L’Encyclopédie/1re édition/EPISCOPAT

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EPISCOPAT, s. m. (Hist. eccl.) ordre ou dignité d’un évêque : c’est la plénitude & le complement du sacerdoce de la loi nouvelle.

On convient généralement que tous les évêques, en vertu de la dignité épiscopale, ont une égale puissance d’ordre ; & c’est en ce sens que l’on dit qu’il n’y a qu’un épiscopat, & que cet épiscopat est solidairement possédé par chacun des évêques en particulier. Episcopatus unus est (dit S. Cyprien, lib. de unit. Ecclesiæ), cujus pars à singulis in solidum tenetur.

Les Théologiens scholastiques sont partagés sur la question, savoir si l’épiscopat, c’est-à-dire l’ordination épiscopale, est un ordre & un sacrement. Les uns, comme Guillaume d’Auxerre, Almani, Cajetan, Bellarmin, Maldonat, Isambert, &c. soûtiennent que l’épiscopat est un sacrement & un ordre proprement dit, distingué de la prêtrise, mais qui doit toûjours néanmoins en être précédé : Hugues de S. Victor, Pierre Lombard, S. Bonaventure, Soto & plusieurs autres, prétendent que l’épiscopat n’est ni un ordre ni un sacrement, mais que l’ordination épiscopale confere à celui qui la reçoit une puissance & une dignité supérieure à celle des prêtres. Durand & quelques autres regardent simplement l’épiscopat comme une extension du caractere sacerdotal. Le premier de ces sentimens est le plus généralement suivi ; mais ceux qui le soûtiennent sont encore divisés sur ce qui constitue la matiere & la forme de l’épiscopat considéré comme sacrement.

Comme on pratique dans la consécration des évêques plusieurs cérémonies différentes, telles que l’imposition des mains, l’onction sur la tête & sur les mains, l’imposition du livre de l’évangile sur le col & les épaules de l’élû, la tradition de la crosse & de l’anneau, & celle même du livre des évangiles, les Théologiens ont pensé qu’outre l’imposition des mains quelqu’une de ces cérémonies étoit matiere essentielle de l’épiscopat. Mais comme en ce point on doit plus faire attention à la pratique universelle & constante de l’Eglise qu’aux opinions particulieres des Théologiens, il est clair que la plûpart de ces cérémonies n’ont été ni par-tout, ni de tout tems en usage dans la consécration des évêques. Quant à l’onction de la tête & des mains, elle n’est point en usage chez les Grecs, comme le remarquent les PP. Morin, Goar & Martene, cependant on ne leur conteste point la validité ni la succession de l’épiscopat. L’imposition du livre des évangiles sur la tête & les épaules de l’évêque élû n’est point fondée dans l’antiquité ; Isidore de Seville, qui vivoit dans le vij. siecle, n’en dit pas un mot dans la description qu’il donne de la consécration des évêques, lib. II. de officiis divin. cap. v. Almain & Amalaire, traitant des mêmes matieres, regardent cette cérémonie comme une chose nouvelle qui n’avoit aucun fondement dans la tradition, & qu’on ne pratiquoit point encore de leur tems dans les églises de France & d’Allemagne. Enfin la tradition de l’évangile, de la crosse & de l’anneau, est d’un usage encore plus récent, & même aujourd’hui inconnu dans l’église greque, comme l’observe le P. Morin : d’où il est aisé de conclure que l’imposition des mains seule est la matiere de l’épiscopat ; elle est expressément marquée dans l’Ecriture comme le signe sensible qui confere la grace. Les Peres & les Conciles s’accordent à la regarder comme matiere ; l’usage de l’église latine & greque la confirme dans cette possession, & toutes les diverses autres cérémonies, dont nous venons de parler, n’ont pour elles ni la même antiquité dans l’origine, ni la même uniformité dans la pratique.

Ce partage de sentimens, sur ce qui constitue la matiere essentielle de l’épiscopat, en a entraîné nécessairement un pareil, sur ce qui doit en faire la forme : les uns l’ont fait consister dans ces paroles, recevez le S. Esprit ; d’autres dans celles qui accompagnent la tradition de l’évangile, de l’anneau & de la crosse ; d’autres dans celles que profere l’évêque consécrateur, en faisant l’onction sur la tête & sur les mains de l’évêque élû. Mais comme il est de principe parmi les Théologiens, que la forme doit toûjours être jointe avec la matiere ; dès qu’il est évident, comme nous l’avons insinué, qu’aucune de ces cérémonies extérieures n’est matiere de l’épiscopat, il s’ensuit nécessairement qu’aucune des prieres qui les accompagnent n’en est la forme, & par conséquent qu’elle se réduit aux prieres, qui attirent sur celui qui est élû la grace du S. Esprit, & qui accompagnent l’imposition des mains.

On forme encore sur l’épiscopat une question importante, savoir si une personne qui n’est pas prêtre peut être ordonnée évêque, & si son ordination & sa consécration en cette derniere qualité est valide. Tous les Théologiens conviennent que l’ordination dont il s’agit est illicite, parce que les regles de l’Église demandent qu’on monte par degrés à l’épiscopat, & qu’on reçoive les ordres inférieurs : mais ils se partagent sur la validité de l’ordination épiscopale qui n’est pas précédée de l’ordination sacerdotale. Bingham, dans ses origines ecclésiastiques, liv. XI. chap. x. §. 5. prétend que plusieurs diacres ont été ordonnés évêques sans avoir passé par l’ordre de prêtrise : Cecilien, selon Optat, n’étoit qu’archidiacre, c’est-à-dire premier diacre de l’église de Carthage, lorsqu’il en fut fait évêque. Théodoret & S. Ephiphane assûrent la même chose de S. Athanase, lorsqu’il fut élevé sur le siége d’Alexandrie : Libérat, Socrate & Théodoret disent aussi que les papes Agapet, Vigile & Félix n’étoient que diacres lorsqu’ils furent élûs papes. Mais outre que ces auteurs marquent simplement le degré où étoient les sujets dont ils parlent lorsqu’ils avoient été élûs, & qu’ils ne marquent point qu’entre leur élection & leur consécration ils n’ont pas été ordonnés prêtres, il paroît que la coûtume de l’Église étoit de n’ordonner aucun évêque qui n’eût passé préalablement par l’ordre de prêtrise ; c’est la disposition du concile de Sardique, can. X. Si quis ex foro, sive dives, sive scholasticus, episcopus fieri dignus habeatur, non priùs constituatur quàm lectoris, & diaconi, & presbyteri ministerium peregerit. Il veut même qu’entre chaque ordre on garde des interstices assez longs pour s’assûrer de la foi & des mœurs du sujet : & nous voyons que si dans les occasions extraordinaires, comme dans la promotion de S. Ambroise à l’épiscopat, on dispensoit de ces interstices, on ne dispensoit pas pour cela de la réception des ordres, ni par conséquent de la prêtrise ; d’où il est aisé de conclure qu’on n’en exempta ni Cécilien, ni S. Athanase, ni Agapet, ni les autres, & que l’expression cum diaconus esset, episcopus ordinatus est, doit se réduire à celle-ci, cùm diaconus esset, episcopus electus est ; ce qui n’exclut point la promotion à la prêtrise.

D’ailleurs il est difficile de concevoir comment ces ordinations n’auroient pas été nulles ; car c’est aux évêques à ordonner des prêtres, c’est-à-dire à communiquer à certains fideles le pouvoir de célébrer les saints mysteres & d’absoudre les pécheurs, pouvoir que les évêques ne peuvent communiquer, si eux-mêmes ne l’ont reçû : or l’ordination épiscopale seule ne confere pas ce double pouvoir ; les évêques n’en pourroient donc être la source ni le principe, s’ils n’avoient été préalablement ordonnés prêtres. Mais quoique cette derniere opinion paroisse la mieux fondée, l’autre néanmoins ne peut être accusée d’erreur, l’Église n’ayant rien décidé sur ce point. Voyez Evêque. (G)