L’Encyclopédie/1re édition/HONNEUR
HONNEUR, s. m. (Morale.) Il est l’estime de nous mêmes, & le sentiment du droit que nous avons à l’estime des autres, parce que nous ne nous sommes point écartés des principes de la vertu, & que nous nous sentons la force de les suivre. Voilà l’honneur de l’homme qui pense, & c’est pour le conserver qu’il remplit avec soin les devoirs de l’homme & du citoyen.
Le sentiment de l’estime de soi-même est le plus délicieux de tous ; mais l’homme le plus vertueux est souvent accablé du poids de ses imperfections, & cherche dans les regards, dans le maintien des hommes, l’expression d’une estime, qui le réconcilie avec lui même.
De là deux sortes d’honneur ; celui qui est en nous fondé sur ce que nous sommes ; celui qui est dans les autres, fondé sur ce qu’ils pensent de nous.
Dans l’homme du peuple, & par peuple j’entends tous les états, je n’en sépare que l’homme qui examine l’étendue de ses devoirs pour les remplir, & leur nature pour ne s’imposer que des devoirs véritables. Dans l’homme du peuple, l’honneur est l’estime qu’il a pour lui-même, & son droit à celle du public, en conséquence de son exactitude à observer certaines loix établies par les préjugés & par la coutume.
De ces lois, les unes sont conformes à la raison & à la nature ; d’autres leur sont opposées, & les plus justes ne sont souvent respectées que comme établies.
Chez les peuples les plus éclairés, la masse des lumieres n’est jamais répandue, le peuple n’a que des opinions reçûes & conservées sans examen, étrangeres à sa raison ; elles chargent sa mémoire, dirigent ses mœurs, gênent, repriment, secondent, corrompent & perfectionnent l’instinct de la nature.
L’honneur, chez les nations les plus polies, peut donc être attaché, tantôt à des qualités & à des actions estimables, souvent à des usages funestes, quelquefois à des coutumes extravagantes, quelquefois à des vices.
On honore encore aujourd’hui dans certains pays de l’Europe, la plus lâche & la plus odieuse des vengeances, & presque par-tout, malgré la religion, la raison & la vertu, on honore la vengeance.
Chez une nation polie, pleine d’esprit & de force, la paresse & la gravité sont en honneur.
Dans la plus grande partie de l’Europe, une mauvaise application de la honte attachée à ce qu’on appelle se démentir force quiconque a été injuste un moment, à être injuste toute sa vie.
S’il y a des gouvernemens où le caprice décide indépendamment de la loi, ou la volonté arbitraire du prince, ou des ministres, distribue, sans consulter l’ordre & la justice, les châtimens & les récompenses, l’ame du peuple engourdie par la crainte, abattue par l’autorité, reste sans élévation ; l’homme dans cet état n’estime, ni lui, ni son semblable ; il craint plus le supplice que la honte, car quelle honte ont à craindre des esclaves, qui consentent à l’être ? Mais ces gouvernemens durs, injustes, cruels, injurieux à l’humanité, ou n’existent pas, ou n’existent que comme des abus passagers, & ce n’est jamais dans cet état d’humiliation qu’il faut considérer les hommes.
Un génie du premier ordre a prétendu que l’honneur étoit le ressort des monarchies, & la vertu celui des républiques. Est-il permis de voir quelques erreurs dans les ouvrages de ce grand homme, qui avoit de l’honneur & de la vertu !
Il ne définit point l’honneur, & on ne peut en le lisant, attacher à ce mot une idée précise.
Il définit la vertu, l’amour des lois & de la patrie.
Tous les hommes, du plus au moins, aiment leur patrie, c’est-à-dire, qu’ils l’aiment dans leur famille, dans leurs possessions, dans leurs concitoyens, dont ils attendent & reçoivent des secours & des consolations. Quand les hommes sont contens du gouvernement sous lequel ils vivent, quel que soit son genre, ils aiment les lois, ils aiment les princes, les magistrats qui les protegent & les défendent. La maniere dont les lois sont établies, exécutées, ou vengées, la forme du gouvernement, sont ce qu’on appelle l’ordre politique. Je crois que le président de Montesquieu se seroit exprimé avec plus de précision, s’il avoit défini la vertu, l’amour de l’ordre politique & de la patrie.
L’amour de l’ordre est dans tous les hommes.
Ils aiment l’ordre dans les ouvrages de la nature, ils aiment les proportions & la symétrie dans cet arbre, dont les feuilles se répandent en cercle sur la tige, dans les différens émaux distribués symétriquement sur l’insecte, la fleur & le coquillage, dans l’assemblage des différentes parties qui composent la figure des animaux. Ils aiment l’ordre dans les ouvrages de l’art : les proportions & la symétrie dans un poëme, dans une piece de musique, dans un bâtiment, dans un jardin, donnent à l’esprit la facilité de rassembler dans un moment & sans peine, une multitude d’objets, de voir d’un coup d’œil un tout, de passer alternativement d’une partie à l’autre sans s’égarer, de revenir sur ses pas quand il le veut, de porter son attention où il lui plaît, & d’être sûr que l’objet qui l’occupe, ne lui fera pas perdre l’objet qui vient de l’occuper.
L’ordre politique, outre le plaisir secret de rassembler & de conserver dans l’esprit beaucoup de connoissances & d’idées, nous donne encore le plaisir de les admirer ; il nous étonne, & nous donne une grande idée de notre nature. Nous le trouvons difficile, utile & beau ; nous voyons avec surprise naître d’un petit nombre de causes, une multitude d’effets. Nous admirons l’harmonie des différentes parties du gouvernement, & dans une monarchie, comme dans une république, nous pouvons aimer jusqu’au fanatisme cet ordre utile, simple, grand, qui fixe nos idées, eleve notre ame, nous éclaire, nous protege, & décide de notre destinée. L’agriculteur françois ou romain, le patricien ou le gentilhomme, contents de leur gouvernement, aiment l’ordre & la patrie. Dans la monarchie des Perses, on n’approchoit point des autels des dieux, sans les invoquer pour la patrie ; il n’étoit pas permis au citoyen de ne prier que pour lui seul. La monarchie des Incas n’étoit qu’une famille immense, dont le monarque étoit le pere. Les jours où le citoyen cultivoit son champ, étoient des jours de travail ; les jours où il cultivoit le champ de l’état & du pauvre, étoient des jours de fêtes. Mais dans la monarchie, comme dans la république, cet amour de la patrie, cette vertu, n’est le ressort principal, que dans quelques situations, dans quelques circonstances : l’honneur est par-tout un mobile plus constamment actif. Les couronnes civiques & murales, les noms des pays de conquêtes donnés aux vainqueurs, les triomphes excitoient aux grandes actions les ames romaines, plus que l’amour de la patrie. Qu’on ne me dise point que je confonds ici l’honneur & la gloire, je sçais les distinguer, mais je crois que par-tout où on aime la gloire, il y a de l’honneur. Il soutient avec la vertu les faisceaux du consul & le sceptre des rois ; l’honneur ou la vertu dans la république, dans la monarchie, sont le principal ressort, selon la nature des lois, la puissance, l’étendue, les dangers, la prospérité de l’état.
Dans les grands empires, on est plus conduit par l’honneur, par le desir & l’espérance de l’estime. Dans les petits états il y a plus, l’amour de l’ordre politique & de la patrie ; il regne dans ces derniers un ordre plus parfait. Dans les petits états, on aime la patrie, parce que les liens qui attachent à elle, ne sont presque que ceux de la nature ; les citoyens sont unis entr’eux par le sang, & par de bons offices mutuels ; l’état n’est qu’une famille, à laquelle se rapportent tous les sentimens du cœur, toujours plus forts, à proportion qu’ils s’étendent moins. Les grandes fortunes y sont impossibles, & la cupidité moins irritée ne peut s’y couvrir de ténebres ; les mœurs y sont pures, & les vertus sociales y sont des vertus politiques.
Remarquez que Rome naissante & les petites républiques de la Grece, où a regné l’enthousiasme de la patrie, étoient souvent en danger ; la moindre guerre menaçoit leur constitution & leur liberté. Les citoyens, dans de grands périls, faisoient naturellement de grands efforts ; ils avoient à espérer du succès de la guerre, la conservation de tout ce qu’ils avoient de plus cher. Rome a moins montré l’amour extrême de la patrie, dans la guerre contre Pyrrhus, que dans la guerre contre Porsenna, & moins dans la guerre contre Mithridate, que dans la guerre contre Pyrrhus.
Dans un grand état, soit république, soit monarchie, les guerres sont rarement dangereuses pour la constitution de l’état, & pour les fortunes des citoyens. Le peuple n’a souvent à craindre que la perte de quelques places frontieres ; le citoyen n’a rien à espérer du succès de la nation ; il est rarement dans des circonstances où il puisse sentir & manifester l’enthousiasme de la patrie. Il faut que ces grands états soient menacés d’un malheur qui entraîneroit celui de chaque citoyen, alors le patriotisme se reveille. Quand le roi Guillaume eut repris Namur, on établit en France la capitation, & les citoyens charmés de voir une nouvelle ressource pour l’état, reçurent l’édit de cet impôt avec des cris de joie. Annibal, aux portes de Rome, n’y causa ni plus de douleurs, ni plus d’allarmes, que de nos jours en ressentit la France pendant la maladie de son roi. Si la perte de la fameuse bataille d’Hochted a fait faire des chansons aux François mécontens du ministre ; le peuple de Rome, après la défaite des armées romaines, a joui plus d’une fois de l’humiliation de ses magistrats.
Mais, pourquoi cet honneur mobile presque toujours principal dans tous les gouvernemens, est-il quelquefois si bizarre ? pourquoi le place-t-on dans des usages ou puériles, ou funestes ? pourquoi impose-t-il quelquefois des devoirs que condamnent la nature, la raison épurée & la vertu ? & pourquoi dans certains tems est-il particulierement attribué à certaines qualités, certaines actions, & dans d’autres tems, à des actions & à des qualités d’un genre opposé ?
Il faut se rappeller le grand principe de l’utilité de David Hume : c’est l’utilité qui décide toujours de notre estime. L’homme qui peut nous être utile est l’homme que nous honorons ; & chez tous les peuples, l’homme sans honneur est celui qui par son caractere est censé ne pouvoir servir la société.
Mais certaines qualités, certains talens, sont en divers tems plus ou moins utiles ; honorés d’abord, ils le sont moins dans la suite. Pour trouver les causes de cette différence, il faut prendre la société dans sa naissance, voir l’honneur à son origine, suivre la société dans ses progrès, & l’honneur dans ses changemens.
L’homme dans les forêts où la nature l’a placé, est né pour combattre l’homme & la nature. Trop foible contre ses semblables, & contre les tigres, il s’associe aux premiers pour combattre les autres. D’abord la force du corps est le principal mérite ; la débilité est d’autant plus méprisée, qu’avant l’invention de ces armes, avec lesquels un homme foible peut combattre sans desavantage, la force du corps étoit le fondement de la valeur. La violence fût-elle injuste, n’ôte point l’honneur. La plus douce des occupations est le combat ; il n’y a de vertus que le courage, & de belles actions que les victoires. L’amour de la vérité, la franchise, la bonne-foi, qualités qui supposent le courage, sont après lui les plus honorées ; & après la foiblesse, rien n’avilit plus que le mensonge. Si la communauté des femmes n’est pas établie, la fidélité conjugale sera leur honneur, parce qu’elles doivent, sans secours, préparer le repas des guerriers, garder & défendre la maison, élever les enfans ; parce que les états étant encore égaux, la convenance des personnes décide des mariages ; que le choix & les engagemens sont libres, & ne laissent pas d’excuse à qui peut les rompre. Ce peuple grossier est nécessairement superstitieux, & la superstition déterminera l’espece de son honneur, dans la persuasion que les dieux donnent la victoire à la bonne cause. Les différens se decideront par le combat, & le citoyen, par honneur, versera le sang du citoyen. On croit qu’il y a des fées qui ont un commerce avec les dieux, & le respect qu’on a pour elles, s’étend à tout leur sexe. On ne croit point qu’une femme puisse manquer de fidélité à un homme estimable, & l’honneur de l’époux dépend de la chasteté de son épouse.
Cependant les hommes dans cet état, éprouvent sans cesse de nouveaux besoins. Quelques-uns d’entr’eux inventent des arts, des machines. La société entiere en jouit, l’inventeur est honoré, & l’esprit commence à être un mérite respecté. A mesure que la société s’étend & se polit, il naît une multitude de rapports d’un seul à plusieurs ; les rivalités sont plus fréquentes, les passions s’entreheurtent ; il faut des lois sans nombre ; elles sont séveres, elles sont puissantes, & les hommes forcés à se combatre toujours, le sont à changer d’armes. L’artifice & la dissimulation sont en usage ; on a moins d’horreur de la fausseté, & la prudence est honorée. Mille qualités de l’ame se découvrent, elles prennent des noms, elles ont un usage : elles placent les hommes dans des classes plus distinguées les unes des autres, que les nations ne l’étoient des nations. Ces classes de citoyens ont de l’honneur des idées différentes.
La supériorité des lumieres obtient la principale estime ; la force de l’ame est plus respectée que celle du corps. Le législateur attentif excite les talens les plus nécessaires ; c’est alors qu’il distribue ce qu’on appelle les honneurs. Ils sont la marque distinctive par laquelle il annonce à la nation qu’un tel citoyen est un homme de mérite & d’honneur. Il y a des honneurs pour toutes les classes. Le cordon de S. Michel est donné au négociant habile & à l’artisan industrieux ; pourquoi n’en décoreroit-on pas le fermier intelligent, laborieux, économe, qui fructifie la terre ?
Dans cette société, ainsi perfectionnée, plusieurs hommes, après avoir satisfait aux fonctions de leur état, jouissent d’un repos qui seroit empoisonné par l’ennui sans le secours des arts agréables ; ces arts, dans cette société non-corrompue, entretiennent l’amour de la vertu, la sensibilité de l’ame, le goût de l’ordre & du beau, dissipent l’ennui, fécondent l’esprit ; & leurs productions devenues un des besoins principaux des premieres classes des citoyens, sont honorées de ceux même qui ne peuvent en jouir.
Dans cette société étendue, des mœurs pures paroissent moins utiles à la masse de l’état que l’activité & les grands talens ; ils conduisent aux honneurs, ils ont l’estime générale, & souvent on s’informe à peine si ceux qui les possedent ont de la vertu : bien-tôt on ne rougit plus que d’être sot ou pauvre.
La société se corrompt de jour en jour : on y a d’abord excité l’industrie, & même la cupidité ; parce que l’état avoit besoin des citoyens opulens ; mais l’opulence conduit aux emplois, & la vénalité s’introduit alors. Les richesses sont trop honorées, les emplois, les richesses sont héréditaires, & l’on honore la naissance.
Si le bonheur de plaire aux princes, aux ministres, conduit aux emplois, aux honneurs, aux richesses ; on honore l’art de plaire.
Bien-tôt il s’éleve des fortunes immenses & rapides ; il y a des honneurs sans travail, des dignités, des emplois sans fonctions. Les arts de luxe se multiplient, la fantaisie attache un prix à ce qui n’en a pas ; le goût du beau s’use dans des hommes desœuvrés qui ne veulent que jouir ; il faut du singulier, les arts se dégradent, le frivole se répand, l’agréable est honoré plus que le beau, l’utile & l’honnête.
Alors les honneurs, la gloire même, sont séparés du véritable honneur ; il ne subsiste plus que dans un petit nombre d’hommes, qui ont eu la force de s’éclairer & le courage d’être pauvres : l’honneur de préjugé est éteint ; & cet honneur qui soûtenoit la vigueur de la nation, ne regne pas plus dans les secondes & dernieres classes que le véritable honneur dans la premiere.
Mais dans une monarchie, celui de tous les gouvernemens qui réforme le plus aisément ses abus & ses mœurs sans changer de nature, le législateur voit le mal, tient le remede, & en fait usage.
Que dans tous les genres il décore de préférence les talens unis à la vertu, & que sans elle le génie même ne puisse être ni avancé ni honoré, quelque utile qu’il puisse être ; car rien n’est aussi utile à un état que le véritable honneur.
Que le vice seul soit flétri, qu’aucune classe de citoyens ne soit avilie, afin que dans chaque classe tout homme puisse bien penser de lui-même, faire le bien, & être content.
Que le prince attache l’idée de l’honneur & de la vertu à l’amour & à l’observation de toutes les lois ; que le guerrier qui manque à la discipline soit deshonoré comme celui qui fuit devant l’ennemi.
Qu’il apprenne à ne pas changer & à ne pas multiplier ses lois ; il faut qu’elles soient respectées, mais il ne faut pas qu’elles épouvantent. Qu’il soit aimé ; dans un pays où l’honneur doit regner, il faut aimer le législateur, il ne faut pas le craindre.
Il faut que l’honneur donne à tout citoyen l’horreur du mal, l’amour de son devoir ; qu’il ne soit jamais un esclave attaché à son état, mais qu’il soit condamné à la honte, s’il ne peut faire aucun bien.
Que le prince soit persuadé que les vertus qui fondent les sociétés, petites & pauvres, soûtiennent les sociétés étendues & puissantes ; & les Mandevill & leurs infâmes échos ne persuaderont jamais aux hommes que le courage, la fidélité à ses engagemens, le respect pour la vérité & pour la justice ne sont point nécessaires dans de grands états.
Qu’il soit persuadé que ces vertus & toutes les autres accompagneront les talens, quand la célébrité & la gloire du génie ne sauveront pas de la honte des mauvaises mœurs : l’honneur est actif, mais le jour où l’intrigue & le crédit obtiennent les honneurs est le moment où il se repose.
Les peuples ne se corrompent guere sans s’être éclairés ; mais alors il est aisé de les ramener à l’ordre & à l’honneur : rien de si difficile à gouverner mal, rien de si facile à gouverner bien, qu’un peuple qui pense.
Il y a moins dans ce peuple les préjugés & l’enthousiasme de chaque état, mais il peut conserver le sentiment vif de l’honneur.
Que l’industrie soit excitée par l’amour des richesses & quelques honneurs ; mais que les vertus, les talens politiques militaires ne soient excités que par les honneurs ou par la gloire.
Un prince qui renverse les abus dans une partie de l’administration, les ébranle dans toutes les autres : il n’y a guere d’abus qui ne soient l’effet des vices, & n’en produisent.
Enfin, lorsque le gouvernement aura ranimé l’honneur, il le dirigera, il l’épurera ; il lui ôtera ce qu’il tenoit des tems de barbarie, il lui rendra ce que lui avoit ôté le regne du luxe & de la mollesse ; l’honneur sera bien-tôt dans chaque citoyen, la conscience de son amour pour ses devoirs, pour les principes de la vertu, & le témoignage qu’il se rend à lui-même, & qu’il attend des autres, qu’il remplit ses devoirs, & qu’il suit les principes.
Honneur, (Mytholog.) divinité des anciens Romains. Ils étoient bien dignes d’encenser ses autels, & d’entrer dans son sanctuaire ; il leur appartenoit de multiplier ses temples & ses statues. Quintus Maximus ayant montré l’exemple à ses concitoyens, Marcus Claudius Marcellus crut pouvoir encore renchérir ; celui qu’on avoit nommé l’épée de Rome, qui fut cinq fois consul, qui, rempli d’estime pour Archimede, pleura sa mort, & ne s’occupa que du desir de conserver ses jours en assiégeant Syracuse ; un tel homme, dis-je, pouvoit hardiment bâtir un même temple à l’Honneur & à la Vertu. Ayant cependant consulté les pontifes sur ce noble dessein, ils lui répondirent qu’un seul temple seroit trop petit pour deux si grandes divinités ; Marcellus goûta leurs raisons. Il fit donc construire deux temples à la fois, mais voisins l’un de l’autre, & bâtis de maniere qu’il falloit passer par celui de la Vertu, pour arriver à celui de l’Honneur ; c’étoit une belle idée, pour apprendre qu’on ne pouvoit acquérir le véritable honneur que par la pratique de la vertu. On sacrifioit à l’Honneur la tête découverte, pour marquer le respect infini qu’on devoit porter à cette divinité.
Elle est représentée sur plusieurs médailles sous la figure d’un homme, qui tient la pique de la main droite, & la corne d’abondance de l’autre. Mais j’aime mieux celles où, au lieu de pique, l’on voit une branche d’olivier, symbole de la paix. C’est ainsi qu’elle est sur des médailles de Titus ; ce prince qui, comptant ses jours par ses bienfaits, mettoit son honneur & sa gloire à procurer la paix & l’abondance. (D. J.)
Honneur se prend encore en divers sens ; ainsi l’on dit, rendre honneur à quelqu’un : alors c’est une marque extérieure par laquelle on montre la vénération, le respect qu’on a pour la personne ou pour la dignité.
On dit le point d’honneur. Voyez Point d’honneur.
Les conseillers d’honneur sont ceux qui par un titre particulier, ou par une prérogative attachée à leurs places, ont droit d’entrer dans les compagnies pour y juger, ou y avoir séance. Il y a des ecclésiastiques, des gens d’épée, qui entrent au conseil d’état comme conseillers d’honneur.
On appelle chevaliers d’honneur, les écuyers & ceux qui donnent la main aux reines & aux princesses.
Dames d’honneur, filles d’honneur, celles qui ont cette qualité dans leur maison, dans leur suite. Enfans d’honneur, les gentilhommes qui sont élevés pages chez les grands.
Les honneurs du louvre sont certains privileges affectés à quelques dignités, aux charges, particulierement à celles de duc & pair, de chancelier, &c. comme d’entrer au louvre en carrosse, d’avoir le tabouret chez la reine, &c.
Les honneurs de la maison, d’un repas, sont certaines cérémonies qu’on observe en recevant des visites, en faisant des fêtes, & qu’on rend par soi-même, ou par quelque personne à qui on en commet le soin, comme d’aller recevoir les personnes, ou les reconduire avec soin, de les bien placer, de leur servir les meilleurs morceaux, &c. & de faire toutes ces choses d’une maniere agréable & polie.
Les honneurs de ville sont des charges & fonctions que les bourgeois briguent pour parvenir à l’échevinage. Il a été commissaire des pauvres, marguillier de sa paroisse, juge-consul, quartenier, conseiller de ville, & enfin échevin : il a passé par tous les honneurs de la ville.
Les honneurs de l’église sont les droits qui appartiennent aux patrons de l’église & aux seigneurs hauts-justiciers, comme la recommandation au prône, l’encens, l’eau-benite, la premiere part du pain-beni, &c.
Les honneurs est un nom qu’on donne aux principales pieces qui servent aux grandes cérémonies, aux sacres des rois & des prélats, aux baptêmes, &c comme le crémeau, les cierges, le pain, le vin, &c. C’étoient tels seigneurs, telles dames, qui portoient les honneurs en une telle cérémonie.
Dans les obseques, on présentois autrefois les honneurs, c’est-à-dire, l’écu, le timbre, l’épée, les gantelets, les éperons dorés, le pennon, la banniere, le cheval, &c.
Les honneurs funebres sont les pompes & cérémonies qui se font aux enterremens des grands, comme tentures, herses, oraisons funebres, &c.
Les honneurs au jeu des cartes, ce sont les peintures ; le roi, la dame, le valet, les matadors à l’hombre.
On appelle point d’honneur, en termes de Blason, une place dans l’écu qui est au milieu de l’espace enfermé entre le chef & la fasce, ou le lieu où on les place ordinairement. On appelle aussi quartier d’honneur, le premier quartier ou canton du chef. Voyez Point & Ecu.
Honneur, terme de commerce de lettre de change. Faire honneur à une lettre de change, c’est l’accepter, & la payer en considération du tireur, quoiqu’il n’ait pas encore remis les fonds. Vous pouvez toûjours tirer sur moi, je ferai honneur à vos lettres.
Faire honneur à une lettre de change, s’entend encore d’une autre maniere ; c’est quand une lettre de change ayant été protestée, un autre que celui sur qui elle a été tirée, veut bien l’accepter, & la payer pour le compte du tireur ou de quelque endosseur. Voyez Endosseur, Lettre de change, Protest & Tireur. Diction. de commerce. (G)