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L’Encyclopédie/1re édition/DIALOGUE

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DIALOGUE, s. m. (Belles-lettres.) entretien de deux ou de plusieurs personnes, soit de vive voix, soit par écrit. Voyez Dialectique.

Ce mot vient du latin dialogus, & celui-ci du grec διαλόγος, qui signifie la même chose.

Le dialogue est la plus ancienne façon d’écrire, & c’est celle que les premiers auteurs ont employée dans la plûpart de leurs traités. M. de Fenelon archevêque de Cambray, a très-bien fait sentir le pouvoir & les avantages du dialogue, dans le mandement qui est à la tête de son instruction pastorale en forme de dialogue. Le saint Esprit même n’a pas dédaigné de nous enseigner par des dialogues. Les saints peres ont suivi la même route ; saint Justin, saint Athanase, saint Basile, saint Chrysostome, &c. s’en sont servis très-utilement, tant contre les Juifs & les Payens, que contre les hérétiques de leur siecle.

L’antiquité prophane avoit aussi employé l’art du dialogue, non-seulement dans les sujets badins, mais encore pour les matieres les plus graves. Du premier genre sont les dialogues de Lucien, & du second ceux de Platon. Celui-ci, dit l’auteur d’une préface qu’on trouve à la tête des dialogues de M. de Fenelon sur l’éloquence, ne songe en vrai philosophe qu’à donner de la force à ses raisonnemens, & n’affecte jamais d’autre langage que celui d’une conversation ordinaire ; tout est net, simple, familier. Lucien au contraire met de l’esprit par-tout ; tous les dieux, tous les hommes qu’il fait parler, sont des gens d’une imagination vive & délicate. Ne reconnoît-on pas d’abord que ce ne sont ni les hommes ni les dieux qui parlent, mais Lucien qui les fait parler ? On ne peut cependant pas nier que ce ne soit un auteur original qui a parfaitement réussi dans ce genre d’écrire. Lucien se mocquoit des hommes avec finesse, avec agrément ; mais Platon les instruisoit avec gravité & sagesse. M. de Fenelon a sû imiter tous les deux, selon la diversité de ses sujets : dans ses dialogues des morts on trouve toute la délicatesse & l’enjouement de Lucien ; dans ses dialogues sur l’éloquence il imite Platon : tout y est naturel, tout est ramené à l’instruction ; l’esprit disparoît, pour ne laisser parler que la sagesse & la vérité.

Parmi les anciens, Cicéron nous a encore donné des modeles de dialogues dans ses admirables traités de la vieillesse, de l’amitié, de la nature des dieux, ses tusculanes, ses questions académiques, son Brutus, ou des orateurs illustres. Erasme, Laurent Valle, Textor & d’autres, ont aussi donné des dialogues ; mais parmi les modernes, personne ne s’est tant distingué en ce genre que M. de Fontenelle, dont tout le monde connoît les dialogues des morts. (G)

Quoique toute espece de dialogue soit une scene, il ne s’ensuit pas que tout dialogue soit dramatique. Le dialogue oratoire ou philosophique n’est que le développement des opinions ou des sentimens de deux ou de plusieurs personnages ; le dialogue dramatique forme le tissu d’une action. Le premier ne tend qu’à établir une vérité, le second a pour objet un évenement : l’un & l’autre a son but, vers lequel il doit se diriger par le chemin le plus court ; mais autant que les mouvemens du cœur sont plus rapides que ceux de l’esprit, autant le dialogue dramatique doit être plus direct & plus précis que le dialogue philosophique ou oratoire.

Dialogue sans objet, mauvais dialogue. Tels sont les églogues en général, & particulierement celles de Virgile. Qu’on se rappelle l’entretien de Melibée avec Titire dans la premiere des bucoliques. Mel. Titire, vous joüissez d’un plein repos. Tit. C’est un dieu qui me l’a procuré. Mel. Quel est ce dieu bienfaisant ? Tit. Insensé, je comparois Rome à notre petite ville. Mel. Et quel motif si pressant vous a conduit à Rome ? Tit. Le desir de la liberté, &c. Les admirateurs de Virgile, du nombre desquels nous faisons gloire d’être, ne peuvent se dissimuler que Titire ne répond point à cette question de Mélibée, quel est ce dieu ? C’est-là qu’il devoit dire : je l’ai vû à Rome, ce jeune héros, pour qui nos autels fument douze fois l’an. Melib. A Rome ! & qui vous y conduit ? Titire. Le desir de la liberté, &c. Ce défaut est encore plus sensible dans la troisieme églogue où deux bergers parlent tour-à tour & sans suite, l’un de Jupiter, l’autre d’Apollon ; l’un de sa Galatée, l’autre de son Amintas ; & puis d’une Philis, & puis encore d’Amintas & de Galatée, de Pollion, de Bavius, de Mevius, &c. Il ne s’agit point ici du naturel & des images qui font le charme de ces pastorales, & que nous admirons d’aussi bonne foi que leurs plus zélés partisans. Il s’agit du dialogue dont les modernes ont infiniment mieux connu l’artifice dans ce genre de poésie. Voyez le Pastor fido, & l’Aminte.

Qu’on ne dise pas qu’un dialogue sans suite peint mieux un entretien de bergers. On doit choisir la belle nature dans le pastoral comme dans l’héroïque, & la naïveté n’exclud pas la justesse.

C’est sur-tout, comme nous l’avons dit, dans la poésie dramatique que le dialogue doit tendre à son but. Comme l’objet en intéresse vivement chacun des interlocuteurs, il est hors de la vraissemblance qu’aucun d’eux s’oublie ou s’en écarte. Un personnage qui, dans une situation intéressante, s’arrête à dire de belles choses qui ne vont point au fait, ressemble à une mere qui cherchant son fils dans les campagnes, s’amuseroit à cueillir des fleurs en chemin.

Cette regle qui n’a point d’exception réelle, en a quelques-unes d’apparentes. Il est des scenes, où ce que dit l’un des personnages, n’est pas ce qui occupe l’autre. Celui-ci plein de son objet se répond à lui-même. On flate Armide sur sa beauté, sur sa jeunesse, sur le pouvoir de ses enchantemens. Rien de tout cela ne dissipe la rêverie où elle est plongée. On lui parle de ses triomphes, & des captifs qu’elle a faits. Ce mot seul touche à l’endroit sensible de son ame, sa passion se réveille & rompt le silence.

Je ne triomphe pas du plus vaillant de tous,
Renaud, &c.

Mérope, à l’exemple d’Armide, entend, sans l’écouter, tout ce qu’on lui dit de ses prospérités & de sa gloire. Elle avoit un fils ; elle l’a perdu ; elle l’attend. Ce sentiment seul intéresse.

Quoi, Narbas ne vient point ! Reverrai-je mon fils ?

Il est des situations où l’un des personnages détourne exprès le cours du dialogue, soit crainte, ménagement, ou dissimulation ; mais alors même le dialogue tend à son but, quoiqu’il semble s’en écarter. Toutefois il ne prend ces détours que dans des situations modérées : quand la passion devient impétueuse & rapide, les replis du dialogue ne sont plus dans la nature. Un ruisseau serpente, un torrent se précipite.

Suivant le même principe, une des qualités essentielles du dialogue, c’est d’être coupé à-propos. Il est, comme nous l’avons dit dans l’art. Déclamation, des situations où le respect, la crainte, &c. retiennent la passion, & lui imposent silence. Dans tous autres cas le dialogue est vicieux dès que la replique se fait attendre : défaut que les plus grands maîtres n’ont pas toûjours évité. Corneille a donné en même tems l’exemple & la leçon de l’attention qu’on doit apporter à la vérité du dialogue. Dans la scene d’Auguste avec Cinna, Auguste va convaincre de trahison & d’ingratitude un jeune homme fier & bouillant, que le seul respect ne sauroit contraindre à l’écouter sans l’interrompre, à moins d’une loi expresse. Corneille a donc préparé le silence de Cinna par l’ordre le plus important ; & ces vers qu’on a tant & si mal-à-propos condamnés comme superflus, sont la plus digne préparation de la plus belle scene qui soit au théatre. Cependant malgré la loi que fait Auguste à Cinna de tenir sa langue captive, dès qu’il arrive à ce vers :

Cinna, tu t’en souviens, & veux m’assassiner.

Cinna s’emporte, & veut répondre : mouvement naturel & vrai, que le grand peintre des passions n’a pas manqué de saisir. C’est ainsi que la replique doit partir sur le trait qui la sollicite. Les récapitulations ne sont placées que dans les délibérations & les conférences politiques.

On peut distinguer par rapport au dialogue quatre formes de scenes dans la tragédie : dans la premiere, les interlocuteurs s’abandonnent aux mouvemens de leur ame, sans autre motif que de l’épancher. Ce sont autant de monologues qui ne conviennent qu’à la violence de la passion, & qui dans tout autre cas, sans en excepter les expositions, doivent être exclus du théatre comme froids & superflus. Dans la seconde, les interlocuteurs ont un dessein commun qu’ils concertent ensemble, ou des secrets intéressans qu’ils se communiquent. Telle est la belle scene d’exposition entre Emilie & Cinna : cette forme de dialogue est froide & lente, à moins qu’elle ne porte sur un intérêt très-pressant. La troisieme, est celle où l’un des interlocuteurs a un projet, ou des sentimens qu’il veut inspirer à l’autre. Telle est la scene de Nerestan avec Zaïre : comme l’un des personnages n’y est point en action, le dialogue ne sauroit être ni rapide, ni varié. & ces sortes de scenes ont besoin de beaucoup d’éloquence. Dans la quatrieme, les interlocuteurs ont des vûes, des sentimens, ou des passions qui se combattent, & c’est la forme de scene la plus favorable au théatre : il arrive souvent dans celle-ci que tous les personnages ne se livrent pas au dialogue, quoiqu’ils soient tous en action & en situation. Telle est dans le sentiment la scene de Burrhus avec Néron ; dans la véhémence, celle de Palamede avec Oreste & Electre ; dans la politique, celle de Cléopatre avec Antiochus & Seleucus ; dans la passion, la déclaration de Phedre : & alors cette forme, comme la précédente, demande d’autant plus de force & de chaleur dans le style, qu’elle est moins animée par le dialogue. Quelquefois tous les interlocuteurs se livrent aux mouvemens de leur ame, & se heurtent à découvert. Voilà, ce me semble, les scenes qui doivent le plus échauffer l’imagination du poëte, cependant on en voit peu d’exemples, même dans nos meilleurs tragiques ; si l’on excepte Corneille qui a poussé la vivacité, la force, & la justesse du dialogue au plus haut degré de perfection. L’extrème difficulté de ces scenes vient de ce qu’il faut à la fois que le sujet en soit très-important, que les caracteres soient parfaitement contrastés, qu’ils ayent des intérêts opposés, également vifs, & fondés sur des sentimens qui se balancent ; enfin, que l’ame des spectateurs soit tour-à-tour entraînée vers l’un & l’autre parti, par la force des repliques. On peut citer pour modele, en ce genre, la délibération entre Auguste, Cinna & Maxime ; la premiere scene de la mort de Pompée, ce chef-d’œuvre des expositions ; la scene entre Horace & Curiace ; celle entre Felix & Pauline ; la conférence de Pompée avec Sertorius ; enfin, plusieurs scenes d’Héraclius & du Cid, & sur-tout cette admirable scene entre Chimene & Rodrigue, où l’on a relevé, d’après le malheureux Scudéri, quelques jeux trop recherchés dans l’expression, sans dire un mot de la beauté du dialogue, de la noblesse & du naturel des sentimens, qui rendent cette scene une des plus pathétiques du théatre.

En général, le desir de briller a beaucoup nui au dialogue de nos tragédies : on ne peut se résoudre à faire interrompre un personnage à qui il reste encore de bonnes choses à dire, & le goût est la victime de l’esprit. Cette malheureuse abondance n’étoit pas connue de Sophocle & d’Euripide ; & si les modernes ont quelque chose à leur envier, c’est l’aisance, la précision, & le naturel qui regnent dans leur dialogue.

Le dialogue est encore plus négligé dans les comédies modernes. Nous n’avons point ce reproche à faire à Moliere ; il dialogue comme la nature, & l’on ne voit pas dans toutes ses pieces un seul exemple d’une replique hors de propos : mais autant que ce maître des comiques s’attache à la vérité, autant ses successeurs s’en éloignent ; la facilité du public à applaudir les tirades, les portraits, a fait de nos scenes de comédie des galeries en découpure. Un amant reproche à sa maîtresse d’être coquette ; elle répond par une définition de la coquetterie. C’est sur le mot qu’on répond, & presque jamais sur la chose. La repartie sur le mot est quelquefois plaisante, mais ce n’est qu’autant qu’elle va au fait. Qu’un valet, pour appaiser son maître qui menace un homme de lui couper le nez, lui dise :

Que feriez-vous, Monsieur, du nez d’un marguillier ?

le mot est lui-même une raison. La lune toute entiere de Jodelet est encore plus comique. C’est une naïveté excellente, & l’on sent bien que ce n’est pas là un de ces jeux de mots que nous condamnons dans le dialogue.

Ces écarts du dialogue viennent communément de la stérilité du fond de la scene, & d’un vice de constitution dans le sujet. Si la disposition en étoit telle, qu’à chaque scene on partît d’un point pour arriver à un point déterminé, ensorte que le dialogue ne dût servir qu’aux progrès de l’action, chaque replique seroit un nouveau pas vers le dénouement des chaînons de l’intrigue ; en un mot, un moyen de noüer ou de développer, de préparer une situation, ou de passer à une situation nouvelle ; mais dans la distribution primitive, on laisse des intervalles vuides d’action. Ce sont ces vuides qu’on veut remplir, & de-là les excursions du dialogue. Voyez Intrigue. Article de M. Marmontel.

Dialogue, en terme de Musique, est une composition au moins à deux voix ou à deux instrumens qui se répondent l’un à l’autre, & qui souvent se réunissent en duo. La plûpart des scenes des opéra, sont en ce sens des dialogues. Mais ce mot en Musique s’applique plus précisément à l’orgue ; c’est sur cet instrument qu’un organiste joue des dialogues en se répondant avec différens jeux, ou sur différens claviers. (S)