L’Encyclopédie/1re édition/CONVERSATION, ENTRETIEN
CONVERSATION, ENTRETIEN, (Gramm.) Ces deux mots désignent en général un discours mutuel entre deux ou plusieurs personnes ; avec cette différence, que conversation se dit en général de quelque discours mutuel que ce puisse être, au lieu qu’entretien se dit d’un discours mutuel qui roule sur quelque objet déterminé. Ainsi on dit qu’un homme est de bonne conversation, pour dire qu’il parle bien des différens objets sur lesquels on lui donne lieu de parler ; on ne dit point qu’il est d’un bon entretien. Entretien se dit de supérieur à inférieur ; on ne dit point d’un sujet qu’il a eu une conversation avec le Roi, on dit qu’il a eu un entretien ; on se sert aussi du mot d’entretien, quand le discours roule sur une matiere importante. On dit, par exemp. ces deux princes ont eu ensemble un entretien sur les moyens de faire la paix entr’eux. Entretien se dit pour l’ordinaire des conversations imprimées, à moins que le sujet de la conversation ne soit pas sérieux ; on dit les entretiens de Cicéron sur la nature des dieux, & la conversation du P. Canaye avec le maréchal d’Hocquincourt. Dialogue est propre aux conversations dramatiques, & colloque aux conversations polémiques & publiques qui ont pour objet des matieres de doctrine, comme le colloque de Poissy. Lorsque plusieurs personnes, sur-tout au nombre de plus de deux, sont rassemblées & parlent entr’elles, on dit qu’elles sont en conversation, & non pas en entretien.
Les lois de la conversation sont en général de ne s’y appesantir sur aucun objet, mais de passer legerement, sans effort & sans affectation, d’un sujet à un autre ; de savoir y parler de choses frivoles comme de choses sérieuses ; de se souvenir que la conversation est un délassement, & qu’elle n’est ni un assaut de salle d’armes, ni un jeu d’échecs ; de savoir y être négligé, plus que négligé même, s’il le faut : en un mot de laisser, pour ainsi dire, aller son esprit en liberté, & comme il veut ou comme il peut ; de ne point s’emparer seul & avec tyrannie de la parole ; de n’y point avoir le ton dogmatique & magistral ; rien ne choque davantage les auditeurs, & ne les indispose plus contre nous. La conversation est peut être la circonstance où nous sommes le moins les maîtres de cacher notre amour-propre ; & il y a toûjours à perdre pour lui à mortifier celui des autres ; parce que ce dernier cherche à se venger, qu’il est ingénieux à en trouver les moyens, & que pour l’ordinaire il les trouve sur le champ ; car qui est-ce qui ne prête pas par cent endroits des armes à l’amour-propre d’autrui ? C’est encore un défaut qu’il faut éviter, de parler en conversation comme on feroit à des lecteurs, & d’avoir ce qu’on appelle une conversation bien écrite. Une conversation ne doit pas plus être un livre, qu’un livre ne doit être une conversation. Ce qu’il y a de singulier, c’est que ceux qui tombent dans le premier de ces défauts, tombent ordinairement dans le second ; parce qu’ils ont l’habitude de parler comme ils écriroient, ils s’imaginent devoir écrire comme ils parleroient. On ne sauroit être trop sur ses gardes quand on parle au public, & trop à son aise avec ceux qu’on fréquente. Voyez Affectation. (O)