L’Encyclopédie/1re édition/GOUTTE

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GOUTTE, s. f. (Physiq.) petite portion de fluide détachée du reste.

La forme sphérique que prennent les gouttes des fluides, n’a pas laissé que d’embarrasser les Philosophes. L’explication que l’on en donnoit autrefois, étoit que la pression égale & uniforme du fluide environnant ou de l’atmosphere, obligeoit les gouttes à prendre cette figure ; mais cette raison n’est plus recevable depuis que nous savons que le même phénomene a lieu dans le vuide, comme en plein air.

Les philosophes Newtoniens l’attribuent à l’attraction, laquelle étant mutuelle entre les parties du fluide, les concentre, pour ainsi dire, & les rapproche les unes des autres aussi près qu’il est possible ; ce qui ne sauroit arriver, sans qu’elles prennent une forme sphérique.

Voici comme s’explique sur ce sujet M. Newton : Guttæ enim corporis cujusque fluidi, ut figuram globosam inducere conentur, facit mutua partium suarum attractio ; codem modo quo terra mariaque in rotunditatem undique conglobantur, partium suarum attractione mutuâ, quæ est gravitas. Opt. page 338. Voyez Attraction.

En effet, si on imagine plusieurs corpuscules semblables qui s’attirent mutuellement, & qui par leur attraction se joignent les uns aux autres, ils doivent nécessairement prendre la figure sphérique, puisqu’il n’y a point de raison pourquoi un de ces corpuscules sera placé sur la surface de la goutte d’une autre maniere que tout autre corpuscule, & que la figure sphérique est la seule que la surface puisse prendre pour que toutes les parties du fluide soient en équilibre. Quoique cette explication soit plausible, du moins en admettant le principe de l’attraction, cependant il ne faut pas abuser de ce principe pour expliquer le phénomene de l’adhérence des particules fluides. Voyez Adhérence & Cohésion. (O)

Goutte & Gouttes, (Pharmacie.) La goutte est la plus petite mesure des liquides.

Le poids d’une goatte est évalué par approximation à un grain. On conçoit que ce poids doit varier selon la pesanteur spécifique ou la tenacité de chaque liquide.

On prescrit par gouttes les liqueurs qu’on employe à très petite dose pour l’usage intérieur ; telles que les baumes, les huiles essentielles, les élixirs, les mixtures, les esprits alkalis volatils, certaines teintures.

Quelques liqueurs composées de cette classe, ont tiré de cet usage d’être ordonnées par gouttes le nom de gouttes. C’est sous ce nom que les mixtures magistrales qui agissent à très-petite dose, sont ordonnées communément, quoique l’on puisse déterminer par gros, & même par cuillerées, la quantité de ce remede excédent trente ou quarante gouttes.

C’est cette forme de remede qui est appellée dans Gaubius (method. concinnandi formulas medicament.) mixtura contracta ; & dans Juncker, (consp. therap. gen.) mixtura concentrata.

On trouve dans les pharmacopées plusieurs compositions sous le nom de gouttes. Celle de Paris en renferme deux : savoir, les gouttes d’Angleterre anodynes, & les gouttes d’Angleterre céphaliques.

Gouttes d’Angleterre anodvnes. Prenez d’écorce de sassatras, de racine de cabaret, de chacun une once ; de bois d’aloës demi-once ; d’opium choisi deux gros ; de sels volatils de crane humain & de sang humain, de chacun demi-gros ; d’esprit-de-vin rectifié une livre : digérez à une chaleur douce pendant vingt jours, décantez & gardez pour l’usage dans un vaisseau fermé.

L’opium est dans cette préparation environ une quarante-huitieme partie du tout ; par conséquent il faut en donner deux scrupules ou environ cinquante gouttes, pour avoir un remede narcotique répondans à un grain d’opium.

Gouttes d’Angleterre céphaliques. Prenez de l’esprit volatil de soie crue avec son sel, quatre onces ; d’huile essentielle de lavande un gros ; d’esprit-devin rectifié demi-once : faites digérer pendant vingt quatre heures, & distillez doucement au bain marie jusqu’à ce qu’il s’éleve de l’huile ; gardez pour l’usage. Voyez à l’art. suivant un procedé un peu différent.

Ce n’est ici proprement qu’un esprit volatil aromatique huileux ; il ne differe de celui qu’on trouve sous ce nom générique dans la pharmacopée de Paris, qu’en ce que sa composition est beaucoup plus simple que celle de celui-ci, & qu’on y employe un alkali volatil plus gras, celui de soie, au lieu de celui de sel ammoniac ; mais ces différences ne sont point essentielles quant aux vertus medecinales. V. Esprit volatil aromatique huileux. (b)

Gouttes de Goddard, (Chim.) remede chimique qui a fait autrefois beaucoup de bruit, & qui a été fort vanté pour les vertus qu’on lui attribuoit dans les foiblesses, l’assoupissement, la léthargie, l’apoplexie, & autres maladies aussi graves.

Goddard son inventeur exerçoit la Medecine à Londres avec réputation sous le regne de Charles II. Ce prince eut bien de la peine à obtenir de lui son secret pour vingt-cinq mille écus ; mais enfin il le lui vendit cette somme par respect & par égard : c’est ce qui a fait donner à ce remede en France le nom de gouttes d’Angleterre, qu’on appelloit dans le pays gouttes de Goddard.

Charles II. ne tarda pas à communiquer à ses medecins la composition des gouttes de Goddard ; cependant elle a été long-tems un mystere, connu seulement de quelques anglois qui le cachoient aux étrangers. Mais Lister célebre par divers ouvrages, persuadé que cette jalousie de nation est ennemie du genre humain, découvrit la préparation à M. de Tournefort, qui l’a rendue publique. La voici.

Prenez de la soie crue, remplissez-en une cornue luttée ; donnez-y un feu doux, il en sortira un phlegme, un sel volatil, & une huile qui se fige comme du beurre. Prenez quatre onces de sel volatil, une dragme d’huile de lavande & huit onces d’esprit-devin ; mettez le tout dans une petite cornue de verre, adaptez-y un récipient, luttez les jointures ; placez-la sur le feu de sable, le sel passera d’abord en forme seche ; ensuite viendra l’esprit éthéré de lavande & de vin imprégné du sel volatil : voilà les gouttes de Goddard.

Ces gouttes ne sont donc que l’esprit volatil de soie crue, rectifié avec l’huile essentielle de lavande ; & M de Tournefort a trouvé par expérience qu’elles n’ont aucun avantage sur les préparations de la corne de cerf & du sel ammoniac, si ce n’est par une odeur plus supportable.

Cependant leur préparation nous apprend comment il faut faire les sels volatils huileux. En effet, au lieu de sel de la soie, on peut se servir de sel ammoniac & du tartre en parties égales. On met le mélange dans une cucurbite de verre ou de grès, on y verse de bon esprit-de-vin jusqu’à ce qu’il surpasse la matiere de quatre doigts ; on brouille les matieres, on ajuste un chapiteau & un récipient à la cucurbite, on lutte les jointures, on pose le vaisseau sur le sable ; on lui donné un feu leger durant deux ou trois heures, il vient un sel & un esprit ; lorsqu’il ne sort plus rien, on délutte les vaisseaux, on met le sel volatil dans une cucurbite ; sur une once, on verse deux dragmes de quelque essence aromatique, on remue la matiere, on adapte un chapiteau à la cucurbite avec un récipient, on lutte les jointures, on pose cette cucurbite sur le sable ; on lui donne un petit feu, il s’élevera un sel volatil ; & alors vous laisserez refroidir le vaisseau pour retirer votre sel.

Ces sels volatils huileux passerent dans les commencemens pour des panacées, de sorte qu’on les multiplia de tous côtés. De-là vinrent plusieurs sortes de liqueurs ou de teintures qu’on appella indistinctement gouttes d’Angleterre, & que l’on confondit souvent au grand préjudice des malades, puisque les unes étoient de simples mélanges de sels ou esprits volatils & d’essences aromatiques, & les autres étoient des mélanges de teinture d’opium distillé, & de quelques esprits volatils. Or on sent bien que les opérations de ces deux différens remedes, sous le même nom, devoient être très-différentes. Aujourd’hui les gouttes d’Angleterre ou de Goddard ont fait place à d’autres remedes du même genre, sel d’Angleterre, teinture de karabé, esprit-de-sel ammoniac, & plusieurs autres semblables à qui l’on donne tous les jours de nouveaux noms pour renouveller leur débit ; & cette ruse ne manquera jamais de succès. (D. J.)

Goutte, parmi les Horlogers ; c’est une petite plaque ronde convexe d’un côté, & plate ou concave de l’autre ; on l’appelle aussi quelquefois goutte de suif. Dans une montre la goutte de la grande roue sert à la maintenir toûjours contre la base de la fusée. Cette goutte est souvent quarrée, pour qu’on puisse la prendre avec des pincettes, & l’enfoncer avec force sur l’arbre de la fusée. Elle est ordinairement noyée dans la petite creusure de la grande roue, qui est opposée à celle où est l’encliquetage. Voyez Fusée, Grande Roue, &c. Voyez nos Planches de l’Horlogerie, & leur explication. (T)

GOUTTE, s. f. (Medecine.) maladie, douleur des jointures ou articulations.

La goutte signifie en françois ce que les Grecs ont désigné par le mot ἀρθρῖτις dérivé d’ἄρθρον, jointure ou articulation ; & les Latins, par morbus articularis, dolor juncturarum.

Les auteurs latins, dit Sennert, se sont barbarement servis du mot gutta, goutte, pour nommer quelques maladies aiguës ou chroniques, fort différentes entr’elles. De l’aveu du plus grand nombre, ils ont donné ce nom aux maladies brusques, subites, indépendantes d’aucune cause connue, qui frappent tout-d’un-coup, & qui semblent tomber du ciel comme une goutte de pluie ; telles sont l’apoplexie, l’épilepsie, la crampe, &c. Ils l’ont aussi donné aux maladies, pour la production desquelles ils ont cru qu’il suffisoit d’une ou de quelques gouttes de l’humeur propre à les engendrer : telle est la goutte serene, la goutte rose, & la maladie dont il est question, qui s’est acquise le droit & le privilége de porter le nom de goutte, comme par excellence.

C’est la douleur des articulations, lorsqu’elle est l’effet d’une cause cachée & ignorée, qui caractérise la goutte. La douleur qui suit les luxations, les entorses, les foulures, les coups, les chûtes, les violens exercices du corps, les grandes fatigues, la fievre, le mauvais régime, &c. qui sont des causes évidentes, ne porte point le nom de goutte ; les douleurs même, si ressemblantes à la goutte, si analogues avec elle, peut-être aussi violentes, aussi intolérables, qui y dégenerent quelquefois, qui attaquent plusieurs articulations en même tems, souvent toutes ensemble, ou qui les parcourent successivement, ces douleurs ne sont point goutte, quand elles sont l’effet d’une cause connue ou d’une intempérie de chaud & de froid, mais rhumatisme. Voyez Rhumatisme ou Catarrhe.

Il y a lieu de penser que les anciens n’ont pas fait la différence de ces maladies, comme nous la faisons, & qu’ils ont donné le même nom d’arthritis à toutes les douleurs des articulations, soit goutteuses, rhumatiques ou catarrhales, comme l’observe & le pratique Gainerius, de ægritudine juncturarum, cap. j. Aussi ne trouve-t-on ni nom, ni description de rhumatisme dans les ouvrages des premiers medecins jusqu’au tems de Galien, à qui Cardan ne laisse pas de reprocher qu’il confond l’arthritis avec la podagre.

Description. La goutte est cette douleur vive & presque toûjours brûlante des articulations, qui, à l’âge de 30 à 40 ans, comme l’a si bien décrit Sydenham, commence sans aucune raison & en pleine santé par attaquer la jointure du gros doigt du pié, & du pié gauche le plus souvent, quelquefois le talon ou la cheville, & quelquefois aussi, mais rarement, quelqu’une des articulations des doigts de la main, qui s’annonce ordinairement à la fin de Janvier ou au commencement de Février par un tiraillement & un déchirement à la partie affectée, qui sur les deux heures après minuit éveillent le patient en sursaut, vont en augmentant jusqu’au matin, redoublent encore le soir, & ne se calment que le lendemain vers la pointe du jour, qui au bout des premieres 24 heures produisent un peu de gonflement, de la rougeur à la peau, l’élévation & l’engorgement des veines, une chaleur, & quelquefois un feu semblable à celui d’un tison embrasé qu’on sent avec la main en l’approchant d’assez loin ; enfin une impuissance au mouvement & une imbécillité de forces, qui rendent la partie attaquée incapable d’aucun exercice.

La goutte prélude souvent par quelque douleur irréguliere à quelque doigt des piés & des mains, & par la débilité de l’articulation attaquée, qui se dissipe sans qu’on sache pourquoi, comme elle étoit venue : c’est en ce cas qu’elle est méconnue, & qu’on ne manque pas d’en accuser un soulier, un faux-pas, quelque coup, une entorse, &c. Elle ne se fait connoître qu’en se mettant en regle, lorsque l’excès de la douleur surpasse le pouvoir de la cause qu’on accusoit ; & lorsque ses retours, sa durée, son siége, & ses autres accidens viennent à la caractériser, à dissiper un doute dans lequel on se plaisoit, & à manifester une vérité qu’on eût voulu pour son repos ignorer pour jamais.

La douleur qui s’étoit d’abord fixée au gros doigt du pié, qui n’en avoit affligé qu’un, les attaque dans les paroxysmes suivans tous les deux à-la-fois, ou successivement ; elle s’étend sur le tarse & le métatarse, monte aux malléoles, aux genoux, aux hanches, aux vertebres, tandis qu’elle fait le même progrès des doigts de la main au métacarpe, au carpe, au coude, au bras, à l’épaule, & grimpe enfin jusqu’à l’articulation de la mâchoire, & même jusqu’aux sutures des os du crane. Elle étend son domaine en vieillissant, & toûjours plus cruelle & plus opiniâtre, sans abandonner les premiers membres qu’elle a perclus & rendus presqu’insensibles à force de souffrances, elle s’empare de ceux où le sentiment est encore dans son entier, les parcourt, les ravage, jusqu’à ce que le corps accablé, vaincu, périt enfin sous la violence du mal.

Il n’est aucune articulation, aucune suture qui ne puisse être le siége de la goutte, & qui ne le devienne en effet par succession ou par bizarrerie de la maladie ; mais c’est alors un évenement extraordinaire. Elle se borne communément aux piés, aux mains, & à la hanche, qui sont les trois endroits par où elle a coûtume de débuter. C’est à raison de ces trois siéges ou de ces trois origines principales, que les Grecs lui ont donné des noms particuliers, composés du nom de la partie attaquée & du mot grec ἄγρα, qui signifie capture ou saisissement. Ainsi de ποδον, pié, ils ont fait ποδαγρα, podagre, c’est-à-dire saisissement du pié ou la goutte au pié ; de χείρ, main, ils ont fait χειραγρα, cheiragre, qui est la goutte à la main ; & d’ἴσχιον, hanche, ils ont fait ἴσχιαδα, sciatique, qui est la goutte à la hanche. Voyez Sciatique. Ils auroient pû multiplier les noms autant que les articulations, s’ils eussent été prodigues de choses inutiles, comme l’a entrepris Ambroise Paré. De ces trois grandes sources, & principalement de la podagre, la goutte par succession de tems, par bizarrerie ou par accident, se répand dans les autres articulations, qui deviennent sa proie par extension, ou conjointement, ou séparément ; mais elle n’est presque jamais reconnue pour telle, qu’après avoir débuté de l’une des trois manieres. Aussi Galien remarque-t-il, au sujet de l’aphorisme xxviij. de la sect. 6. que presqu’aucun goutteux ne le devient, qu’il n’ait commencé par être podagre.

La douleur dont l’excès surpasse quelquefois toute patience humaine, n’est pas le seul symptome de la goutte existante ; elle est encore accompagnée d’inquiétudes, d’insomnies, de legers frissons, de mouvemens de fievre, de petites sueurs, de dégoût des alimens, quelquefois de diarrhée, & d’une impuissance ou imbécillité de forces à la partie souffrante, telle qu’elle est incapable d’aucune fonction ou exercice, même quelque tems après la dissipation de la douleur. Ce qu’il y a de remarquable dans cette maladie, c’est que la douleur, à quelque degré qu’elle puisse monter, n’est jamais suivie de convulsions ni de mouvemens convulsifs, & que l’inflammation accompagnée de gonflement, de chaleur brûlante, de battemens, de tiraillemens, &c. ne tourne jamais en suppuration. A l’arrivée du gonflement la douleur diminue ; & quand le gonflement commence à se dissiper, tout se dissipe aussi : il ne reste plus qu’une demangeaison à la peau, dont l’épiderme jaunit peu-à peu, se seche, tombe par lambeaux ou par écailles ; & la partie reprend son état ordinaire, à la réserve qu’elle conserve pendant assez long-tems une couleur violette ou bleue semblable à la meurtrissure, qui succede à la rougeur au premier moment de la déclinaison, & qu’elle devient aussi quelquefois œdemateuse pour quelque tems.

Quoique la goutte, quand elle est nouvelle & d’un caractere benin, ne laisse aucune trace après l’acces parfaitement fini ; en vieillissant, ou lorsqu’elle est d’une mauvaise qualité, elle laisse sur les parties qu’elle attaque des depôts gypseux, tartareux, pierreux, qui usent peu à peu la peau, l’enflamment, & la percent pour se faire jour. Elle contourne aussi les os, les déplace, tuméfie leurs têtes, & détruit enfin, en s’invétérant, le mouvement des membres attaqués hors même le tems des paroxysmes.

Comme l’asthme, la goutte est une maladie intermittente de toute la vie, elle revient presque tous les ans, & souvent plusieurs fois dans la même année ; l’hyver, le printems, l’autonne, sont les tems de ses accès. Leur durée n’a rien de limite, quoiqu’Hippocrate, aphorisme xljx. sect. 6. la fixe à 40 jours. Les premiers ne sont souvent que d’un demi-jour, d’un jour, ou deux, ou trois, &c. ils deviennent plus longs à-mesure qu’ils se répetent ; enfin en vieillissant, ils durent les mois & les saisons entieres ; de sorte que les vieux goutteux souffrent pendant les trois quarts de l’année, & n’ont de libre, encore très-imparfaitement, que le tems des plus fortes chaleurs de l’été. Les paroxysmes qui viennent pendant la maturité de l’âge, & dans les commencemens d’une goutte confirmée, sont les plus douloureux & les plus insupportables ; ils sont chacun composés d’autres petits paroxysmes de dix ou douze heures chaque jour ; les autres qui sont longs, & qui regardent l’âge le plus avancé, sont aussi composés d’autres paroxysmes chacun de plusieurs jours, pendant lesquels les douleurs se soûtiennent au même degré, mais moins insupportables que dans la vigueur de l’âge.

Outre les paroxysmes de la goutte qui reviennent périodiquement, les goutteux sont quelquefois exposés à des accès subits & irréguliers d’une douleur si vive, si véhémente, si intolérable, qui surprend quelque partie du corps, qu’elle jette le souffrant dans le desespoir, & qu’elle seroit capable de lui arracher la vie, si elle ne se dissipoit presqu’aussi brusquement qu’elle arrive. Ils sont aussi sujets à des petites douleurs vagues & irrégulieres indépendantes des accès qui durent plus ou moins, selon les circonstances, & qui peuvent menacer de quelque paroxysme surnuméraire ou de quelque anomalité, selon le siége qu’elle occupent.

Quand la goutte s’est une fois emparée d’un corps, elle y regne seule ordinairement ; les autres maladies en sont presque bannies ; & s’il s’en déclare quelqu’une, elle est fort suspecte d’être une goutte déguisée, à cause de la propriété qu’elle a d’affecter, comme un prothée, toutes sortes de formes. Celle qu’elle s’associe, & qui est sa compagne la plus ordinaire, c’est la pierre dans la vessie, & quelquefois les hémorrhoïdes ; comme si ce n’étoit pas assez d’elle seule pour tourmenter un malheureux goutteux, & qu’il fallût la réunion de deux autres terribles maladies pour achever de le desespérer.

Differences. Les articulations, principalement celles des extrémités, sont le siége naturel de la goutte réguliere qui vient d’être décrite ; mais il n’est aucune partie du corps, ni aucun viscere qui ne puisse le devenir dans son irrégularité. C’est pourquoi on distingue la goutte en réguliere & en irréguliere. Lorsque le levain ne se porte que sur les piés & les mains, comme sur son propre domaine, elle est parfaitement réguliere : lorsqu’il tombe sur les autres articulations, conjointement ou séparément, elle est imparfaitement réguliere ; & même irréguliere, selon quelques auteurs, quand elle affecte les articulations du tronc. Mais ce n’est pas-là la vraie irrégularité. La goutte irréguliere véritable, celle qui mérite le nom d’anomale, qu’on appelle aussi remontée, est celle qui attaque les visceres ou l’intérieur du corps, & qui fait autant de maladies différentes qu’elle afflige de parties, soit qu’elle s’y jette avant de tomber sur les articulations, soit qu’elle abandonne les articulations pour rentrer dans l’intérieur du corps. Il y a des apoplexies, des esquinancies, des fluxions de poitrine, des coliques goutteuses, &c. qui sont l’effet du levain goutteux qui se porte au cerveau, au gosier, sur le poumon, dans le bas-ventre, &c.

La goutte considérée en elle-même, est d’un bon ou d’un mauvais caractere, simple ou noüée : elle est d’un caractere benin, ou benigne, quand ses douleurs sont supportables, qu’elle occupe une petite étendue, qu’elle est bornée aux extrémités, & que les paroxysmes sont courts. Elle est d’un caractere malin, ou maligne, quand les souffrances sont excessives, qu’elle occupe plusieurs membres à-la-fois ou successivement, qu’elle menace l’intérieur en s’attachant au tronc ou à la tête, & que les paroxysmes sont si longs ou se répetent si souvent, qu’elle dure la meilleure partie de l’année. Elle est simple, quand elle se résout parfaitement, & qu’elle ne laisse aucune trace après la solution parfaite de l’accès. Elle est noüée, lorsqu’elle contourne les articulations, qu’elle les déplace, les gonfle, en détruit le mouvement, & qu’elle y laisse des concrétions plâtreuses, pierreuses, &c.

On fait encore plusieurs différences de la goutte ; l’une est récente ou douteuse ; l’autre ancienne ou confirmée. L’une est fixe & sédentaire, quand elle s’attache à la partie qu’elle occupe pendant toute la durée du paroxysme. L’autre est vague, ambulante & indéterminée, quand elle parcourt plusieurs articulations successivement, sans se décider pour aucune. L’une est particuliere, quand elle n’attaque qu’une articulation ou un seul membre. L’autre est universelle, quand elle les attaque tous ou presque tous à la-fois. Enfin l’une est héréditaire, quand elle est transmise par les parens. L’autre est accidentelle, quand elle est acquise & née d’elle-même.

Il a plu à Musgrave, on ne sait pas pourquoi, de considérer la goutte ou comme maladie essentielle & indépendante, ou comme maladie subordonnée & produite par une autre, de distinguer par conséquent la goutte en idiopatique & en symptomatique, & se bornant à cette derniere, de donner un traité détaillé de la filiation de la goutte par le rhûmatisme, le scorbut, la chlorose, l’asthme, &c. Comme s’il n’étoit pas plus raisonnable de croire que la goutte est une maladie toûjours premiere, idiopatique & essentielle ; qu’elle n’est engendrée par aucune autre, & que celles dont il la fait descendre ne sont qu’une goutte déguisée, ou tout-au-plus compliquée avec elles, puisqu’on connoît la propriété qu’elle a de se métamorphoser sous toute sorte de formes, & que selon Musgrave même, elle est très-difficile, pour ne pas dire impossible, à reconnoître avant qu’elle ait pris celle qui lui est propre.

Causes. Nous recevons de nos parens au moment de la conception, ou nous engendrons en nous-mêmes & de notre propre fond, ou, comme le pense Boerhaave, nous acquérons par la communication & la contagion, le levain propre à former la goutte. Ce levain, comme bien d’autres auxquels le corps est sujet, produit tantôt un effet prompt & prématuré, tantôt il n’agit qu’après plusieurs années. Quand il s’est une fois annoncé, & qu’il a donné des marques certaines de son existence, son propre est de se renouveller chaque année, soit que le corps une fois infecté soit capable d’en engendrer une nouvelle quantité, soit que quelque parcelle du premier dompté pour un tems sans être détruit, reprenne vigueur & se multiplie pour former un nouvel accès.

On connoît mieux les effets de ce maudit levain, qu’on n’en connoît ni la nature ni les qualités. A en juger par les principaux, la douleur excessive, la chaleur, les concrétions plâtreuses ou pierreuses ; par les urines épaisses, chargées de caroncules & d’un sédiment tartareux ou plâtreux ; & par son association avec la pierre dans la vessie : on peut croire que sa nature est saline, tartareuse, acre, mordante, & peut-être pierreuse, comme l’a avancé Quercetan dans une consultation sur la goutte & le calcul, & comme n’ose le décider Sydenham.

On ne connoît guere mieux les causes éloignées de la goutte, que la qualité du levain ; la multitude de celles qu’on accuse, ne prouve que trop bien qu’on ignore la plus coupable. Hippocrate a écrit que les bûveurs d’eau, les eunuques, les enfans avant l’âge de puberté, & les femmes avant d’avoir perdu leurs regles, n’étoient point sujets à la goutte. Il en a conclu qu’elle étoit fille de Bacchus & de Vénus. Mais l’expérience a démenti tout ce qu’il a avancé à cet égard ; & tous ceux qui étoient de son tems favorisés d’une heureuse exemption, avoient déjà perdu leur privilége du tems de Galien, & ne joüissent plus d’aucun parmi nous, où le nombre des goutteux tant hommes que femmes, est devenu prodigieux.

On ne sauroit douter que les excès dans tous les genres ne soient capables d’attirer la goutte, comme ils le sont de produire toute autre maladie, telle que l’asthme, la migraine, la néphrétique, &c. mais on ne voit pas assez clairement qu’ils ayent le pouvoir de l’engendrer, non plus que les autres maladies qu’on vient de citer. Tous les excès nuisent, en ce qu’ils épuisent ou qu’ils dérangent les fonctions du corps, & qu’un levain qui seroit peut-être demeuré caché toute sa vie, se trouve par-là disposé à germer comme une semence, à se développer & à produire son action. On ne sauroit pourtant assurer qu’un tel excès, par exemple celui du vin, ait engendré la goutte. Le nombre des goutteux ivrognes est très-petit, & celui des ivrognes non-goutteux très-grand. S’il y a des vins propres à fomenter ou à irriter la goutte, comme on le prétend des vins de Moravie, de Bohème, du Champagne mousseux, &c. il y en a aussi, tels que les vins d’Espagne, de Bourgogne, &c. qui non-seulement ne lui sont point contraires de l’aveu de tout le monde ; mais qui en sont plûtôt le préservatif & le remede, si l’on en croit M. Liger dans son traité de la goutte, & Ambroise Paré qui, liv. XVIII. chap. xjv. rapporte un exemple de guérison par la crapule qu’on n’avoit pu obtenir par aucun autre moyen, & qui la conseille deux ou trois fois le mois pour se préserver de la goutte. La Bourgogne & la Champagne sont presque exemptes de la goutte, selon M. Liger, à cause de leurs vins ; tandis qu’elle est endémique en Flandres & en Normandie, où l’on n’en cueille point. S’il est vrai que ces heureuses provinces n’enfantent point de goutteux, elles deviendront bien-tôt la patrie de ceux qui le sont ; l’agrément du remede autant que ses vertus, augmenteront chaque jour le nombre de ses partisans & de leurs citoyens. Le vin ne doit pourtant pas se trop glorifier encore de sa nouvelle fortune ; l’eau dont personne ne fait excès, & qui avoit été accusée, selon Sennert, de donner la goutte à ceux qui en bûvoient par goût ou par nécessité, joüissoit depuis long-tems de l’honneur d’être un spécifique, quand le vin convaincu d’être le seul coupable est venu le lui enlever ; s’il manque de pouvoir pour soûtenir sa nouvelle réputation, il sera bien-tôt dépossédé. La gloire vraie ou fausse que l’eau & le vin ont eus en différens tems d’être tantôt les auteurs & tantôt les libérateurs de la goutte, marque trop bien qu’ils sont aussi indifférens à son égard que les autres choses non-naturelles, & qu’on ignore parfaitement toutes les vraies causes de cette cruelle maladie.

Il en est des excès de Vénus comme de ceux de Bacchus ; les intempérans sont malades après leurs débauches, de toute autre maladie que de la goutte ; s’ils deviennent goutteux, ils ont cela de commun avec les plus retenus. Il y a plus de goutteux modérés en amour, qu’il n’y en a de débauchés. On peut raisonner tout de même de la bonne chere & de tous les excès, & conclure qu’il n’en est aucun en particulier qui ait la propriété de produire la goutte ; mais que chacun peut tellement disposer le corps, que le levain engendré de lui-même ou par une cause inconnue & cachée, se réveille & se mette en action pour former la maladie.

Les gens de la campagne & ceux qui s’occupent à des travaux pénibles, sont moins sujets à la goutte que ceux de la ville & que les fainéans : mais ce n’est pas à raison de leur sobriété ; ils font des excès de vin & souvent de femmes, comme ceux de la ville. La pureté & la salubrité de l’air dans lequel ils vivent, les mettent sans doute à couvert ; s’ils respirent quelque portion du levain goutteux, ou qu’il en naisse dans leur sang, leurs travaux pénibles le dissipent avec la sueur & les autres évacuations, avant qu’il ait eu le tems de se manifester.

Non-seulement la nature du levain goutteux est inconnue, non-seulement on ignore les causes éloignées qui lui donnent naissance, on n’est pas même d’accord touchant le vrai siége de la goutte. Il est décidé que c’est sur l’articulation qu’elle se jette : mais sur quelle partie de l’articulation ? est-ce sur les ligamens, sur les glandes synoviales, sur le périoste ? voilà sur quoi les Medecins sont partagés. Il est certain que dans les violentes attaques de goutte, dans la goutte ancienne & confirmée, toutes ces parties sont attaquées, ainsi que la peau & tout ce qui compose le membre affligé ; mais elles ne l’ont pas été toutes dans le même instant, il en est une qui a été la premiere occupée, la préférée, sur laquelle le levain a commencé à se déposer, & de laquelle, comme d’un centre, il a rayonné & s’est étendu tout-autour dans le voisinage. Cette partie favorite paroît être le périoste de la tête des os principalement ; ensorte que la goutte peut être regardée comme une vraie maladie des os.

La premiere preuve de la préférence du levain goutteux pour le périoste, est que dans les premiers momens d’un accès de goutte avant le gonflement, & dans les derniers après qu’il est dissipé, on peut sentir avec le doigt en pressant, le point de la douleur sur le corps de l’os, & qu’on peut faire joüer l’articulation avec la main sans peine & sans souffrance, quoiqu’elle ne puisse pas exercer librement ses fonctions.

La deuxieme, c’est que la douleur gagne & s’étend tout du long des os, le long des phalanges, & du métatarse ou du métacarpe, selon qu’elle est aux piés ou aux mains ; ce qui met le comble à l’impuissance de l’exercice du membre malade.

La troisieme, c’est que les os se tordent, & que leurs têtes se gonflent dans certaines gouttes d’un mauvais caractere, indépendamment de toute concrétion ou dépôt.

La quatrieme, c’est que la goutte attaque souvent le talon, où il n’y a ni synovie ni ligamens.

La cinquieme enfin, c’est que dans l’odontalgie, qui est une des plus cruelles gouttes, l’humeur ne peut tomber que sur le périoste de la dent attaquée, & qu’il n’y a ni synovie ni ligament pour la recevoir. Il ne paroît donc pas que ce soit la synovie qui soit l’humeur infectée du levain goutteux, comme plus analogue avec lui qu’aucune autre. L’expérience prouve au contraire qu’elle est la derniere attaquée, & que l’intérieur de l’articulation est en bon état, tandis que l’extérieur souffre beaucoup. Ce n’est qu’après un long-tems & dans les gouttes noüées, que les articulations se déplacent, & qu’elles reçoivent des dépôts dans leur intérieur.

Diagnostic. On ne sauroit méconnoître la goutte, lorsqu’une douleur vive vient subitement, en pleine santé, & sans savoir pourquoi, attaquer quelqu’une des articulations, principalement quand elle commence par une seule, par le pié ou la main, & qu’elle n’est accompagnée en naissant d’aucune tumeur : quand cette douleur se déclare la premiere fois dans le cœur de l’hyver, au milieu de la nuit, ou qu’elle redouble dans le lit ; quand elle prive la partie attaquée de la force & de la liberté de l’exercice qui lui convient, & qu’elle la rend impuissante & foible, même quelque tems après sa dissipation ; quand elle produit après les premieres vingt-quatre heures un gonflement, de la chaleur, des battemens sans aucune suppuration, une rougeur vive qui dégénere bien-tôt en violet ; quand elle se renouvelle chaque année au milieu de l’hyver, ou vers la fin du printems ; enfin lorsqu’elle dépose & qu’elle laisse des nœuds, des concrétions plâtreuses ou pierreuses aux parties qu’elle a martyrisées.

La goutte irréguliere & remontée n’est pas moins évidente que la réguliere, quand le levain déposé dans son siége naturel, l’abandonne, après le paroxysme commencé, pour aller occuper quelqu’autre partie ou quelque viscere. Il n’en est pas de même lorsque le levain goutteux s’empare de quelque partie intérieure, avant de s’être fait sentir sur les extérieures qu’il avoit coûtume d’attaquer ; il se cache trop bien sous les nouvelles formes qu’il emprunte pour qu’on ne s’y méprenne pas quelquefois : cependant le tempérament goutteux du malade, la nature des symptomes qui caractérisent la maladie formée par le levain irrégulier, le tems & la saison des attaques, la déclaration brusque, subite & sans cause de la maladie, le décelent le plus souvent ; mais on n’en est bien convaincu qu’au moment que la goutte devenant réguliere, fait cesser la maladie anomale en reprenant son poste naturel. A l’égard de cette espece de goutte anomale qui commence par être telle sans s’être annoncée par aucune attaque réguliere, ni même par aucune sorte de prélude, capable de faire soupçonner l’existence du levain goutteux dans le sang, le malade n’étant pas né d’ailleurs de parens goutteux, il n’est pas possible de la reconnoître par aucun signe ; il faut la deviner.

Prognostic. C’est le sort des maladies les plus douloureuses de n’être point mortelles, si ce n’est par accident. La goutte, quand elle n’est point troublée dans son cours, ne le devient qu’après un long-tems, lorsque des attaques longues & répétées ont entierement épuisé les forces ; lorsque le levain ne pouvant plus se débarrasser de la masse du sang, ni être chassé vers les articulations, s’arrête ou se dépose dans les visceres, & fait la goutte remontée. C’est proprement l’état de la vieillesse, & la fin de presque tous les goutteux.

Mais si le levain contrarié, troublé, interrompu dans son cours, ne peut se déposer ou se fixer dans son siége naturel, soit par la mauvaise conduite des goutteux, par leurs imprudences, par des remedes mal administrés, par des applications repercussives, ou parce qu’il est trop abondant & d’un caractere malin, il forme alors la goutte irréguliere ou remontée, qui est une maladie presque toûjours mortelle ; & la mort qui en résulte, est plus ou moins subite, plus ou moins certaine, selon la qualité du viscere attaqué, & selon la nature & l’abondance du levain remonté.

La goutte est une maladie intermittente, dont les accès reviennent tous les ans au-moins une fois, & durent plus ou moins, sont plus ou moins violens, selon qu’elle est plus nouvelle ou plus ancienne, d’un caractere benin ou malin. Il arrive cependant quelquefois que les intermittences sont de deux ou trois ans, & même davantage ; mais on remarque que quand les accès ont manqué un an, ou deux, ou trois, &c. le premier qui survient est très-fort, & d’autant plus violent, qu’il a différé plus long-tems. Les goutteux aguerris ne regardent pas ces longs intervalles comme un heureux succès ; ils ont raison de se méfier du retard de leur goutte, & d’en craindre l’irrégularité, ou du-moins de redouter la violence du premier accès, qui ne leur devient supportable qu’en dissipant leurs alarmes par son retour.

C’est peut-être la suspension des accès de goutte qui a fait croire à quelques goutteux qu’ils en étoient guéris ; ils ont fait honneur de leur guérison à quelque dernier moyen qu’ils avoient employé, dont on a enrichi le catalogue des spécifiques ; peut-être aussi que faute de distinguer le rhûmatisme, le catarrhe, ou toute autre douleur des articulations d’avec la goutte, quelques auteurs assûrent de l’avoir guérie. Le petit nombre des exemples qu’ils citent, le peu de soin qu’ils ont pris de caractériser la maladie, la nature des moyens dont ils se sont servis, devenus impuissans en d’autres mains, donnent de justes sujets de douter des guérisons qu’ils publient ; & l’on n’est que trop bien fondé à regarder encore aujourd’hui la goutte comme une maladie incurable, comme on l’a dit de tout tems de la goutte noüée, selon ce vers d’Ovide,

Tollere nodosam nescit Medicina podagram ;

parce qu’elle porte un caractere auquel personne ne peut se méprendre.

Tous les Medecins conviennent, à commencer par Hippocrate, que la goutte est pourtant guérissable, & qu’il est possible de trouver des moyens de la dompter, pourvû qu’elle ne soit ni héréditaire ni invétérée, ni noüée ; mais qu’elle ait été guérie parfaitement & sans retour, si ce n’est par hasard & par quelque heureux concours de circonstances difficiles à rencontrer, on en doute avec juste raison : peut-être sera-t-on plus heureux à l’avenir, qu’on n’a été par le passé. La violence des douleurs qui a fait inventer tant de moyens différens pour s’en délivrer, féconde en expédiens & en tentatives, pourra bien rencontrer enfin le remede tant desiré : mais ce remede est encore ignoré, & la goutte peut de nos jours pour le malheur du genre humain, tenir le même langage que Lucien lui faisoit tenir de son tems, qu’elle est la maîtresse souveraine & indomptée des douleurs, qu’on ne peut la fléchir par la violence, qu’elle se rend d’autant plus redoutable qu’on lui livre plus de combats, & d’autant plus benigne qu’on lui cede & qu’on lui obéit plus patiemment & plus aveuglement.

Les exemples de guérisons & de merveilles opérées par la diete, l’abstinence du vin & des femmes, l’usage du lait, de l’eau tiede pour toute nourriture, & quelques autres remedes, sont plus consolans pour les goutteux avides de guérir, qu’ils ne sont certains. Cardan, de curatione admirandâ, n°. 16. rapporte quatre exemples de guérisons de sa façon, par des moyens qui depuis lui n’ont guéri personne. Schenckius, lib. V. observ. Solenander, consil. 1°. sect. 5. en rapportent aussi quelques exemples, ainsi que tant d’autres auteurs qu’il est inutile de nommer. Carolus Piso fait l’histoire d’un certain Cornélius Perdæus de Picardie, qui étant goutteux depuis l’âge de sept ans, & ayant de fréquentes attaques chaque année, fut guéri à l’âge de trente ans, après s’être abstenu de vin pendant deux ans, s’être bien vêtu, bien couvert pendant la nuit, pour pouvoir suer le matin à l’issue du sommeil, & s’être legerement purgé trois ou quatre fois le mois avec le sirop de roses pâles, comme il le lui avoit conseillé. M. Desault se flatte, de nos jours, dans son traité de la goutte, d’avoir opéré des guérisons avec les apéritifs martiaux, secondés de l’usage du lait ; & à la page 168, il assûre avoir vû un goutteux s’être guéri parfaitement pour avoir avalé tous les matins à jeun pendant un mois, neuf gousses d’ail ; ayant ainsi enchéri sur ce qui est rapporté dans la pratique de Lazare Riviere, que quelques personnes regardent comme un grand remede d’avaler le matin à jeun trois gousses d’ail pour guérir de cette maladie. Cayrus, dans sa pratique, a la hardiesse d’avancer que dans un accès de goutte où il n’avoit que la langue de libre, ayant pris une dose de son électuaire cariocostin, & s’étant fait porter à quatre sur son siége, il n’eut pas plûtôt poussé trois ou quatre selles, qu’il marcha seul & n’eut besoin du secours de personne ; comme si la goutte universelle étoit assez docile pour se laisser ainsi porter à quatre, & se dissiper à l’instant par trois ou quatre selles. Il ressemble bien à ces charlatans qui possedent des spécifiques souverains, & qui savent porter des coups beaucoup plus sûrs à la bourse qu’à la maladie, surtout quand il ajoûte que par le secours de son remede pris trois ou quatre fois par an, il se délivra de la goutte pendant trente ans.

Les guérisons extraordinaires & les miracles opérés par la joie, la crainte, les douleurs même, ne méritent pas plus de confiance ; les moyens en sont d’ailleurs trop impraticables pour que la Médecine en puisse retirer d’autre fruit que l’admiration. Andræus Libavius, epist. lxxiij. in cycta med. raconte l’histoire d’un cabaretier goutteux, qui avoit fait un marché de 300 florins avec un medecin logé chez lui, s’il le guérissoit ; celui-ci l’ayant fait saisir par ses domestiques, lui cloüa les piés sur un poteau avec six gros clous ; partit sans dire adieu, & revint trois ans après exiger son salaire, ayant appris que le patient n’avoit plus eu d’attaque de goutte. Franc. Alexander raconte de Franc. Pecchius, goutteux décidé, qu’ayant été détenu vingt ans en prison, il fut exempt de goutte en sortant pour le reste de sa vie. Guilhelmus Fabricius, observat. lxxjx. cent. 1. fait l’histoire de trois malheureux goutteux qui ayant été appliqués à la torture pour leur faire avoüer un crime dont ils étoient soupçonnés, & ayant été reconnus innocens, furent délivrés pour leur vie de celle de la goutte, qu’ils avoient éprouvée plusieurs fois auparavant. Le même auteur, epist. xlvij. raconte qu’un goutteux, dans le tems du paroxysme, ayant été enlevé de son lit par un ennemi masqué, traîné par l’escalier, ensuite mis sur ses piés au bas de la maison, pour prendre haleine, le spectre prétendu ayant fait semblant de le ressaisir pour le porter hors de la maison, le goutteux prit la fuite en montant l’escalier, & alla crier au secours par les fenêtres. Le même Fabricius fait mention d’une guérison subite arrivée à un coupable perclus de goutte qu’on menoit au supplice, qui en apprenant à moitié chemin que le prince lui faisoit grace, se mit sur ses piés, & fut délivré pour le reste de sa vie. Sennert assure qu’un jeune goutteux, allarmé du feu qui avoit pris la nuit dans la maison voisine de la sienne, se leva brusquement, descendit l’escalier, traversa un fossé plein d’eau, & fut ainsi délivré de son accès & des suivans pendant plusieurs années. Il raconte aussi, d’après Doringius, qu’un habitant de Giesse, dans un accès violent de douleur & d’impatience, s’amputa le doigt du pié souffrant, & fut exempt de retour tout le reste de sa vie. On pourroit rapporter plusieurs autres exemples qui ne tendroient, comme celui-ci, qu’à prouver combien on s’est attaché de tout tems à remarquer ce qui avoit quelque pouvoir sur cette fatale maladie, sans avoir encore pû découvrir aucun moyen certain pour la detruire.

Traitement. Rien n’est plus naturel pour les souffrans, que de chercher des remedes & du soulagement dans les tourmens de leurs accès : rien n’est plus sage & plus prudent dans les intervalles, que de se précautionner contre leurs retours, & de mettre tout en usage pour s’en préserver.

Le meilleur remede pendant la douleur, c’est la douleur même, selon Sydenham, quand on a le courage de la supporter, parce qu’elle n’est jamais suivie d’aucun fâcheux évenement ; & qu’elle termine l’accès d’autant plus promptement & plus parfaitement, qu’elle est plus violente : au lieu que les moyens qu’on employe pour l’adoucir, la prolongent le plus souvent, la font déposer, & quelquefois remonter. Mais tous les patiens n’ont pas un courage suffisant pour demeurer ainsi tranquilles ; l’excès de la douleur peut d’ailleurs vaincre toute patience & toute fermeté : c’est alors qu’il convient de donner des secours, qui, n’en portassent-ils que le nom, en deviennent de réels, & empêchent les souffrans de se desespérer.

Lorsque la fievre est de la partie, ou que les douleurs sont intolérables, si le goutteux est jeune, d’un tempérament sanguin & pléthorique, la saignée peut être pratiquée une ou deux fois. Simon Pauli préfere celle des veines gonflées de la partie affligée ; & il assûre, class. iij. tit. boni Henric. quadripart. botan. que par le secours d’une pareille saignée & du cataplasme suivant, il a fait en trois jours des guérisons miraculeuses.

♃ du bon Henri sans fleurs, quatre poignées ; des fleurs seches de camomille & de sureau, de chacune deux poignées : cuisez-les dans s. q. d’eau de sureau : tirez-en la pulpe, & mêlez-y demi-once de gomme caranne, & demi-gros de camphre.

M. Vieussens, auteur du novum syst. vasorum, préféroit la saignée à la partie goutteuse, & l’a pratiquée sur lui-même avec succès. Je l’ai faite aussi, & je puis assûrer que tant que le sang couloit, il n’étoit plus question de douleur ; que le sang jaillissoit avec une impétuosité étonnante, quoique le pié fût dans une situation beaucoup plus élevée que la tête, & qu’il n’eût pas été question de le mettre dans l’eau ; mais que la douleur recommençoit comme auparavant, dès que le sang avoit cessé de couler. Les sangsues peuvent souvent tenir lieu de la saignée, sur-tout pour les personnes délicates, & donner plus ou moins de soulagement, selon qu’elles tirent à-la-foi, une plus grande ou une moindre quantité de sang.

Le régime de vivre doit être severe, sur-tout pendant la fievre ; &, selon le degré, la continuité ou la durée, ne pas passer les bouillons ou les potages. Hors le cas de fievre, on peut vivre comme en santé ; avec la reserve pourtant de ne point souper, ou de souper peu ; d’éviter les ragoûts, le haut goût, les fritures, les viandes salées, les légumes secs, les artichauds, les asperges ; le poisson mou, comme la carpe, que julius Alexander, lib. V. salubr. cav. vj. assûre avoir donné la goutte à un de ses amis, qui étoit certain d’en prendre une attaque chaque fois qu’il en mangeoit.

La situation du membre souffrant est plus importante qu’on ne le pense communément, pour diminuer l’excès de la douleur & la rendre supportable ; il doit être élevé autant qu’il est possible, délivré du poids des couvertures, & souvent de la chaleur du lit, qui contribue si fort, sur-tout pendant la nuit, à augmenter celle qui existe déjà, & à irriter la douleur au point de ne laisser prendre aucun repos au malheureux goutteux.

Les applications les plus utiles & les plus innocentes qu’on ait encore trouvées, sont le lait froid ou tiede au sortir du pis de l’animal qu’on trait sur la partie malade, ou qu’on y applique avec des compresses ; le cataplasme avec le lait & les farines d’orge, d’avoine, ou la mie de pain blanc ; la tomme fraîche de lait de brebis, qu’on renouvelle souvent ; la pulpe d’oignon de lis ou d’oignon ordinaire, cuits au four ou sous la cendre, & nourrie avec l’huile d’amande douce, récente, tirée sans feu ; la chair de bœuf ou de veau, dont on applique des roüelles froides ou toutes palpitantes ; la cervelle des veaux, agneaux, moutons ; les anodyns, tels que le jaune d’œuf frais, l’onguent anodyn de Crollius ; les narcotiques même, si l’on est forcé d’y avoir recours. Mais la douleur, dans ses premiers transports, plus puissante que les remedes, élude presque toûjours leur secours, & n’en reçoit aucun adoucissement. C’est alors que le desespoir, qui ne connoît ni frein ni danger, a inventé les bains d’eau froide, douce ou salée, de glace ou de neige, qui ont fait des guérisons promptes & miraculeuses ; mais qui ont fait aussi plus souvent remonter la goutte, ou qui l’ont changée en une mort subite.

Dans une maladie aussi indomptable, il n’est pas étonnant qu’on se soit retourné de tous les côtés, qu’on ait presque tout tenté ; & qu’après avoir éprouve le froid contre le chaud, combattu le mal par son contraire, on se soit avisé de lui opposer son semblable, & d’attaquer le feu par le feu même. Wilelm. Tenrhyne, dissert. de arthritide, pag. 102. soûtient que le feu est un excellent remede contre la goutte ; qu’il est innocent, & qu’il a vû les Japonois se guérir de leurs attaques, en mettant feu à du papier ou de la mousse dont ils entouroient la partie goutteuse : on en trouve plusieurs exemples dans Hippocrate & les anciens, qui se sont servis d’étoupes, de charpie, de mousse, &c. pour une pareille opération. Boerhaave la conseille, ainsi que le foüet avec des orties, pour attirer le levain en-dehors, lorsqu’on craint que la partie ne se durcisse trop tôt, & ne perde sa mobilité.

On seconde l’effet des topiques par les boissons de petit-lait, par les juleps anodyns, les opiates, par les clysteres émolliens ; mais ce n’est qu’après la premiere impétuosité de la douleur, qui est toujours invincible, selon Sydenham, qu’on peut retirer quelque fruit des applications propres à résoudre & à accélérer la destruction du levain goutteux. C’est alors qu’on peut employer avec succès l’emplâtre de Tachenius, dont voici la recette.

♃ de l’huile rosat ℔ j. Quand il sera chaud, délayez-y du savon blanc rapé ℥ iiij. ensuite ajoutez-y de la céruse & du minium en poudre, de chacun ℥ iiij. cuisez le tout lentement, en remuant toujours avec une spatule de bois, jusqu’à ce qu’il ait acquis la consistence d’un emplâtre : alors, après avoir laissé un peu refroidir, en remuant toûjours, mêlez-y une once de camphre, dissous auparavant dans un mortier avec q. s. d’esprit-de-vin, pour le réduire en forme de bouillie.

C’est au même moment de la diminution des tourmens, que M. James, dans son dictionnaire de Medecine, à la fin de l’article goutte, dans ses réflexions, propose un topique qui lui a été communiqué par un goutteux, qui n’est composé que de fleurs de sureau, de vinaigre & d’un peu de sel digérés ensemble, qui appliqué froid, ne laisse pas de faire beaucoup transpirer la partie ; & qui doit par conséquent, en attirant au-dehors & en évacuant le levain goutteux, l’empêcher de déposer, & abréger beaucoup la durée du paroxysme. C’est dans le même tems qu’on peut aussi appliquer avec utilité le baume de soufre térébenthine ; la térébenthine elle-même sur les étoupes, dont quelques personnes font un grand secret, ainsi que tous les différens baumes, principalement celui de la Mecque, avec lequel quelques goutteux croyent s’être guéris, ou du moins préservés de la goutte pendant plusieurs années.

On pourroit bien, avec autant de raison, appliquer les lithonptriptiques, les sels lixiviels, les absorbans, les savons, qui sont peut-être les seuls remedes capables d’attaquer la cause du mal, comme l’a soupçonné M. Deydier dans sa dissertation sur la goutte, imprimée à Montpellier en 1726 : an arthritidi curandæ quærendum topicum lithomptripticum. On pourroit bien aussi en faire usage intérieurement, comme nous le dirons ci-après, ainsi que des amers stomachiques aromatiques, qui ont toûjours été employés en pareille occasion pour fortifier l’estomac, ranimer les digestions, & détruire les reliquats du levain goutteux.

A l’égard de la purgation, elle ne trouve presque jamais place dans le tems de l’accès, à-moins qu’il n’y ait complication, parce que dans tous ses tems, au commencement, au milieu, à la fin, les purgatifs ne sont propres qu’à troubler le dépôt du levain goutteux, le suspendre, le faire remonter, ou affoiblir les forces nécessaires pour sa coction, sa résolution & sa destruction. On n’en fait guere plus d’usage à l’issue de l’attaque, parce que les forces sont déjà trop affoiblies ; que l’ennemi n’existe plus, ou qu’il est hors de la portée de leur action.

S’il est un tems pour attaquer la goutte & la combattre avec avantage, le véritable est dans l’intervalle des accès. Il est bien plus important d’empêcher la formation & l’accumulation du levain goutteux pendant la bonne santé, que de s’occuper de sa destruction dans le tems des tourmens qu’il cause. C’est en printems & en autonne qu’on peut dans les sujets pléthoriques employer les saignées préservatives ; & dans les cacochimiques, les legers émétiques ou la purgation, que Boerhaave conseille de composer avec les purgatifs hydragogues mêlés avec les mercuriaux. C’est le tems d’employer le lait & la diete blanche, les martiaux, tels que l’alkool martis de Musgrave, ou toute autre préparation ; les amers antipodagragogues des anciens, tels que la poudre arthritique amere du codex parisiensis ; les os humains brûlés, que Galien, lib. IX. de simpl. medic. facult. assûre avoir vû guérir des goutteux & des épileptiques, &c. Outre ces remedes, dont on prolonge l’usage pendant les six mois & les années entieres, les chaleurs de l’été invitent aux eaux minérales ferrugineuses, aux bains domestiques, ou dans l’eau de la mer & des rivieres, qui sont très utiles aux jeunes personnes sanguines & bilieuses. L’autonne fournit les bains de vendange bouillante, tant vantés par Antonius ab Alto-mari, & dont tant de personnes ont ressenti les bons effets. Quelques goutteux se trouvent bien de porter toute l’année ou des chaussons ou des semelles d’une toile cirée verte, qui entretient une transpiration continuelle des piés. D’autres usent toute l’année aussi d’une décoction legere d’ortie, qu’ils prennent en forme de thé.

Un remede qui paroît prendre faveur, & qui porte déjà le nom de spécifique, c’est le savon blanc ordinaire, ou le savon médicinal, dont on commence à faire usage une ou deux fois par jour pendant long-tems, en commençant par quinze ou vingt grains, & augmentant insensiblement jusqu’à demi-dragme ou deux scrupules par prise. Quoique l’expérience n’ait point encore consacré ce remede, sa vertu lithomptriptique doit lui servir de recommandation ; & quand il ne produiroit d’autre bien que d’empêcher la formation du calcul, si souvent uni à la goutte, il ne laisseroit pas d’être d’une grande utilité. Il semble que les alkalis volatils & fixes, que tant d’illustres auteurs recommandent, n’ont mérité leur confiance qu’à cause de la vertu commune qu’ils ont avec le savon.

Le meilleur remede qu’on ait encore trouvé, le plus certain, le plus utile, celui qui réunit le suffrage de tous les Medecins tant anciens que modernes, c’est un bon régime de vivre, c’est l’usage raisonnable des six choses non naturelles : non saturari cibis, & impigrum esse ad laborem. Manger peu, sur-tout le soir ; boire sobrement, éviter les alimens contraires, se coucher de bonne-heure, être assez bien couvert pour pouvoir transpirer le matin à la fin du sommeil ; faire un exercice proportionné, tant à pié qu’à cheval, ou en voiture, &c. voilà le seul spécifique connu. S’il ne remplit pas son nom, comme on n’en sauroit disconvenir, il diminue du-moins beaucoup la violence du mal ; il en empêche les fréquens retours ; il seconde efficacement tous les moyens dont on se sert pour le détruire ou pour l’adoucir, qui deviendroient inutiles sans son secours. C’est lui que Sydenham, sectateur de Lucien, préfere à tous les moyens connus de son tems, & dont il a eu la triste satisfaction de faire l’expérience sur lui-même. Le lait, qui étoit alors à la mode, n’a, selon lui, d’autre propriété que d’adoucir & de retarder les accès de goutte tant qu’on en fait usage ; mais dès qu’on l’abandonne, les premiers accès qui reviennent sont les plus violens & les plus insupportables. L’usage des purgatifs produit aussi, selon lui, plus de mal que de bien, & ainsi des autres remedes.

La goutte noüée, soit de sa nature, soit par ancienneté, doit être conduite comme la goutte simple : ce qu’elle exige de plus, c’est quelque moyen local pour fondre les nodosités, les concrétions plâtreuses ou pierreuses qui rendent le membre difforme, incommode, perclus, & qui le font enfin éclater, pour donner issue aux matieres qui s’y sont déposées. Le meilleur topique qu’on ait encore trouvé pour ce cas, c’est le cataplasme de vieux fromage de vache, délayé dans un bouillon de pié de cochon salé, inventé par Galien, & rapporté liv. X. de medic. simpl. facult. cap. jx. de caseo, auquel les Arabes ont ajoûté l’euphorbe, & dont on se sert toûjours en pareil cas, ainsi que des emplâtres de savon. Les bains & la douche des eaux de Bareges ont guéri plusieurs gouttes noüées, selon M. Desault ; il cite dans son livre plusieurs exemples des succès opérés par ces eaux admirables, qui sont du-moins toûjours innocentes.

A l’égard de la goutte remontée, où les forces vitales trop affoiblies par l’âge, ou par toute autre cause, ne peuvent plus pousser au loin le levain goutteux dans son siege naturel ; où le levain déréglé & mal moriginé, au lieu de se porter dans les articulations, se jette sur les visceres ; où les applications mal entendues, & quelques fautes dans le régime & les remedes, le repercutent & le chassent en-dedans du corps : les cordiaux sont le seul remede pour le premier cas, tels que la thériaque vieille, la poudre de Gascogne, les bons vins vieux, les liqueurs même spiritueuses & les alimens nourrissans, parce qu’ils sont capables de relever les forces, & de faire faire un effort à la nature pour chasser l’ennemi.

Dans le second on doit suivre le même traitement pour les maladies causées par le levain goutteux, que si elles étoient dépendantes de causes ordinaires ; avec cette attention particuliere, que les forces doivent être ménagées, & par conséquent les saignées & les purgatifs économisés, les cordiaux presque toûjours employés ; & qu’on doit s’occuper particulierement de rappeller à son siége naturel le levain qui s’en est écarté, par le moyen des frictions seches, des emplâtres céphaliques, de la poix de Bourgogne, de l’urtication, du bain chaud, de la peau chaude de quelqu’animal nouvellement écorché, des synapismes & des vésicatoires même sur la partie dont il s’est dévoyé, & sur laquelle il doit revenir pour la délivrance parfaite de celles qui en sont opprimées.

Dans le troisieme cas il faut recourir à des applications contraires aux repercussives qui ont repoussé le levain en-dedans, aux bains chauds de la partie, &c. comme dans le second cas ; à la saignée même dérivative, si les forces sont suffisantes ; aux cordiaux, & même aux anodyns pris intérieurement, selon le besoin. Cet article est de M. Penchenier, Docteur en Medecine à Montelimart en Dauphiné.