L’Encyclopédie/1re édition/FLATERIE

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FLATERIE, s. f. (Morale.) c’est une profusion de loüanges, fausses ou exagérées, qu’inspire à celui qui les donne, son intérêt personnel. Elle est plus ou moins coupable, basse, puérile, selon ses motifs, son objet, & les circonstances. Elle a pris naissance parmi des hommes, dont les uns avoient besoin de tromper, & les autres d’être trompés. C’est à la cour que l’intérêt prodigue les loüanges les plus outrées aux dispensateurs sans mérite des emplois & des graces : on cherche à leur plaire, en les rassûrant sur des foiblesses dont on seroit desolé de les guérir ; plus ils en ont, plus on les loue, parce qu’on les respecte moins, & qu’on leur connoît plus le besoin d’être loüés. On renonce pour eux à ses propres sentimens, aux priviléges de son rang, à sa volonté, à ses mœurs.

Cette complaisance sans bornes est une flaterie d’action, plus séduisante que les éloges les mieux apprêtés. Il y a une autre flaterie plus fine encore, & souvent employée par des hommes sans force de caractere, qui ont des ames viles & des vûes ambitieuses.

C’est la flaterie d’imitation, qui répand dans une cour les vices & les travers de deux ou trois personnes, & les vices & les travers d’une cour sur toute une nation. Les succès de ces différens genres de flaterie en ont fait un art qu’on cultive sous le nom d’art de plaire : il a ses difficultés, tout le monde n’est pas propre à les vaincre ; & on n’y réussit guere, quand on est né pour servir son prince & sa patrie.

Il s’en faut beaucoup que la flaterie ait toûjours des motifs de fortune, les hommes en place pour objet, & la cour pour asyle. Dans les pays où l’amour des distinctions, sous le nom d’honneur, remue du plus au moins tous les hommes (voy. Honneur), les loüanges sont l’aliment de l’amour-propre dans tous les ordres & dans tous les états : on y vit de l’opinion des autres ; tout le monde y est inquiet de sa place dans l’estime des hommes, & cette inquiétude augmente en proportion du peu de mérite & de l’excès de la vanité. On y poursuit la loüange avec fureur, on l’y sollicite avec bassesse ; elle y est donnée sans ménagement, & reçûe sans pudeur. Il y auroit quelquefois de la barbarie à la refuser à des hommes si remplis de leurs prétentions, & si tourmentés de la crainte d’être ridicules, ou de celle d’être ignorés.

Ils veulent paroître, c’est le desir de tous ; ils veulent couvrir d’un voile brillant leurs défauts ou leur nullité : les loüanges leur donnent une apparence passagere dont ils se contentent ; & la constance dans le travail, l’étude de leurs devoirs, l’humanité, ne leur donneroient que du mérite & de la vertu.

La galanterie, ce reste des mœurs de l’ancienne chevalerie, que maintiennent le goût du plaisir & la forme du gouvernement, rend la flaterie indispensable vis-à-vis les femmes ; une adulation continuelle & de feintes soûmissions, leur font oublier leur foiblesse, leur dépendance & leurs devoirs : elles leur deviennent nécessaires ; ce n’est que par la flaterie que nous les rendons contentes de nous & d’elles-mêmes, & que nous obtenons leur appui & leurs suffrages. Voyez Galanterie.

De cette multitude de besoins de vanité dans une nation legere ; de la nécessité de plaire par les loüanges, par la complaisance, par l’imitation ; de la petitesse des uns, de la lâcheté des autres, de la fausseté de tous, résulte une flaterie générale, insupportable au bon sens. Elle apprend à mettre une foule de différences dangereuses entre l’exercice des vertus & le savoir-vivre ; elle est un commerce puéril, dans lequel on rend fidelement mauvaise foi pour mauvaise foi, & où tout est bon, hors la vérité. Elle a sa langue, ses usages, ses devoirs même, dont on ne peut s’écarter sans danger, & auxquels on ne peut se soûmettre sans foiblesse.

Des philosophes qui par leur mérite étoient faits pour corriger, ou du moins pour modérer les travers de leurs concitoyens, ont trop souvent encouragé la flaterie par leur exemple ; & ce n’est que dans ce siecle que les premiers des hommes par leurs lumieres ne s’avilissent plus par l’adulation.