L’Encyclopédie/1re édition/GÉNÉRALITÉ

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GÉNÉRALITÉ, s. f. (Politique.) est une certaine étendue de pays déterminée par la jurisdiction d’un bureau des finances. L’établissement de ces bureaux, & les divisions des provinces en généralités, ont eu pour objet de faciliter la régie des finances du Roi. C’est aux généraux des finances qu’est due l’origine des généralités.

Sous les deux premieres races, nos rois n’avoient point d’autres recettes que les revenus de leurs propres domaines ; bien avant sous la troisieme, on ne parloit point de généralités, parce qu’il n’existoit point de receveurs généraux. Il n’y avoit alors qu’un seul officier qui avoit l’intendance & l’administration du domaine ; c’étoit le grand trésorier de France.

Ce fut à l’occasion des guerres pour la Religion, que Louis le jeune le premier obtint la vingtieme partie du revenu de ses sujets pour quatre ans. Il commença à lever cette taxe en 1145 pour le voyage de la Terre-Sainte ; Philippe Auguste son fils, se fit donner la dixme des biens meubles des laïcs, & le dixieme du revenu des biens de l’Eglise. En 1188 saint Louis établit une aide dans le royaume, & leva en 1247 le vingtieme du revenu. En 1290[1] Philippe-le-Bel mit une aide sur les marchandises qu’on vendoit dans le royaume. Philippe-le-Long introduisit le droit de gabelle sur le sel en 1321 ; ces subsides continuerent sous Charles le-Bel, & sous Philippe de Valois.

Jusques-là les impositions furent modiques & passageres ; il n’y avoit pour veiller à cette administration que le grand trésorier : Philippe de Valois en ajoûta un second.

Ce ne fut que sous le roi Jean, que les aides & gabelles prirent une forme, qui encore ne fut rendue stable & fixe que par Charles VII.

Le roi Jean pour prévenir les cris du peuple, donna un édit daté du 28 Décembre 1355, par lequel il établit certains receveurs & neuf personnes, trois de chaque ordre, que les trois états, du consentement du roi, choisissoient & nommoient, pour avoir l’intendance & la direction des deniers de subside.

On nommoit élus & grenetiers, ceux qui devoient veiller sur les aides & gabelles particulieres des provinces ; on appelloit les autres généraux, parce qu’ils avoient l’inspection générale de ces impositions partout le royaume. Voilà l’époque du parfait établissement des généraux des finances : ils furent établis alors tant pour la direction des deniers provenans des aides, que pour rendre la justice en dernier ressort sur le fait des aides[2].

Aux états tenus à Compiegne en 1358 sous le régent Charles, pendant la prison du roi Jean son pere, on élut trois généraux dans chacun des trois ordres. Les états les nommoient, le roi les confirmoit ; c’étoit entre ses mains ou de ses officiers, qu’ils faisoient le serment de remplir leurs fonctions avec honneur & fidélité.

Charles V. parvenu à la couronne, outre les aides, sorte d’imposition sur les marchandises, établit par feux l’impôt qu’on nomma foüage, par lettres du 20 Novembre 1379. Alors il supprima tous les receveurs généraux des aides, & n’en laissa qu’un résident à Paris. Depuis ce fut toûjours le roi qui institua & destitua les généraux à sa volonté.

Ce qu’on appelloit foüage sous Charles V. on le nomma taille sous Charles VI. La commission de lever ces deniers étoit donnée aux favoris du prince ; c’étoient les personnes les plus qualifiées de la cour, les plus distinguées dans l’état ecclésiastique & parmi la noblesse, qui les remplissoient. Charles V. par ordonnance du 17 Avril 1364 rétablit trois généraux des finances, à qui il donna un pouvoir universel pour gouverner les finances du royaume ; il fixa leurs fonctions le 22 Février 1371.

Ce fut vers ce tems que les généraux des finances, pour mieux veiller à la direction des deniers, & pour prendre une connoissance plus exacte du domaine de la couronne, se départirent en Languedoc, en Languedouy, en outre Seine & Yonne, & en Normandie ; ce qui composoit alors tout le royaume. Voilà la premiere notion qu’on puisse donner des généralités, qui étoient au nombre de quatre.

Dans leurs tournées les généraux s’informoient de la conduite des élus, receveurs, & autres officiers soûmis à leur jurisdiction. Ils examinoient s’ils se comportoient avec équité tant envers le roi, que par rapport à ses sujets ; ils avoient le pouvoir d’instituer & de destituer les élus, grenetiers, contrôleurs, receveurs, & sergens des aides.

Des le tems de Charles VI. on commença à mettre quelque distinction entre les généraux des finances, & les généraux de la justice, comme il paroît par l’ordonnance du 9 Février 1387, où le roi nomma quatre généraux, deux pour la finance, & deux pour la justice[3]. Cette distinction de généraux des finances des aides, & généraux de la justice des aides, dura jusques vers la fin du regne de François premier, qui au mois de Juillet 1543, érigea ces offices en cour souveraine, sous le nom de cour des aides. Les officiers furent nommés conseillers généraux sur le fait des aides, nom qu’ils ont conservé jusqu’en 1654.

Le même roi François premier créa 16 recettes générales pour toutes sortes de deniers, soit du domaine, des tailles, aides, gabelles, ou subsides. Ces recettes furent établies dans les villes de Paris, Châlons, Amiens, Roüen, Caën, Bourges, Tours, Poitiers, Issoire, Agen, Toulouse, Montpellier, Lyon, Aix, Grenoble & Dijon. Dans chacune de ces villes, le roi nomma un receveur général ; voilà déjà seize généralités formées.

Henri second créa un trésorier de France & un général des finances dans chaque recette générale établie par son prédécesseur. Il créa une dix-septieme généralité à Nantes ; il réunit dans un même office les charges de trésoriers de France & de généraux des finances, & voulut que ceux qui en seroient revétus fussent appellés dans la suite trésoriers généraux de France, ou trésoriers de France & généraux des finances.

Par édit du mois de Septembre 1558, le même roi créa deux autres recettes générales ; l’une à Limoges, composée d’un démembrement des généralités de Riom & de Poitiers ; l’autre à Orléans, démembrée de la généralité de Bourges. Ces deux généralités furent supprimées bien-tôt après, & ne furent rétablies que sous Charles IX. au mois de Septembre 1573.

Sur les remontrances des états généraux tenus à Orléans, Charles IX. au mois de Février 1566 réduisit les dix-sept anciennes recettes générales au nombre de sept, qui étoient Paris, Rouen, Tours, Nantes, Lyon, Toulose & Bordeaux ; mais la réduction n’eut pas d’effet.

Henri III. établit des bureaux des finances dans chaque généralité, au mois de Juillet 1577. Par lettres-patentes du six Avril 1579, le roi réduisit les dix-neuf généralités (celles de Limoges & d’Orléans étoient rétablies) au nombre de huit ; & le 26 du même mois, il les rétablit. La généralité de Limoges fut encore supprimée au mois de Décembre 1583, & rétablie au mois de Novembre 1586.

Ce fut encore Henri III. qui créa la généralité de Moulins au mois de Septembre 1587. Henri IV. au mois de Novembre 1594 érigea une nouvelle généralité à Soissons ; en 1598 il supprima tous les bureaux des finances, & les rétablit au mois de Novembre 1608.

Au mois de Novembre 1625, Louis XIII. créa des bureaux des finances & des généralités à Angers, à Troyes, à Chartres, à Alençon, & à Agen[4], qu’il supprima au mois de Février 1626. Il en érigea une à Grenoble pour le Dauphiné au mois de Décembre 1627 (la généralité dans cette ville lors de la grande création par Henri second, avoit été supprimée) : le même roi créa un bureau des finances & une recette générale à Montauban, au mois de Février 1635 ; il établit aussi une nouvelle généralité à Alençon au mois de Mai 1636 ; au mois d’Avril 1640, il en avoit institué une à Nîmes, qu’il supprima au mois de Janvier 1641.

Louis XIV. aux mois de Mai & de Septembre 1645, créa des généralités à la Rochelle, à Chartres & à Angers : elles furent supprimées bien-tôt après. Il en établit encore une dans la ville de Beaucaire au mois de Juin 1646, qu’il révoqua tout de suite. Il en érigea une à Metz, au mois de Novembre 1661, une autre à Lille au mois de Septembre 1691. Par même édit du mois d’Avril 1694, le roi rétablit la généralité de la Rochelle, & créa celle de Rennes. Au mois de Février 1696, il établit celle de Besançon, mais les charges des trésoriers furent réunies à la chambre des comptes de Dole. Par édit du mois de Septembre 1700, le roi supprima le bureau des finances qu’il avoit établi à Rennes, & qui depuis avoit été transféré à Vannes. Louis XIV. avoit encore érigé une généralité à Ypres pour la Flandre occidentale au mois de Février 1706.

Louis XV. par un édit du mois d’Avril 1716, registrée en la chambre des comptes de Paris le 6 Mai suivant, créa un bureau des finances & une généralité à Ausch pour la province de Gascogne. Il composa cette généralité d’élections démembrées des généralités de Bordeaux & de Montauban.

Il y a actuellement en France vingt-cinq généralités ; dix-neuf dans les pays d’élection, & six dans les pays d’états : le premieres sont Paris, Châlons, Soissons, Amiens, Bourges, Tours, Orléans, Roüen, Caën, Alençon, Poitiers, Limoges, la Rochelle, Bordeaux, Montauban, Lyon, Riom, Moulins, & Ausch ; les autres sont Bretagne, Bourgogne, Dauphiné, Provence, Montpellier, & Toulouse.

Dans chaque généralité il y a plusieurs élections ; chaque élection est composée de plusieurs paroisses.

Sous Louis XIII. en 1635, on commença à envoyer dans les généralités du royaume des maîtres des requêtes en qualité d’intendans de justice, police, & finances ; on les nomme aussi commissaires départis dans les provinces pour les intérêts du roi & le bien du public dans tous les lieux de leurs départemens.

Il n’y a dans la France considérée comme telle, que vingt-quatre intendans pour vingt-cinq généralités, parce que celles de Montpellier & de Toulouse sont sous le seul intendant de Languedoc. Mais il y en a encore sept departis dans la Flandre, le Haynaut, l’Alsace, le pays Messin, la Lorraine, la Franche-Comté, & le Roussillon. Voyez l’article Intendant.

Il y a aussi dans chaque généralité deux receveurs généraux des finances, qui sont alternativement en exercice ; ils prennent des mains des receveurs des tailles les deniers royaux, pour les porter au trésor royal.

La division du royaume en généralités, comprend tout ce qui est soûmis en Europe à la puissance du roi. Comme cette division a sur-tout rapport aux impositions, de quelque nature qu’elles soient, aucun lieu n’en est excepté ; il en est cependant où le roi ne leve aucune imposition, & dont, par des concessions honorables, les seigneurs joüissent de plusieurs droits de la souveraineté : telle est en Berry la principauté d’Enrichemont, appartenant à une branche de la maison de Bethune ; en Bresse, celle de Dombes ; & telle étoit aussi la principauté de Turenne, avant que le Roi en eût fait l’acquisition. Dans ces principautés, les officiers de justices royales, les intendans ni les bureaux des finances n’ont aucune autorité directe.

Comme les généralités ont été établies, supprimées, réunies, divisées en différens tems sans rapport à aucun projet général ; que le royaume a aussi changé de face en différens tems par les conquêtes de nos rois & les traités avec les princes voisins, & enfin par les différentes natures de droits & d’impôts qui ont été établis en différentes circonstances, & avec des arrondissemens particuliers, suivant la différente nature du pays, & autres impositions plus anciennes auxquelles on les assimiloit pour une plus facile perception ; il n’est pas surprenant que les généralités soient aussi mal arrondies qu’elles le sont : les unes sont trop fortes pour qu’un seul homme puisse porter par-tout une attention égale, & sur-tout depuis que les besoins de l’état ont obligé à augmenter les charges du peuple ; d’autres sont trop petites eu égard aux premieres ; & ces dernieres cependant sont bien suffisantes pour occuper tout entier un homme attentif & laborieux. Dans la même généralité, il se trouve des cantons tout entiers où certaines natures de droits se perçoivent sous l’autorité du commissaire départi d’une autre province : il y a même des paroisses dont une partie est d’une généralité, & l’autre partie d’une autre ; ce qui donne souvent lieu à des abus & des difficultés. Maintenant que le royaume paroît avoir pris toute la consistence dont il est susceptible, il seroit à souhaiter qu’il se fît un nouveau partage des généralités, qui les réduiroit à une presque-égalité, & dans lequel on auroit égard aux bornes que la nature du pays indique, à la nature des impositions, & aux formes d’administration particulieres à chaque province. S’il ne s’agissoit dans ce partage que de dispenser entre un certain nombre d’intendans l’administration de toutes les parties, ce seroit une opération fort aisée ; comme ils n’ont que des commissions, on leur feroit à chacun telle part de cette administration qui conviendroit le mieux au bien des affaires : mais la multitude des charges relatives aux impositions, & dont les finances ont été fixées eu égard aux droits ou à l’étendue de jurisdiction qui leur étoient accordés sur ces impositions mêmes, ou sur un nombre déterminé de paroisses ; telles que les charges de receveurs généraux des finances, receveurs des tailles, trésoriers de France, élus, officiers de greniers à sel, & autres pareils offices : cette multitude de charges, dis-je, donneroit lieu à de grandes difficultés : & c’est sans doute le motif qui empêche le conseil d’y penser.

Voyez, pour l’établissement & succession des généralités, Pasquier, recherches de la France, liv. VII. & VIII. Miraumont, Fournival ; les registres de la chambre des comptes ; les mémoires sur les priviléges & fonctions des trésoriers généraux de France, imprimés à Orléans en 1745 ; l’état de la France, imprimé à Paris en 1749, tome V. à l’article des généralités ; le Dictionnaire encyclopédique, tome IV. au mot Cour des Aides.


  1. Il est le premier qui jugea à propos d’assembler les états de son royaume, pour dédommager un peu le peuple de ces impositions.
  2. Il en falloit quatre, ou trois au moins, pour la répartition & direction des deniers : deux suffisoient pour rendre la justice, même avec force d’arrêt.
  3. On peut fixer à cette division l’origine de la cour des aides, & ses distinctions avec les trésoriers de France.
  4. La généralité créée à Agen en 1551, avoit été transférée à Bordeaux avant 1566.