L’Encyclopédie/1re édition/EPITRE

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EPITRE, s. f. (Belles-Lettres.) ce mot vient du grec ἐπὶ, sur, & du verbe στέλλω, j’envoye.

Ce terme n’est presque plus en usage que pour les lettres écrites en vers, & pour les dédicaces des livres.

Quand on parle des lettres écrites par des auteurs modernes, ou dans les langues vivantes, & sur-tout en prose, on ne se sert point du mot épître : ainsi l’on dit, les lettres du cardinal d’Ossat, de Balzac, de Voiture, de madame de Sevigné, & non pas les épîtres du cardinal d’Ossat, de Balzac, &c.

Au contraire, on se sert du mot épître, en parlant des lettres écrites par des anciens, ou dans une langue ancienne : ainsi l’on dit les épîtres de Cicéron, de Séneque, &c. Il est pourtant vrai que les modernes se sont servis du terme de lettres, en parlant de celles de Cicéron & de Pline.

Le mot épître paroît encore plus particulierement restraint aux écrits de ce genre, en matiere de religion : ainsi l’on dit les épîtres de S. Paul, de S. Pierre, de S. Jean, & non les lettres de S. Paul, &c. (G)

On attache aujourd’hui à l’épître l’idée de la réflexion & du travail, & on ne lui permet point les négligences de la lettre. Le style de la lettre est libre, simple, familier. L’épître n’a point de style déterminé ; elle prend le ton de son sujet, & s’éleve ou s’abaisse suivant le caractere des personnes. L’épître de Boileau à son jardinier, exigeoit le style le plus naturel ; ainsi ces vers y sont déplacés, supposé même qu’ils ne soient pas mauvais par-tout.

Sans cesse poursuivant ces fugitives fées,
On voit sous les lauriers haleter les Orphées.


Boileau avoit oublié en les composant, qu’Antoine devoit les entendre.

L’épître au roi sur le passage du Rhin, exigeoit le style le plus héroïque : ainsi l’image grotesque du fleuve essuyant sa barbe, y choque la décence. Virgile a dit d’un genre de poésie encore moins noble, sylvæ sint consule dignæ.

Si dans un ouvrage adressé à une personne illustre on doit annoblir les petites choses, à plus forte raison n’y doit-on pas avilir les grandes ; & c’est ce que fait à tout moment dans les épîtres de Boileau, le mélange de Cotin avec Louis le Grand, du sucre & de la canelle avec la gloire de ce héros. Un bon mot est placé dans une épître familiere ; dans une épître sérieuse & noble, il est du plus mauvais goût.

Boileau n’étoit pas de cet avis ; il lui en coûta de retrancher la fable de l’huitre, qu’il avoit mise à la fin de sa premiere épître au roi, pour délasser, disoit-il, des lecteurs qu’un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer. Il ne fallut pas moins que le grand Condé pour vaincre la répugnance du poëte à sacrifier ce morceau.

En général, les défauts dominans des épîtres de Boileau sont la sécheresse & la stérilité, des plaisanteries parasites, des idées superficielles, des vûes courtes, & de petits desseins. On lui a appliqué ce vers :

Dans son génie étroit il est toûjours captif.

Son mérite est dans le choix heureux des termes & des tours. Il se piquoit sur-tout de rendre avec grace & avec noblesse des idées communes, qui n’avoient point encore été rendues en Poésie. Une des choses par exemple qui le flatoient le plus, comme il l’avoue lui-même, étoit d’avoir exprimé poétiquement sa perruque.

Au contraire, la bassesse & la bigarrure du style défigurent la plûpart des épîtres de Rousseau. Autant il s’est élevé au-dessus de Boileau par ses odes, autant il s’est mis au-dessous de lui par ses épîtres.

Dans l’épitre philosophique, la partie dominante doit être la justesse & la profondeur du raisonnement. C’est un préjugé dangereux pour les Poëtes & injurieux pour la Poésie, de croire qu’elle n’exige ni une vérité rigoureuse, ni une progression méthodique dans les idées. Nous ferons voir ailleurs que les écarts même de l’enthousiasme ne sont que la marche réguliere de la raison. V. Ode & Enthousiasme.

Il est encore plus incontestable, que dans l’épître philosophique on doit pouvoir presser les idées sans y trouver le vuide, & les creuser sans arriver au faux. Que seroit-ce en effet qu’un ouvrage raisonné, où l’on ne feroit qu’effleurer l’apparence superficielle des choses ? Un sophisme revêtu d’une expression brillante, n’est qu’une figure bien peinte & mal dessinée ; prétendre que la Poésie n’a pas besoin de l’exactitude philosophique, c’est donc vouloir que la Peinture puisse se passer de la correction du dessein. Or qu’on mette à l’épreuve de l’application de ce principe & les épîtres de Boileau, & celles de Rousseau, & celles de Pope lui-même. Boileau, dans son épître à M. Arnaud, attribue tous les maux de l’humanité à la honte du bien. La mauvaise honte ou plûtôt la foiblesse en général, produit de grands maux :

Tyran qui cede au crime & détruit les vertus.

Henriade.


Voilà le vrai. Mais quand on ajoûte, pour le prouver, qu’Adam, par exemple, n’a été malheureux que pour n’avoir osé soupçonner sa femme ; voilà de la déclamation. Le desir de la loüange & la crainte du blâme produisent tour à tour des hommes timides ou courageux dans le bien, foibles ou audacieux dans le mal ; les grands crimes & les grandes vertus émanent souvent de la même source : quand ? & comment ? & pourquoi ? voilà ce qui seroit de la philosophie.

Dans l’épître à M. de Seignelai, la plus estimée de celles de Boileau, pour démasquer la flaterie le poëte la suppose stupide & grossiere, absurde & choquante au point de loüer un général d’armée sur sa défaite, & un ministre d’état sur ses exploits militaires ; est-ce là présenter le miroir aux flateurs ? Il ajoûte que rien n’est beau que le vrai ; mais confondant l’homme qui se corrige avec l’homme qui se déguise, il conclut qu’il faut suivre la nature.

C’est elle seule en tout qu’on admire & qu’on aime.
Un esprit né chagrin, plaît par son chagrin même.


Sur ce principe vague, un homme né grossier plaira donc par sa grossiéreté ? un impudent par son impudence ? &c.

Qu’auroit fait un poëte philosophe ? qu’auroit fait par exemple, l’auteur des discours sur l’égalité des conditions, & sur la modération dans les desirs ? Il auroit pris le naturel inculte & brute, comme il l’est toûjours : il l’auroit comparé à l’arbre qu’il faut tailler, émonder, diriger, cultiver enfin, pour le rendre plus beau, plus fécond, & plus utile. Il eût dit à l’homme : « ne veuillez jamais paroître ce que vous n’êtes pas, mais tâchez de devenir ce que vous voulez paroître : quel que soit votre caractere, il est voisin d’un certain nombre de bonnes & de mauvaises qualités ; si la nature a pû vous incliner aux mauvaises, ce qui est du moins très-douteux, ne vous découragez point, & opposez ce penchant la contention de l’habitude. Socrate n’étoit pas né sage, & son naturel en se redressant ne s’étoit pas estropié ».

On n’a besoin que d’un peu de philosophie pour n’en trouver aucune dans les épitres de Rousseau. Dans celle à Clement Marot il avoit à développer & à prouver ce principe des Stoïciens, que l’erreur est la source de tous les vices, c’est-à-dire qu’on n’est méchant que par un intérêt mal entendu. Que fait le poëte ? il établit qu’un vaurien est toujours un sot sous le masque ; & au lieu de citer au tribunal de la raison un Aristophane, un Catilina, un Narcisse, qu’il auroit eu bien de la peine à faire passer pour d’honnêtes gens, ou pour des sots ; il prend un fat, mauvais plaisant, dont l’exemple ne conclut rien, & il dit de ce fat, plus sot encore :


A sa vertu je n’ai plus grande foi
Qu’à son esprit. Pourquoi cela ? Pourquoi ?
Qu’est ce qu’esprit ? Raison assaisonnée,
. . . . . . . . . . . . . .
Qui dit esprit, dit sel de la raison :
. . . . . . . . . . . . . .
De tous les deux se forme esprit parfait,
De l’un sans l’autre un monstre contrefait.
Or quel vrai bien d’un monstre peut-il naître ?
Sans la raison puis-je vertu connoître ?
Et sans le sel dont il faut l’apprêter,
Puis-je vertu faire aux autres goûter ?

Passons sur le style ; quelle logique ! La raison sans sel fait un monstre, incapable de tout bien : pourquoi ? parce qu’elle est fade nourriture, qu’elle n’assaisonne pas la vertu, & ne la fait pas goûter aux autres. D’où il conclut qu’un homme qui n’a que de la raison, & qu’il appelle un sot, ne sauroit être vertueux. Moliere, le plus philosophe de tous les poëtes, a fait un honnête homme d’Orgon, quoiqu’il n’en ait fait qu’un sot, & n’a pas fait un sot de Tartuffe, quoiqu’il n’en ait fait qu’un méchant homme.

Pope, dans les épîtres qui composent son essai sur l’homme, a fait voir combien la poésie pouvoit s’élever sur les aîles de la philosophie. C’est dommage que ce poëte n’ait pas ou autant de méthode que de profondeur. Mais il avoit pris un système, il falloit le soûtenir. Ce système lui offroit des difficultés épouvantables ; il falloit ou les vaincre, ou les éviter : le dernier parti étoit le plus sûr & le plus commode ; aussi, pour répondre aux plaintes de l’homme sur les malheurs de son état, lui donne-t-il le plus souvent des images pour des preuves, & des injures pour des raisons. Article de M. Marmontel.

Épitre dédicatoire. Il faut croire que l’estime & l’amitié ont inventé l’épitre dédicatoire, mais la bassesse & l’intérêt en ont bien avili l’usage : les exemples de cet indigne abus sont trop honteux à la Littérature pour en rappeller aucun ; mais nous croyons devoir donner aux auteurs un avis qui peut leur être utile, c’est que tous les petits détours de la flaterie sont connus. Les marques de bonté qu’on se flate d’avoir reçues, & que le Mécene ne se souvient pas d’avoir données ; l’accueil favorable qu’il a fait sans s’en appercevoir ; la reconnoissance dont on est si pénétré, & dont il devroit être si surpris ; la part qu’on veut qu’il ait à un ouvrage dont la lecture l’a endormi ; ses ayeux dont on lui fait l’histoire souvent chimérique ; ses belles actions & ses sublimes vertus qu’on passe sous silence pour de bonnes raisons ; sa générosité qu’on loue d’avance, &c. toutes ces formules sont usées, & l’orgueil qui est si peu délicat, en est lui-même dégoûté. Monseigneur, écrit M. de Voltaire à l’électeur Palatin, le style des dédicaces, les vertus du protecteur, & le mauvais livre du protégé, ont souvent ennuyé le public.

Il ne reste plus qu’une façon honnête de dédier un livre : c’est de fonder sur des faits la reconnoissance, l’estime, ou le respect qui doivent justifier aux yeux du public l’hommage qu’on rend au mérite. Cet article est de M. Marmontel.

Épître (Hist. eccles.) C’est une des parties de la Messe, & qui précede l’Évangile ; ou plûtôt, c’est cette partie de la Messe chantée aujourd’hui par le soûdiacre, un peu avant l’Évangile, & qui est un texte de l’Écriture-sainte. Cette partie de l’Écriture-sainte n’est jamais prise des quatre Evangiles, mais de quelque endroit de la Bible, & souvent des épîtres de S. Paul, ou de celle des autres apôtres, ce qui leur a fait donner le nom d’épître.

Pour connoître l’origine de l’épître & l’usage de l’Église à cet égard, il faut remarquer que les Juifs faisoient lire dans leurs synagogues quelques endroits de la Loi & des prophetes, particulierement dans les jours du sabbat. Les Chrétiens conserverent parmi eux cette coutûme ; ils commençoient la célébration de l’Eucharistie par la lecture des saintes Ecritures, selon le témoignage de Tertullien dans son Apologétique ; & comme les actes des apôtres & les épitres de S. Paul contenoient de grands exemples & des instructions très-utiles, on lisoit ordinairement quelques endroits de l’un & de l’autre, mais le plus souvent des épîtres de S. Paul, ensorte que par une espece d’habitude, on a donné à cette lecture le titre d’épître.

Quelques auteurs ont observé, que lorsque l’on lit un endroit des épitres de S. Paul, on commence par ce mot, Fratres, parce que cet apôtre appelloit ainsi ceux à qui il écrivoit : & quand on lit quelques passages de l’ancien & du nouveau Testament, on dit toujours, in diebus illis.

Cette lecture introduisit l’ordre des lecteurs, dont la fonction a cependant cessé depuis quelques siecles dans l’église catholique, où la lecture a été attribuée aux soûdiacres. Fleury, Hist. ecclés. Dict. de Richelec & de Trév. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.