L’Encyclopédie/1re édition/CONDUIRE

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CONDUIRE, v. act. (Gram.) c’est indiquer le chemin en accompagnant sur la route ; mais cette acception a été détournée d’une infinité de manieres différentes : on a dit, conduire une voiture, conduire dans les bonnes voies, conduire des eaux, conduire des troupes, &c. Voyez-en quelques-uns ci-après.

Conduire, (DrapierMarchand d’étoffes.) est synonyme à auner. Mener doucement l’étoffe le long de l’aune, sans la tirer, pour la faire courir davantage, c’est la conduire bois à bois.

Conduire les eaux. (Hydrauliq.) La maniere de conduire l’eau dans une ville, n’est pas la même que dans la campagne & dans un jardin.

Dans une ville on n’a d’autre sujétion que de se servir de tuyaux de plomb, assez gros pour fournir les fontaines publiques & la quantité d’eau concédée aux particuliers, en la faisant tomber dans les cuvettes de distribution. Si dans la pente des rues, l’eau est obligée de remonter ou de se mettre de niveau après la pente, ou enfin si on soude une branche sur le gros tuyau, on fait dans cet endroit un regard avec un robinet, pour arrêter cette charge & conserver les tuyaux : cela sert encore à les vuider dans les fortes gelées.

Dans la campagne on n’a ordinairement à conduire que des eaux roulantes ; après l’avoir amassée par des écharpes, des rameaux, des rigoles, dans des pierrées, & l’avoir amenée dans un regard de prise, on la fait entrer dans des tuyaux de grès ou de bois, selon la nature du lieu ; s’il y a des contrefoulemens où l’eau soit obligée de remonter, on la fait couler dans des aqueducs, ou au moins dans des tuyaux assez forts pour y résister. On sent bien qu’il seroit ridicule d’y employer des tuyaux de plomb, qui seroient trop exposés à être volés ; ceux de fer sont à préférer. On les enfoncera de quatre à cinq piés, pour éviter le vol & la malice des paysans.

Le plus difficile à ménager en conduisant les eaux pendant un long chemin, ce sont les fonds & les vallées appellées ventres ou gorges ; ils se trouvent dans l’irrégularité du terrein de la campagne, & interrompent le niveau d’une conduite : alors on est obligé de faire remonter l’eau sur la montagne vis-à-vis pour en continuer la route ; c’est dans cette remontée que l’eau contrefoulée a tant de peine à s’élever, que les tuyaux y crevent en peu de tems.

Soit la montagne A (Fig. 1. Hydraul.) d’où descend l’eau qu’on suppose amenée depuis la prise par un terrein plat, dans des tuyaux de grès ou des pierrées. B est la seconde montagne où se trouve la contrepente opposée à la pente de la premiere montagne A, d’où vient la source C conduite dans des tuyaux de grès. DD est le ventre ou gorge, où l’eau se trouve forcée par-tout. EE est la ligne de mire ou nivellement, pour connoître la hauteur du contrefoulement B. La conduite qu’on posera dans cette gorge ou fondriere DD, sera de fer, ainsi que dans la contrepente où l’eau force le plus, jusqu’à ce qu’elle se soit remise de niveau sur la montagne B ; on reprendra alors des tuyaux de grès ou des pierrées pour éviter la dépense, jusqu’au réservoir, parce que l’eau n’y fait que rouler, & ne force que dans le ventre & la remontée.

Si dans un long chemin il se rencontroit deux ou trois contrepentes, ce qui peut encore arriver en ramassant des eaux de plusieurs endroits, on les conduiroit de la même maniere. Quand la gorge n’est pas longue, comme seroit celle FF de la figure 2. un bout d’aqueduc ou un massif de blocailles est le meilleur parti qu’on puisse prendre, & l’eau y roulera de la même maniere que depuis le regard de prise dans des tuyaux de grès, ou des pierrées continuées sur des massifs de blocailles. Lorsque cette gorge est longue, & que le contrefoulement est élevé de vingt à trente piés, les tuyaux de fer coûteront moins, & dureront plus long-tems.

Si le contrefoulement étoit plus haut que cent piés, il faudroit y bâtir un aqueduc, parce que les tuyaux de fer auroient de la peine à résister ; alors le niveau étant continué par l’élévation de l’aqueduc, l’eau y rouleroit & y regagneroit l’autre montagne, d’où elle rentreroit dans des auges ou tuyaux jusqu’au réservoir.

On peut encore éviter un contrefoulement, en faisant suivre une conduite le long d’un côteau, & regagnant petit-à-petit le niveau de la contrepente : mais il faut qu’il n’y ait pas un grand circuit à faire dans cette situation appellée poesle ou bassin ; parce que la longueur d’une conduite ainsi circulaire, quoiqu’en grès ou en pierrée, coûte plus que d’amener l’eau en droite ligne par des tuyaux capables de résister au contrefoulement.

Dans les jardins, en supposant l’eau amassée dans le réservoir au-haut d’un parc, il ne se rencontre pas tant de difficultés : le terrein y est dressé, & les conduites descendent plutôt en pente douce qu’elles ne remontent. On se servira dans les eaux forcées de tuyaux de fer, de plomb ou de bois, suivant le pays, & même de grès bien conditionnés, pourvû que la chûte ne passe pas quinze à vingt piés. Ces conduites étant parvenues jusqu’aux bassins, on y fera un regard pour loger un robinet de cuivre d’une grosseur convenable au diametre de la conduite ; on soudera ensuite debout une rondelle ou collet de plomb un peu large autour du tuyau, & dans le milieu de l’endroit du corroi ou massif du bassin où il passe ; afin que l’eau ainsi arrêtée par cette plaque, ne cherche point à se perdre le long du tuyau. Quand ce sont des tuyaux de fer, on les pose de maniere qu’une de leurs brides soit dans le milieu du corroi, ce qui sert de rondelle : cette regle est générale pour tous les tuyaux qui traversent les corrois & massifs d’un bassin ; comme aussi de ne jamais engager les tuyaux, & de les faire passer à decouvert sur le plafond d’un bassin.

Dans le centre du bassin, à l’endroit même où doit être le jet, on soudera sur la conduite un tuyau montant appellé souche, au bout duquel on soudera encore un écrou de cuivre sur lequel se visse l’ajutage : il faut que cette souche soit de même diametre que la conduite ; si elle étoit retrécie, elle augmenteroit le frottement, & retarderoit la vîtesse & la hauteur du jet. A deux piés environ par-delà la souche, on coupera la conduite, & on la bouchera par un tampon de bois de chêne, avec une rondelle de fer chassée à force au bout du tuyau, ou par un tampon de cuivre à vis que l’on y soudera. Ces tampons facilitent le moyen de dégorger une conduite.

Evitez les coudes, les jarrets, & les angles droits qui diminuent la force des eaux ; prenez les d’un peu loin pour en diminuer la roideur ; & même il ne sera pas mal d’employer des tuyaux plus gros dans les coudes pour éviter les frottemens.

Dans les conduites un peu longues & fort chargées, on place des ventouses d’espace en espace pour la sortie des vents : on les fait ordinairement de plomb ; on les branche sur la tige de quelque grand arbre, en observant qu’elles soient de deux ou trois piés plus hautes que le niveau du réservoir, afin qu’elles ne dépensent pas tant d’eau : de cette maniere il n’y a que les vents qui sortent. Quand après une pente roide les conduites se remettent de niveau, il faut placer dans cet endroit des robinets pour arrêter cette charge ; ce qui sert encore à trouver les fautes, & à tenir les conduites en décharge pendant l’hyver.

Faites toûjours passer les tuyaux dans les allées, pour en mieux connoître les fautes, & y remédier sans rien déplanter ; & les conduites sous des terrasses ou sous des chemins publics, passeront sous des voûtes afin de les visiter de tems en tems. Les eaux de décharge rouleront dans des pierrées faites en chatieres, ou dans des tuyaux de grès sans chemise, quand ces eaux vont se perdre dans quelque puisart ou cloaque ; mais quand elles servent à faire joüer des bassins plus bas, on les entourera d’une bonne chemise de ciment, ou l’on y employera des tuyaux ordinaires comme étant des eaux forcées. Tenez toujours les tuyaux de décharge, tant de la superficie que du fond d’un bassin, plus gros que le reste de la conduite, afin que l’eau se perde plus vîte qu’elle ne vient, que le tuyau ne s’engorge point, & de peur que l’eau passant par-dessus les bords, ne détrempe toutes les terres qui soûtiennent le bassin, & n’en affaisse le niveau. (K)

Conduire, (Jard.) voyez Elever.

Conduire son cheval étroit ou large, terme de Manege : étroit signifie le mener en s’approchant du centre du manege ; & large, en s’approchant des murailles du manege. L’écuyer d’académie dit quelquefois à l’écolier, conduisez votre cheval, lorsque l’écolier laisse aller son cheval à sa fantaisie. (V)

Conduire, en Peinture, diriger, distribuer. On dit une belle conduite dans la distribution des objets, une lumiere bien conduite, &c. pour marquer que ces choses sont menagées avec un discernement éclairé. (R)