L’Encyclopédie/1re édition/DROIT de copie

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Droit de Copie, terme de Librairie ; c’est le droit de propriété que le libraire a sur un ouvrage littéraire, manuscrit ou imprimé, soit qu’il le tienne de l’auteur même, soit qu’il ait engagé un ou plusieurs hommes de lettres à l’exécuter ; soit enfin que l’ouvrage ayant pris naissance & qu’ayant été originairement imprimé dans le pays étranger, le libraire ait pensé le premier à l’imprimer dans son pays. Il est appellé droit de copie, parce que l’auteur garde ou est censé garder l’original de son ouvrage, & n’en livrer au libraire que la copie sur laquelle il doit imprimer. L’auteur cede ses droits sur son ouvrage ; le libraire ne reçoit que la copie de cet ouvrage : de-là est venu l’usage de dire droit de copie, ce qui signifie proprement droit de propriété sur l’ouvrage. Ce terme a été établi pour le premier cas ; il a été adopté pour le second, parce qu’il lui convient également : quant au troisieme, c’est par extension qu’on a appellé droit de copie, la propriété que le libraire acquiert sur un ouvrage déjà imprimé dans le pays étranger, & qu’il pense le premier à imprimer dans son pays ; mais cette extension a été jusqu’à présent autorisée par l’usage. Ce droit a de tous les tems été regardé comme incontestable par les Libraires de toutes les nations : il a cependant été quelquefois contesté. Pour expliquer avec clarté & faire entendre ce que c’est que ce droit, & en quoi il consiste, on parlera séparément des différentes manieres dont un libraire devient ou peut devenir propriétaire d’un ouvrage littéraire. On parlera aussi des priviléges que les souverains accordent pour l’impression des livres, parce que c’est sur la durée limitée de ces priviléges que se sont quelquefois fondés ceux qui dans différentes circonstances ont disputé aux Libraires ce droit de copie ou de propriété.

Le droit de propriété du libraire sur un ouvrage littéraire qu’il tient de l’auteur, est le droit même de l’auteur sur son propre ouvrage, qui ne paroît pas pouvoir être contesté. Si en effet il y a sur la terre un état libre, c’est assûrément celui des gens de lettres : s’il y a dans la nature un effet dont la propriété ne puisse pas être disputée à celui qui le possede, ce doivent être les productions de l’esprit. Pendant environ cent ans après l’invention de l’Imprimerie, tous les auteurs ou leurs cessionnaires ont eu en France la liberté d’imprimer, sans être assujettis à en obtenir aucune permission : il en a résulté des abus ; & nos rois, pour y remédier, ont sagement établi des lois sur le fait de l’Imprimerie, dont l’objet a été de conserver dans le royaume la pureté de la religion, les mœurs & la tranquillité publique. Elles exigent que tout ouvrage que l’on veut faire imprimer, soit revêtu d’une approbation, & d’une permission ou privilége du roi, voyez Approbation, Censeur, Permission, Privilége. L’approbation est un acte de pure police, & le privilége un acte de justice & de protection, par lequel le souverain permet authentiquement au propriétaire l’impression & le débit de l’ouvrage qui lui appartient, & le défend à tous autres dans ses états. Cette exclusion est sans doute une grace du prince, mais qui, pour être accordée & reçûe, ne change rien à la nature de la propriété : elle est fondée au contraire sur la justice qu’il y a à mettre le propriétaire en état de retirer seul les fruits de son travail ou de sa dépense.

Les souverains, avant l’origine des priviléges, ne prétendoient point avoir de droits sur les ouvrages littéraires encore dans le silence du cabinet ; ils n’ont rien dit depuis qui tendît à dépouiller les Auteurs de leur droit de propriété & de paternité, soit que leurs ouvrages fussent encore manuscrits & entre leurs mains, soit qu’ils fussent rendus publics par la voie de l’impression : les gens de lettres sont donc restés, comme ils l’étoient avant l’origine des priviléges, incontestablement propriétaires de leurs productions manuscrites ou imprimées, tant qu’ils ne les ont ni cedées ni vendues : l’auteur a donc dans cet état le droit d’en disposer comme d’un effet qui lui est propre, & il en use en le transportant à un libraire, ou par une cession gratuite, ou par une vente. Soit qu’il le donne gratuitement ou qu’il le vende, s’il transmet pour toûjours ses droits de propriété, s’il s’en dépouille à perpétuité en faveur du libraire, celui-ci devient aussi incontestablement propriétaire & avec la même étendue, que l’étoit l’auteur lui-même. La propriété de l’ouvrage littéraire, c’est-à-dire le droit de le réimprimer quand il manque, est alors un effet commerçable, comme une terre, une rente & une maison ; elle passe des peres aux enfans, & de Libraires à Libraires, par héritage, vente, cession ou échange ; & les droits du dernier propriétaire sont aussi incontestables que ceux du premier. Il y a cependant eu des gens de lettres qui les ont contestés, & qui ont prétendu rentrer dans la propriété de leurs ouvrages après les avoir vendus pour toûjours, mais ç’a été jusqu’à présent sans succès : ils se fondoient singulierement sur ce que les souverains mettent un terme à la durée des priviléges qu’ils accordent, & disoient que c’est pour se réserver le droit, après que ces priviléges sont expirés, d’en gratifier qui bon leur semble ; mais ils se trompoient, les souverains ne peuvent gratifier personne d’une propriété qu’ils n’ont pas, & le terme fixé à la durée des priviléges, a d’autres motifs : les princes, en la fixant, veulent se réserver le droit de ne pas renouveller la permission d’imprimer un ouvrage, si par des raisons d’état il leur convient de ne pas autoriser dans un tems des principes ou des propositions qu’ils avoient bien voulu autoriser dans un autre. La permission ou le refus de laisser imprimer ou réimprimer un livre, est une affaire de pure police dans l’état, & il est infiniment sage qu’elle dépende de la seule volonté du prince : mais sa justice ne lui permettroit pas à l’expiration d’un privilége qui seroit susceptible de renouvellement, de le refuser au propriétaire pour l’accorder à un autre. Les princes veulent encore, en fixant un terme à la durée de l’exclusion, qui fait partie du privilége & qui est une grace, forcer le propriétaire à remplir les conditions auxquelles elle est accordée ; & ces conditions sont la correction de l’impression, & les autres perfections convenables de l’art. Il s’ensuit de-là que ce n’est pas le privilége qui fait le droit du Libraire, comme quelques personnes ont paru le croire, mais que c’est le transport des droits de l’auteur.

Au reste, quelque solidement que soit établi par ces principes le droit du libraire sur un ouvrage littéraire qu’il tient de l’auteur, il est cependant vrai que quoique celui-ci n’ait plus de propriété, il conserve néanmoins, tant qu’il vit, une sorte de droit d’inspection & de paternité sur son ouvrage ; qu’il doit pour sa gloire avoir la liberté, lorsqu’on le réimprime, d’y faire les corrections ou augmentations qu’il juge nécessaires à sa perfection. Cela est juste & raisonnable, & le libraire ne doit pas s’y refuser. Il pourroit arriver que les augmentations de l’auteur fussent si considérables, qu’elles deviendroient en quelque sorte un nouvel ouvrage : c’est alors à l’honnêteté des procédés à regler les nouvelles conventions à faire entre l’auteur & le libraire, si celui-là en exige ; mais s’il arrivoit qu’ils ne s’accordassent pas, l’auteur, s’il n’y avoit pas de conventions contraires, resteroit propriétaire de ses augmentations, & le libraire de ce qui lui auroit été précédemment cedé.

Il y auroit peut-être un moyen de prévenir les contestations qui pourroient s’élever encore dans la suite, entre les auteurs & les libraires pour raison des ouvrages littéraires que les uns vendent & que les autres achetent : ce seroit que l’auteur, quand c’est son intention, mît dans l’acte de cession qu’il fait au libraire, qu’il vend & cede pour toûjours son ouvrage & son droit de propriété, auquel il renonce sans aucune restriction ; si au contraire son intention est de ne vendre ou ceder que pour un tems, il faudroit spécifier le tems, comme la durée d’un privilége ou le cours d’une ou de plusieurs éditions, &c. Il conviendroit aussi de statuer sur le cas où l’auteur pourroit donner par la suite des augmentations, & alors il ne resteroit point d’obscurité qui pût donner lieu à des contestations ; car on ne présume pas que celles qui se sont quelquefois élévées, ayent jamais eu d’autre cause.

Les Libraires acquierent encore ce droit de propriété sur un ouvrage, lorsqu’ils en ont proposé l’exécution à un ou plusieurs hommes de lettres, qui se sont chargés gratuitement ou sous des conditions convenues, de le composer. Le libraire ne tient alors ce droit que de lui-même & de ses avances. On n’a pas connoissance que la propriété du libraire ait jamais été contestée dans ce cas-là ; mais s’il arrivoit un jour que des gens de lettres qui auroient contribué à un pareil ouvrage, prétendissent après l’entiere exécution avoir quelque droit à la propriété, leurs prétentions seroient aussi peu justes & aussi peu légitimes, que le seroient celles d’un architecte sur un bâtiment qu’il a construit. Il y a plusieurs ouvrages littéraires dans ce cas. Le plus considérable en ce genre est celui-ci. Par les soins qu’on a pris & les dépenses qu’on a faites, afin que cette Encyclopédie devînt un ouvrage nouveau, sinon pour le plan, du moins pour l’exécution ; il est certain qu’elle appartient à la France à plus juste titre que le Chambers n’appartient à l’Angleterre, puisque celui-ci n’est que la compilation de tous nos dictionnaires.

Il y a enfin une troisieme maniere dont un libraire peut acquérir ce droit de propriété sur un ouvrage littéraire, c’est en pensant le premier à l’imprimer dans son pays, quand il a pris naissance dans le pays étranger, & qu’il y a déjà été imprimé ; le libraire tient, comme dans le cas précédent, ce droit de son intelligence & de son industrie. En se procurant les avantages d’une entreprise utile, s’il réussit dans son choix, il sert l’état & ses compatriotes, en ce que d’une part il contribue à faire valoir les fabriques de son pays, & à empêcher l’argent que l’on mettroit à ce livre de passer chez l’étranger ; d’autre part en ce qu’il procure aux gens de lettres de sa nation, avec facilité & moins de frais, un ouvrage souvent utile & quelquefois nécessaire. Au reste, quoique ce droit soit légitime à certains égards, parce que les Libraires des différentes nations sont dans l’usage de se faire respectivement cette espece de tort, on doit cependant convenir qu’il est contre le droit des gens, puisqu’il nuit nécessairement au premier entrepreneur. Il seroit à souhaiter que tous les libraires de l’Europe voulussent être assez équitables pour se respecter mutuellement dans leurs entreprises ; le public n’y perdroit rien, les livres passeroient d’un pays dans un autre par la voie des échanges. Mais il y a des pays où les productions littéraires ne sont pas assez abondantes & assez du goût des autres nations, pour procurer par échanges aux libraires qui les habitent, tous les livres qu’ils peuvent débiter. Ils trouvent plus d’avantage à imprimer quelques-uns de ces livres qu’à les acheter ; c’est ce qui s’est opposé jusqu’à présent, & ce qui s’opposera vraissemblablement toûjours à l’accord équitable qui seroit à desirer entre les Libraires des différens pays. Dans l’état où sont les choses, ce droit de propriété fondé sur celui de premier occupant, est aussi solide que celui des deux autres cas, & mérite de la part du souverain la même protection ; avec cette différence cependant que l’on interdit avec raison l’entrée & le débit des éditions étrangeres d’un livre dans le pays où il a pris naissance, & que l’on devroit autoriser l’introduction d’une édition étrangere d’un livre, quand il vient du pays où il a été originairement imprimé, quelque privilége qui ait été accordé pour l’impression du même livre dans le pays où il arrive. C’est un usage établi en Hollande, & peut-être ailleurs : les Etats généraux ne refusent point de privilége pour l’impression d’un livre originaire de France, mais ils n’interdisent point chez eux l’entrée & le débit des éditions du même livre faites en France-Cela devroit être réciproque & seroit juste ; ce seroit un moyen de diminuer le tort que l’on fait au premier entrepreneur, qui a seul couru tous les risques des évenemens. Cet article est de M. David, un des Libraires associés pour l’Encyclopédie.