’impression d’un ouvrage, il peut transporter ses droits en tout ou en partie sur ce privilége, & ce transport s’appelle cession. Une cession pour avoir la même authenticité qu’un privilége, doit suivre les mêmes lois, & être enregistrée à la chambre royale & syndicale des Libraires.

Le droit que l’on acquiert par une telle cession est absolument le même que celui donné par le privilége, & peut lui-même être transporté & soûdivisé à l’infini.

Il est de loi ou d’usage que les cessions soient imprimées dans les livres à la suite du privilége.