L’Encyclopédie/1re édition/GRENOUILLE

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GRENOUILLE, rana, s. f. animal qui a quatre piés, qui respire par des poumons, qui n’a qu’un ventricule dans le cœur, & qui est ovipare. On distingue deux sortes de grenouilles ; les unes restent ordinairement dans l’eau & sont appellées grenouilles aquatiques ; les autres se trouvent sur les feuilles des arbrisseaux & même des arbres : on leur donne le nom de rainettes. Voyez Rainette.

La grenouille a quatre doigts aux piés de devant ; & cinq à ceux de derriere, avec des nageoires. Les jambes de derriere sont plus longues & plus fortes que celles de devant. Cet animal a la tête grosse, le cou large & court, le bout du museau mince, les yeux gros, & la bouche grande. La peau est inégale & tuberculeuse dans quelques endroits. Les unes sont vertes, les autres brunes ou jaunâtres ; le ventre est blanc & tacheté de noir. La grenouille est amphibie : elle n’a pas besoin de prendre l’air souvent ; car on en a retenu sous l’eau qui y sont restées vivantes pendant quelques jours, cependant elles s’élevent à la superficie de l’eau pour respirer, & elles en sortent pour s’exposer au soleil. Cet animal a la vie très-dure, si c’est vivre que de s’agiter & de sauter pendant quelque tems après qu’on lui a ouvert la poitrine & le ventre, & qu’on en a arraché le cœur & tous les autres visceres. La chair de ces animaux est assez bonne à manger ; pour cela on les écorche, & on ne prend que la partie postérieure du corps avec les cuisses. Les grenouilles ont deux cris différens : l’un est le croassement que l’on entend dans le tems de pluie & dans les jours chauds aux heures où l’ardeur du soleil ne se fait pas sentir ; l’autre cri est nommé par les Grecs & les Latins, ololo, parce que la prononciation de ce mot imite le cri dont il s’agit : comme il est propre aux mâles, les anciens les ont appellés ololyzontes. C’est au printems qu’ils crient ainsi en cherchant les femelles pour s’accoupler ; ce qui se fait d’une maniere très-singuliere, de même que la naissance, l’accroissement, & les transformations des grenouilles. Rondelet, hist. anim. palustr. cap. j. Rai, synop. method. anim. quad. p. 245 & sequent.

Au mois de Mars les mâles font leur cri & courent après les femelles ; dès que l’un des mâles en peut joindre une, il se jette sur son dos en l’assaillant par derriere, & la saisit à l’endroit de la poitrine, de sorte que les jambes de devant des mâles, passent de chaque côté derriere celles de la femelle, & se rejoignent sur le devant de sa poitrine. Le mâle se fixe dans cette situation, en entre-mêlant les doigts de l’un des pieds de devant avec ceux de l’autre, pour avoir un point d’appui qui l’empêche de glisser ; il serre si étroitement la femelle, qu’il n’est presque pas possible de l’en séparer sans lui casser les bras : aussi quelque mouvement que la femelle puisse faire, quelque part qu’elle aille, le mâle reste inébranlable dans la même situation, avec une constance surprenante ; car cet embrassement dure jusqu’à quarante jours consécutifs, selon que la saison est plus ou moins chaude.

Les œufs de la femelle se détachent de l’ovaire qui est placé sur la matrice, se répandent dans l’abdomen, & entrent ensuite dans les trompes de la matrice. Chaque trompe est pelotonnée ; mais lorsqu’elle est étendue, elle a jusqu’à deux piés de longueur ; les œufs parcourent cet espace & arrivent dans la matrice : lorsqu’ils y sont tous rassemblés, la femelle les pousse au-dehors par l’anus, car la matrice y aboutit ; alors le mâle l’aide en la serrant plus fortement entre ses bras, & il répand sur les œufs tandis qu’ils sortent, une liqueur prolifique qui coule de l’anus. Le mâle a des testicules placés près des reins, des vésicules séminales, & des canaux déférens qui aboutissent au rectum. Les œufs que rend une grenouille sont au nombre d’environ onze mille, ils tombent tous à-la-fois au fond de l’eau, s’ils ne sont retenus par des herbes ou d’autres corps qu’ils rencontrent. Dès que la ponte est faite, le mâle quitte la femelle.

Comme les grenouilles n’ont aucune des parties de la génération placées à l’extérieur, il est assez difficile de distinguer leur sexe ; cependant on peut reconnoître le mâle par deux caracteres, l’un consiste en deux vésicules qui sont situées derriere les yeux, une de chaque côté, & qui se dilatent ou se contractent lorsque l’air y entre ou en sort ; l’autre caractere se trouve sur le pouce des piés de devant, qui est fort épais, quelquefois très-noir & hérissé de plusieurs papilles assez semblables à celles qui sont sur la langue des bœufs : ces papilles se trouvent dirigées contre la poitrine de la femelle, dans le tems que le mâle la tient étroitement embrassée.

Chaque œuf de grenouille est composé d’un petit globule noir qui est posé au centre & entouré d’un mucilage blanchâtre & visqueux ; le globule noir est le fœtus dans ses enveloppes, & la liqueur épaisse qui l’environne fait sa nourriture. Lorsque le paquet d’œufs est tombé au fond de l’eau, chaque œuf se renfle, & quelques jours après ils s’élevent tous & nagent dans l’eau. Le quatrieme jour après la ponte, l’œuf a déjà pris assez d’accroissement pour que l’on puisse voir très distinctement le fœtus avec ses enveloppes au milieu & la matiere mucilagineuse qui les environne ; au sixieme jour, le fœtus sort de ses enveloppes & du mucilage qui est autour, alors il nage & il paroît à découvert sous la forme de tétard. Le mucilage s’est en partie dissous chaque jour jusqu’à ce tems, de sorte qu’il se trouve, pour ainsi dire, raréfié dans un plus grand volume, & qu’il ressemble dans cet état à un nuage ; le tétard y rentre de-tems-en-tems pour y prendre de la nourriture & pour s’y reposer, lorsqu’il s’est fatigué en nageant, car ce nuage le soûtient sans qu’il fasse aucun effort.

Le tétard au sortir de ces enveloppes, semble n’être composé que d’une tête & d’une queue, mais la partie ronde que l’on prend pour la tête, contient aussi la poitrine & le ventre : dans la suite, les jambes de derriere commencent à paroître au-dehors ; mais celles de devant sont cachées sous la peau qui recouvre tout le corps, même les jambes de derriere : enfin il se dépouille de cette peau ; alors ses quatre jambes sont à découvert, il prend la forme de grenouille, & il ne lui reste de celle de tétard que la queue qui se desseche peu-à peu & s’oblitere en entier : lorsqu’elle a disparu & que la transformation du tétard en grenouille est parachevée, la grenouille n’est pas encore en état de se reproduire, ce n’est qu’après deux ou trois ans qu’elle est propre à la géneration, au contraire des insectes, qui s’accouplent dès qu’ils ont subi leur derniere métamorphose. Swammerdam, biblia naturæ, p. 789 & sequent. (I)

Grenouille, (Diete & Mat. méd.) les grenouilles sont très-rarement employées en Medecine, dit Juncker, conspectus Therapeiæ gener. quoique plusieurs ayent recommandé de les appliquer vivantes sur la tête contre le délire qui accompagne les fievres malignes, ou sur la langue pour prévenir les angines. Le foie de grenouille est recommandé depuis longtems, dit le même auteur, pour calmer les mouvemens épileptiques ; & il avance que l’expérience est favorable à ce remede, pourvû, dit-il, qu’on l’employe assez récent, & après avoir fait préceder les remedes généraux. La grenouille séchée, tenue dans la main, arrête quelquefois l’hémorrhagie des narines dans les sujets très-sensibles : c’est encore Juncker qui rapporte cette vertu.

Cet auteur n’a pas seulement soupçonné qu’il y eût un pays au monde où l’on donnât des bouillons de grenouille à titre de remede dans la plûpart des maladies chroniques, & sur-tout dans les maladies de poitrine. Voyez l’article Écrevisse, & l’article Nourrissant.

On retire par la distillation du frai de grenouille, une eau qui a été très-vantée comme cosmétique, comme excellente contre la brûlure, les érésypeles, la goutte, la douleur de tête, &c. employée extérieurement ; Sydenham la fait entrer dans les gargarismes contre les angines.

Les grenouilles entrent dans un emplâtre très-composé & fort usité, auquel elles donnent leur nom, mais qui est plus connu encore sous le nom d’emplâtre de Vigo. Voyez Vigo (emplâtre de).

On fait avec les cuisses de grenouille différens ragoûts que les personnes les plus délicates peuvent manger sans inconvénient, malgré l’épithete de chair glaireuse qu’on leur a donnée, mais aussi dont les sujets qui sont accusés d’avoir les humeurs acres ne doivent pas se promettre plus de bien que des bouillons de grenouille auxquels nous ne croyons guere, comme nous l’avons déjà insinué. (b)

Grenouille, (Imprimerie.) c’est en général une espece de vase de fer rond ou quarré, plus ou moins grand, au fond duquel est enchâssé un grain d’acier sur lequel tourne le pivot ou extrémité d’un arbre, d’une vis, &c. La grenouille de la presse d’Imprimerie a sept à huit pouces de diametre sur environ un pouce & demi de haut : en-dessous est une sorte de pié ou d’allongement quarré de dix à douze lignes de long sur environ trois pouces de diametre, qui s’emboîte dans le milieu du sommet de la platine, si elle est de cuivre, ou dans le milieu du sommet de la crapaudine, quand la platine est de fer. Voyez Crapaudine.