L’Encyclopédie/1re édition/EVOCATION

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EVOCATION, (Littér.) opération religieuse du paganisme, qu’on pratiquoit au sujet des manes des morts. Ce mot désigne aussi la formule qu’on employoit pour inviter les dieux tutélaires des pays où l’on portoit la guerre, à daigner les abandonner & à venir s’établir chez les vainqueurs, qui leur promettoient en reconnoissance des temples nouveaux, des autels & des sacrifices. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Evocation des dieux tutélaires, (Littérat. Hist. anc.) Les Romains, entr’autres peuples, ne manquerent pas de pratiquer cette opération religieuse & politique, avant la prise des villes, & lorsqu’ils les voyoient réduites à l’extrémité : ne croyant pas qu’il fût possible de s’en rendre les maîtres tant que leurs dieux tutélaires leur seroient favorables, & regardant comme une impiété dangereuse de les prendre pour ainsi dire prisonniers, en s’emparant par force de leurs temples, de leurs statues, & des lieux qui leur étoient consacrés, ils évoquoient ces dieux de leurs ennemis ; c’est-à-dire qu’ils les invitoient par une formule religieuse à venir s’établir à Rome, où ils trouveroient des serviteurs plus zélés à leur rendre les honneurs qui leur étoient dûs.

Tite-Live, livre V. décad. j. rapporte l’évocation que fit Camille des dieux Véïens, en ces mots : « C’est sous votre conduite, ô Apollon Pythien, & par l’instigation de votre divinité, que je vais détruire la ville de Véïes : je vous offre la dixieme partie du butin que j’y ferai. Je vous prie aussi, Junon, qui demeurez présentement à Véïes, de nous suivre dans notre ville, où l’on vous bâtira un temple digne de vous ».

Mais le nom sacré des divinités tutélaires de chaque ville étoit presque toûjours inconnu aux peuples, & révelé seulement aux prêtres, qui, pour éviter ces évocations, en faisoient un grand mystere, & ne les proféroient qu’en secret dans les prieres solennelles : aussi pour lors ne les pouvoit-on évoquer qu’en termes généraux, & avec l’alternative de l’un ou de l’autre sexe, de peur de les offenser par un titre peu convenable.

Macrobe nous a conservé, Saturn. lib. III. c. jx. la grande formule de ces évocations, tirée du livre des choses secretes des Sammoniens : Sérénus prétendoit l’avoir prise dans un auteur plus ancien. Elle avoit été faite pour Carthage ; mais en changeant le nom, elle peut avoir servi dans la suite à plusieurs autres villes, tant de l’Italie que de la Grece, des Gaules, de l’Espagne & de l’Afrique, dont les Romains ont évoqué les dieux avant de faire la conquête de ces pays-là. Voici cette formule curieuse.

« Dieu ou déesse tutélaire du peuple & de la ville de Carthage, divinité qui les avez pris sous votre protection, je vous supplie avec une vénération profonde, & vous demande la faveur de vouloir bien abandonner ce peuple & cette cité ; de quitter leurs lieux saints, leurs temples, leurs cérémonies sacrées, leur ville ; de vous éloigner d’eux ; de répandre l’épouvante, la confusion, la négligence parmi ce peuple & dans cette ville : & puisqu’ils vous trahissent, de vous rendre à Rome auprès de nous ; d’aimer & d’avoir pour agréables nos lieux saints, nos temples, nos sacres mysteres ; & de me donner, au peuple romain & à mes soldats, des marques évidentes & sensibles de votre protection. Si vous m’accordez cette grace, je fais vœu de vous bâtir des temples & de célébrer des jeux en votre honneur ».

Après cette évocation ils ne doutoient point de la perte de leurs ennemis, persuadés que les dieux qui les avoient soûtenus jusqu’alors, alloient les abandonner, & transférer leur empire ailleurs. C’est ainsi que Virgile parle de la desertion des dieux tutélaires de Troye, lors de son embrasement :

Excessere omnes, adytis, arisque relictis,
Dî quibus imperium hoc steterat…

Æneïd. lib. II.

Cette opinion des Grecs, des Romains, & de quelques autres peuples, paroît encore conforme à ce que rapporte Josephe, liv. VI. de la guerre des Juifs, ch. xxx. que l’on entendit dans le temple de Jérusalem, avant sa destruction, un grand bruit, & une voix qui disoit, sortons d’ici ; ce que l’on prit pour la retraite des anges qui gardoient ce saint lieu, & comme un présage de sa ruine prochaine : car les Juifs reconnoissoient des anges protecteurs de leurs temples & de leurs villes.

Je finis par un trait également plaisant & singulier, qu’on trouve dans Quinte-Curce, liv. IV. au sujet des évocations. Les Tyriens, dit-il, vivement pressés par Alexandre qui les assiégeoit, s’aviserent d’un moyen assez bisarre pour empêcher Apollon, auquel ils avoient une dévotion particuliere, de les abandonner. Un de leurs citoyens ayant déclaré en pleine assemblée qu’il avoit vû en songe ce dieu qui se retiroit de leur ville, ils lierent sa statue d’une chaîne d’or, qu’ils attacherent à l’autel d’Hercule leur dieu tutélaire, afin qu’il retînt Apollon. Voyez les mém. de l’acad. des Inscript. tom. V. Article de M. le chevalier de Jaucourt.

Evocation des manes, (Littérat.) c’étoit la plus ancienne, la plus solennelle, & en même tems celle qui fut le plus souvent pratiquée.

Son antiquité remonte si haut, qu’entre les différentes especes de magie que Moyse défend, celle-ci y est formellement marquée : Nec sit… qui quarat à mortuis veritatem. L’histoire qu’on répete si souvent à ce sujet, de l’ombre de Samuel évoquée par la magicienne, fournit une autre preuve que les évocations étoient en usage dès les premiers siecles, & que la superstition a presque toûjours triomphé de la raison chez tous les peuples de la terre.

Cette pratique passa de l’Orient dans la Grece, où on la voit établie du tems d’Homere. Loin que les Payens ayent regardé l’évocation des ombres comme odieuse & criminelle, elle étoit exercée par les ministres des choses saintes. Il y avoit des temples consacrés aux manes, où l’on alloit consulter les morts ; il y en avoit qui étoient destinés pour la cérémonie de l’évocation. Pausanias alla lui-même à Héraclée, ensuite à Phygalia, pour évoquer dans un de ces temples une ombre dont il étoit persécuté. Périandre, tyran de Corinthe, se rendit dans un pareil temple qui étoit chez les Thesprotes, pour consulter les manes de Mélisse.

Les voyages que les Poëtes font faire à leurs héros dans les enfers, n’ont peut-être d’autre fondement que les évocations, auxquelles eurent autrefois recours de grands hommes pour s’éclaircir de leur destinée. Par exemple, le fameux voyage d’Ulysse au pays des Cymmériens, où il alla pour consulter l’ombre de Tyrésias ; ce fameux voyage, dis-je, qu’Homere a décrit dans l’Odyssée, a tout l’air d’une semblable évocation. Enfin Orphée qui avoit été dans la Thesprotie pour évoquer le phantôme de sa femme Euridice, nous en parle comme d’un voyage d’enfer, & prend de-là occasion de nous débiter tous les dogmes de la Théologie payenne sur cet article ; exemple que les autres Poëtes ont suivi.

Mais il faut remarquer ici que cette maniere de parler, évoquer une ame, n’est pas exacte ; car ce que les prêtres des temples des manes, & ensuite les magiciens, évoquoient, n’étoit ni le corps ni l’ame, mais quelque chose qui tenoit le milieu entre le corps & l’ame, que les Grecs appelloient εἴδωλον, les Latins simulacrum, imago, umbra tenuis. Quand Patrocle prie Achille de le faire enterrer, c’est afin que les images legeres des morts, εἴδωλα καμόντων, ne l’empêchent pas de passer le fleuve fatal.

Ce n’étoit ni l’ame ni le corps qui descendoient dans les champs élysées, mais ces idoles. Ulysse voit l’ombre d’Hercule dans ces demeures fortunées, pendant que ce héros est lui-même avec les dieux immortels dans les cieux, où il a Hébé pour épouse. C’étoit donc ces ombres, ces spectres ou ces manes, comme on voudra les appeller, qui étoient évoqués.

De savoir maintenant si ces ombres, ces spectres ou ces manes ainsi évoqués apparoissoient, ou si les gens trop crédules se laissoient tromper par l’artifice des prêtres, qui avoient en main des fourbes pour les servir dans l’occasion, c’est ce qu’il n’est pas difficile de décider.

Ces évocations, si communes dans le paganisme, se pratiquoient à deux fins principales ; ou pour consoler les parens & les amis, en leur faisant apparoître les ombres de ceux qu’ils regrettoient ; ou pour en tirer leur horoscope. Ensuite parurent sur la scene les magiciens, qui se vanterent aussi de tirer par leurs enchantemens ces ames, ces spectres ou ces phantômes de leurs demeures sombres.

Ces derniers, ministres d’un art frivole & funeste, vinrent bientôt à employer dans leurs évocations les pratiques les plus folles & les plus abominables ; ils alloient ordinairement sur le tombeau de ceux dont ils vouloient évoquer les manes ; ou plûtôt, selon Suidas, ils s’y laissoient conduire par un bélier qu’ils tenoient par les cornes, & qui ne manquoit pas, dit cet auteur, de se prosterner dès qu’il y étoit arrivé. On faisoit là plusieurs cérémonies, que Lucain nous a décrites en parlant de la fameuse magicienne nommée Hermonide ; on sait ce qu’il en dit :

Pour des charmes pareils elle garde en tous lieux
Tout ce que la nature enfante d’odieux ;
Elle mêle à du sang qu’elle puise en ses veines,
Les entrailles d’un lynx, &c.

Dans les évocations de cette espece, on ornoit les autels de rubans noirs & de branches de cyprès ; on y sacrifioit des brebis noires : & comme cet art fatal s’exerçoit la nuit, on immoloit un coq, dont le chant annonce la lumiere du jour, si contraire aux enchantemens. On finissoit ce lugubre appareil par des vers magiques, & des prieres qu’on récitoit avec beaucoup de contorsions. C’est ainsi qu’on vint à bout de persuader au vulgaire ignorant & stupide, que cette magie avoit un pouvoir absolu, non-seulement sur les hommes, mais sur les dieux mêmes, sur les astres, sur le soleil, sur la lune, en un mot, sur toute la nature. Voilà pourquoi Lucain nous dit :

L’univers les redoute, & leur force inconnue
S’éleve impudemment au-dessus de la nue ;
La nature obéit à ses impressions,
Le soleil étonné sent mourir ses rayons,
. . . . . . . . . . . . . . . .
Et la lune arrachée à son throne superbe,
Tremblante, sans couleur, vient écumer sur l’herbe.

Personne n’ignore qu’il y avoit dans le paganisme différentes divinités, les unes bienfaisantes & les autres malfaisantes, à qui les magiciens pouvoient avoir recours dans leurs opérations. Ceux qui s’adressoient aux divinités malfaisantes, professoient la magie goétique, ou sorcelerie dont je viens de parler. Les lieux soûterreins étoient leurs demeures ; l’obscurité de la nuit étoit le tems de leurs évocations ; & des victimes noires qu’ils immoloient, répondoient à la noirceur de leur art.

Tant d’extravagances & d’absurdités établies chez des nations savantes & policées, nous paroissent incroyables ; mais indépendamment du retour sur nous-mêmes, qu’il seroit bon de faire quelquefois, l’étonnement doit cesser, dès qu’on considere que la magie & la théologie payenne se touchoient de près, & qu’elles émanoient l’une & l’autre des mêmes principes. Voyez Magie, Goétie, Manes, Lémures, Enchantemens, &c. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Evocation, (Jurisprud.) est appellée en Droit litis translatio ou evocatio ; ce qui signifie un changement de juges, qui se fait en ôtant la connoissance d’une contestation à ceux qui devoient la juger, selon l’ordre commun, & donnant à d’autres le pouvoir d’en decider.

Plutarque, en son traité de l’amour des peres, regarde les Grecs comme les premiers qui inventerent les évocations & les renvois des affaires à des siéges étrangers ; & il en attribue la cause à la défiance que les citoyens de la même ville avoient les uns des autres, qui les portoit à chercher la justice dans un autre pays, comme une plante qui ne croissoit pas dans le leur.

Les lois romaines son contraires à tout ce qui dérange l’ordre des jurisdictions, & veulent que les parties puissent toûjours avoir des juges dans leur province, comme il paroît par la loi juris ordinem, au code de jurisdict, omn. jud. & en l’auth. si verò, cod. de jud. ne provinciales recedentes à patriâ, ad longinqua trahantur examina. Leur motif étoit que souvent l’on n’évoquoit pas dans l’espérance d’obtenir meilleure justice, mais plûtôt dans le dessein d’éloigner le jugement, & de contraindre ceux contre lesquels on plaidoit, à abandonner un droit légitime, par l’impossibilité d’aller plaider à 200 lieues de leur domicile : commodiùs est illis (dit Cassiodore, lib. VI. c. xxij.) causam perdere, quàm aliquid per talia dispendia conquirere, suivant ce qui est dit en l’auth. de appellat.

Les Romains considéroient aussi qu’un plaideur faisoit injure à son juge naturel, lorsqu’il vouloit en avoir un autre, comme il est dit en la loi litigatores, in principio, ff. de recept. arbitr.

Il y avoit cependant chez eux des juges extraordinaires, auxquels seuls la connoissance de certaines matieres étoit attribuée ; & des juges pour les causes de certaines personnes qui avoient ce qu’on appelloit privilegium fori, aut jus revocandi domum.

Les empereurs se faisoient rendre compte des affaires de quelques particuliers, mais seulement en deux cas ; l’un, lorsque les juges des lieux avoient refusé de rendre justice, comme il est dit en l’authentique ut differant judices, c. j. & en l’authentique de quæstore, §. super hoc ; l’autre, lorsque les veuves, pupilles & autres personnes dignes de pitié, demandoient elles-mêmes l’évocation de leur cause, par la crainte qu’elles avoient du crédit de leur partie.

Capitolin rapporte que Marc Antonin, surnommé le philosophe, loin de dépouiller les juges ordinaires des causes des parties, renvoyoit même celles qui le concernoient, au sénat.

Tibere vouloit pareillement que toute affaire, grande ou petite, passât par l’autorité du sénat.

Il n’en fut pas de même de l’empereur Claude, à qui les historiens imputent d’avoir cherché à attirer à lui les fonctions des magistrats, pour en retirer profit.

Il est parlé de lettres évocatoires dans le code théodosien & dans celui de Justinien, au titre de decurionibus & silentiariis ; mais ces lettres n’étoient point des évocations, dans le sens où ce terme se prend parmi nous : c’étoient proprement des congés que le prince donnoit aux officiers qui étoient en province, pour venir à la cour ; ce que l’on appelloit evocare ad comitatum.

Il faut entendre de même ce qui est dit dans la novelle 151 de Justinien : ne decurio aut cohortalis perducatur in jus, citrà jussionem principis. Les lettres évocatoires que le prince accordoit dans ce cas, étoient proprement une permission d’assigner l’officier, lequel ne pouvoit être autrement assigné en jugement, afin qu’il ne fût pas libre à chacun de le distraire trop aisément de son emploi.

En France les évocations trop fréquentes, & faites sans cause légitime, ont toûjours été regardées comme contraires au bien de la justice ; & les anciennes ordonnances de nos rois veulent qu’on laisse à chaque juge ordinaire la connoissance des affaires de son district. Telles sont entr autres celles de Philippe-le-Bel, en 1302 ; de Philippe de Valois, en 1344 ; du roi Jean, en 1351 & 1355 ; de Charles V. en 1357 ; de Charles VI. en 1408, & autres postérieurs.

Les ordonnances ont aussi restraint l’usage des évocations à certains cas, & déclarent nulles toutes les évocations qui seroient extorquées par importunité ou par inadvertance, contre la teneur des ordonnances.

C’est dans le même esprit que les causes sur lesquelles l’évocation peut être fondée, doivent être mûrement examinées, & c’est une des fonctions principales du conseil. S’il y a lieu de l’accorder, l’affaire est renvoyée ordinairement à un autre tribunal ; & il est très-rare de la retenir au conseil, qui n’est point cour de justice, mais établi pour maintenir l’ordre des jurisdictions, & faire rendre la justice dans les tribunaux qui en sont chargés.

Voici les principales dispositions que l’on trouve dans les ordonnances sur cette matiere.

L’ordonnance de Décembre 1344, veut qu’à l’avenir il ne soit permis à qui que ce soit de contrevenir aux arrêts du parlement… ni d’impétrer lettres aux fins de retarder ou empêcher l’exécution des arrêts, ni d’en poursuivre l’enthérinement, à peine de 60 l. d’amende… Le roi enjoint au parlement de n’obéir & obtempérer en façon quelconque à telles lettres, mais de les déclarer nulles, iniques & subreptices, ou d’en référer au roi, & instruire sa religion de ce qu’ils croiront être raisonnablement fait, s’il leur paroît expédient.

Charles VI. dans une ordonnance du 15 Août 1389, se plaint de ce que les parties qui avoient des affaires pendantes au parlement, cherchant des subterfuges pour fatiguer leurs adversaires, surprenoient de lui à force d’importunité, & quelquefois par inadvertance, des lettres closes ou patentes, par lesquelles contre toute justice, elles faisoient interdire la connoissance de ces affaires au parlement, qui est, dit Charles VI. le miroir & la source de toute la justice du royaume, & faisoient renvoyer ces mêmes affaires au roi, en quelque lieu qu’il fût ; pour remédier à ces abus, il défend très-expressément au parlement d’obtempérer à de telles lettres, soit ouvertes ou closes, accordées contre le bien des parties, au grand scandale & retardement de la justice, contre le style & les ordonnances de la cour, à moins que ces lettres ne soient fondées sur quelque cause raisonnable, de quoi il charge leurs consciences : il leur défend d’ajoûter foi, ni d’obéir aux huissiers, sergens d’armes & autres officiers porteurs de telles lettres, ains au contraire, s’il y échet, de les declarer nulles & injustes, ou au moins subreptices ; ou que s’il leur paroît plus expédient, selon la nature des causes & la qualité des personnes, ils en écriront au roi & en instruiront sa religion sur ce qu’ils croyent être fait en telle occurence.

L’ordonnance de Louis XII. du 22 Décembre 1499 s’explique à-peu-près de même, au sujet des lettres de dispense & exception, surprises contre la teneur des ordonnances ; Louis XII. les déclare d’avance nulles, & charge la conscience des magistrats d’en prononcer la subreption & la nullité, à peine d’être eux-mêmes desobéissans & infracteurs des ordonnances.

L’édit donné par François I. à la Bourdaisiere le 18 Mai 1529, concernant les évocations des parlemens pour cause de suspicion de quelques officiers, fait mention que le chancelier & les députés de plusieurs cours de parlement, lui auroient remontré combien les évocations étoient contraires au bien de la justice ; & l’édit porte que les lettres d’évocations seront octroyées seulement aux fins de renvoyer les causes & matieres dont il sera question au plus prochain parlement, & non de les retenir au grand conseil du roi, à moins que les parties n’y consentissent, ou que le roi pour aucunes causes à ce mouvantes, n’octroyât de son propre mouvement des lettres pour retenir la connoissance de ces matieres audit conseil. Et quant aux matieres criminelles, là où se trouvera cause de les évoquer, François I. ordonne qu’elles ne soient évoquées, mais qu’il soit commis des juges sur les lieux jusqu’au nombre de dix.

Le même prince par son ordonnance de Villers-Cotterets, art. 170, défend au garde des sceaux de bailler lettres pour retenir par les cours souveraines la connoissance des matieres en premiere instance ; ne aussi pour les ôter de leur jurisdiction ordinaire, & les évoquer & commettre à autres, ainsi qu’il en a été grandement abusé par ci-devant.

Et si, ajoûte l’art. 171, lesdites lettres étoient autrement baillées, défendons à tous nos juges d’y avoir égard ; & il leur est enjoint de condamner les impétrans en l’amende ordinaire, comme de fol appel, tant envers le roi qu’envers la partie, & d’avertir le roi de ceux qui auroient baillé lesdites lettres, pour en faire punition selon l’exigence des cas.

Le chancelier Duprat qui étoit en place, sous le même regne, rendit les évocations beaucoup plus fréquentes ; & c’est un reproche que l’on a fait à sa mémoire d’avoir par-là donné atteinte à l’ancien ordre du royaume, & aux droits d’une compagnie dont il avoit été le chef.

Charles IX. dans l’ordonnance de Moulins, art. 70, déclare sur les remontrances qui lui avoient été faites au sujet des évocations, n’avoir entendu & n’entendre qu’elles ayent lieu, hors les cas des édits & ordonnances, tant de lui que de ses prédécesseurs, notamment en matieres criminelles ; esquelles il veut que, sans avoir égard aux évocations qui auroient été obtenues par importunité ou autrement, il soit passé outre à l’instruction & jugement des procès criminels ; à moins que les évocations, soit au civil ou au criminel, n’eussent été expédiées pour quelques causes qui y auroient engagé le roi de son commandement, & signées par l’un de ses secrétaires d’état ; & dans ces cas, il dit que les parlemens & cours souveraines ne passeront outre, mais qu’elles pourront faire telles remontrances qu’il appartiendra.

L’ordonnance de Blois, art. 97, semble exclure absolument toute évocation faite par le roi de son propre mouvement ; Henri III. déclare qu’il n’entend doresnavant bailler aucunes lettres d’évocation, soit générales ou particulieres, de son propre mouvement ; il veut que les requêtes de ceux qui poursuivront les évocations soient rapportées au conseil privé par les maîtres des requêtes ordinaires de l’hôtel qui seront de quartier, pour y être jugées suivant les édits de la Bourdaisiere & de Chanteloup, & autres édits postérieurs ; que si les requêtes tendantes à évocation se trouvent raisonnables, parties oüies & avec connoissance de cause, les lettres seront octroyées & non autrement, &c. Il déclare les évocations qui seroient ci-après obtenues, contre les formes susdites, nulles & de nul effet & valeur ; & nonobstant icelles, il veut qu’il soit passé outre à l’instruction & jugement des procès, par les juges dont ils auront été évoqués.

L’édit du mois de Janvier 1597, registré au parlement de Bretagne le 26 Mai 1598, borne pareillement en l’art. 12, l’usage des évocations aux seuls cas prévûs par les ordonnances publiées & vérifiées par les parlemens ; l’art. 13. ne voulant que le conseil soit occupé ès causes qui consistent en jurisdiction contentieuse, ordonne qu’à l’avenir telles matieres qui y pourroient être introduites, seront incontinent renvoyées dans les cours souveraines, à qui la connoissance en appartient, sans la retenir, ne distraire les sujets de leur naturel ressort & jurisdiction.

Et sur les plaintes qui nous sont faites, dit Henri IV. en l’art. 15, des fréquentes évocations qui troublent l’ordre de la justice, voulons qu’aucunes ne puissent être expédiées que suivant les édits de Chanteloup & de la Boûrdaisiere, & autres édits sur ce fait par ses prédécesseurs, & qu’elles soient signées par l’un des secrétaires d’état & des finances qui aura reçû les expéditions du conseil, ou qu’elles n’ayent été jugées justes & raisonnables, par notre-dit conseil, suivant les ordonnances.

L’édit du mois de Mai 1616, art. 9, dit : Voulons & entendons, comme avons toûjours fait, que les cours souveraines de notre royaume soient maintenues & conservées en la libre & entiere fonction de leurs charges, & en l’autorité de jurisdiction qui leur a été donnée par les rois nos prédécesseurs.

La déclaration du dernier Juillet 1648 porte, art. 1, que les réglemens sur le fait de la justice portés par les ordonnances d’Orléans, Moulins & Blois, seront exactement exécutées & observées suivant les vérifications qui en ont été faites en nos compagnies souveraines, avec défenses, tant aux cours de parlement qu’autres juges, d’y contrevenir : elle ordonne au chancelier de France de ne sceller aucunes lettres d’évocation que dans les termes de droit, & après qu’elles auront été résolues sur le rapport qui en sera fait au conseil du roi par les maitres des requêtes qui seront en quartier ; parties oüies, en connoissance de cause.

La déclaration du 22 Octobre suivant porte, art. 14, que pour faire connoître à la postérité l’estime que le roi fait de ses parlemens, & afin que la justice y soit administrée avec l’honneur & l’intégrité requise, le roi veut qu’à l’avenir les articles 91, 92, 97, 98 & 99 de l’ordonnance de Blois, soient inviolablement exécutés ; ce faisant, que toutes affaires qui gissent en matiere contentieuse, dont les instances sont de-présent ou pourront être ci-après pendantes, indécises & introduites au conseil, tant par évocation qu’autrement, soient renvoyées comme le roi les renvoye par-devant les juges qui en doivent naturellement connoître, sans que le conseil prenne connoissance de telles & semblables matieres ; lesquelles sa majesté veut être traitées par-devant les juges ordinaires, & par appel ès cours souveraines, suivant les édits & ordonnances, &c.

Le même article veut aussi qu’il ne soit délivré aucunes lettres d’évocation générale ou particuliere, du propre mouvement de sa majesté ; ains que les requêtes de ceux qui poursuivront lesdites évocations soient rapportées au conseil par les maîtres des requêtes qui seront en quartier, pour y être jugées suivant les édits, & octroyées, parties oüies, & avec connoisance de cause & non autrement.

Il est encore ordonné que lesdites évocations seront signées par un secrétaire d’état ou des finances qui aura reçû les expéditions, lorsque les évocations auront été délibérées ; que les évocations qui seront ci-après obtenues contre les formes susdites, sont déclarées nulles & de nul effet & valeur, & que nonobstant icelles, il sera passé outre à l’instruction & jugement des procès par les juges dont ils auront été évoqués : & pour faire cesser les plaintes faites au roi à l’occasion des commissions extraordinaires par lui ci-devant décernées, il révoque toutes ces commissions, & veut que la poursuite de chaque matiere soit faite devant les juges auxquels la connoissance en appartient.

Les lettres patentes du 11 Janvier 1657, annexées à l’arrêt du conseil du même jour, portent que le roi ayant fait examiner en son conseil, en sa présence, les mémoires que son procureur général lui avoit présentés de la part de son parlement, concernant les plaintes sur les arrêts du conseil que l’on prétendoit avoir été rendus contre les termes des ordonnances touchant les évocations, & sur des matieres dont la connoissance appartient au parlement : sa majesté ayant toûjours entendu que la justice fût rendue à ses sujets par les juges auxquels la connoissance doit appartenir suivant la disposition des ordonnances, & voulant même témoigner que les remontrances qui lui avoient été faites sur ce sujet, par une compagnie qu’elle a en une particuliere considération, ne lui ont pas moins été agréables que le zele qu’elle a pour son service lui donne de satisfaction ; en conséquence, le roi ordonne que les ordonnances faites au sujet des évocations seront exactement gardées & observées, fait très-expresses inhibitions & défenses à tous qu’il appartiendra d’y contrevenir, n’y de traduire ses sujets par-devant d’autres juges que ceux auxquels la connoissance en appartient suivant les édits & ordonnances, à peine de nullité des jugemens & arrêts qui seront rendus au conseil, & de tous dépens, dommages & intérêts contre ceux qui les auront poursuivis & obtenus ; en conséquence, le roi renvoye à son parlement de Paris les procès spécifiés audit arrêt. &c.

On ne doit pas non plus omettre que sous ce regne, ces évocations s’étant aussi multipliées, le Roi par des arrêts des 23 Avril, & 12 & 26 Octobre 1737, & 21 Avril 1738, a renvoyé d’office aux siéges ordinaires, un très-grand nombre d’affaires évoquées au conseil, ou devant des commissaires du conseil ; & ensuite il fut expédié des lettres patentes qui furent enregistrées, par lesquelles la connoissance en fut attribuée, soit à des chambres des enquêtes du parlement de Paris, soit à la cour des aydes ou au grand-conseil, suivant la nature de chaque affaire.

On distingue deux sortes d’évocations ; celles de grace, & celles de justice.

On appelle évocations de grace, celles qui ont été ou sont accordées par les rois à certaines personnes, ou à certains corps ou communautés, comme une marque de leur protection, ou pour d’autres considérations telles que les committimus, les lettres de garde-gardienne, les attributions faites au grand-conseil des affaires de plusieurs ordres religieux, & de quelques autres personnes.

Les évocations de grace sont ou particulieres, c’est-à-dire bornées à une seule affaire ; ou générales, c’est-à-dire accordées pour toutes les affaires d’une même personne ou d’un même corps.

L’ordonnance de 1669, art. 1, du titre des évocations, & l’ordonnance du mois d’Août 1737, art. l, portent qu’aucune évocation générale ne sera accordée, si ce n’est pour de très-grandes & importantes considération, qui auront été jugées telles par le roi en son conseil ; ce qui est conforme à l’esprit & à la lettre des anciennes ordonnances, qui a toûjours été de conserver l’ordre commun dans l’administration de la justice.

Il y a quelques provinces où les committimus & autres évocations générales n’ont point lieu ; ce sont celles de Franche-Comté, Alsace, Roussillon, Flandre & Artois.

Il y a aussi quelques pays qui ont des titres particuliers pour empêcher l’effet de ces évocations, ou pour les rendre plus difficiles à obtenir, tels que ceux pour lesquels on a ordonné qu’elles ne pourront être accordées qu’après avoir pris l’avis du procureur général ou d’autres officiers.

Dans d’autres pays, les évocations ne peuvent avoir lieu pour un certain genre d’affaires, comme en Normandie & en Bourgogne, où l’on ne peut évoquer les decrets d’immeubles hors de la province.

On nomme évocation de justice, celle qui est fondée sur la disposition même des ordonnances, comme l’évocation sur les parentés & alliances qu’une des parties se trouve avoir dans le tribunal où son affaire est portée.

C’est une regle générale, que les exceptions que les lois ont faites aux évocations mêmes de justice, s’appliquent à plus forte raison aux évocations qui ne sont que de grace ; ensorte qu’une affaire qui par sa nature ne peut pas être évoquée sur parentés & alliances, ne peut l’être en vertu d’un committimus ou autre privilége personnel.

Quant à la forme dans laquelle l’évocation peut être obtenue, on trouve des lettres de Charles V. du mois de Juillet 1366, où il est énoncé que le roi pour accélérer le jugement des contestations pendantes au parlement, entre le duc de Berry & d’Auvergne, & certaines églises de ce duché, les évoqua à sa personne, vivæ vocis oraculo. Il ordonna que les parties remettroient leurs titres par-devant les gens de son grand-conseil, qui appelleroient avec eux autant de gens de la chambre du parlement qu’ils jugeroient à propos, afin qu’il jugeât cette affaire sur le rapport qui lui en seroit fait.

Ces termes vivæ vocis oraculo paroissent signifier que l’évocation fut ordonnée ou prononcée de la propre bouche du roi, ce qui n’empêcha pas que sur cet ordre ou arrêt, il n’y eût des lettres d’évocation expédiées ; en effet, il est dit que les lettres furent présentées au parlement, qui y obtempéra du consentement du procureur général, & le roi jugea l’affaire.

Ainsi les évocations s’ordonnoient dès-lors par lettres patentes, & ces lettres étoient vérifiées au parlement ; ce qui étoit fondé sur ce que toute évocation emporte une dérogation aux ordonnances du royaume, & que l’ordre qu’elles ont prescrit pour l’administration de la justice, ne peut être changé que dans la même forme qu’il a été établi.

Il paroît en effet, que jusqu’au tems de Louis XIII. aucune évocation n’étoit ordonnée autrement ; la partie qui avoit obtenu les lettres, étoit obligée d’en présenter l’original au parlement, lequel vérifioit les lettres ou les retenoit au greffe, lorsqu’elles ne paroissoient pas de nature à être enregistrées. Les registres du parlement en fournissent nombre d’exemples, entre autres à la date du 7 Janvier 1555, où l’on voit que cinq lettres patentes d’évocation, qui furent successivement présentées au parlement pour une même affaire, furent toutes retenues au greffe sur les conclusions des gens du roi.

Plusieurs huissiers furent decretés de prise-de-corps par la cour, pour avoir exécuté une évocation sur un duplicata ; d’autres, en 1591 & 1595, pour avoir signifié des lettres d’évocation au préjudice d’un arrêt du 22 Mai 1574, qui ordonnoit l’exécution des précedens reglemens, sur le fait de la présentation des lettres d’évocation, sans duplicata.

Les évocations ne peuvent pas non plus être faites par lettres missives, comme le parlement l’a observé en différentes occasions, notamment au mois de Mars 1539, où il disoit, que l’on n’a accoûtumé faire une évocation par lettres missives, ains sous lettres patentes nécessaires.

On trouve encore quelque chose d’à-peu-près semblable dans les registres du parlement, au 29 Avril 1561, & 22 Août 1567 ; & encore à l’occasion d’un arrêt du conseil de 1626, portant évocation d’une affaire criminelle, le chancelier reconnut l’irrégularité de cette évocation dans sa forme, & promit de la retirer ; n’y ayant, dit-il, à l’arrêt d’évocation que la signature d’un secrétaire d’état, & non le sceau.

L’expérience ayant fait connoître que plusieurs plaideurs abusoient souvent de l’évocation même de justice, quoiqu’elle puisse être regardée comme une voie de droit, on l’a restrainte par l’ordonnance du mois d’Août 1669, & encore plus par celle de 1737.

1°. L’évocation sur parentés & alliances, n’a pas lieu à l’égard de certains tribunaux ; soit par un privilége accordé aux pays où ils sont établis, comme le parlement de Flandre & les conseils supérieurs d’Alsace & de Roussillon ; soit parce que ces tribunaux ont été créés expressément pour de certaines matieres, qu’on a crû ne pouvoir leur être ôtées pour l’intérêt d’une partie, comme les chambres des comptes, les cours des monnoies, les tables de marbre, & autres jurisdictions des eaux & forêts.

Cette évocation n’est pas non plus admise à l’égard des conseils supérieurs, établis dans les colonies françoises ; mais les édits de Juin 1680, & Septembre 1683, permettent à ceux qui ont quelque procès contre un président ou conseiller d’un conseil supérieur, de demander leur renvoi devant l’intendant de la colonie, qui juge ensuite l’affaire, avec un autre conseil supérieur, à son choix.

2°. Il y a des affaires qui, à cause de leur nature, ne sont pas susceptibles d’évocation, même pour parentés & alliances.

Telles sont les affaires du domaine ; celles des pairies & des droits qui en dépendent, si le fond du droit est contesté ; celles où il s’agit des droits du roi, entre ceux qui en sont fermiers ou adjudicataires.

Tels sont encore les decrets & les ordres ; ce qui s’étend, suivant l’ordonnance de 1737, tit. j. art. 25, à toute sorte d’opposition aux saisies réelles ; parce qu’étant connexes nécessairement à la saisie réelle elles doivent être portées dans la même jurisdiction ; soit que cette saisie ait été faite de l’autorité d’une cour ou d’un juge ordinaire, ou qu’elle l’ait été en vertu d’une sentence d’un juge de privilége. La même regle a lieu pour toutes les contestations formées à l’occasion des contrats d’union, de direction, ou autres semblables.

3°. L’évocation ne peut être demandée que par celui qui est actuellement partie dans la contestation qu’il veut faire évoquer, & du chef de ceux qui y sont parties en leur nom & pour leur intérêt personnel.

Il suit de-là, que celui qui a été seulement assigné comme garant, ou pour voir déclarer le jugement commun, ne peut pas être admis à demander l’évocation, si l’affaire n’est véritablement liée avec lui ; comme il est expliqué plus en détail par les articles 30, 31, & 32 de l’ordonnance de 1737.

Il suit encore du même principe, qu’on ne peut évoquer du chef des procureurs généraux, ni des tuteurs, curateurs, syndics, directeurs des créanciers, ou autres administrateurs, s’ils ne sont parties qu’en cette qualité, & non pour leur intérêt particulier.

En matiere criminelle, un accusé ne peut évoquer du chef de celui qui n’est pas partie dans le procès, quoiqu’il fût intéressé à la réparation du crime, ou cessionnaire des intérêts civils : il n’est pas admis non plus à évoquer du chef de ses complices ou co-accusés ; s’il est decreté de prise-de-corps, il ne peut demander l’évocation qu’après s’être mis en état.

4°. Il a encore été ordonné avec beaucoup de sagesse, que l’évocation n’auroit pas lieu dans plusieurs cas, à cause de l’état où la contestation que l’on voudroit faire évoquer, se trouve au tems où l’évocation est demandée ; comme lorsqu’on a commencé la plaidoierie ou le rapport, ou qu’on n’a fait signifier l’acte pour évoquer, que dans la derniere quinzaine avant la fin des séances d’une cour, ou d’un semestre pour celles qui servent par semestre.

Une partie qui après le jugement de son affaire ne demande l’évocation que lorsqu’il s’agit de l’exécution de l’arrêt rendu avec elle, ou de lettres de requête civile prises pour l’attaquer, ne peut y être reçue, à moins qu’il ne soit survenu depuis l’arrêt de nouvelles parentés, ou autre cause légitime d’évocation. De même, celui qui n’étant point partie en cause principale n’est intervenu qu’en cause d’appel, ne peut évoquer, si ce n’est qu’il n’ait pû agir avant la sentence.

La partie qui a succombé sur une demande en évocation, n’est plus admise à en former une seconde dans la suite de la même affaire, s’il n’est survenu de nouvelles parentés ou de nouvelles parties ; & si la seconde demande en évocation étoit encore rejettée, elle seroit condamnée à une amende plus forte, & en d’autres peines, selon les circonstances.

Telles sont les principales restrictions qui ont été faites aux évocations mêmes, qui paroissent fondées sur une considération de justice, & sur la crainte qu’une des parties n’eût quelque avantage sur l’autre, dans un tribunal dont plusieurs officiers sont ses parens ou alliés. Si l’un d’eux s’étoit tellement intéressé pour elle, qu’il eût fait son affaire propre de sa cause, les parens & alliés de cet officier serviroient aussi à fonder l’évocation. Mais l’ordonnance de 1737 a prescrit une procédure très-sommaire, pour les occasions où l’on allegue un pareil fait ; & il faut pour l’établir, articuler & prouver trois circonstances ; savoir, que l’officier ait sollicité les juges en personne, qu’il ait donné ses conseils, & qu’il ait fourni aux frais. Le défaut d’une de ces trois circonstances suffit pour condamner la partie qui a soûtenu ce fait en une amende, & quelquefois à des dommages & intérêts, & d’autres réparations.

Au surplus, pour que la partie qui demande l’évocation ait lieu d’appréhender le crédit des parens ou alliés de son adversaire dans un tribunal, il faut qu’ils soient dans un degré assez proche pour faire présumer qu’ils s’y intéressent particulierement ; qu’ils soient en assez grand nombre pour faire une forte impression sur l’esprit des autres juges ; enfin qu’ils soient actuellement dans des fonctions qui les mettent à portée d’agir en faveur de la partie, à laquelle ils sont attachés par les liens du sang ou de l’affinité. C’est dans cet esprit que les ordonnances ont fixé les degrés, le nombre, & la qualité des parens & alliés qui pourroient donner lieu à l’évocation.

A l’égard de la proximité, tous les ascendans ou descendans, & tous ceux des collatéraux, qui speciem parentum & liberorum inter se referunt, c’est-à-dire les oncles ou grands-oncles, neveux ou petits-neveux, donnent lieu à l’évocation ; mais pour les autres collatéraux, la parenté ou l’alliance n’est comptée pour l’évocation que jusqu’au troisieme degré inclusivement ; au lieu que pour la récusation, elle s’étend au quatrieme degré en matiere civile, & au cinquieme en matiere criminelle.

Les degrés se comptent suivant le droit canonique. Voyez au mot Degré de parenté.

On ne peut évoquer du chef de ses propres parens & alliés, si ce n’est qu’ils fussent parens ou alliés dans un degré plus proche de l’autre partie.

Une alliance ne peut servir à évoquer, à moins que le mariage qui a produit cette alliance ne subsiste au tems de l’évocation, ou qu’il n’y ait des enfans de ce mariage ; l’espece d’alliance qui est entre ceux qui ont épousé les deux sœurs, ne peut aussi servir à évoquer que lorsque les deux mariages subsistent, ou qu’il reste des enfans d’un de ces mariages, ou de tous les deux.

Le nombre des parens ou alliés nécessaire pour évoquer, est reglé différemment, eu égard au nombre plus ou moins grand d’officiers, dont les cours sont composées, & à la qualité de celui du chef duquel on peut évoquer. C’est ce qu’on peut voir par le tableau suivant.

Pour les Parlemens
de
Si la partie évoquée
est du corps.
Si elle n’en
est pas.
Paris 10 parens ou alliés. 12 parens ou alliés.
Toulouse, Bordeaux     6 8
Roüen, Bretagne
Dijon, Grenoble, Aix     5 6
Pau, Metz, Besançon
Le grand-conseil 4 6
Cour des aides de Paris 4 6
Autres cours des aides 3 4


A l’égard de la qualité de chaque parent ou allié qui peut donner lieu à l’évocation, il faut qu’il ait actuellement séance & voix délibérative dans sa compagnie, ou qu’il y soit avocat général ou procureur général.

On fait même une différence entre les officiers ordinaires, & ceux qui ne sont pas obligés de faire un service assidu & continuel ; tels que les pairs, les conseillers d’honneur, & les honoraires, lesquels, en quelque nombre qu’ils soient, ne se comptent que pour un tiers du nombre requis pour évoquer ; comme pour quatre, quand il faut douze parens ou alliés ; pour trois, quand il en faut dix ; pour deux, quand il en faut six ou huit ; & pour un, quand il en faut trois, quatre, ou cinq.

Les pairs & les conseillers d’honneur ne peuvent donner lieu à évoquer que du parlement de Paris ; & les maîtres des requêtes, que du parlement & du grand-conseil, quoique les uns & les autres ayent entrée dans tous les parlemens.

On ne compte plus pour l’évocation les parens ou alliés qui seroient morts depuis la cédule évocatoire, ou qui auroient quitté leurs charges : s’ils sont devenus honoraires, on les compte en cette qualité seulement. S’il arrive aussi que la partie du chef de laquelle on demandoit l’évocation cesse d’avoir intérêt dans l’affaire, on n’a plus d’égard à ses parentés & alliances.

L’objet des lois a encore été de prévenir les inconvéniens des demandes en évocation, en établissant une procédure simple & abregée pour y statuer.

C’est au conseil des parties qu’elles sont examinées ; mais il y a des procédures qui doivent se faire sur les lieux, dont la premiere est la cédule évocatoire.

On appelle ainsi un acte de procédure par lequel la partie, qui veut user de l’évocation, déclare à son adversaire qu’elle entend faire évoquer l’affaire de la cour où elle est pendante ; attendu que parmi les officiers de cette cour, il a tels & tels parens ou alliés : le même acte contient une sommation de consentir à l’évocation & au renvoi en la cour, où il doit être fait suivant l’ordonnance ; ou à une autre, si elle lui étoit suspecte.

La forme de cet acte & celle des autres procédures qui doivent être faites sur les lieux, se trouvent en détail dans l’ordonnance de 1737.

L’évocation sur parentés & alliances est réputée consentie, soit qu’il y ait un consentement par écrit, soit que le défendeur ait reconnu dans sa réponse les parentés & alliances, sans proposer d’autres moyens pour empêcher l’évocation, soit enfin qu’il ait gardé le silence pendant le délai prescrit par l’ordonnance ; dans chacun de ces cas, le demandeur doit obtenir des lettres d’évocation consentie, dans un tems fixé par la même ordonnance, faute de quoi le défendeur peut les faire expédier aux frais de l’évoquant.

Les cédules évocatoires sont de droit réputées pour non avenues ; & les cours peuvent passer outre au jugement de l’affaire, sans qu’il soit besoin d’arrêt du conseil.

1°. Lorsque l’affaire n’est pas de nature à être évoquée, ou lorsque l’évocation est fondée sur les parentés & alliances d’un procureur général, d’un tuteur, ou autre administrateur, qui ne sont parties qu’en cette qualité.

2°. Lorsqu’on n’a pas observé certaines formalités nécessaires pour la validité de l’acte de cédule évocatoire, & qui sont expliquées dans les articles 38, 39, 60, 70, & 78, de l’ordonnance de 1737.

3°. Lorsque l’évocation est signifiée dans la quinzaine, avant la fin des séances ou du semestre d’une cour.

4°. Quand l’évoquant s’est désisté avant qu’il y ait eu assignation au conseil.

En d’autres cas il est nécessaire d’obtenir un arrêt du conseil, pour juger si l’évocation est du nombre de celles prohibées par l’ordonnance.

1°. Quand la cédule évocatoire a été signifiée, depuis le commencement de la plaidoierie ou du rapport.

2°. Quand l’évocation est demandée trop tard par celui, ou du chef de celui qui a été assigné en garantie, ou pour voir déclarer l’arrêt commun ; ou quand auparavant la signification de la cédule évocatoire, il a cessé d’être engagé dans l’affaire que l’on veut évoquer par une disjonction, ou de quelque autre maniere.

3°. Quand l’évoquant n’a pas fait apporter au greffe les enquêtes & autres procédures, dans les délais portés par l’ordonnance.

Pour éviter les longueurs d’une instruction, l’ordonnance de 1737 a permis dans ces cas au défendeur d’obtenir, sur sa simple requête, un arrêt qui le met en état de suivre son affaire dans le tribunal où elle est pendante ; ce qui a produit un grand bien pour la justice, en faisant cesser promptement & sans autre formalité, un grand nombre d’évocations formées dans la vûe d’éloigner le jugement d’un procès.

S’il ne s’agit d’aucun des cas dont on vient de parler, on instruit l’instance au conseil, dans la forme qui est expliquée par les articles 28, 45, 53, 54, 58 & 65, de l’ordonnance de 1737.

Si la demande en évocation se trouve bien fondée, l’arrêt qui intervient évoque la contestation principale, & la renvoye à une autre cour, pour y être instruite & jugée, suivant les derniers erremens.

Autrefois le conseil renvoyoit à celle qu’il jugeoit le plus à-propos de nommer ; mais l’ordonnance a établi un ordre fixe, qui est toûjours observé, à moins qu’il ne se trouve quelque motif supérieur de justice qui oblige le conseil de s’en écarter, ce qui est très rare.

Le renvoy se fait donc,

Du parlement de Paris, au grand-conseil, ou au parlement de Roüen.

Du parlement de Roüen, à celui de Bretagne.

Du parlement de Bretagne, à celui de Bordeaux.

Du parlement de Bordeaux, à celui de Toulouse.

De celui de Toulouse, au parlement de Pau ou d’Aix.

Du parlement d’Aix, à celui de Grenoble.

Du parlement de Grenoble, à celui de Dijon.

Du parlement de Dijon, à celui de Besançon.

De celui de Besançon, à celui de Metz.

De celui de Metz, au parlement de Paris.

De la cour des aides de Paris, à celles de Roüen ou de Clermont.

De la cour des aides de Clermont, au parlement de Bretagne, comme cour des aides.

De celle de Clermont, à celle de Paris.

Du parlement de Bretagne, comme cour des aides, à celle de Bordeaux.

De celle de Bordeaux, à celle de Montauban.

De celle de Montauban, à celle de Montpellier.

De celle de Montpellier, à celle d’Aix.

De celle d’Aix, au parlement de Grenoble, comme cour des aides.

Du parlement de Grenoble, comme cour des aides, à celui de Dijon, comme cour des aides.

Du parlement de Dijon, comme cour des aides, à la cour des aides de Dole.

De celle de Dole, au parlement de Metz, comme cour des aides.

Et du parlement de Metz, comme cour des aides, à la cour des aides de Paris.

Si la demande en évocation paroît mal fondée, on ordonne que sans s’arrêter à la cédule évocatoire, les parties continueront de procéder en la cour, dont l’évocation étoit demandée, & l’évoquant est condamné aux dépens, en une amende envers le roi, & une envers la partie, quelquefois même en ses dommages & intérêts.

Telles sont les principales regles que l’on suit pour les demandes en évocations, qui ne peuvent être jugées qu’au conseil.

Dans les compagnies semestres, ou qui sont composées de plusieurs chambres, lorsqu’un de ceux qui ont une cause ou procès, pendant à l’un des semestres, ou en l’une des chambres, y est président ou conseiller, ou que son pere, beau-pere, fils, gendre, beau-fils, frere, beau-frere, oncle, neveu, ou cousin-germain, y est président ou conseiller, la contestation doit être renvoyée à l’autre semestre, ou à une autre chambre de la même cour, sur une simple requête de la partie qui demande ce renvoy, communiquée à l’autre partie, qui n’a que trois jours pour y répondre, & l’on y prononce dans les trois jours suivans : ce qui s’observe aussi, lorsque dans le même semestre ou dans la même chambre, une des parties a deux parens au troisieme degré, ou trois, jusqu’au quatrieme inclusivement.

S’il arrive dans une compagnie semestre, que par un partage d’opinions, ou par des recusations, il ne reste pas assez de juges dans un semestre, pour vuider le partage, ou pour juger le procès, ils sont dévolus de plein droit à l’autre semestre ; mais toutes les fois qu’il ne reste pas assez de juges, soit dans cette compagnie, soit dans celles qui se tiennent par chambres & non par semestres, pour vuider le partage, il faut s’adresser au conseil pour en faire ordonner le renvoi à une autre cour, & alors il commence ordinairement par ordonner que le rapporteur & le compartiteur envoyeront à M. le chancelier, les motifs de leurs compagnies, qui sont ensuite envoyés à la cour, à laquelle le partage est renvoyé par un deuxieme arrêt.

Ce sont les cours supérieures qui connoissent des demandes en évocation, ou en renvoi d’une jurisdiction de lent ressort dans une autre, soit pour des parentés & alliances, soit à cause du défaut de juges en nombre suffisant, ou pour suspicion ; c’est une des fonctions attachées à l’autorité supérieure qu’elles exercent au nom du roi, & les ordonnances leur laissent le choix de la jurisdiction de leur ressert où l’affaire doit être renvoyée.

On ne peut évoquer des présidiaux sur des parentés & alliances, que dans les affaires dont ils connoissent en dernier ressort ; & il faut, pour pouvoir demander l’évocation, qu’une des parties soit officier du présidial, ou que son pere, son fils, ou son frere y soit officier, sans qu’aucun autre parent ni aucun allié, puisse y donner lieu.

Elle se demande par une simple requête, qui est signifiée à l’autre partie ; & il y est ensuite statué, sans autres formalités, sauf l’appel au parlement du ressort, & le renvoi se fait au plus prochain présidial, non suspect.

Les regles que l’on a expliquées ci-dessus sur les matieres & les personnes qui ne peuvent donner lieu à l’évocation, s’appliquent aussi aux demandes en renvoi d’un semestre d’une chambre ou d’une jurisdiction à un autre, ou en évocation d’un présidial.

Les causes & procès évoqués doivent être jugés par les cours auxquelles le renvoi en a été fait suivant les lois, coûtumes, & usages des lieux d’où ils ont été évoqués, n’étant pas juste que le changement de juges change rien à cet égard à la situation des parties, & si l’on s’ecartoit de cette regle, elles pourroient se pourvoir au conseil contre le jugement.

L’évocation pour cause de connexité ou litispendance a lieu lorsque le juge supérieur, déjà saisi d’une contestation, attire à lui une autre contestation pendante dans un tribunal inférieur, qui a un rapport nécessaire avec la premiere, ensorte qu’il soit indispensable de faire droit sur l’un & l’autre dans le même tribunal ; mais il faut que cette connexité soit bien réelle, sinon les parties pourroient se pourvoir contre le jugement qui auroit évoqué.

Messieurs des requêtes de l’hôtel du palais à Paris, peuvent aussi, dans le cas d’une connexité véritable, évoquer les contestations pendantes devant d’autres juges, même hors du ressort du parlement de Paris : à l’égard des requêtes du palais des autres parlemens, elles n’en usent qu’à l’égard des juges du ressort du parlement où elles sont établies.

Les juges auxquels toutes les affaires d’une certaine nature ont été attribuées, comme la chambre du domaine, la table de marbre, &c. aussi-bien que ceux auxquels on a attribué la connoissance de quelque affaire particuliere, ou de toutes les affaires d’une personne ou communauté, évoque pareillement les affaires qui sont de leur compétence, & celles qui y sont connexes ; mais la partie qui ne veut pas déférer à l’évocation, a la voie de se pourvoir par l’appel, si le tribunal qui a évoqué, & celui qui est dépouillé par l’évocation, sont ressortissans à la même cour : s’ils sont du ressort de différentes cours. & que celles-ci ne se concilient pas entr’elles, dans la forme portée par l’ordonnance de 1667, pour les conflits entre les parlemens & les cours des aydes qui sont dans la même ville, il faut se pourvoir en réglement de juges au conseil ; & il en est de même, s’il s’agit de deux cours.

L’évocation du principal, est, quand le juge supérieur, saisi de l’appel d’une sentence qui n’a rien prononcé sur le fond de la contestation, l’évoque & y prononce, afin de tirer les parties d’affaire plus promptement ; ce qui est autorisé par l’ordonnance de 1667, tit. vj. art. 2. qui défend d’évoquer les causes, instances, & procès pendans aux siéges inférieurs, ou autres jurisdictions, sous prétexte d’appel ou connexité, si ce n’est pour juger définitivement à l’audience, & sur le champ, par un seul & même jugement.

L’ordonnance de 1670, tit. xxvj. art. 5. ordonne la même chose pour les évocations en matiere criminelle : la déclaration du 15 Mai 1673, art. 9. a même permis, dans les appellations de decret & de procédures appointées en la tournelle, lorsque les affaires seront legeres & ne mériteront pas d’être instruites, d’évoquer le principal, en jugeant, pour y faire droit définitivement, comme à l’audience, après que les informations auront été communiquées au procureur général, & l’instruction faite suivant l’ordonnance du mois d’Août 1670.

L’ordonnance de la Marine, tit. ij. art. 14. permet aux officiers des siéges généraux d’amirauté, d’évoquer indistinctement des juges inférieurs, les causes qui excéderont la valeur de 3000 liv. lorsqu’ils seront saisis de la matiere par l’appel de quelque appointement ou interlocutoire donné en premiere instance. (A)